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France : Des enfants migrants livrés à leur sort à Paris

Des évaluations défectueuses de l’âge privent de nombreux enfants non accompagnés de services essentiels

(Paris) – À Paris, les autorités de la protection de l’enfance recourent à des procédures défaillantes d’évaluation de l’âge des enfants migrants non accompagnés, excluant un grand nombre d’entre eux de la prise en charge dont ils ont besoin et à laquelle ils ont droit, a déclaré aujourd’hui Human Rights Watch. Des centaines de ces jeunes migrants se retrouvent ainsi sans abri, souvent condamnés à dormir dans les rues de Paris.

Le rapport de 82 pages, intitulé « C’est la loterie : Traitement arbitraire des enfants migrants non accompagnés à Paris », révèle qu’en raison de pratiques arbitraires, des enfants non accompagnés peuvent être considérés à tort comme des adultes, ce qui les rend inéligibles à l’hébergement d’urgence et à d’autres formes de protection réservées aux mineurs. De nombreux jeunes demandant à être protégés par le service d’Aide sociale à l’enfance sont refusés de façon sommaire et erronée, sur le seul critère de leur apparence physique. D’autres sont rejetés sans recevoir de décision écrite, au terme d’entretiens de cinq minutes seulement, en violation de la réglementation française.

« Après avoir enduré des parcours migratoires incroyablement difficiles et dangereux, ces enfants se retrouvent privés de la protection et des soins dont ils ont besoin », a déclaré Bénédicte Jeannerod, directrice France de Human Rights Watch. « En raison de procédures profondément déficientes, des enfants sont refoulés de façon arbitraire à la porte du dispositif d’évaluation, se voient refuser toute protection à l’issue d’un bref entretien, ou se retrouvent pris dans des procédures judiciaires compliquées, les plongeant dans l’incertitude pendant des mois. »

Human Rights Watch a interrogé 49 enfants non accompagnés et examiné les évaluations de l’âge de 35 autres cas. Human Rights Watch s’est également entretenu avec des avocats, des professionnels de santé, des employés et des bénévoles d’organisations humanitaires et d’associations, ainsi qu’avec des représentants des autorités concernées.

Daouda S., un jeune migrant guinéen âgé de 16 ans, a dormi dans les rues de Paris pendant des semaines en attendant l’examen de son dossier par un juge. De temps en temps, il arrive à se loger chez des particuliers pour de courtes périodes. © 2018 Roopa Gogineni pour Human Rights Watch

Les jeunes qui passent des entretiens complets se voient souvent refuser la reconnaissance de leur statut d’enfant s’ils ne peuvent présenter leurs documents d’identité, a constaté Human Rights Watch. Mais les normes internationales et la réglementation française stipulent que la principale méthode pour déterminer un âge approximatif devrait être un entretien, en reconnaissant que les documents peuvent être perdus au cours de difficiles périples migratoires.

Même ceux qui présentent des documents sont souvent rejetés. Les autorités chargées de la protection de l’enfance et les juges contestent l’authenticité des actes de naissance, passeports et autres pièces d’identité, bien que la présomption de validité des documents soit inscrite dans la loi française, sauf s’il existe des raisons fondées d’en douter.

Les recherches de Human Rights Watch ont révélé d’autres motifs irrecevables utilisés pour déterminer qu’une personne a atteint l’âge adulte. Le fait d’avoir travaillé dans le pays d’origine ou lors du parcours migratoire vers l’Europe est un motif de refus fréquemment utilisé, alors même que des millions d’enfants dans le monde travaillent, y compris dans des conditions difficiles ou dangereuses. Les autorités de protection de l’enfance invoquent aussi souvent la décision des jeunes de voyager sans leurs parents, alors qu’ils sont des milliers d’enfants chaque année à migrer par leurs propres moyens en Europe.

