Human Rights Watch

Les Commissions gouvernementales des droits de l'homme en Afrique : Protecteurs ou Pretendus Protecteurs?
Facteurs Importants








Présentation Générale

Résumé

Normes Iinternationales: les Principes de Paris

Facteurs Importants

Etat des Lieux

Contributions Innovatrices et Positives des Commissions

Les Iniatives Régionales

Le Role de la Communauté Internationale

Conclusion

Recommandations

Abréviations

Remerciements





    Facteurs Importants


    Bien qu'il n'existe pas de formule unique pour créer une commission des droits de l'homme active et crédible, un certain nombre de facteurs sont importants pour permettre à une commission des droits de l'homme de remplir pleinement son rôle. Il s'agit du mandat légal officiel, de la sélection des membres de la commission, du type d'activités sur lesquelles la commission choisit de se concentrer, et des relations qu'elle entretient avec les organisations de la société civile. Mandat de l'institution Une condition préalable essentielle que doit remplir une commission des droits de l'homme forte est qu'elle doit avoir un mandat légal et les pouvoirs qui l'accompagnent pour pouvoir fonctionner efficacement. Les commissions des droits de l'homme d'Afrique varient énormément sur ce plan mais on peut les classer de façon générale. La moitié environ des commissions des droits de l'homme existant en Afrique ont été créées par un texte constitutionnel ou législatif. Bien que cela ne garantisse pas une plus grande autonomie ou activité, il est un fait que toutes les commissions des droits de l'homme qui sont les plus actives ou prometteuses ont été créées de cette façon. Les commissions formées par décret ou ordonnance du pouvoir exécutif tendent par contre à être moins actives et moins autonomes et elles montrent des signes de vulnérabilité à une dissolution ou aux pressions du pouvoir exécutif. Interrogé sur ce qui importe le plus pour avoir un fonctionnement efficace, le commissaire ghanéen, Emile Short, a répondu : « L'indépendance... même le sentiment d'indépendance est important. Vous devez êtes vus comme une institution indépendante. La plupart des gouvernements africains n'ont pas encore saisi le concept d'indépendance. Ils ont le sentiment que vous devez être reconnaissant au gouvernement en place ».1 Les mandats attribués aux commissions des droits de l'homme existant en Afrique les investissent toutes en principe de la responsabilité de promouvoir et de protéger les droits de l'homme, avec toutefois des différences sur le plan de l'étendue de leurs pouvoirs. En Afrique, les différences entre les commissions sont considérables - cela va de la commission des droits de l'homme mauritanienne qui mène uniquement des activités consultatives et promotionnelles à la commission des droits de l'homme ougandaise qui a les pouvoirs quasi-judiciaires de convoquer un tribunal des droits de l'homme pour se prononcer sur des plaintes. Seules la Mauritanie et l'Afrique du Sud ont des dispositions spéciales dans leur texte fondateur qui font mention des droits économiques et sociaux. Toutefois, s'ils en ont la volonté, la plupart des commissaires des droits de l'homme peuvent interpréter leur mandat de façon à aborder, du moins dans une certaine mesure, pratiquement toute question relative aux droits de l'homme dans leur pays, et même opérer un choix important entre se concentrer sur le travail de promotion des droits de l'homme et d'éducation aux droits de l'homme ou aborder également le travail, plus sensible sur le plan politique, de la protection des droits de l'homme. Les pouvoirs dont dispose une commission des droits de l'homme sont essentiels pour exercer des activités de protection. Cela ne signifie pas qu'une commission des droits de l'homme doit se voir confier des fonctions législatives, de maintien de l'ordre, ou judiciaires. Le rôle d'une commission des droits de l'homme n'est pas de remplacer ou de faire double emploi avec d'autres institutions chargées de faire appliquer la loi, telles que le pouvoir législatif, la police ou le pouvoir judiciaire. Son rôle est plutôt d'inciter les autres organes de l'Etat à assumer leurs responsabilités en matière de promotion et de protection des droits de l'homme. En ce qui concerne sa capacité à faire respecter la loi, ses rapports avec les autres agences ou commissions gouvernementales et avec le système judiciaire sont importants. L'idéal serait que la commission des droits de l'homme soit un élément central du cadre institutionnel général mis en place par le gouvernement pour la promotion et la protection des droits de l'homme et qu'elle travaille conjointement avec les autres ministères ou institutions gouvernementales. Les autres agences gouvernementales ne devraient pas être autorisées à passer outre aux recommandations