Après sa rencontre avec la chancelière allemande Angela Merkel le 7 septembre, le président français Emmanuel Macron a tweeté qu'il voulait « faire de la Méditerranée une chance et non une crainte ».
Mais de quelles craintes parle-t-il ? Des craintes des Européens à l'égard des étrangers, manipulés par leurs dirigeants ? Ou de la peur des demandeurs d'asile de périr en mer ou d'être renvoyés en détention et torturés en Libye ? Et la Méditerranée, est-elle une chance pour les Européens qui pourraient l'utiliser comme une barrière pour bloquer les demandeurs d'asile, ou pour les migrants et les demandeurs d'asile qui pourraient y trouver une protection?
Alors que le nombre d'arrivées de migrants en Europe est à son plus bas niveau depuis 2014, le ministre italien de l'Intérieur, Matteo Salvini, s'est joint à ceux qui sèment la peur et alimentent une supposée crise autour des migrations méditerranéennes. Si Macron et Merkel sont effectivement résolus à mettre fin à la politique de la peur, ils devraient lever toute ambiguïté et se concentrer sur des solutions pratiques et humaines.
Voici ce qu'ils devraient recommander lors du sommet informel de l'UE à Salzbourg le 20 septembre :
Premièrement, les dirigeants de l'UE devraient donner la priorité au sauvetage de vies humaines et à la garantie d'un débarquement plus planifié.
Au moins 1 600 personnes sont mortes ou ont disparu depuis le début de l'année, l'agence des Nations Unies pour les réfugiés estimant qu'une personne sur 18 tentant la traversée y perd la vie. Certains dirigeants européens ont critiqué le gouvernement italien pour avoir pratiquement fermé ses ports, tout en tournant le dos à leurs propres responsabilités. La France n'a laissé aucun bateau de sauvetage accoster et l'Allemagne n'a pas encore traduit ses engagements en actes. Il est difficile de ne pas voir une corrélation dévastatrice entre l’augmentation drastique de la mortalité en mer et les politiques visant à décourager ou entraver les sauvetages.
Un seul bateau de sauvetage non gouvernemental, l’Aquarius, opère à ce jour dans les eaux internationales au large de la Libye, et aucun bateau de sauvetage n'est certain de pouvoir débarquer les migrants secourus. Les dirigeants de l'UE ne peuvent pas s'attendre à ce que les pays de la rive sud accueillent les personnes secourues alors qu'ils refusent toute responsabilité.
Il est ainsi crucial de convaincre l'Italie et Malte de permettre un débarquement planifié, avec des engagements concrets et fiables de la part des autres pays d’accueillir sur leur territoire les personnes secourues. Si l'Italie et Malte continuent à faire fi de leurs responsabilités, d'autres pays riverains de la méditerranée comme la France et l'Espagne - comme cette dernière l'a fait pour l’Aquarius en juillet - devraient avoir le courage et la magnanimité d’ouvrir leurs ports.
Deuxièmement, Merkel et Macron devraient veiller à ce que tout nouveau centre d'accueil européen respecte les obligations européennes en matière de droits humains.
Les « centres contrôlés » proposés lors du Conseil de l'UE en juin pourraient faire partie de cette réponse. Mais en l'absence de garanties sur les standards de prise en charge, ces centres risqueraient de reproduire ce qu’il y a de pire dans les « hotspots » de l'UE sur les îles grecques.
Des garanties sont nécessaires pour que personne ne soit détenu de façon automatique dans des structures fermées, au-delà du délai nécessaire pour l'enregistrement et l'identification. Les enfants ne devraient en aucun cas être détenus. Tout nouveau centre devra éviter la surpopulation, assurer une protection particulière aux personnes vulnérables et des procédures équitables, ainsi que des garanties contre tout renvoi dans un pays où ces personnes seraient exposées à un danger.
Troisièmement, les dirigeants européens devraient s'engager à ne pas réexposer les migrants et les demandeurs d'asile à l'enfer auquel ils sont confrontés en Libye.
Depuis 2017, l'Union européenne a dépensé 266 millions d'euros pour répondre aux besoins de protection des réfugiés, des migrants vulnérables et des personnes déplacées en Libye et a formé certaines forces des garde-côtes libyens rattachées au Gouvernement d’entente nationale. L'Italie a fourni des bateaux et du matériel. Mais les États membres de l'UE ont entravé les opérations de sauvetage des organisations non gouvernementales. Les personnes renvoyées en Libye risquent d'être systématiquement détenues par des autorités abusives dans des centres de détention sales et surpeuplés, exposées à la torture, à l'exploitation, aux abus sexuels et au trafic.
Des demandeurs d'asile et des migrants que Human Rights Watch a rencontrés dans des centres de détention dans l'ouest de la Libye en juillet ont décrit ces abus. En soutenant les garde-côtes libyens tout en esquivant leur responsabilité de sauver des vies, les États de l'UE risquent de favoriser de graves violations des droits humains, voire y participer. Macron et Merkel devraient faire pression sur les autorités libyennes pour qu'elles mettent fin à la détention arbitraire et démontrent des améliorations significatives dans les conditions de vie et le traitement dans ces centres de détention. Ils devraient également montrer la voie en réinstallant des réfugiés et demandeurs d'asile par le biais du programme d'évacuation de l'agence des Nations Unies pour les réfugiés.
Les dirigeants qui voient la mort en mer et les traitements inhumains en Libye comme le prix à payer pour réduire le nombre d'arrivées s'y opposeront, bien sûr. Mais Angela Merkel et Emmanuel Macron ne devraient pas laisser Salvini et le Premier ministre hongrois Viktor Orbán prendre en otage leur vision d'une politique migratoire humaine. Si l'Europe veut briser le cycle de la peur en Méditerranée, ses dirigeants doivent lui donner l’occasion d’assumer ses responsabilités et assurer aux migrants et aux demandeurs d'asile une chance d’être secourus et protégés.
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En parlant de la #Méditerranée, il faut commencer par sauver des vies - Recommandations aux participants au sommet de l'#UE à #Salzbourg https://t.co/iNYjZngxkX @philippe_dam @hrw #migrants
— HRW en français (@hrw_fr) 19 septembre 2018