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Bangladesh : Mettre fin à la pratique du «kneecapping»

L’ONU devrait participer à une enquête sur les forces de sécurité et exiger des réformes

(New York) – Les forces de sécurité du Bangladesh ont délibérément tiré dans les jambes de membres des partis d'opposition et de leurs sympathisants, a déclaré Human Rights Watch dans un rapport publié aujourd'hui. Les victimes ont expliqué que des policiers leur ont tiré dessus alors qu’elles étaient en garde à vue, puis qu’ils ont faussement prétendu que les victimes avaient reçu des coups de feu en légitime défense, dans des tirs croisés avec des criminels armés, ou lors de manifestations violentes.

« Les forces de sécurité du Bangladesh ont souvent dans le passé tué des détenus dans de faux incidents mortels de tirs croisés’, en prétendant que la victime avait été tuée lorsque les autorités avait ramenée sur les lieux du crime et avaient été attaquées par l’un de ses complices », a déclaré Brad Adams, directeur de la division Asie de Human Rights Watch. « Désormais, elles adoptent des tactiques similaires à celles utilisées autrefois par l'Armée républicaine irlandaise [et elles tirent] en tirant dans les genoux des personnes arrêtées, apparemment parce qu'elles appartiennent à un parti d'opposition ou qu’elles le soutiennent. »

Mahbub Kabir, un collaborateur d’un journal favorable au parti d’opposition Jamaat-e-Islami au Bangladesh, gît par terre à Dhaka le 18 mars 2013 après avoir été interpellé par la police et blessé par balle à la jambe, selon des témoins. © 2013 BD Today

Le rapport de 45 pages, intitulé « ‘No Right to Live’: ‘Kneecapping’ and Maiming of Detainees by Bangladesh Security Forces », (« ‘Aucun droit de vivre’ : Pratique du ‘kneecapping’ et mutilation de détenus par les forces de sécurité du Bangladesh »), appelle les autorités de ce pays à ordonner des enquêtes rapides, impartiales et indépendantes sur toutes les allégations d’incidents de tirs dans les jambes et toutes autres blessures graves délibérément infligées par des membres des forces de sécurité. Le gouvernement devrait également inviter le Bureau du Haut-commissariat des Nations Unies aux droits de l'homme et les rapporteurs spéciaux des Nations Unies sur la torture et les exécutions extrajudiciaires à enquêter sur les tirs dans les jambes et autres actes présumés de torture ainsi qu’à faire des recommandations appropriées pour garantir la justice, la responsabilisation et la réforme des forces de sécurité.

Le rapport comprend des preuves présentées par 25 personnes, principalement des membres et des sympathisants de partis de l'opposition comme le Parti nationaliste du Bangladesh (BNP) et le Jamaat-e-Islami, qui ont affirmé que des policiers leur ont tiré dans la jambe sans provocation. Plusieurs des victimes sont handicapées à vie, notamment certaines qui ont été amputées des jambes après avoir reçu des coups de feu. Un grand nombre d’entre elles ont expliqué avoir été battues avant de recevoir des coups de feu.

La plupart des victimes n’ont pas voulu être identifiées, par crainte d’une arrestation arbitraire, de disparition, de torture ou d'exécution extrajudiciaire – des exactions qui sont bien trop fréquentes au Bangladesh, en particulier contre les membres des partis d'opposition. D'autres craignent des sanctions légales, étant donné qu’elles sont presque tous confrontées à des affaires pénales. Dans deux cas impliquant des membres des médias, les victimes étaient prêtes à être identifiées dans le rapport. Mahbub Kabir, qui a travaillé dans le département de marketing du quotidien pro-Jamaat Naya Diganta, a été appréhendé et blessé par balle devant témoins, mais la police a ensuite entamé des poursuites pénales contre lui. Selon Mahbub Kabir, le policier qui lui a tiré dessus l’a plus tard menacé, en disant : « Je t'ai tiré dans la jambe. Si tu en parles, alors la prochaine fois je vais te tirer dans les yeux. »



« Akram », un agriculteur de 32 ans, a déclaré qu'un policier lui a délibérément tiré dans la jambe après un raid à Chittagong : « Après m’avoir battu pendant quelques minutes, le policier m'a attaché à un arbre. Alors, [un policier] m'a tiré dessus au-dessus du genou de ma jambe gauche. » Le policier, tout en niant l'allégation, a confié à une organisation des droits de l'homme du Bangladesh qu'un dangereux criminel comme « Akram » n’avait « aucun droit de vivre ». Admettant qu'il avait tiré sur un autre suspect à Chittagong quelques mois plus tard lors d'un échange de coups de feu présumé, il a reconnu la culture d'exécutions extrajudiciaires au Bangladesh, en disant : « [Le suspect] est encore en vie parce qu'il a été arrêté par la police. Si le BAR [Bataillon d'action rapide] ou d'autres organismes d'application de la loi l'avaient attrapé, il serait mort. »

