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Myanmar : Les tribunaux de la junte ont prononcé 65 condamnations à mort

Des procès à huis clos devant des tribunaux militaires violent le droit à des procédures équitables

Une rangée de policiers, soutenus par des militaires dans des véhicules, étaient déployés devant une barrière routière à Mandalay, au Myanmar, le 19 février 2021. © 2021 AP Photo

(Bangkok) – Les tribunaux militaires mis en place par la junte qui dirige le Myanmar ont condamné 65 personnes à la peine de mort à l’issue de procès inéquitables, depuis que l’armée a pris le pouvoir par un coup d’État le 1er février 2021, a déclaré Human Rights Watch aujourd’hui. Les médias d’État et des organisations locales ont affirmé que 26 des personnes condamnées à mort sont actuellement en détention, les 39 autres ayant été condamnées par contumace.

Les tribunaux militaires ont prononcé ces peines capitales dans des quartiers de Yangon, la plus grande ville du pays, où la junte a proclamé la loi martiale en mars. En imposant la loi martiale, la junte a transféré tous les pouvoirs exécutifs et judiciaires à l’officier supérieur situé au sommet de la hiérarchie du commandement militaire régional et a rendu 23 crimes passibles de la peine de mort.

« En plus de tirer à balles réelles sur les manifestants, la junte au Myanmar a fait condamner à mort des dizaines de personnes par des tribunaux militaires à l'issue de procès  profondément injustes », a déclaré Shayna Bauchner, chercheuse auprès de la division Asie à Human Rights Watch. «Visant manifestement à décourager le mouvement de protestation contre le coup d'État, ces condamnations à mort devraient alerter les gouvernements étrangers sur le besoin urgent d'agir pour montrer à la junte qu’elle aura à rendre des comptes pour ses crimes. »

Les 14 et 15 mars, le Conseil d’administration de l’État (State Administration Council, SAC) mis en place par la junte a proclamé la loi martiale dans 11 municipalités de Yangon et de Mandalay, après un weekend durant lequel les forces de sécurité avaient tué environ 120 personnes lors de manifestations contre le coup d’État. Le commandant de la région de Yangon, le général Nyunt Win Swe, s’est vu attribuer le contrôle de tous les pouvoirs administratifs et judiciaires dans ces quartiers de Yangon.

Les ordonnances de loi martiale désignent 23 catégories de crimes devant être jugés devant des tribunaux militaires dans les municipalités en question, tous ces crimes étant passibles de la peine capitale. Parmi ces crimes, plusieurs ont été inscrits par la junte depuis le coup d’État. La majorité de ces infractions ne constituent pas des crimes passibles de la peine capitale devant les tribunaux civils. Les 65 peines de mort ont été prononcées pour des accusations de meurtre, en vertu des sections 302, 396 et 397 du code pénal.

Les règles de la loi martiale exigent que le président du SAC, le général Min Aung Hlaing, approuve tous les ordres d’exécution. Elles stipulent également que « les décisions ou condamnations prononcées par un tribunal militaire sont sans appel ». La seule option pour les prévenus condamnés à mort est de faire appel auprès du président du SAC dans les 15 jours suivant la sentence, dans l’espoir qu’il annule la décision. Min Aung Hlaing a l’autorité d’invalider la décision, d’atténuer la sentence ou d’approuver la décision. Les demandes peuvent être présentées uniquement par l’intermédiaire des responsables des prisons, et non pas des avocats, a affirmé Radio Free Asia.

Les ordres d’exécution ont été émis en six lots entre avril et juin. Les procédures judiciaires, expéditives et secrètes, menées contre des civils par des tribunaux militaires mis sur pied de manière non conforme à la loi, ont dans une large mesure privé les personnes détenues et celles qui ont été condamnées par contumace de leurs droits fondamentaux à un procès équitable. Les procès devant les tribunaux militaires au Myanmar se tiennent depuis longtemps à huis clos à l’intérieur de la prison d’Insein à Yangon, où les règles de preuve et de procédure en vigueur dans les tribunaux civils ne s’appliquent pas. Les personnes jugées par des tribunaux militaires sont face à la quasi-certitude d’être déclarées coupables, quelle que soit la validité des chefs d’accusation retenus contre elles, et les procès se déroulent hors de la vue du public ou de la communauté internationale.

Dans la première affaire instruite par la junte où les accusés étaient passibles de la peine de mort, les médias d’État ont indiqué que 18 hommes et une femme ont été condamnés à mort le 8 avril pour avoir prétendument attaqué deux militaires circulant à moto, dont l’un est décédé par la suite, dans la municipalité d’Okkalapa Nord à Yangon, le 27 mars. Ces 19 personnes ont été condamnées, en vertu des sections 396 et 397 du code pénal, pour meurtre et vol. Un autre homme a été condamné à mort le 28 avril pour le même incident. Trois des personnes condamnées sont en détention; les autres ont été condamnées par contumace.

