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République centrafricaine : De courtes peines de prison privent les victimes de justice

Des soldats de la paix ont été condamnés à trois ans de prison pour un meurtre de masse

Un mémorial en l’honneur des 13 victimes tuées par des soldats de la paix de la République du Congo le 24 mars 2014 à Boali, en République centrafricaine. Douze d’entre elles ont été sommairement exécutées. © 2018 Lewis Mudge/Human Rights Watch.

Les peines de trois ans de prison prononcées contre trois soldats de la paix congolais reconnus coupables du meurtre de 11 civils en République centrafricaine en 2014 ne reflètent pas la gravité du crime, a déclaré aujourd’hui Human Rights Watch. Ces condamnations privent de justice les victimes, parmi lesquelles des femmes et des enfants.

Le 26 avril 2018, la Cour d’appel de Brazzaville, composée de juges et de jurés, a reconnu les trois soldats de la paix coupables des meurtres de civils perpétrés à Boali en mars 2014. Alors qu’il s’agit d’un crime de guerre et d’un crime contre l’humanité en vertu du droit national et international, les juges ne les ont condamnés qu’à trois ans de prison seulement. Les hommes – Bonaventure Abena, Paterne Ngouala et Kévin Pacôme Ntalani Bantsimba – sont maintenant libres, ayant purgé la majeure partie de leur peine dans l’attente de leur verdict. Human Rights Watch n’a pu obtenir de version écrite du jugement avant juillet.

« Les autorités de la République du Congo ont manqué une occasion de rendre justice pour les meurtres de civils et de montrer qu’aucun soldat de la paix n’est au-dessus des lois », a déclaré Lewis Mudge, chercheur senior auprès de la division Afrique de Human Rights Watch. « Ne donner à des militaires coupables de meurtre rien d’autre qu’une réprimande adresse un message regrettable aux autres soldats de la paix, à savoir qu’il y a peu de risques à perpétrer de tels crimes. »

Les représentants d’une association de membres des familles des victimes ont été consternés par la condamnation. « De quelle justice s’agit-il ? », a demandé l’un d’entre eux à Human Rights Watch. « Les juges congolais doivent expliquer comment le meurtrier de mon frère a pu être remis en liberté au terme d’à peine trois ans de détention. »

En juin 2014, Human Rights Watch avait signalé pour la première fois des disparitions forcées à Boali imputables à des militaires originaires du Congo-Brazzaville, membres d’une opération de maintien de la paix de l’Union africaine (UA) connue sous l’acronyme de MISCA. Le 16 février 2016, l’exhumation d’une fosse commune située près de la base congolaise avait permis de découvrir les restes de 12 corps. Il a ensuite été établi que les victimes avaient été détenues par les soldats de la paix en mars 2014.

Les victimes avaient été arrêtées à la suite d’un affrontement entre les forces de maintien de la paix congolaises et un chef de milice local, le prétendu « général » Maurice Konomo, incident au cours duquel un soldat de la paix avait perdu la vie. Konomo était le leader de l’une des milices anti-balaka, principalement des chrétiens, formées en réponse aux violences provoquées fin 2012 par des groupes de la Séléka, à majorité musulmane.

Outrés par la mort de leur collègue, les soldats de maintien de la paix ont encerclé la maison du chef de la milice, tuant un garçon qui n’était pas armé et procédant à l’arrestation d’au moins 12 autres civils ou combattants non armés, parmi lesquels cinq femmes dont une enceinte de six mois ; un enfant âgé d’environ 10 ans ; et un nourrisson de sept mois, dont les restes n’ont jamais été retrouvés.

En 2017, des experts de la Human Rights Clinic, rattachée à la faculté de droit de Columbia, et de l’Équipe d’anthropologie médicolégale d’Argentine ont aidé les autorités centrafricaines à enquêter sur le charnier. En novembre 2017, les experts ont remis un rapport au juge d’instruction centrafricain agissant à la demande des autorités congolaises pour enquêter sur les meurtres.

On ne sait quel rôle, le cas échéant, ce rapport a joué dans les délibérations des magistrats congolais dans cette affaire, et cela n’est pas mentionné dans le jugement du tribunal. Celui-ci orthographie incorrectement les noms de plusieurs victimes et les soldats condamnés l’ont été pour les meurtres de 11 personnes, alors que 13 personnes ont été tuées. Aucun ressortissant de la République centrafricaine n’a été appelé à comparaître pendant le procès.

