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Bangladesh : Protéger le droit à la liberté d’expression

Il faut abroger l’article 57 de la Loi sur les technologies de l’information et de la communication, d’une portée draconienne

Quelques exemples de plaintes déposées auprès de la police au Bangladesh en vertu de la Loi sur les technologies de l'information et de la communication (« ICT Act »). L’article 57 de cette loi est souvent employé de manière abusive contre des journalistes ou des personnes qui diffusent sur des médias sociaux des propos critiques à l’égard de de dirigeants politiques ou du parti au pouvoir, la Ligue Awami. © 2018 David Bergman

(New York) – Des dizaines de personnes ont été arrêtées ces cinq dernières années au Bangladesh en vertu de l’article 57 de la Loi sur les technologies de l’information et de la communication ( « ICT Act »), pour avoir critiqué, entre autres, le gouvernement et les dirigeants politiques sur Facebook, des blogs, des publications en ligne ou des réseaux sociaux, a déclaré Human Rights Watch dans un nouveau rapport rendu public aujourd’hui.

Toutefois, la portée du nouveau projet de loi sur la sécurité numérique destiné à remplacer la loi abusive existante est, à certains égards, plus vaste et viole l’obligation internationale du Bangladesh de protéger la liberté d’expression.

Le 14 mai 2018, dans le cadre du processus connu sous le nom d’Examen périodique universel, le Bangladesh présentera son bilan en matière de droits humains au Conseil des droits de l’homme des Nations Unies. Le gouvernement devrait saisir cette occasion pour s’engager à mettre fin à la répression de la dissidence et de la critique, y compris de l’opposition politique, et mener une campagne publique vigoureuse sur liberté d’expression. Une telle campagne devrait inclure des mesures vigoureuses contre les organisations militantes qui cherchent à réprimer la liberté d’expression en lançant de violentes attaques contre les personnes de confessions différentes, a préconisé Human Rights Watch.

« Le gouvernement du Bangladesh reconnaît que l’article 57 de la loi sur les technologies de l’information et de la communication est excessivement sévère et qu’il doit être abrogé », a déclaré Brad Adams, directeur de la division Asie de Human Rights Watch. « Mais la nouvelle loi à l’étude est tout sauf une amélioration, prévoyant de nouveaux chefs d’inculpation qui seront sans aucun doute utilisés à l’avenir pour faire taire les critiques du gouvernement dans un système national de justice pénale particulièrement politisé. »

Le gouvernement devrait coopérer avec des experts nationaux et internationaux pour rédiger une nouvelle loi pleinement respectueuse des principes de liberté d’expression et de liberté de communication sur Internet.
Brad Adams

Directeur de la division Asie

Le rapport de 89 pages, intitulé « No Place for Criticism: Bangladesh Crackdown on Social Media Commentary » (« Pas de place pour la critique : Répression liée à des commentaires sur les  réseaux sociaux au Bangladesh »), décrit les dizaines d’arrestations survenues depuis l’amendement, en 2013, de la loi de 2006 sur les technologies de l’information et de la communication ( « ICT Act »), qui autorise les arrestations en l’absence de mandat d’arrêt. En avril 2018, la police avait délivré 1 271 procès-verbaux au « Cyber-Tribunal » de Dhaka, en arguant de preuves suffisantes pour ouvrir des poursuites judiciaires en vertu de l’article 57 de la Loi ICT.

Des dizaines de personnes ont été placées en détention pendant des mois avant d’être remises en liberté en l’attente de leur procès, certaines simplement pour s’être livrées à des critiques à caractère politique sur Facebook ou avoir moqué la Première ministre bangladaise Sheikh Hasina Wazed, ses proches et ses collègues. D’autres ont été arrêtées pour avoir heurté des sensibilités religieuses ou pour diffamation.

L’article 57 de la Loi ICT autorise la poursuite de tout individu qui publie, sous forme électronique, de matériaux considérés comme faux et obscènes ; diffamatoires ; « qui tendent à dépraver et corrompre » les internautes ; cause, ou est susceptible de causer « l’affaiblissement de l’ordre public » ; porte préjudice à l’image de l’État ou d’un individu ; ou « cause ou peut causer une atteinte à la sensibilité religieuse ». Les amendements en date de 2013 ont mis fin à l’obligation de délivrer des mandats d’arrêt et des autorisations officielles de poursuites judiciaires, limité le recours à la libération sous caution des détenus en l’attente de leur procès, et alourdi les peines de prison dans les cas où la culpabilité est prononcée. Un nouveau cyber-tribunal traitant des infractions tombant sous le coup de la Loi ICT a également été créé. En conséquence, le nombre de plaintes portées devant la police, d’arrestations et de poursuites judiciaire a explosé.