« Le Premier ministre Sheikh Hasina a déclaré qu'elle applique la « tolérance zéro » pour les meurtres ou violences extrajudiciaires, mais le fait que ces exactions aient empiré depuis son arrivée au pouvoir en 2009 donne l’impression que son gouvernement a une tolérance infinie pour la violence exercée avec l’assentiment de l'État », a déclaré Brad Adams.

Les tirs dans les jambes semblent avoir commencé après de violentes manifestations au début de 2013. Les manifestations ont suivi la condamnation à mort de Delwar Hossain Sayedee par le Tribunal pénal international du Bangladesh pour crimes de guerre commis pendant la guerre de 1971 au Bangladesh pour accéder à l’indépendance. Des violences ont éclaté de nouveau dans les mois précédant les élections générales de janvier 2014 lorsque les partisans de l'opposition ont utilisé des cocktails Molotov et s’en sont pris au public pour faire respecter les grèves et les blocus économiques. Les forces de sécurité ont réagi violemment, en ciblant les manifestants et les passants. Human Rights Watch a documenté de nombreux cas d'arrestations arbitraires, de torture, de disparitions forcées et d’exécutions extrajudiciaires au cours de cette période et depuis lors.

Les activistes affirment que selon eux les autorités du Bangladesh ont adopté la pratique des tirs dans les jambes en partie pour dissuader les personnes de participer à des manifestations de rue.

Human Rights Watch a déclaré que les agents de sécurité sont souvent sous une énorme pression pour prévenir la violence dans les manifestations. Cependant, ils ont toujours la responsabilité d'agir selon le droit national et international. Le Bangladesh est tenu d’assurer que nul ne soit soumis à la torture, et que dans le jugement d'une accusation en matière pénale, toute personne ait droit à un procès équitable et public par un tribunal établi par la loi, et qu’elle soit présumée innocente jusqu'à preuve du contraire. Bien que Human Rights Watch ne soit pas en position dans tous les cas de confirmer ou rejeter les affirmations de la police selon lesquelles les victimes ont été blessées par balle en légitime défense ou dans des tirs croisés lors de manifestations violentes, tous les cas justifient une enquête rigoureuse, indépendante et, le cas échéant, des poursuites pénales des policiers et des commandants de police responsables.

« Au lieu de réagir en niant immédiatement ces allégations, le gouvernement devrait demander aux Nations Unies l’assistance d’experts et veiller à ce que les auteurs des exactions fassent l’objet de poursuites », a conclu Brad Adams. « Sheikh Hasina doit indiquer clairement que les forces de sécurité du Bangladesh ne peuvent pas impunément tuer et mutiler les citoyens tout simplement parce que ceux-ci soutiennent le mauvais parti politique. »

Témoignages tirés du rapport
« L'un des policiers parlait sur son téléphone portable et demandait à une personne à l'autre bout s’ils devaient me blesser ou me tuer. Une fois qu’il a eu fini de parler, les autres policiers m’ont poussé à plat ventre sur le sol et m’ont tiré dans la jambe gauche. Puis ils m’ont remis dans la camionnette et m'ont emmené à l'hôpital. »
Alam, 35 ans, blessé par balle en septembre 2015

« J’ai seulement nommé deux de mes amis parce que je voulais que le passage à tabac cesse. Ensuite, nous nous sommes arrêtés dans un champ et ils m’ont bandé les yeux. Je ne savais pas ce qu'ils faisaient et je criais. Ils m’ont fait tomber par terre. Et puis ils m’ont tiré dessus. J'étais conscient. J'ai entendu l'un d'eux dire : ‘Tire encore’. Puis une autre personne a répondu : ‘Pas besoin’. »
Hyder, 20 ans, blessé par balle en mars 2015

« Un policier m'a menotté, m'a fait sortir et m'a fait rester debout. Il s’est ensuite placé derrière moi et m'a tiré dans la jambe gauche. J’ai dû perdre connaissance, parce que tout ce dont je me souviens est que je me suis retrouvé couché sur un lit à l'Institut national de traumatologie et de réhabilitation orthopédique. Quatre jours plus tard, ma jambe gauche a été amputée. »
Anis, 45 ans, blessé par balle en février 2013

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