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Questions-Réponses : Procès en Suisse pour des atrocités commises au Libéria

La compétence universelle ouvre la voie à la justice

Le drapeau national de la Confédération suisse flotte à l'entrée du Tribunal pénal fédéral à Bellinzone, chef-lieu du canton du Tessin dans le sud de la Suisse (partie italophone), le 5 mars 2020. © 2020 Reuters /Arnd Wiegmann
  1. Qui est Alieu Kosiah et quelles sont les charges retenues contre lui ?
  2. Pourquoi le procès de Kosiah se déroule-t-il en Suisse ?
  3. Quels crimes internationaux ont été commis au Libéria pendant les deux guerres civiles ?
  4. Les crimes commis au Libéria pendant les deux guerres civiles ne devraient-il pas faire l’objet d’enquêtes et de poursuites judiciaires dans ce pays ?
  5. Y a-t-il eu la moindre condamnation pour les crimes commis au Libéria ?
  6. Que s’est-il passé jusqu’à présent lors du procès de Kosiah ?
  7. À quels types de défis les autorités judiciaires suisses ont-elles été confrontées pour juger cette affaire ?
  8. Qui sont les « parties plaignantes privées » et quel rôle jouent-elles dans le procès ?
  9. Le public peut-il assister au procès ? Les Libériens sont-ils en mesure de suivre les audiences en Suisse ?
  10. Quelle est la durée prévue pour le procès et quelles en sont les issues possibles ?
  11. Qui en Suisse est responsable de l’ouverture d’enquêtes et de poursuites judiciaires sur les crimes internationaux ?
  12. Combien d’enquêtes portant sur des crimes graves ont-elles été ouvertes en Suisse ?
  13. La pratique de la compétence universelle en Suisse est-elle comparable à celle en vigueur ailleurs en Europe ?
  14. Quelles autres options existe-t-il pour établir des responsabilités supplémentaires pour les crimes internationaux perpétrés au Libéria ?

Le 3 décembre 2020, le procès pénal d’Alieu Kosiah, ancien commandant rebelle libérien, a débuté dans la ville de Bellinzone, en Suisse, devant le Tribunal pénal fédéral du pays. Kosiah est le premier individu à être jugé pour crimes de guerre par une juridiction pénale non militaire en Suisse et le premier citoyen Libérien à être jugé pour des crimes de guerre présumés commis pendant la première guerre civile libérienne, de 1989 à 1996.

Ce document « Questions-réponses » fournit des informations générales sur le procès, les accusés et les efforts déployés par la Suisse pour enquêter et ouvrir des poursuites sur les crimes internationaux graves.

  1. Qui est Alieu Kosiah et quelles sont les charges retenues contre lui ? 

Alieu Kosiah est un ressortissant libérien âgé de 45 ans, ancien commandant du groupe armé Mouvement uni de libération du Libéria pour la démocratie (ULIMO).

Il a été arrêté le 10 novembre 2014 en Suisse, où il résidait depuis 1999, pour son rôle présumé dans des crimes de guerre commis entre 1993 et ​​1995 dans le comté de Lofa, dans le nord-ouest du Libéria. L’arrestation faisait suite à des plaintes pénales déposées contre lui par sept victimes libériennes qui sont désormais officiellement parties à la procédure contre lui, en tant que « parties plaignantes privées ». Deux avocats de l’organisation non gouvernementale suisse Civitas Maxima en représentent quatre. Kosiah a été détenu tout au long de l’enquête qui a duré plusieurs années, avant d’aboutir en mars 2019 à un acte d’accusation déposé par le bureau du procureur général suisse contre lui.

Les procureurs suisses l’accusent de divers crimes, notamment d’avoir ordonné le meurtre et le traitement cruel de civils, le viol, le recrutement d’enfants soldats et le pillage. Kosiah fait face à 25 chefs d’accusation distincts.

  1. Pourquoi le procès de Kosiah se déroule-t-il en Suisse ?

Le procès de Kosiah en Suisse est possible parce que les lois du pays reconnaissent la compétence universelle à l’égard de certains crimes internationaux graves, permettant l’ouverture d’enquêtes et de poursuites quel que soit le lieu de leur commission et la nationalité des suspects ou des victimes.