Selon les médias, au moins un des accusés, Abena, a reconnu devant le tribunal que ses hommes avaient tué 12 personnes sur ordre d’une autorité locale à Boali.

Le tribunal a déclaré Abena, Ngouala et Ntalani Bantsimba coupables de crimes de guerre, un chef d’inculpation passible d’une peine de réclusion à perpétuité ou de la peine capitale en vertu de la loi congolaise de 1998 sur le génocide, les crimes de guerre et les crimes contre l’humanité. Human Rights Watch ne soutient en aucun cas le recours à la peine de mort. Dans ce cas précis, les juges n’ont imposé qu’une peine de trois ans seulement aux trois hommes.

La logique du tribunal reste floue. Le jugement invoque des circonstances atténuantes sans les nommer et ne mentionne aucun autre élément qui auraient pu être pris en considération. Les autorités congolaises n’ont pas informé les autorités judiciaires centrafricaines du procès ni fourni d’informations à ce sujet.

Bien que le droit international ne prévoie pas de directives strictes en matière de détermination de la peine, la pratique internationale prévoit que les sanctions pour violations graves soient proportionnelles à la gravité des crimes commis et servent notamment les objectifs de punition et de dissuasion. Bien que les circonstances individuelles de chaque accusé puissent aider à déterminer sa peine, le jugement ne précise pas ce qui a conduit les magistrats à faire preuve d’autant de clémence et si des éléments inexacts ont également été pris en considération.

Mi-mai, les autorités centrafricaines ont exprimé leur frustration et leur colère auprès de Human Rights Watch, car elles n’étaient pas au courant du verdict rendu en avril. Les familles des victimes n’étaient également pas informées jusqu’à ce que Human Rights Watch leur rende visite fin juin. Elles envisagent de se porter partie civile à Brazzaville contre les soldats de la paix. Le jugement note que les parties civiles étaient absentes à l’audience.

L’UA, qui mandatait les troupes de la MISCA, n’a pris aucune mesure évidente dans cette affaire. Des responsables de l’UA ont déclaré à Human Rights Watch en 2015 qu’un rapport sur les disparitions et les meurtres commis par des soldats de la paix à Boali avait été rédigé, mais l’organisation régionale continue d’affirmer qu’elle n’est pas autorisée à divulguer son contenu ou ses conclusions.

Pour dissuader de tels crimes, l’UA devrait immédiatement rendre public son rapport interne, a préconisé Human Rights Watch. Elle devrait également faire pression sur les autorités congolaises pour qu’elles rendent publique la logique ayant présidé au jugement et, conjointement avec les autorités du Congo et de la République centrafricaine, suivre de près toutes les poursuites civiles que les familles des victimes pourraient entreprendre et les soutenir dans leurs efforts pour obtenir un recours.

« Un verdict clément qui ne reflète en aucune manière la gravité d’un massacre horrible commis par des soldats de la paix adresse tout sauf le bon message », a conclu Lewis Mudge. « La punition devrait correspondre au crime et les juges devraient être tenus d’expliquer et de défendre leur décision de sanctionner de trois ans de prison des meurtres multiples, ou alors réexaminer leur décision. »

Éléments de contexte

En vertu de l’accord sur le statut de la mission conclu entre le gouvernement centrafricain et l’Union africaine, les pays contributeurs de troupes sont tenus de demander des comptes aux membres de leurs forces pour tout crime commis en République centrafricaine. En septembre 2014, lorsque l’ONU a pris le relais de l’UA pour assurer le maintien de la paix dans ce pays, les responsables de l’ONU ont insisté pour que tous les Casques bleus du contingent congolais déployés en République centrafricaine en soient retirés pour veiller à ce qu’aucun des militaires responsables d’abus ne fassent partie de la Mission multidimensionnelle intégrée des Nations Unies pour la stabilisation en République centrafricaine (MINUSCA).

Human Rights Watch a recueilli des informations sur plusieurs meurtres et abus perpétrés par des soldats de la paix congolais en République centrafricaine, notamment la mort à la suite d’actes de torture de deux dirigeants anti-balaka à Bossangoa en décembre 2013 ; l’exécution en place publique de deux anti-balaka présumés à Mambéré en février 2014 ; le passage à tabac de deux civils à Mambéré en juin 2015 ; et l’exploitation et les abus sexuels à l’encontre de femmes et de filles par, entre autres, des forces de maintien de la paix congolaises à Bambari, entre la mi-septembre à la mi-décembre 2015. L’ensemble du contingent congolais a été rapatrié par l’ONU en juillet 2017.

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