de la commission ou à entraver sa capacité à remplir son mandat. En cherchant à renforcer le rôle des commissions des droits de l'homme, la communauté internationale doit adopter une approche globale qui cherche aussi à renforcer l'indépendance du pouvoir judiciaire et la responsabilisation des forces de l'ordre. Il ne serait pas raisonnable de s'attendre à ce qu'une commission des droits de l'homme soit investie de tous les pouvoirs contraignants dont dispose un ensemble d'organes gouvernementaux qui travaillent ensemble. A cet égard, les commissions des droits de l'homme doivent souvent transmettre les résultats de leurs recherches ou leurs recommandations à un autre organe gouvernemental, normalement les branches exécutive ou judiciaire. Mais il est vital pour une commission des droits de l'homme d'avoir certains pouvoirs quasi-judiciaires, notamment la compétence d'enquêter librement à propos des plaintes et de remettre ses conclusions aux autorités administratives ou judiciaires compétentes afin que des poursuites pénales ou autres actions appropriées puissent être entamées contre les personnes soupçonnées de violations des droits de l'homme. Ces pouvoirs et cette autorité sont nécessaires pour que la commission nationale des droits de l'homme puisse gagner et préserver la confiance du grand public, et surtout celle des victimes d'atteintes aux droits de l'homme. De cette façon, les pouvoirs d'enquête de la commission ont un but : celui de demander des comptes et de rendre justice au nom de la société. Ainsi, bien que la commission nationale des droits de l'homme d'Afrique du Sud ait du mérite à bien des égards, elle se voit néanmoins gênée dans son travail car après avoir étudié une question, le plus qu'elle peut faire est d'émettre des recommandations au gouvernement qui peut décider ou non de les mettre en _uvre et n'est en fait même pas obligé par la loi de réagir. Certains gouvernements se sont évidemment trop bien rendu compte de cette réalité et ils ont créé une commission des droits de l'homme pour rechercher une légitimité mais dans les faits, ils ont limité ses pouvoirs et généré dès le départ une inefficacité dans son fonctionnement. La transparence du travail constitue un autre facteur important. Par exemple, les commissions des droits de l'homme du Kenya et du Cameroun ont pour unique mandat de remettre les résultats de leurs recherches au président du pays. L'obligation de garder le silence signifie qu'elles sont exclues du débat public, qu'elles ne font pas de déclaration publique sur les questions des droits de l'homme qui sont d'un intérêt fondamental pour la nation et qu'elles sont incapables de se créer une réputation auprès du public. La crédibilité de ces deux institutions a souffert du fait que le public a le sentiment que ces commissions sont totalement inactives en raison de leur mutisme. La transparence au niveau du fonctionnement est donc capitale pour le succès de toute commission nationale des droits de l'homme. Si la population ne peut pas voir que la commission est active et qu'elle défend ses intérêts et si elle ne peut pas évaluer les résultats de son travail, elle ne peut pas non plus s'assurer de son indépendance. Pour se développer, une commission des droits de l'homme doit être en mesure d'opérer librement dans le domaine public car c'est à travers la publicité faite dans les médias et en sensibilisant la population à ses activités qu'une commission peut gagner la confiance du public et contribuer également à ce que les victimes d'exactions aient suffisamment confiance pour présenter leurs plaintes. Même si elle peut avoir un impact positif dans certaines situations, une commission qui opère à huis clos passera pourtant très facilement, aux yeux du public et de ceux dont les droits humains ont été bafoués, pour un organe manquant d'indépendance, de crédibilité et d'intégrité, voire même pour un organe plus soucieux de dissimuler les exactions commises par l'Etat que de les exposer et de les combattre. La transparence devrait être un élément indispensable du travail d'une commission. Sélection des membres de la commission L'un des facteurs clés qui déterminera l'autonomie et l'efficacité d'une commission des droits de l'homme est sa composition, notamment le processus et les critères de nomination de ses membres. Il est intéressant de constater que même les gouvernements qui créent des commissions des droits de l'homme pour les motifs les plus fallacieux et les plus intéressés nomment souvent au sein de ces commissions des personnes intègres et d'un certain renom qui, pensent-ils, seront malléables. Mais en fin de compte, ces personnes peuvent faire preuve d'une indépendance, d'une intégrité et d'un courage inattendus. Par conséquent, les commissions présentant des structures officielles