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Haïti : Agir d’urgence face à la résurgence du choléra

Les bailleurs de fonds et l'ONU devraient fournir du carburant et des médicaments, et les gouvernements devraient suspendre les retours forcés d’Haïtiens vers leur pays

L'intérieur d'une tente où des personnes souffrant de symptômes de choléra sont soignées, dans l’enceinte d’une clinique dirigée par Médecins sans frontières à Port-au-Prince, Haïti, et photographiée le 7 octobre 2022. © 2022 AP Photo/Odelyn Joseph

(Washington) – La communauté internationale devrait aider Haïti à faire face à la résurgence du choléra en livrant d’urgence du carburant, des médicaments et de l'eau potable, a déclaré Human Rights Watch aujourd’hui. Les pays devraient suspendre les renvois, les expulsions et les refoulements d'Haïtiens en raison de l'aggravation de la situation humanitaire, exacerbée par une grave crise sécuritaire, judiciaire et politique.

Depuis que le premier cas de choléra a été confirmé le 2 octobre 2022, cette maladie s'est propagée rapidement. Au 16 octobre, il y avait 835 cas suspects, 78 cas confirmés et au moins 36 décès, a rapporté le ministère haïtien de la Santé. Les établissements de santé n'avaient effectué que 493 tests de dépistage du choléra. L'Organisation panaméricaine de la santé a averti que le nombre réel de cas est « probablement beaucoup plus [élevé] », car la violence des gangs limite l'accès aux zones touchées.

« Le manque d'accès à l'eau potable et à l'assainissement, l'insécurité alimentaire généralisée et des soins de santé inadéquats créent des conditions parfaites pour une dangereuse épidémie de choléra », a déclaré César Muñoz, chercheur senior auprès de la division Amériques de Human Rights Watch. « La communauté internationale devrait répondre de toute urgence à cette menace extrêmement grave pour la santé et la vie des habitants, en particulier en ce qui concerne les jeunes enfants et les autres personnes vulnérables. »

Le choléra est une maladie extrêmement virulente causée par l'ingestion d'eau ou d'aliments contaminés par la bactérie Vibrio cholerae, présente dans les matières fécales, selon l'Organisation mondiale de la santé (OMS). La plupart des personnes infectées ne développent pas de symptômes, mais les bactéries présentes dans leurs selles peuvent infecter d'autres personnes. Une minorité de personnes développent une diarrhée aqueuse aiguë avec déshydratation sévère et peuvent mourir en quelques heures si elles ne sont pas traitées.

Plus d'un quart de tous les cas suspects concernent des enfants de moins de 9 ans, selon les données du ministère. Les jeunes enfants sont particulièrement vulnérables à la maladie, et peuvent mourir très rapidement s'ils ne sont pas soignés, a déclaré à Human Rights Watch Mumuza Muhindo, le directeur de l'organisation à but non lucratif Médecins sans Frontières (MSF) en Haïti. MSF gère des établissements de santé à Port-au-Prince, dans le département du Sud et dans l'Artibonite.

Muhindo a déclaré que les cas se propagent depuis les zones centrales de la capitale. « Les cas augmentent chaque jour », a-t-il souligné.

Les personnes en détention sont également particulièrement exposées. Quatorze des décès confirmés se sont produits à la prison de Port-au-Prince, a indiqué le ministère. En juin, les prisons d'Haïti contenaient presque trois fois plus de détenus que le nombre pour lequel elles avaient été construites. Bon nombre des plus de 11 500 détenus, dont 83 % attendent leur procès, vivent dans des conditions inhumaines, ont affirmé les Nations Unies. Le Bureau du Médiateur a signalé des dizaines de décès de détenus liés à la malnutrition, avant même la recrudescence du choléra. L'aide devrait être dirigée vers les populations les plus vulnérables, notamment les détenus, selon Human Rights Watch.

La transmission du choléra est étroitement liée à un accès insuffisant à l'eau potable et aux installations sanitaires, selon l'OMS. En 2020, plus d'un tiers de la population d'Haïti n'avait pas accès à l'eau potable et les deux tiers disposaient d'un service d'assainissement limité ou inexistant.

En outre, un nombre record de 4,7 millions de personnes sont actuellement confrontées à une faim aiguë, selon le Programme alimentaire mondial. Pour la première fois, un niveau de faim considéré comme catastrophique a été enregistré en Haïti, affectant 19 000 personnes dans le quartier Cité Soleil de la capitale. Près de 100 000 enfants de moins de cinq ans souffrent de malnutrition aiguë sévère, ce qui les rend particulièrement vulnérables au choléra, selon l’UNICEF.

En 2010, une épidémie de choléra en Haïti, qui a été attribuée aux eaux usées rejetées par négligence d'une base de maintien de la paix des Nations Unies dans une rivière près de la ville de Mirebalais, a causé environ 9 800 décès et plus de 820 000 infections. En 2017, les Nations Unies ont reconnu leur rôle dans la propagation de l'épidémie et ont accepté la responsabilité morale, mais non légale, d'y faire face. Toutefois, les Nations Unies n’ont pas versé d'indemnisation aux victimes et ont sous-financé d'autres efforts d'aide, ont déclaré des experts indépendants des droits humains des Nations Unies en 2020.

La communauté internationale devrait réagir de toute urgence pour empêcher que de telles pertes humaines tragiques ne se reproduisent, en livrant du carburant – par avion si nécessaire – ainsi que des vaccins contre le choléra et des médicaments pour soigner les personnes infectées, a déclaré Human Rights Watch. Le carburant est nécessaire de toute urgence pour pomper, stériliser et distribuer l'eau.

