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Liban : La police torture des personnes vulnérables

Un mécanisme efficace de réparation, de surveillance et de plaintes est indispensable

(Beyrouth) – Human Rights Watch a déclaré dans un rapport publié aujourd’hui, à l’occasion de la Journée internationale des Nations Unies pour le soutien aux victimes de la torture, que les personnes vulnérables placées en garde à vue, telles que les consommateurs de drogue, les travailleurs sexuels et les personnes lesbiennes, homosexuelles, bisexuelles et transsexuelles (LGBT), sont menacées, maltraitées et torturées par les forces de la sécurité nationale libanaises.

Le rapport de 66 pages, intitulé « It’s Part of the Job: Ill-treatment and Torture of Vulnerable Groups in Lebanese Police Stations » (« Cela fait partie du métier : Mauvais Traitements et actes de torture infligés aux groupes vulnérables dans les commissariats libanais »), repose sur 50 entretiens auprès de personnes détenues pour présomption de consommation de drogue, de travail sexuel ou d’homosexualité, au cours des cinq dernières années, qui ont déclaré avoir été soumises à des menaces, des mauvais traitements et des actes de torture par des membres des forces de la sécurité nationale. Les individus composant ces groupes sociaux marginalisés interviewés par Human Rights Watch se sont tous heurtés à des obstacles lorsqu’ils ont voulu dénoncer les abus et obtenir réparation, ce qui a permis aux auteurs de ces mauvais traitements de ne pas avoir à répondre de leurs actes.

« Les abus commis par la police sont fréquents dans les commissariats libanais, mais c’est encore pire lorsqu’il s’agit des consommateurs de drogue ou des travailleurs sexuels », a déclaré Nadim Houry, directeur adjoint de la division Moyen-Orient à Human Rights Watch.« Les abus envers les prisonniers, tout particulièrement envers les personnes les plus vulnérables de la société, ne vont pas cesser tant que le Liban ne mettra pas fin à la culture de l’impunité de ses forces de police. »

Le Liban, qui reçoit une aide substantielle en provenance des pays donateurs, a réalisé quelques avancées dans son processus de développement et de réforme des forces de sécurité nationale, au cours des cinq dernières années. Ces réformes comprennent un nouveau code de conduite établissant les règles de conduite et les obligations faisant partie intégrante de la législation libanaise et des principes internationaux en matière de droits humains. Cependant, selon Human Rights Watch, ces efforts restent inappropriés et ne sont pas parvenus à combattre les abus répétés commis par les membres de la police.

Il est important que les autorités libanaises mettent en place un système d’enquête indépendant des plaintes alléguées en matière de tortures, et que les pays donateurs s’assurent que l’aide qui est apportée aux forces de sécurité nationale contribue à l’établissement de mécanismes permettant véritablement que des comptes soient rendus à cet égard.

D’anciens détenus ont dénoncé des actes de torture et des mauvais traitements dans tous les établissements où Human Rights Watch a enquêté, y compris dans le commissariat de Hobeish à Beyrouth, dans le commissariat de Gemmayze, dans le commissariat de Baabda, dans le commissariat de Msaitbeh, dans le commissariat de Zahleh, dans le commissariat d’Ouzai, dans le commissariat de Saida, dans les services de renseignements de la police de Jdeideh et au cours des périodes de détention préventive dans la prison pour femmes de Baabda.

« Ils m’ont conduit nu pour être interrogé, m’ont aspergé d’eau froide, enchaîné à un bureau, puis ils m’ont pendu en position farrouj », raconte « Mohammed », qui a été arrêté pour possession de drogue, expliquant avoir été suspendu par les pieds, les mains attachées à une barre de fer passée sous ses genoux. « Ils m’ont cassé toutes les dents, m’ont fracturé le nez et m’ont frappé à l’épaule avec un fusil jusqu’à la disloquer. »

Les formes de torture les plus courantes qui ont été signalées sont les coups donnés avec les poings, avec les bottes ou avec des instruments, tels que des bâtons, des canes ou des règles. Dix-sept anciens détenus ont raconté avoir été privés de nourriture, d’eau ou de médicaments lorsqu’ils en avaient besoin, ou que leurs médicaments leur avaient été confisqués. Neuf détenus ont signalé avoir été menottés dans des salles de bain ou avoir été immobilisés dans une position extrêmement désagréable, des heures durant. Onze détenus ont indiqué avoir été forcés d’écouter les cris d’autres détenus, dans le but de les effrayer et de les amener à collaborer ou à passer aux aveux.

Vingt et une femmes sur 25 interviewées, arrêtées pour présomption d’usage de drogue ou de travail sexuel, ont déclaré à Human Rights Watch avoir été soumises à des violences sexuelles ou à des contraintes de la part de la police, allant du viol à l’échange de « faveurs » – cigarettes, nourriture, conditions de vie plus confortables dans leurs cellules, ou même un rapport de police plus clément – contre des rapports sexuels.