En règle générale, les autorités nationales ne peuvent enquêter sur un crime que s’il existe un lien entre leur pays et le crime. Le lien normal est territorial, ce qui signifie que le crime, ou un élément important de celui-ci, a été commis sur le territoire du pays souhaitant exercer sa compétence (appelé principe de compétence territoriale). De nombreux États engagent également des poursuites sur la base de la personnalité, ce qui signifie que l’auteur présumé est un citoyen de ce pays (principe de la personnalité active) ou la victime (principe de la personnalité passive). Cependant, certains pays ont accordé à leurs juridictions nationales – comme la Suisse – la compétence pour se saisir d’affaires, même en l’absence de lien territorial ou de personnalité.

Nombre de pays européens mènent actuellement des enquêtes et des poursuites liées à de graves abus commis à l’étranger dans des pays tels que la République démocratique du Congo, l’Irak, le Libéria et la Syrie. Les affaires de compétence universelle sont de plus en plus importantes dans les efforts internationaux visant à établir les responsabilités dans les atrocités, à rendre justice aux victimes qui n’ont nulle part où se tourner, à dissuader de futurs crimes et à veiller à ce que les nations ne deviennent pas des sanctuaires pour les auteurs de violations des droits humains.

  1. Quels crimes internationaux ont été commis au Libéria pendant les deux guerres civiles ?

Les guerres civiles du Libéria (1989-1996 puis 1999-2003) ont été caractérisées par des violations généralisées et systématiques des droits humains et du droit international humanitaire. Des organisations nationales et internationales de défense des droits, des ambassades étrangères, des médias et la Commission de vérité et réconciliation du Libéria (CVR) ont documenté des exécutions sommaires, des massacres, des viols et d’autres formes de violence sexuelle, des mutilations et des actes de torture, ainsi que la conscription et l’utilisation forcées d’enfants soldats, parmi les nombreux abus perpétrés dans le pays.

Des crimes ont été commis par toutes les parties au conflit, qu’il s’agisse du gouvernement et des groupes rebelles : le Front national patriotique du Libéria (NPFL), le Front national patriotique indépendant du Libéria (INPFL), le Mouvement unifié de libération du Libéria pour la démocratie (ULIMO) et ses factions dissidentes ULIMO-K et ULIMO-J, les Forces armées du Libéria (AFL), le Conseil pour la paix au Libéria (LPC), le gouvernement du Libéria (dont diverses forces de sécurité), les milices et l’Unité antiterroriste (ATU) soutenue par le gouvernement, le Mouvement pour la démocratie au Libéria (MODEL), et la Force de défense du Lofa et les Libériens unis pour la réconciliation et la démocratie (LURD).

Les combattants ont tué des hommes, des femmes et des enfants libériens dans leurs maisons et leurs villages, sur des marchés et dans des lieux de culte. Dans certains cas, ils ont massacré des centaines de civils en quelques heures. Des filles et des femmes ont été soumises à d’épouvantables violences sexuelles, notamment des viols, des viol en réunion, l’esclavage sexuel, des actes de torture et des atteintes à la dignité personnelle. Des villages ont été pillés et détruits, des enfants enlevés dans leurs foyers et leurs écoles, avant d’être forcés à combattre, souvent après avoir vu leurs parents se faire assassiner devant eux. La violence a anéanti les vies de dizaines de milliers de civils et provoqué le déplacement de près de la moitié de la population.

Le Groupe de contrôle de la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (ECOMOG), une force militaire multinationale déployée au Libéria en 1990, a été impliqué dans des pillages, dans des harcèlements et dans des détentions arbitraires de civils, ainsi que dans des frappes aériennes aveugles ayant pris pour cible des civils et des infrastructures civiles.

  1. Les crimes commis au Libéria pendant les deux guerres civiles ne devraient-il pas faire l’objet d’enquêtes et de poursuites judiciaires dans ce pays ?

Pour optimiser l’impact judiciaire au sein des communautés les plus touchées, la responsabilité pénale doit être établie aussi près que possible du lieu où les crimes ont été commis. Cependant, des poursuites nationales pour des atrocités passées ne sont pas toujours possibles en raison de capacités insuffisantes ou de volonté politique, voire des deux.

Aucun individu n’a été poursuivi en justice au Libéria pour les crimes graves commis au cours de ses deux conflits armés.