Un tribunal militaire de Yangon a condamné deux femmes et cinq hommes à la peine capitale le 12 avril en vertu de la section 302(1)(b) du code pénal, pour leur implication présumée dans le meurtre d’une femme de la municipalité de Hlaing Tharyar, qui avait prétendument soutenu l’action de l’armée. Quatre de ces personnes sont détenues; les trois autres ont été condamnées par contumace.

Le 24 mai, le tribunal militaire de la prison d’Insein a condamné à mort 18 personnes – 15 hommes, une femme et 2 adolescents – en vertu de la section 302(1)(c) du code pénal, pour avoir prétendument tué un partisan de l’armée le 29 mars à Dagon Sud. Sept de ces personnes sont en fuite; 11 sont en détention. Les deux adolescents, âgés de 17 et 15 ans, ont été arrêtés le 17 avril. Les médias d’État ont affirmé qu’ils ont été déférés devant un tribunal pour délinquants juvéniles. Quatre des hommes détenus sont frères.

Cinq hommes ont été condamnés à mort le 27 mai, dont quatre par contumace, en vertu de la section 302(1)(b) du code pénal, pour avoir prétendument attaqué un homme qui vivait dans la municipalité de Shwe Pyi Thar et a succombé à ses blessures.

Dans les plus récents verdicts annoncés, un tribunal militaire a condamné à mort, le 21 juin, 15 personnes – 13 hommes et 2 femmes – qui étaient accusées aux termes de la section 302(1)(b) du code pénal d’avoir tué un indicateur des autorités et deux de ses fils le 15 mars à Shwe Pauk Kan Myothit, dans la municipalité d’Okkalapa Nord. Sept de ces personnes sont en détention; les huit autres ont été condamnées par contumace.

Depuis février, la junte et les forces de sécurité ont répondu par une violence et une répression accrues au mouvement national d’opposition au coup d’État. Les forces de sécurité d’État ont tué plus de 900 personnes et arrêté environ 5 300 activistes, journalistes, fonctionnaires et politiciens.

Les ordonnances de loi martiale permettent également de prononcer la peine de mort pour trahison et pour des infractions connexes, dont plusieurs ont été introduites ou ont eu leur champ d’application élargi par le SAC afin de criminaliser de manière générale les activités de protestation et le Mouvement de désobéissance civile lancé par l’opposition. Selon la définition élargie de la trahison, il est illégal d’« inciter à la désaffection vis-à-vis » des forces de défense, ce qui a pour effet d’assimiler toute critique de l’armée à un acte de trahison. Les tribunaux militaires ont également été habilités à juger des personnes pour des infractions invoquées pour étouffer la dissidence, notamment la section 505A du code pénal, disposition nouvelle mise en place par la junte qui érige en infraction pénale le fait de se livrer à des commentaires qui « font peur », propagent de « fausses nouvelles » ou « évoquent directement ou indirectement une infraction pénale à l’encontre d’un fonctionnaire. »

Certains détenus condamnés à mort ont affirmé avoir été passés à tabac en prison par la police. Les forces de sécurité du Myanmar ont soumis de nombreux détenus arrêtés depuis le coup d’État à des tortures et à d’autres mauvais traitements, notamment à des passages à tabac réguliers. Ces détenus sont fréquemment maintenus au secret, dans l’incapacité de contacter leurs proches ou un avocat. Ces victimes, parmi lesquelles un garçon de 17 ans qui a parlé à Human Rights Watch, ont décrit des passages à tabac, des brûlures de cigarettes, des positions de stress prolongées et des violences sexistes.

D’autres sources interrogées ont déclaré que les forces de sécurité transportaient souvent les détenus vers des postes de police ou des centres d’interrogatoire militaires, où ils étaient roués de coups et forcés à rester debout, à genoux ou allongés dans des positions de stress des heures durant.

Le Myanmar n’a pas exécuté de personnes condamnées à mort par le système judiciaire depuis 1988, bien que la peine de mort soit toujours prévue dans son code pénal, et que les tribunaux aient continué à prononcer des peines capitales. Human Rights Watch est opposé à la peine de mort en toutes circonstances, à cause de sa cruauté inhérente et de son irréversibilité, et appelle depuis longtemps le Myanmar à l’abolir.

«Ces tribunaux militaires bidons prononcent des condamnations à mort iniques et sans appel sous la direction d'un commandant sanctionné par l'Union européenne, les États-Unis et d'autres pour avoir commis les pires crimes au regard du droit international», a affirmé Shayna Bauchner. « Les Nations unies, l'Union européenne, les États-Unis et d'autres gouvernements devraient exiger la libération de toutes les personnes injustement emprisonnées et accroître la pression sur la junte pour qu'elle sache que ce qu'elle fait - même derrière les portes des prisons - est regardé de près. »

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