Les agences des Nations Unies, MSF et d'autres organisations locales et internationales ont déjà commencé à distribuer des médicaments et du matériel aux hôpitaux. Elles ont établi des centres de traitement du choléra, facilité l'accès à l'eau potable et à l'assainissement, aidé les efforts du ministère pour la surveillance et la gestion des cas, et s'efforcent d'obtenir des vaccins contre le choléra en Haïti. Cependant, il reste encore beaucoup à faire pour éviter une catastrophe sanitaire, selon Human Rights Watch.

La réponse à la crise actuelle est particulièrement difficile en raison des crises aggravées qui affectent Haïti. Les gangs ont de plus en plus pris le contrôle de zones stratégiques autour de Port-au-Prince et d'autres régions du pays. En septembre, un gang a bloqué l'accès au principal terminal de carburant du pays, en réponse aux propositions de réduction des subventions aux carburants, selon l'ONU. Les gangs empêchent la distribution de carburant, paralysent les entreprises, les écoles et les hôpitaux, et créent des pénuries de biens de base et de télécommunications, ont expliqué les agences de l'ONU.

Les hommes armés contrôlent complètement le quartier de Brooklyn à Cité Soleil, l'une des zones de Port-au-Prince les plus touchées par la résurgence du choléra, a déclaré Mumuza Muhindo. Depuis le 10 juillet, les habitants n'ont pas accès à l'eau potable car la route est barrée et c´est un lieu de combat entre groupes armés. Plusieurs autorités ont indiqué à Human Rights Watch que les gangs avaient des liens avec des dirigeants politiques et commerciaux, ainsi qu’avec des policiers.

Une vague de violence des gangs a entraîné le déplacement de plus de 43 000 personnes à Port-au-Prince d'avril à juillet, a rapporté l'Organisation internationale pour les migrations (OIM). L'OMS a déclaré que les personnes déplacées sont particulièrement vulnérables au choléra en raison de l'accès précaire à l'eau potable et à l'assainissement.

Pour lutter contre la violence des gangs, qui constitue un obstacle à l'acheminement de l'aide, les autorités doivent veiller à ce que le système judiciaire recommence à fonctionner, a souligné Human Rights Watch. Dans certaines juridictions, les tribunaux n'ont tenu aucune audience sur des affaires pénales depuis trois ans, a rapporté le Haut-Commissariat des Nations Unies aux droits de l'homme (HCDH). Un obstacle majeur est le manque de sécurité. Le gouvernement devrait déplacer les tribunaux, qui ont été attaqués par des gangs, dans des zones sûres, et protéger les employés du système judiciaire, avec un soutien international. Les juges devraient examiner tous les cas de détenus et appliquer des alternatives à la détention, le cas échéant.

La paralysie politique a aggravé les problèmes du pays. Le Parlement a cessé de fonctionner en janvier 2020, lorsque l'ancien président Jovenel Moïse a refusé d'organiser des élections législatives. Moïse a été assassiné en 2021, et Haïti est actuellement sans président élu ou nommé. Le Premier ministre Ariel Henry gouverne désormais par décret, sans aucun mandat constitutionnel.

Malgré la détérioration de la situation, d'autres pays continuent de renvoyer des personnes vers Haïti. De janvier à septembre, ces pays ont expulsé ou déporté et renvoyé sommairement plus de 21 000 personnes vers Haïti par air ou par mer, suite à leur interdiction de séjour sur leurs territoires, a rapporté l'OIM. Les États-Unis sont responsables d'environ 70 % de ces rapatriements.

Par ailleurs, la République dominicaine a rapatrié plus de 49 676 Haïtiens par voie terrestre entre février et septembre, dont des personnes nées en République dominicaine mais considérées par les autorités dominicaines comme haïtiennes, selon le Groupe d'appui aux réfugiés et rapatriés (GARR), une association présente à la frontière.

Les droits à l'eau et à l'assainissement sont des droits humains. Le droit à l'eau donne à chacun, sans discrimination, « le droit d'avoir accès à une eau suffisante, sûre, acceptable, physiquement accessible et abordable pour son usage personnel et domestique ».

Le Comité des droits économiques, sociaux et culturels, l'organe de l'ONU chargé de contrôler le respect du Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels, a déclaré que « l'approvisionnement en eau de chaque personne doit être suffisant et continu pour les usages personnels et domestiques », notamment l'eau à des fins d'hygiène. Le Comité a également noté que pour être sûre, l’eau devrait être « exempte de micro-organismes, de substances chimiques et de risques radiologiques qui constituent une menace pour la santé d'une personne ».

Le droit à l'assainissement donne à chacun, sans discrimination, le droit « d'avoir un accès physique et abordable à l'assainissement, dans toutes les sphères de la vie, qui soit sûr, hygiénique, sécurisé et socialement et culturellement acceptable et qui assure l'intimité et la dignité », a déclaré l'Assemblée générale de l'ONU en 2015. Le Rapporteur spécial des Nations Unies sur les droits à l'eau et à l'assainissement a conclu que les États devraient « veiller à ce que la gestion des excréta humains n'ait pas d'impact négatif sur les droits humains ».

« La résurgence du choléra rend encore plus urgent pour les gouvernements de cesser de renvoyer des personnes en Haïti, où la crise sécuritaire, humanitaire et sanitaire met en danger la vie et l'intégrité physique de chacune et chacun », a conclu César Muñoz.

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