Human Rights Watch

Les Commissions gouvernementales des droits de l'homme en Afrique : Protecteurs ou Pretendus Protecteurs?
Zambie








Présentation Générale

Résumé

Normes Iinternationales: les Principes de Paris

Facteurs Importants

Etat des Lieux

Contributions Innovatrices et Positives des Commissions

Les Iniatives Régionales

Le Role de la Communauté Internationale

Conclusion

Recommandations

Abréviations

Remerciements




    Human Rights Commission

Origine et mandat

Lorsqu'en 1991 la Zambie est passée d'un système à parti unique au pluralisme politique, l'espoir est né de voir l'avènement d'un nouveau pouvoir politique fondé sur l'Etat de droit et le respect des droits de l'homme. La Zambie était annoncée comme un modèle de démocratie au lendemain de la passation de pouvoir pacifique en novembre 1991 lorsque le Movement for Multi-Party Democracy [Mouvement pour la démocratie multipartite] (MMD) et son dirigeant Frederick Chiluba ont remporté une victoire écrasante sur le Président Kenneth Kaunda et son United National Independence Party [Parti Uni pour l'Indépendance Nationale] (UNIP). Le gouvernement MMD, qui avait hérité d'institutions étatiques chancelantes et d'un lourd passé jalonné de violations des droits de l'homme, a pris le pouvoir en présentant une plate-forme qui s'engageait à respecter les droits de l'homme.

La Human Rights Commission [Commission des droits de l'homme] permanente est née d'une commission d'enquête créée par le Président Chiluba en mai 1993 pour enquêter sur les violations des droits de l'homme perpétrées par les gouvernements précédents. La Commission Munyama, dirigée par Bruce Munyama1, un avocat bien en vue, a organisé des auditions publiques aux quatre coins du pays et a, entre autres, mis au grand jour l'usage de la torture dans les lieux de détention secrets sur l'ensemble du territoire. Les conclusions de la Commission Munyama incluaient notamment une recommandation visant la création d'une commission des droits de l'homme permanente.2

En 1996, suite à la suggestion de la Commission Munyama, le gouvernement a apporté des amendements à la constitution afin qu'elle prévoie la création d'une commission des droits de l'homme permanente en vertu de l'Article 25. La Human Rights Commission Act [Loi relative à la Commission des Droits de l'homme] de 1997 était adoptée par le parlement zambien le 13 mars 1997 et signée le jour suivant par le Président Chiluba. Ladite loi était considérée comme le pilier central des efforts de réforme juridique fournis par le MMD. Le Président Chiluba a ensuite nommé Lombe Chibesakunda, juge à la Haute Cour de Justice, au poste de président de la Commission. Cinq autres commissaires ont également été nommés par le Président Chiluba.

Bien que les nominations aient été ratifiées par le parlement, il y a eu une véritable tempête de protestations contre le manque de transparence et la vitesse à laquelle le processus de nomination et d'approbation parlementaire avait eu lieu. En Zambie, on se demande toujours si la création de la Commission permanente des droits de l'homme était une mesure logique et conforme au manifeste publié par le MMD, ou s'il s'agissait d'un exercice de relations publiques à l'intention des bailleurs de fonds pour désamorcer les critiques internationales à l'égard du comportement controversé du MMD lors des élections générales de 1996.3

Les commissaires ont prêté serment le 4 avril 1997, exactement trois semaines avant que n'ait lieu à Londres la rencontre de pré-concertation du groupe des bailleurs de fonds de la Zambie. Les financeurs ont notamment examiné d'un _il critique les progrès réalisés par la Zambie en matière de réformes politiques au lendemain des élections. Les doutes de la communauté internationale face à la situation des droits de l'homme durant la période préélectorale avaient poussé les principaux bailleurs de fonds à geler l'aide financière. La vitesse à laquelle les commissaires avaient été désignés n'a fait qu'alimenter les soupçons selon lesquels la Commission des droits de l'homme aurait été mise sur pied pour dissiper les inquiétudes des donateurs sur la situation des droits de l'homme dans le pays, dans l'espoir d'un rétablissement des financements extérieurs.