La Commission Vérité et Réconciliation du Libéria (CVR), opérationnelle entre 2006 et 2009, a recommandé la création au Libéria d’un tribunal pour les crimes de guerre formé de praticiens internationaux et libériens – le Tribunal pénal extraordinaire pour le Libéria – chargé de juger les responsables de crimes graves commis. Malgré l’intensification des appels à établir de telles responsabilités aux niveaux national et international, cette recommandation n’a pas encore été mise en œuvre.

  1. Y a-t-il eu la moindre condamnation pour les crimes commis au Libéria ?

Les quelques procès sur des crimes datant de l’époque des guerres civiles se sont tous déroulés en dehors du Libéria, devant des tribunaux européens et américains. Outre les affaires de compétence universelle, les autorités ont également enquêté sur des individus pour des crimes liés à l’immigration, tels qu’avoir menti sur des formulaires au sujet de leur implication dans des abus commis au Libéria.

En 2008, un tribunal fédéral américain a condamné Chuckie Taylor, ancien chef de l’ATU et fils de l’ancien président libérien Charles Taylor, pour s’être livré à des actes de torture pendant la deuxième guerre civile du pays. Les tribunaux américains ont également condamné l’ancien dirigeant de l’ULIMO, Mohammed Jabbateh, et le porte-parole du NPFL, Jucontee Thomas Smith Woewiyu, pour fraude et parjure après leur tentative de dissimuler aux autorités américaines de l’immigration leur implication dans des crimes présumés commis en temps de guerre pendant la première guerre civile du pays. Moses Thomas fait également face à un procès civil aux États-Unis, où des victimes ont porté plainte contre lui, alléguant qu’il a ordonné des exécutions extrajudiciaires, des actes de torture, des crimes de guerre et des crimes contre l’humanité en Libéria alors qu’il était colonel des forces armées du pays.

En 2014, les autorités belges ont arrêté Martina Johnson, ancienne commandante du NPFL, pour son rôle présumé dans des crimes de guerre, mais l’affaire n’a guère avancé. En 2017, les autorités britanniques ont inculpé Agnes Reeves Taylor pour son rôle présumé dans des actes de torture perpétrés au Libéria entre décembre 1989 et janvier 1991, mais l’affaire a été classée en 2019. En 2018, les autorités françaises ont arrêté à Paris Kunti Kamara, un ancien commandant de l’ULIMO, pour des crimes de guerre perpétrés au Libéria. Selon les médias, Kamara sera jugé, même si la date exacte de son procès n’a pas encore été officiellement annoncée.

Les efforts de la société civile sont pour beaucoup dans cette activité judiciaire, notamment la collaboration entre Global Justice and Research Project,  Civitas Maxima et Center for Justice and Accountability, basées respectivement à Monrovia, Genève et San Francisco.

Par ailleurs, une affaire de trafic d’armes illicite vers le Libéria et de complicité dans des crimes de guerre par le biais d’un soutien militaire a abouti à la condamnation d’un ressortissant néerlandais.

Enfin, le Tribunal spécial pour la Sierra Leone, soutenu par l’ONU, a jugé en 2012 l’ancien président libérien Charles Taylor pour des crimes graves commis en Sierra Leone, le condamnant à 50 ans de prison.

  1. Que s’est-il passé jusqu’à présent lors du procès de Kosiah ?

Depuis son arrestation en 2014, Kosiah est détenu en Suisse. Son procès devait initialement débuter en avril 2020, mais a été reporté à plusieurs reprises en raison de la pandémie de Covid-19, qui a empêché la venue de sept victimes libériennes en leur qualité de « parties plaignantes privées » et de témoins libériens. Le Tribunal pénal fédéral suisse a déclaré que les efforts visant à recueillir leurs témoignages par visioconférence depuis Monrovia, la capitale de la Libéria, n’avaient pas abouti.

La durée de la détention provisoire soulève des préoccupations en matière de droits humains, à la fois s’agissant de justifier la privation, pour une personne non inculpée et donc présumée innocente, de sa liberté pendant des années, et s’agissant aussi de l’équité même de la procédure. Tous les trois à six mois, la détention de Kosiah a fait l’objet d’un contrôle judiciaire prévu en droit suisse et a été prolongée à plusieurs reprises entre novembre 2014 et mars 2019, date à laquelle il a été inculpé. Parmi les facteurs contribuant aux prolongations répétées, peuvent figurer la difficulté d’ouvrir des enquêtes sur des crimes graves commis à l’étranger, mais les informations sur les détails ne sont pas accessibles au public. Pour se conformer à leurs obligations internationales en matière de droits humains, répondre à ces préoccupations et garantir l’impartialité procédurale, les autorités suisses devraient fournir davantage d’informations sur les raisons de cette détention.