Des violences physiques ont été utilisées pour obtenir des aveux comme pour punir ou corriger le comportement des détenus. Neuf personnes arrêtées pour usage de drogue ou en raison de leur homosexualité ont affirmé qu’il ne semblait faire aucun doute que leur statut socio-économique jouait une grande part dans la manière dont elles étaient traitées par la police.

Les mauvais traitements et les tortures étaient accompagnés d’autres violations majeures. Les personnes interrogées ont affirmé avoir été privées de l’exercice de leur droit d’appeler des membres de leur famille, de consulter leur avocat et de recevoir des soins médicaux. Bien que l’article 47 du Code de procédure pénale libanais limite la détention sans chef d’inculpation à 48 heures, renouvelable une fois sur autorisation du procureur de la république, cette limite du temps de détention est souvent violée.

Human Rights Watch a constaté que les actes de torture et les mauvais traitements infligés par la police sont permis par une protection juridique inappropriée et mal appliquée, une procédure judiciaire qui donne plus d’importance aux aveux qu’à d’autres types de preuves, une culture de l’impunité et un manque de mécanismes de surveillance adéquats.

Les mécanismes qui existent, tels que le comité des droits humains des forces de la sécurité nationale, sont insuffisamment dotés d’effectif et n’ont pas de pouvoir réel. Bien que le ministère de l’Intérieur dispose d’un système de plaintes distinct, celui-ci est défaillant et difficile à utiliser et à suivre. Un code de conduite établi par les forces de la sécurité nationale en janvier 2011 prévoit des normes de comportement et des obligations se fondant sur le droit libanais et sur les principes internationaux des droits humains, mais il n’a pas totalement été mis en application.Selon Human Rights Watch, le système judiciaire ignore régulièrement les plaintes qui sont déposées à l’encontre d’agents de police violents. Dans seulement trois cas, le juge d’instruction a ordonné une enquête sur des allégations relatives à des aveux obtenus sous la contrainte. Cinq anciens détenus ont expliqué à Human Rights Watch que des juges d’instruction ont purement et simplement ignoré leurs allégations de mauvais traitement, d’intimidation et d’abus, et 12 ont affirmé que les juges d’instruction n’ont pas tenu compte de leurs allégations de torture et de confessions sous la contrainte.

« La paralysie politique actuelle du Liban ne devrait pas être une excuse pour éviter de faire les réformes fondamentales concernant la police »,a déclaré Nadim Houry.« La crise politique et sécuritaire actuelle fait plutôt ressortir le besoin d’être doté de forces de police responsables et respectueuses du droit. »

Si l’accès aux mécanismes de réparation en matière d’abus de la police est généralement compliqué, le rapport a établi qu’il est particulièrement difficile pour les travailleurs sexuels, les consommateurs de drogue et les LGBT. Sur les 52 personnes interrogées alléguant un mauvais traitement, seulement six d’entre elles ont porté plainte, et sur ces six dossiers les juges ont ordonné des enquêtes dans seulement deux cas.

Le risque de révélation de la conduite ou de l’orientation sexuelle des victimes, pouvant entraîner au Liban des conséquences sociales négatives, est un obstacle pour tout membre de ces collectifs souhaitant dénoncer ces abus. Les façons dont sont appliquées les lois qui criminalisent le travail sexuel, l’homosexualité et la consommation de drogue exacerbent le problème et entravent encore plus la possibilité pour ces personnes de dénoncer les abus de la police.

Le Liban devrait faire respecter ses engagements internationaux en modifiant la définition de la torture et en mettant en application les dispositions qu’il s’est engagé à prendre en signant la Convention contre la torture et le Protocole facultatif de la convention. Le Liban devrait tout particulièrement créer un « mécanisme national de prévention », organe indépendant chargé de surveiller les centres de détention.

Selon Human Rights Watch, il est également nécessaire que le Liban garantisse que les forces de la sécurité nationale rendent des comptes, par le biais d’un mécanisme de plaintes accessible et des procédures transparentes. Il conviendrait que le Liban réforme son Code de procédure pénale afin de mieux protéger les droits des détenus et d’abroger les lois qui criminalisent l’homosexualité, la consommation de drogue et le travail sexuel.

Les pays donateurs tels que les États-Unis, le Royaume-Uniet la France, ainsi que l’Union européenne,ont investi des sommes importantes pour l’aide à l’équipement, à la formation et à l’amélioration des forces de la sécurité nationale. Ces pays devraient s’assurer que leur aide contribue au développement d’un mécanisme de surveillance interne permettant que des comptes soient rendus et comprenant un organe indépendant chargé de mener des enquêtes relatives aux allégations de torture et de mauvais traitement. Il est important que ces États ne financent pas des unités qui se sont avérées avoir violé des droits humains et qu’ils conditionnent la reprise des fonds donnés à ces unités à l’adoption de réformes garantissant la fin des mauvais traitements de la police et la justification des violations passées.