Lors de la rencontre de pré-concertation de 1997, le gouvernement a fortement insisté sur la création récente de la Commission des droits de l'homme. Dans le discours prononcé à la réunion, le Ministre des Finances et du Développement Economique soulignait que la création de la commission était bien la preuve de l'engagement du gouvernement dans le domaine des droits de l'homme. Dans le rapport remis aux bailleurs de fonds par le gouvernement, le chapitre consacré à la Commission des droits de l'homme décrivait la commission comme faisant partie intégrante du "cadre institutionnel" du gouvernement et apportant la preuve "des progrès substantiels et irréversibles" que ce dernier avait réalisés.4 Des documents relatifs à la Commission ont été distribués à une large palette de bailleurs de fonds internationaux. Cependant, en Zambie, les militants locaux des droits de l'homme n'ont pas eu accès à ces documents. Les responsables de la maison d'édition du gouvernement à Lusaka ont confié à Human Rights Watch que les documents relatifs à la commission n'étaient destinés "qu'aux diplomates", alors que dans un premier temps, ils avaient nié les avoir jamais imprimés.5

Le mandat de la commission est plutôt vaste. En vertu de l'Article 9(a)-(f) de la Loi relative à la Commission des Droits de l'Homme (1996), les fonctions de la commission sont les suivantes:

· enquêter à propos des violations des droits de l'homme;

· enquêter à propos de tout cas de mauvaise administration de la justice; et

· proposer des mesures efficaces pour prévenir les violations des droits de l'homme.

Son pouvoir d'investigation inclut le pouvoir d'enquêter sur toute violation des droits de l'homme de sa propre initiative ou après réception d'une plainte. En vertu des articles 10(2) et (3), la commission a le pouvoir : "d'assigner à comparaître devant elle ou d'exiger la présence de toute autorité."6. La commission jouit également d'autres pouvoirs plus faibles tels que celui de "recommander" ce qui suit: "La libération d'un détenu; le paiement d'un dédommagement à la victime d'une violation des droits de l'homme ...[et] que la partie lésée exige réparation devant un tribunal."7

Sa faiblesse majeure se retrouve à l'Article 13(1), "Recommandations", qui lui octroie le pouvoir:

· de transmettre des rapports écrits sur les résultats de ses enquêtes aux parties concernées; et

· sur base des résultats, de formuler les recommandations qu'elle juge nécessaires à l'autorité compétente.

En d'autres termes, la loi n'octroie aucun pouvoir à la commission pour faire appliquer ses recommandations en dehors de la publication, si elle le désire, des résultats de ses enquêtes. Elle ne peut que formuler des recommandations à l'agence gouvernementale compétente, qui peut à son tour choisir de faire appliquer ou d'ignorer les recommandations de la commission.

Procédures d'engagement et de nomination

La commission se compose d'une présidente, qui était au départ juge à la haute cour de justice (et promue ensuite à la cour suprême), et de cinq autres membres, nommés par le président. Les désignations faites par le président sont ensuite ratifiées par le parlement. Les commissaires disposent d'un mandat de trois ans, renouvelable pour autant qu'il y ait approbation du président et du parlement. Les premiers commissaires avaient été nommés pour des périodes allant de un à trois ans afin de faciliter une tournante au moment des départs. La loi relative à la Commission des droits de l'homme exige que le président de la commission soit une personne ayant occupé un poste à responsabilité dans le domaine judiciaire ou possédant les qualifications nécessaires. Les commissaires travaillent tous à temps plein et leur nomination se fait sur base des conditions en vigueur au sein du gouvernement. Seule la présidente de la commission est sûre de garder son poste puisqu'elle est juge à la cour suprême; les autres membres de la commission ne connaissent pas cette sécurité d'emploi.

En 1997, le président a nommé les membres de la commission à la hâte. La plupart d'entre eux manquaient de références en matière de droits de l'homme. Le parlement a ratifié ces nominations en une journée. La majorité des personnes désignées avaient été contactées par courrier ou par téléphone par le président quelques jours avant leur nomination, disposant de peu de temps pour être mises au courant. Le comité parlementaire choisi pour ratifier les nominations ne possédait aucune expérience en matière de droits de l'homme. Selon des personnes qui ont participé aux auditions, peu de questions relatives aux droits de l'homme ont été posées. Bien qu'ils y aient été invités, tous les principaux partis d'opposition ont refusé de proposer des candidats pour la commission car ils avaient émis des réserves quant à la véritable autonomie de ladite Commission.