Dans d’autres cas, les évaluateurs ont déclaré aux jeunes ressortissants de pays francophones qu’ils maîtrisaient trop bien le français. Imrane O., originaire de Côte d’Ivoire, qui nous a dit avoir 15 ans, a déclaré à Human Rights Watch que son évaluateur « a dit que je répondais trop bien à ses questions. Parce que je pouvais répondre à ses questions, je ne pouvais pas être un mineur. Comment ça ? J’ai passé huit ans à l’école, en français. Bien sûr que je pouvais répondre à ses questions. »

Dans les cas étudiés, les autorités de protection de l’enfance se sont également fréquemment appuyées sur des facteurs subjectifs tels que la "posture" ou le comportement. Certains jeunes ont reçu des décisions défavorables quant à leur minorité, en partie parce qu’ils se sont irrités de questions répétées, ou pour avoir présenté leur situation énergiquement, des comportements qui peuvent se manifester à tout âge. Beaucoup d’autres ont simplement été notifiés que leur posture était celle d’un adulte, sans autre explication.

Lorsque les enfants demandent le réexamen de décisions défavorables, certains juges ordonnent régulièrement des tests osseux pour déterminer leur âge. Les instances médicales en France et ailleurs ont conclu à plusieurs reprises que ces tests et autres examens médicaux du même type ne sont pas un moyen fiable de déterminer l’âge, en particulier pour les adolescents plus âgés, et ont demandé qu’ils ne soient plus utilisés.

L’effet cumulatif de ces décisions arbitraires fait que les évaluations de l’âge à Paris sont « comme une loterie : parfois vous gagnez, mais la plupart du temps vous perdez, même si vous êtes mineur », a résumé un humanitaire de l’organisation non gouvernementale Utopia 56.

Le nombre d’enfants migrants non accompagnés arrivant dans la capitale française, et en France de manière générale, est en hausse ces dernières années. Le service français d’Aide sociale à l’enfance a pris en charge environ 15 000 enfants migrants non accompagnés en 2017. Près de la moitié de ceux qui cherchent à être pris en charge par ce service en France en font la demande à Paris. En février 2018, lorsque Human Rights Watch a débuté son enquête, environ 400 enfants non accompagnés dormaient "dehors" à Paris, selon les estimations d’avocats et d’organisations non gouvernementales Les estimations actuelles sont inférieures.

Des citoyens ordinaires, individuellement ou en collectifs, ont décidé d’agir pour répondre à certains des besoins de ces enfants, leur fournissant de la nourriture et d’autres services, mettant sur pied des clubs de football, des ateliers d’improvisation théâtrale et autres activités, accueillant parfois les enfants chez eux le temps d’une nuit ou deux, voire plus longtemps.

Mais ces efforts louables, ainsi que les services fournis par des organisations non gouvernementales telles que Médecins sans Frontières et Utopia 56, dépendent pour certains de bénévoles et ne peuvent répondre à tous les besoins. En revanche, la France a à la fois les moyens et l’obligation de fournir des soins et une protection adéquats à tous les enfants se trouvant sur son territoire, indépendamment de leur statut migratoire.

Les autorités nationales et départementales françaises devraient veiller à ne recourir aux évaluations de l’âge qu’en cas de doutes sérieux sur le statut de mineur, a préconisé Human Rights Watch. Dans de tels cas, elles devraient prendre les mesures appropriées pour déterminer l’âge et l’éligibilité aux services sociaux, en gardant à l’esprit que toute évaluation de l’âge n’est qu’une estimation. De telles mesure devraient inclure des entretiens avec des experts ayant l’habitude de travailler avec des enfants, comme le recommandent les normes internationales.

La France devrait également mettre fin aux tests osseux et autres examens médicaux non fiables du même type.

« Plutôt que de laisser aux jeunes le bénéfice du doute, comme ils le devraient, les services de protection de l’enfance semblent tout faire pour exclure les jeunes du service de l’Aide sociale à l’enfance", a conclu Bénédicte Jeannerod. « Les autorités françaises devraient immédiatement mettre fin aux décisions arbitraires relatives à l’âge et allouer des ressources suffisantes pour prendre en charge les enfants migrants non accompagnés et les protéger. »

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