Le droit international et européen des droits de l’homme fait obligation aux autorités de recourir à la détention provisoire à titre exceptionnel, et uniquement lorsqu’elle est manifestement nécessaire pour des raisons spécifiques, dont le risque de fuite et les menaces à l’encontre de témoins, et pendant la durée la plus courte possible. La Cour européenne des droits de l’homme, à laquelle la Suisse est liée en tant qu’État partie à la Convention européenne des droits de l’homme, a estimé que les autorités judiciaires doivent non seulement évaluer si ces prorogations de la détention provisoire avant le procès sont fondées et suffisantes, mais également si les autorités exercent une diligence particulière dans la poursuite de l’affaire et que les tribunaux doivent motiver et justifier l’autorisation des prolongations.

Pour éviter d’autres retards, le Tribunal pénal fédéral a décidé de tenir le procès de Kosiah en deux phase : la première en décembre 2020, la seconde en février 2021. Au cours de la première phase, qui s’est déroulée du 3 au 10 décembre, le tribunal a examiné un certain nombre d’objections présentées par diverses parties à la procédure et entendu l’accusé.

Les objections étaient diverses. Par exemple, les avocats des victimes ont demandé, en vain, au tribunal de retarder l’audition de Kosiah jusqu’à ce que leurs clients puissent être physiquement présents aux audiences, sous peine de porter atteinte à l’ensemble de la procédure, à leur capacité de représenter les intérêts de leurs clients et aux droits des victimes de participer activement au procès et de comparaître en personne. Pour sa part, la défense a – entre autres –demandé au tribunal que l’un des avocats des victimes se récuse pour des conflit d’intérêts lié à son rôle distinct de directeur de l’organisation non gouvernementale suisse Civitas Maxima. Une objection également rejetée par le tribunal.

Après avoir abordé diverses questions de procédure, le tribunal a entendu Kosiah. Il s’est exprimé en anglais et son témoignage a été traduit en français – la langue officielle du procès – par un interprète judiciaire. L’accusé a été questionné par les magistrats, le procureur fédéral et son propre avocat. Les avocats des victimes ont refusé de s’adresser à Kosiah, préférant le faire lors de la deuxième phase du procès en présence de leurs clients pour que ceux-ci puissent s’entretenir avec eux des réponses de Kosiah.

En général, les juges ont interrogé Kosiah sur : (i) ses antécédents personnels ; (ii) sa venue en Suisse ; (iii) sa connaissance de la guerre civile libérienne et des factions rivales ; et (iv) son implication dans la guerre civile, y compris en relation avec chacun des 25 chefs d’accusation qui pèsent contre lui, que Kosiah rejette catégoriquement.

Lors de la deuxième phase du procès qui doit débuter le 15 février, le tribunal entendra les sept parties plaignantes privées et les neuf témoins, qui assisteront aux audiences en personne. Les parties présenteront également leurs plaidoiries de fond dans l’affaire.

  1. À quels types de défis les autorités judiciaires suisses ont-elles été confrontées pour juger cette affaire ? 

Enquêter et ouvrir des poursuites judiciaires sur des crimes graves, en particulier ceux qui ont été commis dans un pays étranger situé à des milliers de kilomètres, pose de nombreux défis qui exigent des connaissances, une expertise et des ressources spécifiques. Outre une législation adéquate à leur disposition, il faut que les autorités nationales de justice pénale puissent mener des enquêtes complexes sur des crimes souvent commis à grande échelle des années auparavant dans un pays étranger, une tâche qui peut s’avérer extrêmement difficile et onéreuse. La collecte de preuves – le plus souvent auprès de victimes et de témoins – nécessite généralement de se rendre dans le pays où les crimes ont été commis, où les enquêteurs peuvent se heurter à des barrières linguistiques et culturelles, et à une éventuelle résistance des autorités nationales qui peuvent ne pas vouloir voir que justice soit rendue.