Les commissaires proviennent d'horizons divers. La juge Lombe Chibesakunda, présidente de la commission, était juge à la haute cour de justice de Ndola jusqu'en 1998, date à laquelle elle est devenue juge à la Cour Suprême. Sa carrière de juge est bien au-dessus de la moyenne. Vu son travail remarquable en tant que juge, les attentes sont peut-être trop élevées quant aux objectifs qu'elle peut atteindre en tant que présidente de la commission, étant donné le mandat limité et l'insuffisance des moyens de la commission. Foston Sakala est un ecclésiastique, qui par le passé était directeur de séminaire au sein de l'Eglise Réformée de Hollande. Lavu Mulimba est un parlementaire à la retraite après bien des années de service. John Sakulanda est un ancien prisonnier, qui a également travaillé au sein de la Commission Munyama. Lewis Changufu est l'un des plus jeunes ministres de l'UNIP et a travaillé pour l'ancien président Kenneth Kaunda. Francis Nsokolo est un ancien magistrat qui a présidé le procès avorté des Black Mamba accusés de trahison en 1996.8 A l'exception de Sakulanda et de Sakala, qui avaient participé à des travaux touchant quelque peu aux droits de l'homme, les membres de la commission ne possédaient aucune expérience dans ce domaine au moment de leur nomination.

Au départ, cela a inquiété le milieu zambien des droits de l'homme ainsi que l'opposition politique mais ce qui les préoccupait plus encore, c'était que les commissaires, nommés par le président, ne se sentiraient pas capables d'affirmer leur indépendance par rapport au gouvernement.

Activités

Avec le temps, les commissaires ont montré dans la pratique qu'ils étaient capables de remplir une grande partie de leur mission. La commission a mis sur pied un comité de gestion chargé de superviser l'ensemble de ses travaux. Ce comité est présidé par le juge Chibesakunda. La commission a également créé cinq départements administratifs: administration et finances ; juridique ; planification et programmes de recherche ; formation et développement des ressources humaines ; éducation, information et communications. Elle a en outre mis en place huit comités de fonctionnement chargés des questions suivantes: conciliation, médiation et arbitrage ; lutte contre la torture ; droits de l'enfant ; égalité des sexes ; droits économiques, sociaux et culturels ; droits civils et politiques ; droits des communautés et des minorités ; information, éducation et communications.9 Il existe également des comités provinciaux dans les neuf provinces de Zambie, chaque province s'étant vu attribuer un commissaire chargé de coordonner les activités et d'assurer le lien entre la province et la commission. On ne sait toutefois pas très bien si les comités provinciaux sont actifs car ils sont confrontés à un manque de financement pour entreprendre tout projet d'envergure.

Au début, les commissaires ont consacré une grande partie de leur temps à voyager en Europe, aux Etats-Unis et en Afrique du Sud pour des formations et des rencontres, ce qui n'a fait que renforcer les soupçons initiaux comme quoi la commission n'allait pas s'attaquer aux problèmes dans le pays. En 1997, l'Ambassade de Suède avait tenté de convaincre les commissaires de remettre à plus tard un voyage prévu en Suède en raison d'une crise que connaissait le pays en matière de droits de l'homme, mais ceux-ci avaient considéré que leur voyage en Suède était prioritaire et ils étaient partis comme prévu. Par ailleurs, la Commission des droits de l'homme a bénéficié, au début de ses travaux, d'une assistance technique et des conseils du Haut Commissariat des Nations Unies aux Droits de l'Homme.

Dès 1999, la commission pouvait déjà se targuer d'un bilan d'activités plus sérieux. Depuis sa création jusqu'au mois d'août 1999, elle avait traité 960 plaintes.10 Les plaintes déposées étaient extrêmement diverses, allant des plaintes concernant l'emploi, les pensions de retraite ou les disputes conjugales, aux plaintes relatives aux mauvaises conditions de travail, aux conditions de détention inhumaines et aux violations des droits de l'homme par les forces de police. La commission est intervenue par exemple lors du décès, alors qu'elle était en garde à vue, d'une personne soupçonnée d'avoir commis un vol. Elle avait été rouée de coups et avait subi de multiples brûlures entre les jambes avant de succomber à ses nombreuses blessures. La commission a mené une enquête qui a abouti à l'arrestation de sept policiers dans le cadre de ce meurtre en juillet 1998. Le travail de la commission est plus visible dans le monde carcéral. Les résultats des visites dans les prisons ont d'ailleurs été mis à la disposition des médias qui les ont largement diffusés, sensibilisant ainsi davantage l'opinion aux conditions de détention déplorables dans les prisons.

