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Cameroun : Les conclusions de l’enquête sur un massacre devraient être rendues publiques

Toute la lumière doit être faite sur les meurtres commis dans le village de Ngarbuh

Cérémonie de commémoration des victimes du massacre de Ngarbuh, le 21 février 2020, à la cathédrale Sainte-Thérèse l de Kumbo, dans la région Nord-Ouest du Cameroun. © 2020 Privé

(Nairobi) – Le gouvernement du Cameroun devrait rendre publiques les conclusions d’une enquête sur le massacre de 21 civils, dont 13 enfants et une femme enceinte, perpétré le 14 février 2020, a déclaré aujourd’hui Human Rights Watch.

Le gouvernement a formellement nié toute responsabilité dans ces meurtres, commis dans le village de Ngarbuh, dans la région du Nord-Ouest. Mais des enquêtes menées par des journalistes et des organisations non gouvernementales, dont Human Rights Watch, ont réuni des preuves déterminantes qui semblent démontrer la responsabilité de l’armée camerounaise.

« Deux mois se sont écoulés depuis le massacre de Ngarbuh, un délai qui est emblématique de l’impunité dont jouissent les forces de sécurité camerounaises », a déclaré Lewis Mudge, Directeur pour l’Afrique centrale à Human Rights Watch. « Le gouvernement devrait immédiatement rendre publiques les conclusions de son enquête et faire traduire en justice les responsables. »

Dans un rapport rendu public le 25 février, Human Rights Watch a établi les circonstances dans lesquelles l’armée camerounaise et des membres armés d’ethnie peule ont délibérément tué 21 civils à Ngarbuh. Les recherches de Human Rights Watch indiquent que l’attaque a été perpétrée en représailles contre les villageois, accusés de soutenir et d’abriter  des séparatistes armés.

Le 1er mars, sous la pression de partenaires internationaux, le président Paul Biya, a accepté de créer une commission d’enquête. Cependant, les autorités n’ont fait aucune déclaration publique au sujet de la composition de la commission, ses travaux ou ses conclusions.

Dans un communiqué de presse en date du 25 mars, la Commission nationale des droits de l’homme et des libertés (CNDHL) a révélé que son président, le Dr Chemuta Divine Banda, avait participé à la commission d’enquête, dont les travaux ont été dirigés par le Ministre délégué à la Présidence chargé de la Défense. Avant la publication de ce communiqué, la composition de l’équipe d’enquête sur les meurtres à Ngarbuh était inconnue. Les membres de la CNDHL ont émis l’espoir que les conclusions de l’enquête soient rendues publiques.

Si l’implication du chef de la CNDHL dans l’enquête est un signe encourageant, la nomination du ministre de la Défense pour diriger l’enquête soulève en revanche des inquiétudes sur son indépendance, a déclaré Human Rights Watch.

Les meurtres de Ngarbuh ont été largement condamnés, notamment par le Secrétaire général de l’ONU, la Haut-Commissaire des Nations Unies aux droits de l’homme, l’Union européenne, les États-Unis, le Royaume-Uni, la France, le Canada, et la Nobel Women’s Initiative. Le 22 février, s’exprimant à propos de ces tueries, le président français Emmanuel Macron a promis d’exercer une « pression maximale » sur Biya pour mettre fin aux « violations intolérables des droits humains au Cameroun ».

Les conclusions de Human Rights Watch sur Ngarbuh ont été corroborées par des journalistes d’investigation du New York Times et d’un autre média, The New Humanitarian. Une coalition d’organisations de la société civile camerounaise et l’Église catholique ont également conclu à la responsabilité de l’armée dans ce massacre.

Malgré la condamnation générale, le gouvernement est resté largement silencieux, préférant mener une campagne de diffamation visant les organisations nationales et internationales. Dans une déclaration en date du 9 mars, le ministre de l’Administration territoriale, Paul Atanga Nji, a accusé les médias, des organisations non gouvernementales – notamment Human Rights Watch et Amnesty International –, et des agences des Nations Unies, entre autres, d’alimenter le terrorisme, déstabiliser le Cameroun et produire de faux rapports pour ternir l’image des forces de sécurité camerounaises.

L’attaque de Ngarbuh n’est pas un cas isolé, mais s’inscrit dans un cycle plus large de graves violations des droits humains commises par les forces de sécurité camerounaises dans les régions anglophones, a noté Human Rights Watch, qui a documenté de multiples opérations contre-insurrectionnelles abusives dans les régions du Nord-Ouest et du Sud-Ouest depuis 2017.

Les recherches de Human Rights Watch ont révélé que les forces gouvernementales ont tué des civils, brûlé des dizaines de villages, procédé à des arrestations arbitraires et torturé des centaines de séparatistes armés présumés. Ceux-ci, également responsables de graves exactions, ont pris pour cible des civils, enlevé des centaines de personnes, torturé et tué des opposants présumés, tout en recourant à l’intimidation et à la violence pour empêcher élèves et enseignants de se rendre dans les établissements scolaires. En février, les séparatistes ont empêché la tenue d’élections locales.

La violence dans les régions anglophones au cours des trois dernières années a fait environ 3 000 morts et provoqué le déplacement de plus de 730 000 civils.

Comme le reste du monde, le Cameroun est aujourd’hui confronté à une crise de santé publique sans précédent liée à la propagation du Covid-19. C’est le pays le plus touché d’Afrique centrale, avec plus de 840 cas recensés et 14 décès au 14 avril. La pandémie n’a pas mis fin à la violence dans les régions anglophones.

« Bien qu’elle soit d’une importance capitale, la lutte contre la pandémie ne devrait pas empêcher de prendre des mesures concernant les principales préoccupations relatives aux droits humains et d’établir les responsabilités pour de graves abus de l’armée », a conclu Lewis Mudge. « En cette période de crise nationale, la transparence est d’autant plus précieuse et le gouvernement devrait montrer qu’il n’hésitera pas à tenir les militaires responsables de meurtres délibérés de civils pour comptables de leurs actes. »

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