Les procureurs suisses ont déclaré que des difficultés particulières s’étaient posées pour enquêter sur les crimes jugés dans le cadre du procès de Kosiah, dans la mesure où ils remontent à des décennies. En outre, ils ont déclaré n’avoir reçu aucune coopération de la part du Libéria dans le cadre de leurs enquêtes. Ils ont néanmoins pu entendre plus de 25 témoins, notamment grâce à l’assistance juridique qui leur a été fournie par d’autres pays et des organisations internationales. La longue enquête a cependant abouti à la détention provisoire de Kosiah pendant six ans.

Les autorités suisses ont également connu des difficultés inattendues à l’ouverture du procès de Kosiah. La procédure devait initialement débuter en avril 2020 mais a été reportée en raison de la pandémie de Covid-19, qui a empêché les parties plaignantes privées et sept témoins de quitter le Libéria pour se rendre au procès. Le Tribunal pénal fédéral suisse a déclaré que les efforts visant à recueillir leurs témoignages par visioconférence depuis Monrovia, la capitale du Libéria, n’avaient pas été couronnés de succès. Finalement, le tribunal a décidé de tenir le procès de Kosiah en deux phases pour éviter de nouveaux retards.

Lors de la phase préliminaires, les autorités suisses se sont heurtées à de nouveaux défis. Tout d’abord, les juges de Bellinzone ont dû se familiariser avec l’histoire du conflit armé et des crimes commis au Libéria, ainsi qu’avec un contexte et des cultures qui leur sont étrangers. La comparution de témoins en provenance du Libéria nécessitera une préparation minutieuse. Les victimes et les témoins de crimes graves auront probablement besoin d’une protection spécifiques ainsi que d’un soutien psychologique. Le tribunal devra également s’assurer que les droits de l’accusé, Kosiah, seront scrupuleusement respectés et qu’il dispose de tous les recours pour se constituer une défense efficace. 

  1. Qui sont les « parties plaignantes privées » et quel rôle jouent-elles dans le procès ? 

Le droit suisse reconnaît deux types de personnes affectées par des délits : (1) les « personnes ayant subi un préjudice » (toute personne dont les droits ont été directement violés par une infraction) ; et (2) les « victimes » (toute personne ayant subi un préjudice physique, sexuel ou mental direct). Les victimes sont considérées comme une sous-catégorie du groupe plus large des personnes qui subissent un préjudice. Les personnes lésées, comme les victimes, peuvent demander à devenir parties officielles à une procédure pénale en tant que plaignants privés, en faisant une déclaration à cet effet auprès du bureau du procureur fédéral avant la conclusion de son enquête. Une telle déclaration peut également indiquer l’intention de la personne lésée de présenter une action civile pour obtenir des dommages et intérêts dans le cadre de l’affaire pénale.

Sept parties plaignantes privées participent à l’affaire contre Kosiah. Elles disposent d’un certain nombre de droits en tant que parties officielles à la procédure, dont ceux : (i) d’être assisté par un avocat ; (ii) d’examiner les documents du procès ; (iii) de participer aux actes de procédure ; (iv) de demander que des preuves supplémentaires soient recueillies ; (v) de commenter l’affaire et la procédure ; et (vi) de contester les décisions prises par la police fédérale et les procureurs.

  1. Le public peut-il assister au procès ? Les Libériens sont-ils en mesure de suivre les audiences en Suisse ?

En règle générale, les audiences du Tribunal pénal fédéral sont ouvertes au public. Simultanément, le droit suisse donne au Tribunal latitude pour prendre des mesures de restriction de l’accès si cela est justifié pour des raisons de sécurité publique ou pour garantir la protection d’une personne. Or, la pandémie de Covid-19 a fait de la protection des témoins, des victimes et du personnel judiciaire un défi majeur. Bien que les audiences de décembre aient été ouvertes au public, le nombre de personnes autorisées dans la salle d’audience est resté limité. Aucun membre du public ne sera toutefois admis lors de la deuxième phase du procès, pour des raisons de santé publique. Seuls les médias accrédités seront autorisés à suivre les débats dans une salle réservée à la presse, se trouvant à l’intérieur du Tribunal.