En 1997, la commission a été particulièrement active et a pris des initiatives louables puisqu'elle a entrepris d'examiner les mauvais traitements infligés aux personnes détenues sans procès en vertu des réglementations d'urgence appliquées au lendemain du coup d'Etat manqué de 1997. Les garanties constitutionnelles de bon nombre de droits de l'homme fondamentaux ont été suspendues au cours des mois qui ont suivi le coup d'Etat manqué, et les forces de police ont torturé ou battu les détenus. Un certain nombre de détenus ont eu des malaises au tribunal en raison de maladies provoquées ou aggravées par les piètres conditions de détention préventive. Les avocats des prévenus ont fait l'objet de harcèlement. Pendant plus de dix jours, la Commission des droits de l'homme n'a pas pu rendre visite aux détenus qui étaient interrogés, ce qui constitue une violation de son mandat qui stipule qu'elle peut: "visiter les prisons, lieux de détention et autres lieux analogues en vue d'y évaluer et d'y inspecter les conditions de vie des détenus et faire des recommandations afin de résoudre les problèmes existants."11 Finalement, la Commission a pu avoir accès aux détenus arrêtés en lien avec le coup d'Etat. Elle a porté au grand jour les tortures infligées à sept d'entre eux et s'est assurée qu'ils recevraient de meilleurs soins médicaux. Elle est également intervenue dans l'expulsion des familles de ceux soupçonnés d'avoir organisé le coup d'Etat.

Le 30 mars 1998, la Commission des droits de l'homme a remis un rapport au gouvernement, dans lequel elle citait le nom de plusieurs personnes qui, selon les détenus, étaient des tortionnaires. Sur cette liste figurait le nom du chef de la police, Teddy Nondo. Le rapport recommandait principalement de "mettre à la retraite immédiate, dans l'intérêt du public, les policiers impliqués dans les tortures infligées aux détenus ou aux personnes en détention préventive" et il recommandait aux autorités "d'élaborer un plan de retraite pour les policiers en question." La commission a également découvert que certains des policiers incriminés dans les tortures avaient déjà été cités par la Commission Munyama. Le gouvernement n'a toutefois pas tenu compte de la recommandation de la Commission des droits de l'homme et a par la suite nommé Teddy Nondo commissaire adjoint à la brigade des stupéfiants en juin 1998. Il a néanmoins annoncé, en août 1998, la création d'une commission d'enquête indépendante chargée d'examiner les allégations de torture.

Suite à l'intervention publique de la commission, le gouvernement a subitement décidé de retirer l'offre qu'il lui avait faite de l'installer dans la Ndeke House, un bâtiment public, bien que la rénovation des locaux fût déjà en cours. Il a alors offert cet espace de bureaux à la commission électorale. Cela a été interprété comme un signe de mécontentement du gouvernement. Beaucoup ont pensé qu'il s'agissait d'un avertissement lancé à la commission afin qu'elle devienne plus docile. La rénovation des espaces de bureaux, financée par l'Agence Norvégienne pour le Développement International (NORAD) a été brutalement arrêtée et les bureaux ont été attribués sommairement à la Commission électorale. Bien que la commission ait reçu des locaux permanents en juin 1998, elle s'est plainte que le gouvernement avait fortement réduit la majeure partie de son financement et que le manque de crédits l'empêchait d'effectuer correctement son travail, notamment l'enquête concernant une fusillade qui aurait été déclenchée par les forces de police à l'occasion d'un rassemblement de l'opposition au mois d'août 1997, blessant plusieurs personnalités de l'opposition.

Financement

Le fait de ne pas disposer d'un budget suffisant est source de grande inquiétude pour la Commission des droits de l'homme. Depuis sa création, la Commission n'a pas reçu du gouvernement le budget ou les locaux dont elle aurait eu besoin pour mener à bien sa mission.

La commission se voit allouer une partie du budget gouvernemental à l'instar de tous les autres ministères. Cela ne signifie pas pour autant qu'elle reçoive bien le montant total prévu au budget du gouvernement. Il arrive que la somme perçue soit moindre. Mais il arrive aussi qu'elle soit supérieure. Le gouvernement norvégien lui a également versé une somme supplémentaire afin de couvrir ses frais d'installation. Grâce à ces fonds, les commissaires ont pu acheter quelques-uns des six véhicules 4x4 (un véhicule par commissaire) et payer les frais encourus pour les deux chambres et bureaux occupés à l'Hôtel Intercontinental.