Des citoyens bangladais ont été arrêtés pour avoir critiqué la tenue vestimentaire de la Première ministre, sa politique étrangère, son parti ou les actions de son gouvernement. La police est intervenue après des plaintes déposées par ses partisans politiques ou même sans avoir été saisie. Ainsi, en avril 2018, à l’issue d’une manifestation étudiante à l’université de Dhaka, un policier a déposé plainte au sujet de 43 messages « provocateurs » postés sur Facebook, que « beaucoup ont likés et commentés », « créant une situation de nature à potentiellement nuire à la société et à semer le chaos ». Il a proposé que des mesures soient prises en vertu de l’article 57.

En avril 2017, Monirul Islam, un travailleur employé par une plantation de caoutchouc à Srimongol, a été arrêté pour avoir « aimé » un post Facebook critiquant la visite officielle en Inde de la Première ministre, après qu’un membre du parti a déposé une plainte en se disant « extrêmement blessé et agité ».

La liberté de la presse est également menacée par l’article 57. De nombreux journalistes et rédacteurs-en-chef ont été arrêtés pour des articles en ligne relatant des allégations de corruption et de prévarication ou pour avoir critiqué certaines personnalités publiques. En juin 2017, la police a arrêté Golam Mostafa Rafiq, rédacteur-en-chef de Habiganj Samachar, pour un article publié dans l’édition en ligne du quotidien qui avançait qu’un député du parti au pouvoir n’obtiendrait pas la nomination de sa formation politique.

En juillet 2017, de nombreux journalistes ont protesté contre l’arrestation d’Abdul Latif Moral, accusé d’avoir partagé sur Facebook, avec « l’intention de porter atteinte à la réputation d’un ministre », un article dans lequel il était écrit qu’une chèvre offerte dans le cadre d’un programme humanitaire était morte.

Bien que le Cyber-Tribunal ne fournisse pas de statistiques sur les condamnations et acquittements, des éléments de preuve non vérifiés suggèrent que les personnes condamnées sont peu nombreuses jusqu’à présent. Cependant, indépendamment de leur culpabilité éventuelle, l’arrestation et la détention de ces individus pour s’être exprimés en ligne est susceptible de dissuader la liberté d’expression et la dissidence.

Conscient des abus perpétrés en vertu de l’article 57, le gouvernement a proposé de remplacer la loi en vigueur par une nouvelle Loi sur la sécurité numérique qui, à l’en croire, encadrerait de manière plus rigoureuse ce type d’arrestations. Selon Human Rights Watch toutefois, le projet de loi actuellement à l’étude par le parlement continuera de restreindre considérablement la liberté d’expression au Bangladesh.

Certaines dispositions du nouveau texte sont encore plus draconiennes que celles de l’article 57. Les journalistes bangladais s’inquiètent que la loi à l’étude prévoie de règlementer l’utilisation d’enregistrements secrets pour révéler au grand jour la corruption et d’autres crimes comme l’espionnage, en expliquant qu’une telle disposition restreindra le journalisme d’investigation et musèlera la presse et les médias. Le projet de loi prévoit en outre des peines d’emprisonnement pour de vagues délits tels que la publication d’informations « agressives ou effrayantes » et des peines allant jusqu’à 10 ans de prison pour la publication d’informations qui « détruisent l’harmonie communautaire, ou créent de l’instabilité ou du désordre, ou perturbe ou est sur le point de perturber le droit et l’ordre public », un langage trop approximatif qui ouvre la porte à de nouveaux abus.

Le projet de loi prévoit également une peine de prison à vie pour les personnes condamnées pour « propagande négative et campagne contre la guerre de libération du Bangladesh ou l’esprit de la guerre de libération ou le Père de la Nation ». Selon un groupe d’experts chargé de surveiller le respect par les États parties, dont le Bangladesh, du Pacte international relatif aux droits civils et politiques (PIDCP), les lois qui pénalisent les opinions relatives aux faits historiques sont incompatibles avec les obligations de respecter les libertés d’opinion et d’expression.

Le Bangladesh devrait ouvrir des consultations avec la société civile pour veiller à la compatibilité de toute nouvelle loi adoptée pour remplacer l’article 57 avec ses obligations en vertu du droit international, et à ce que cette loi protège et respecte la liberté d’expression, a recommandé Human Rights Watch. La criminalisation des délits d’opinion et d’expression devrait être limitée aux cas les plus graves, tels que l’incitation directe à la violence, et ne pas s’étendre à la critique des autorités ou à la diffamation.

« Les autorités du Bangladesh devraient accepter que les critiques, aussi désagréables et blessantes soient-elles, font partie intégrante de la vie publique et peuvent servir à redresser les torts », a conclu Brad Adams. « Le gouvernement devrait coopérer avec des experts nationaux et internationaux pour rédiger une nouvelle loi pleinement respectueuse des principes de liberté d’expression et de liberté de communication sur Internet. »

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