Autre défi majeur pour les autorités judiciaires suisses, la nécessité de garantir que les communautés touchées du Libéria dont les membres ne peuvent se rendre à Bellinzone aient accès à certaines informations sur le procès. Cela peut impliquer des formes de communication inhabituelles pour un tribunal suisse, comme la publication de communiqués de presse en anglais ou la mise à disposition de verbatims des témoignages (lorsque la sécurité le permet) dans la langue d’origine des victimes et des témoins.

Pour l’instant, à moins que l’on puisse assister en personne au procès de Kosiah, les médias sont la seule source d’information existante relative à la procédure. Une poignée de journalistes suisses, internationaux et libériens ont pu assister à la première phase du procès. Bien que le Tribunal ait enregistré le témoignage de Kosiah en décembre, l’accès à l’enregistrement a été limité aux parties plaignantes privées et à leurs avocats en raison de leur incapacité à assister à la première série d’audiences. Civitas Maxima a également rendu publics des communiqués quotidiens de suivi des procès, mais le tribunal a ordonné le 10 décembre leur retrait de l’Internet.

Le Tribunal pénal fédéral devrait tout mettre en œuvre pour combler cette lacune et rendre les informations relatives au procès disponibles pour le public et les communautés victimes des nombreux crimes de l’ULIMO. Les recherches menées par Human Rights Watch dans d’autres situations ont montré qu’une sensibilisation insuffisante des communautés affectées peut affaiblir l’impact des efforts de visant à établir les responsabilités pour des crimes internationaux graves.

  1. Quelle est la durée prévue pour le procès, et quelles en seront les issues possibles ? 

Le procès devrait s’achever le 5 mars, et devrait donc durer un peu plus de trois semaines en tout. Une fois la deuxième phase terminée, les juges présidents entameront leurs délibérations. Le Tribunal se prononcera ensuite sur les charges retenues contre Kosiah, son éventuelle condamnation et de toute conséquence qui en découlerait, dont d’éventuelles poursuites civiles. S’il est reconnu coupable, Kosiah pourrait encourir jusqu’à 20 ans de prison.

Toute partie à la procédure peut faire appel du verdict du Tribunal, à l’exception des plaignants privés, cependant, qui ne peuvent faire appel de la peine prononcée. Les appels sont d’abord entendus par la chambre d’appel supérieure du Tribunal pénal fédéral, dont décisions peuvent ensuite faire l’objet d’un recours devant le Tribunal fédéral, la plus haute instance judiciaire suisse.

  1. Qui en Suisse est responsable de l’ouverture d’enquêtes et de poursuites judiciaires sur les crimes internationaux ?

Depuis 2011, les poursuites pour génocide, crimes contre l’humanité et crimes de guerre relèvent de la compétence pénale fédérale en Suisse. À ce titre, la Police judiciaire fédérale suisse et le Bureau du procureur général (BVG) à Berne enquêtent sur ces crimes. Le BVG est organisé en différentes sections selon les types d’infractions, les crimes graves étant traités par la division Entraide judiciaire, Terrorisme, Droit pénal international et Cybercriminalité.

Le Tribunal pénal fédéral, à Bellinzone, peut se saisir d’affaires relevant de la compétence universelle.

  1. Combien d’enquêtes portant sur des crimes graves ont-elles été ouvertes en Suisse ?

Dans son rapport annuel d’activités pour 2019, le bureau du procureur général a fait état de 13 enquêtes en cours relevant du droit pénal international. Outre Kosiah, trois autres individus font l’objet d’une enquête : Khaled Nezzar, ancien ministre algérien de la Défense ; Rifaat al-Assad, oncle du président de la Syrie, Bachar al-Assad, et ancien commandant des Brigades de défense syriennes ; et Ousman Sonko, ancien ministre de l’Intérieur de la Gambie.

  1. La pratique de la compétence universelle en Suisse est-elle comparable à celle en vigueur ailleurs en Europe ?

Au cours des deux dernières décennies, les juridictions nationales d’un nombre croissant de pays se sont saisi d’affaires de crimes de guerre, de crimes contre l’humanité, de génocide, de torture, de disparitions forcées et d’exécutions extrajudiciaires commises dans un pays tiers. Simultanément, des organisations non gouvernementales suisses, d’anciens procureurs fédéraux, des parlementaires et d’autres ont critiqué les autorités judiciaires suisses pour la lenteur des progrès accomplis, malgré une législation vigoureuse pour lutter contre les crimes graves.