La commission reçoit également un soutien financier international, qui se fait généralement sur base de projets. Des bailleurs de fonds internationaux bilatéraux se sont empressés de promettre un financement pour des réunions organisées en Europe, aux Etats-Unis et en Afrique du Sud. Le Haut Commissariat aux Droits de l'Homme a envoyé le Conseiller Spécial Brian Burdekin en Zambie en mai 1998 afin de fournir des avis techniques à la commission sur la mise sur pied d'une institution nationale des droits de l'homme. Le gouvernement norvégien a financé la rénovation des nouveaux bureaux de la commission. Après avoir d'abord retiré à la commission l'autorisation d'utiliser les locaux qu'il lui avait promis, le gouvernement lui a par la suite offert des bureaux fort peu adaptés à son travail. Ce n'est que grâce à l'argent du gouvernement norvégien que la Commission dispose à présent de locaux où elle peut effectuer ses travaux. Si les promesses d'aide des bailleurs de fonds bilatéraux de la Zambie pour la commission étaient nombreuses au départ, elles se sont estompées depuis lors mais il est difficile de discerner si cet état de fait est dû aux réserves qu'ils émettent par rapport à l'efficacité de la commission ou si cela reflète simplement un changement dans leurs priorités.

Evaluation

Il faut tout de même admettre qu'en dépit de ses ressources insuffisantes et de ses pouvoirs restreints, la commission a véritablement essayé d'aborder quelques-uns des problèmes auxquels est confrontée la Zambie sur le plan des droits de l'homme et que ses membres ont fait preuve d'une indépendance et d'un courage considérables en dénonçant les tortures commises par la police sur les détenus politiques. Elle a également abattu un travail de conscientisation important à propos des conditions carcérales terriblement déplorables de la Zambie. Ce qui lui a valu, avec l'aide de la presse qui a largement diffusé ses déclarations, de se gagner le respect de beaucoup de Zambiens, dont le très respecté avocat Bruce Munyama, tout en étant franchement critiquée par les parlementaires du parti au pouvoir et par le pouvoir exécutif. La juge Lombe Chibesakunda, présidente de la Commission des droits de l'homme, estime que l'opinion publique reconnaît de plus en plus le rôle que la commission joue et qu'un nombre sans cesse croissant d'institutions reconnues et de personnes privées font appel à l'assistance ou à l'intervention de la commission.12

Mais pourtant, la commission n'en reste pas moins un organisme fragile qui n'est pas capable ou pas disposé à susciter des changements sur le plan des violations courantes les plus graves commises par gouvernement zambien. Elle n'a accordé qu'une attention occasionnelle à certains problèmes tels que les exécutions extrajudiciaires et autres exactions perpétrées par les forces de police ainsi que les actes d'intimidation du gouvernement et du parti au pouvoir à l'encontre des médias et des ONG de défense des droits de l'homme, soulevant ainsi des questions quant à la volonté de la commission de défendre les droits face à l'hostilité du gouvernement.

Le champ d'action limité de la commission est dû principalement aux lacunes du texte fondateur. Que ce soit dû à une omission ou à la volonté délibérée du gouvernement Chiluba, le fait est que la commission ne dispose pas de pouvoirs forts et ses recommandations, si elles sont ignorées par le gouvernement, ne servent pas à grand chose dans la pratique. En 1997, la commission avait recommandé l'abrogation de la Réglementation 12 relative à la Préservation de la Sécurité Publique13 [Regulation 12 of the Preservation of Public Security] (1997), qui interdisait aux personnes en liberté surveillée [restricted persons] de communiquer avec la presse ou tout autre groupe sans l'autorisation de l'inspecteur général de police. Mais cette recommandation, comme d'autres, a été ignorée par l'exécutif.

Son manque de ressources limite également les possibilités de la commission et sa capacité à attirer et à garder un personnel qualifié et d'envergure.14 Bien qu'en principe la Commission des droits de l'homme fasse partie du gouvernement, le gouvernement Chiluba fait bien comprendre qu'elle n'a qu'une importance marginale et qu'elle peut effectivement être ignorée par les autres ministères.