« Les bailleurs de fonds doivent mettre l’accent sur le développement de mécanismes de surveillance et de responsabilité des forces de sécurité en matière de tortures et de mauvais traitements », a déclaré Nadim Houry. « En fin de compte, les forces de sécurité libanaises seront jugées non pas sur la qualité de leurs équipements, mais sur le comportement de leurs membres. »

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Sélection de témoignages publiés dans le rapport « It’s Part of the Job » (« Cela fait partie du métier »)
« Mohammad », 30 ans, a affirmé à Human Rights Watch avoir passé 11 jours de détention dans le commissariat de Zahleh en 2007, après avoir été arrêté par la police pour possession de drogue. Il affirme avoir été gravement battu par la police jusqu’à ce qu’il avoue avoir utilisé des drogues :

Ils m’ont conduit nu pour être interrogé, m’ont aspergé d’eau froide, enchaîné à un bureau, puis ils m’ont pendu en position farrouj[technique de torture au cours de laquelle la victime est pendue par les pieds, les mains attachées à une barre de fer placée sous ses genoux]. Ils m’ont cassé toutes les dents, m’ont fracturé le nez et m’ont frappé à l’épaule avec un fusil jusqu’à la disloquer.

« Nadim » a affirmé à Human Rights Watch avoir passé deux jours dans le commissariat de Hobeish en octobre 2010 après avoir été arrêté par la police qui ne pouvait pas trouver son frère, suspecté de trafic de drogue. Selon lui, n’ayant pu trouver aucune preuve de son implication à lui dans le trafic de drogue, les agents de police ont modifié les chefs d’accusation et l’ont inculpé pour homosexualité. Nadim a été battu, menacé et a dû endurer des examens anaux, de manière répétitive :

J’ai été continuellement battu et soumis à des actes d’intimidation [à Hobeish]…[Un agent] m’a demandé pourquoi j’avais des messages et des noms d’hommes homosexuels dans mon téléphone, je lui ai demandé s’il était illégal de parler à des homosexuels. Il m’a frappé de nouveau avec une telle violence que mon œil s’est fendu et que j’ai commencé à saigner. Je l’ai supplié d’arrêter de me cogner au visage, mais cela l’a encouragé à continuer, en redoublant de violence. Il m’a obligé à signer un aveu déclarant que j’avais eu des relations sexuelles avec des hommes, tout en me rouant de coups et en me maltraitant. Il m’a ensuite forcé à enlever mes vêtements, puis m’a dévisagé en me traitant de lopette, en m’insultant et en me menaçant.

Le jour suivant, deux autres hommes sont entrés et m’ont de nouveau interrogé. À ce moment-là, il n’était plus question de trafic de drogue, le chef d’inculpation étant devenu l’homosexualité… Lorsque j’ai déclaré à l’agent chargé de mon interrogatoire que j’avais été amené à avouer avoir eu des relations homosexuelles sous la contrainte, il s’est mis à fouetter les paumes de mes mains avec un câble électrique. Il m’a ensuite signalé qu’il allait appeler un médecin légiste pour m’examiner… Il a continué à m’intimider, en essayant d’obtenir de nouveaux aveux de ma part… L’examen s’est avéré négatif et ils n’eurent pas d’autre choix que de me relâcher sans m’inculper.

« Soumaya », une travailleuse sexuelle placée en détention provisoire dans la prison de Baabda depuis neuf mois lorsqu’elle s’est adressée à Human Rights Watch, a déclaré qu’elle s’attendait à ce que les agents de police essaient d’avoir des relations sexuelles avec les femmes détenues pour prostitution :

C’est normal. Ils ne nous voient pas comme des êtres humains. Ils savent que nous sommes pauvres, que nous sommes probablement sans famille et que personne ne s’inquiètera à notre sujet. Nous sommes des proies faciles. J’ai été arrêtée à trois reprises au cours des cinq dernières années. À chaque fois, un policier me rendait visite dans ma cellule pour tenter d’obtenir quelque chose de ma part. Au début je protestais, je me débattais, mais j’ai ensuite compris que c’était inutile. Si vous voulez être bien traitée, vous devez accepter d’avoir des relations sexuelles avec eux. Si vous acceptez de le faire, ils vous protègeront. Dans le cas contraire, vous êtes battue, insultée, voire violée. Si vous les laissez coucher avec vous, ils peuvent même vous aider à sortir sans être inculpée.

« Gharam » a déclaré à Human Rights Watch avoir violée par un agent de police lorsqu’elle se trouvait dans le commissariat de Gemmayze, en février 2012. Elle a été arrêtée après la détention de sa fille par la police pour exercice de travail sexuel, et a été inculpée pour l’avoir aidée à se prostituer :

Je suis restée au commissariat de Gemmayze pendant trois jours, où ils nous ont traitées, ma fille et moi, de manière horrible… Pendant mon séjour au poste de police, l’un des agents me rendait visite pendant la nuit et me disait que si je refusais de coucher avec lui, je passerais 10 ans en prison et ma fille plus longtemps encore. J’étais tellement effrayée que je l’ai laissé faire. Le jour suivant, j’ai été transférée au commissariat de Baabda où j’ai passé trois jours de plus en détention avant d’être envoyée à la prison de Baabda. Je n’ai jamais raconté à personne ce qui s’est passé. J’étais trop effrayée. Il m’avait menacée pour que je me tienne tranquille.

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