Les critiques ont tourné autour d’un manque de capacités et de volonté politique, de retards indus et d’allégations d’ingérence politique. En réponse aux questions des parlementaires, l’autorité de surveillance du bureau du procureur général a par le passé commenté un certain nombre de ces problèmes. La dernière requête parlementaire en ce sens a été déposée dès la fin de la première phase du procès de Kosiah en décembre, faisant état d’un manque de clarté quant aux ressources exactes consacrées par le bureau du procureur fédéral aux affaires de crimes graves.

Les recherches de Human Rights Watch dans plusieurs pays révèlent que l’exercice juste et efficace de la compétence universelle est possible en invoquant les lois adéquates ; en disposant des ressources suffisantes ; en faisant preuve d’engagement sur le plan institutionnel, notamment en prévoyant des unités dédiées aux crimes de guerre ; et en faisant preuve de volonté politique. Cette dernière en particulier est nécessaire pour ouvrir des poursuites dans les affaires de crimes de guerre, en raison de la sensibilité et des tensions diplomatiques qui peuvent en résulter, surtout si des responsables politiques étrangers font l’objet d’enquêtes.

  1. Quelles autres options existe-t-il pour établir des responsabilités supplémentaires pour les crimes internationaux perpétrés au Libéria ?

Les défenseurs des droits humains au Libéria et dans le monde ont appelé le président de ce pays, George Weah, à solliciter l’aide de l’ONU pour créer un tribunal chargé de juger les auteurs de crimes de guerre commis lors des conflits civils dans ce pays

La proposition de la Commission vérité et réconciliation du Libéria d’établir un Tribunal pénal extraordinaire pour le Libéria constitue une base solide pour aller de l’avant. Mais un certain nombre d’ajustements devront être apportés à ce Tribunal et à son mandat pour qu’ils s’alignent sur les normes et pratiques internationales.

En 2019, le président Weah a donné espoir aux victimes lorsqu’il s’est exprimé à la tribune de l’Assemblée générale des Nations Unies à propos de l’établissement d’un tribunal pour crimes de guerre au Libéria. Il a déclaré que les consultations avec la législature nationale étaient en cours, de même qu’un engagement avec le système judiciaire et les partenaires internationaux sur la création de cette juridiction.

Depuis, le gouvernement libérien a commencé à autoriser les enquêteurs étrangers à se rendre au Libéria pour enquêter sur les crimes de guerre dans le cadre de poursuites ouvertes à l’extérieur du pays, mais la création d’un tribunal pour crimes de guerre basé au Libéria est au point mort. Parallèlement, d’anciens seigneurs de la guerre se sont mobilisés contre la création d’une telle juridiction et le président de la législature du Libéria a refusé de présenter une résolution relative au Tribunal, malgré sa popularité parmi les législateurs. Les activistes des droits humains qui ont plaidé en faveur de l’établissement des responsabilités ont été exposés à des menaces croissantes, tout comme les témoins de crimes commis pendant la guerre civile.

Les Libériens ont organisé des marches en faveur d’un tel tribunal, auquel le Conseil des chefs traditionnels du Libéria prête également son soutien. Le dialogue économique national au Libéria, auquel ont participé 350 Libériens, dont des responsables gouvernementaux, des membres de partis politiques, des représentants des jeunes et de la société civile, a également recommandé en 2019 la création de ce Tribunal. En 2018, des organisations ont rendu publique une vidéo qui montre l’intérêt des Libériens pour cette question.

Le nombre croissant d’affaires à l’étranger pour des crimes commis au Libéria devrait signaler aux autorités libériennes que le pays peut entamer des poursuites contre des individus pour des crimes graves. En outre, de nombreux partenaires internationaux ont soutenu les mécanismes d’établissement des responsabilités au cours des dernières décennies et accumulé une expérience dans la résolution des problèmes qui se posent souvent dans ce cadre. Cette expertise, qui devrait être mise à profit pour la reddition de comptes pour les crimes passés au Libéria, comprend la protection et le soutien des témoins et des victimes, la sécurité des juges et du personnel judiciaire, les garanties d’une procédure régulière et la sensibilisation de la population locale à la pertinence du Tribunal.

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