Si l'on regarde le personnel administratif engagé pour soutenir le travail de la commission, on s'aperçoit également de certaines failles. La commission a généralement engagé des fonctionnaires de carrière plutôt que de faire appel à des Zambiens plus qualifiés. Alors que cela n'aurait pas dû poser de problèmes, il s'avère malheureusement qu'aucun membre du personnel recruté au sein de l'administration n'a fait preuve d'un engagement dans le domaine des droits de l'homme. Ni le premier directeur par intérim, ni le directeur actuel, un avocat nommé en 1998, ne possédaient d'expérience préalable dans le domaine des droits de l'homme. Bien que des personnes qualifiées et plus expérimentées avaient posé leur candidature au poste de directeur, on ne connaît toujours pas les raisons qui ont poussé la commission à choisir un directeur moins expérimenté sans expérience en matière de droits de l'homme. Sur papier, la commission dispose d'une structure administrative élaborée mais cette structure n'a pas encore été rendue opérationnelle. La seule exception semble être le département enquêtes qui dispose d'un personnel qualifié mais il lui manque encore un directeur. Pour être tout à fait honnête envers les membres du personnel administratif, on ne sait pas non plus si, à supposer qu'ils soient plus dynamiques, la commission publierait le résultat de leurs travaux ou agirait en conséquence.

Les termes du mandat de la Commission des droits de l'homme restent vagues et généraux. La commission s'en défend, affirmant que ses contraintes financières limitent sa capacité de poursuivre des projets plus spécifiques. Bien que cette explication soit légitime, il faut néanmoins ajouter que les priorités de la commission restent imprécises et que certaines sont même discutables. Par exemple, l'intérêt dont font preuve les commissaires pour se rendre à l'étranger et pour rénover leurs nouveaux locaux a consommé une grande partie de leur temps, contrastant fortement avec leur incapacité à élaborer un programme national visible, mis à part le travail réalisé dans les prisons.

Bien que les commissaires soient confrontés à de réelles contraintes imposées par le gouvernement, certaines limitations semblent également émaner de l'intérieur de la Commission des droits de l'homme. Il est manifeste que les commissaires sont prudents lorsqu'il s'agit d'assurer un suivi des recommandations initiales que le gouvernement a rejetées ou de toucher à des exactions politiquement plus sensibles où le gouvernement est impliqué. En raison d'un manque de pouvoirs, la commission a parfois adopté un ton plus conciliant qu'il ne fallait, pensant que le gouvernement réagirait de manière plus positive. C'est peut-être cette approche trop conciliante qui a incité la commission à recommander un plan de retraite avec avantages sociaux plutôt que des poursuites judiciaires pour les policiers accusés de tortures en 1998.

Au moment de la création de la Commission des droits de l'homme en 1997, deux points de vue divergents divisaient le monde associatif des droits de l'homme. Les uns considéraient la commission comme "un bouledogue inoffensif dressé pour remuer la queue devant l'exécutif et institué uniquement pour apaiser l'opinion des bailleurs de fonds ... [qui] devrait être abattu."15 Les autres préféraient attendre un peu avant d'émettre un jugement qui confirmerait ou infirmerait les réserves émises. Trois années après sa création, il n'existe toujours pas de conclusion définitive. La commission lutte encore pour s'affirmer en tant qu'autorité crédible et efficace, face aux obstacles mis en travers de son chemin par le gouvernement Chiluba.

1 Ceci s'est fait en vertu des dispositions de la Inquiries Act [Loi relative aux Enquêtes], Cap 181, et a été annoncé dans l'article de loi no. 70 (1993). Les autres membres de la commission étaient: le Dr. Joshua Kanganja (vice-président), le Pasteur Ernest Chelelwa, le Dr. Samson S.K. Mundia, M. Alec Chirwa, M. John Sakulanda et Mme Laurah Harrison. M. Jonathan B. Bowa et M. Peter Chitengi ont été respectivement nommés Secrétaire et Secrétaire adjoint. 2 Report of the Human Rights Commission of Inquiry, Lusaka, le 6 septembre 1995, section 4.3, p.58 et Summary of the Report of the Munyama Human Rights Commission of Inquiry and Government Reaction to Recommendations, Document du Gouvernement no.2, 1996. 3 Le principal parti d'opposition avait boycotté les élections de 1996 suite aux manipulations par le MMD du processus de réforme constitutionnelle qui avait sérieusement miné l'impartialité du processus électoral. Le principal candidat de l'opposition avait été disqualifié par un amendement constitutionnel à caractère purement politique. Cet amendement prenait effet au moment même où était introduit l'article établissant la Human Rights Commission. 4 Selon l'article 10(d): "Le Parlement a adopté la Human Rights Act [Loi relative aux Droits de l'Homme] (no.39 de 1996) afin de prévoir la création d'une Commission des droits de l'homme permanente et autonome qui sera chargée de surveiller les violations des droits de l'homme et la mauvaise administration de la justice. Elle veillera également à s'assurer de l'application des recommandations faites par la Commission des droits de l'homme temporaire qui avait été mise sur pied en 1994, sous la présidence de M. Bruce Munyama. Le Président a signé la loi habilitante (no. 34 de 1997) le 14 mars 1997. Les commissaires, dirigés par un éminent juge, ont été ratifiés par le Parlement et ont prêté serment le 4 avril 1997." ["Parliament passed a Human Rights Act (no. 39 of 1996) to provide for the establishment of a permanent and autonomous Human Rights Commission to be a watch dog on human rights violations and maladministration. It will also oversee the implementation of the recommendations of the temporary Human Rights Commission which was appointed in 1994, under the chairmanship of Mr. Bruce Munyama. The President signed the enabling Statutory Instrument (no.34 of 1997) on March 14, 1997. The commissioners, led by an eminent judge, have been ratified by Parliament and were sworn in on 4 April 1997."] Gouvernement de la République de Zambie, Report of the Proceedings of the Meeting with Donors, Held in London on 25th April 1997 (Lusaka: Gouvernement de la République de Zambie, le 9 mai 1997), p.6. 5 Human Rights Watch, "Zambia: The Reality Amidst Contradictions: Human Rights Since the 1996 Elections," A Human Rights Watch Short Report, vol.9, no.3(a), juillet 1997. 6 "issue summons or orders requiring the attendance of any authority before the Commission." 7 "release of a person from detention; the payment of compensation to a victim of human rights abuse ...[and] that an aggrieved person seek redress in a court of law." 8 Aux mois de juin et de juillet 1996, un groupe jusqu'alors inconnu appelé les "Black Mamba" a été accusé par le gouvernement d'avoir commis une série d'attentats et d'alertes à la bombe à Lusaka, sur la Copperbelt, à Ndola et Kitwe. La plupart des attentats n'avaient causé que des dégâts mineurs, mais le 6 juin, alors qu'il essayait de désamorcer une bombe placée dans l'Aéroport International de Lusaka, un expert en déminage a été tué et un autre grièvement blessé. Le Chef Inyambo Yeta, vice-président de l'UNIP, et sept autres membres de l'UNIP ont été arrêtés et accusés de trahison et de meurtre dans le cadre des attentats. Après avoir entendu près de cinquante témoins, le procès n'a pu apporter que peu de preuves. Il semblerait que ces personnes aient été détenues uniquement à cause de leur appartenance politique. Deux des inculpés ont été libérés et les six autres ont été acquittés par le juge Nsokolo. 9 Republic of Zambia Permanent Human Rights Commission, "Report of the Permanent Human Rights Commission to the Second Conference of African National Institutions for the Promotion and Protection of Human Rights", juillet 1998, p.6. 10 "Zambia's Leading Watchdog Criticised," Interpress Service, le 19 août 1999. 11 "visit prisons and places of detention or related facilities with a view to assessing and inspecting conditions of the persons held in such places and make recommendations to redress existing problems." Human Rights Commission Act, no.39 (1996), article 9(d). 12 Entretiens de Human Rights Watch avec Madame le juge Lombe Chibesakunda, présidente de la Human Rights Commission, et Lavu Mulimba, porte-parole de la Human Rights Commission, Lusaka, Zambie, le 23 décembre 1999. 13 La réglementation est entrée en vigueur au moment où le gouvernement essayait d'empêcher l'ancien président Kenneth Kaunda de faire des déclarations à la presse internationale alors qu'il était en détention en lien avec le coup d'Etat manqué de 1997. 14 Entretien de Human Rights Watch avec Madame le juge Lombe Chibesakunda, présidente de la Human Rights Commission, Lusaka, Zambie, le 23 décembre 1999. 15 "Zambia: Editorial Says Zambian Rights Commission `Toothless'," The Post (Zambie), le 8 octobre 1998.
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