parmi les plus faibles peuvent parfois avoir un impact beaucoup plus positif sur les droits de l'homme que quiconque ne l'aurait pensé, et surtout le gouvernement qui les a créées, en dépit des personnes choisies pour y siéger. Il ne s'agit en aucun cas d'un phénomène visible uniquement en Afrique.2 Par contre, comme d'autres exemples africains le montrent clairement, une commission bénéficiant d'une structure législative solide et d'un budget suffisant peut être presque totalement fragilisée si les personnes nommées n'ont pas les qualités requises, sont dociles au gouvernement ou ne sont simplement pas à la hauteur de la tâche. Un bon processus de nomination au sein d'une commission nationale des droits de l'homme est un processus transparent, qui se fait véritablement en concertation avec les groupes de la société civile concernés afin d'identifier de bons candidats potentiels. Dans certains cas, la contribution des ONG du pays s'inscrit dans un processus participatif au cours duquel les ONG proposent, voire même élisent, des représentants qui siégeront à la commission. Dans d'autres cas, les gouvernements ont cherché à obtenir une participation des ONG mais uniquement en posant leurs conditions et dans le seul but d'ajouter une touche de légitimité à ce qu'ils voulaient être une commission faible. Dans ces circonstances, les ONG ont parfois refusé toute participation. Cela a été le cas au Cameroun et au Liberia où des militants d'ONG à qui l'on avait demandé de siéger à la commission nationale des droits de l'homme ont refusé de le faire. Un autre facteur à prendre en compte lors de la sélection des commissaires est celui de la diversité. Dans les pays où règnent des tensions ethniques ou religieuses, il est particulièrement important que la composition de la commission nationale des droits de l'homme reflète cette diversité et il est tout aussi important qu'elle indique clairement qu'elle existe pour tous les secteurs de la société. De même, un équilibre entre les sexes permet également de souligner l'importance des droits de la femme et le fait que la commission représente la communauté entière. La diversité est aussi une force pour le travail de fond : lorsque les commissaires provenant de différents milieux apportent leurs différents points de vue, cela peut avoir un effet enrichissant sur la qualité du travail de la commission. Bien sûr, la diversité peut également contribuer à accroître la confiance de la population envers la commission. Ce qui importe, c'est d'avoir une véritable diversité mais il faut toutefois veiller à ce que cet effort de diversité ne soit pas consenti pour la forme et n'affaiblisse pas le travail de la commission avec la présence de personnes qui n'y connaissent rien aux droits de l'homme. Une expérience directe de travail des droits de l'homme est évidemment un atout pour quelqu'un nommé au sein d'une commission nationale des droits de l'homme mais le passé montre, du moins en Afrique, que cela ne garantit pas nécessairement le dynamisme de la commission. Tant au Bénin qu'au Tchad, les militants locaux des droits de l'homme ont contribué à promouvoir la création des commissions des droits de l'homme et dans le cas tchadien, des représentants d'ONG des droits de l'homme siègent à la commission. Pourtant, ces deux commissions se sont détournées du travail politiquement sensible de protection des droits de l'homme, favorisant plutôt le travail d'éducation aux droits de l'homme. Face à cela, on peut citer le cas d'un commissaire nommé directement par le président - le Ghanéen Emile Short, un avocat qui avait travaillé auparavant dans le privé et qui n'avait aucune expérience notable dans le domaine des droits de l'homme - qui a créé ce qui constitue sans aucun doute l'une des commissions des droits de l'homme les plus crédibles. Il semble que l'intégrité, la force de caractère, l'esprit indépendance, la volonté politique et l'anticipation sont des attributs bien plus importants - ce sont ces qualités qui seront nécessaires lorsque la commission croisera le fer avec le gouvernement en place et sera soumise à des pressions politiques, des harcèlements, ou pire encore. Au moment de leur nomination, la plupart des commissaires nommés au sein des commissions nationales des droits de l'homme existant en Afrique ne connaissaient que peu ou pas du tout les normes juridiques internationales ou le travail réalisé par les commissions des droits de l'homme ailleurs dans le monde. Ils proviennent d'une large variété de milieux professionnels, par exemple de cabinets d'avocats, du monde universitaire ou de l'administration. Certains ont fait des efforts impressionnants depuis leur nomination pour en savoir plus sur la législation des droits de l'homme et sur le travail d'autres commissions et le Haut Commissariat de l'ONU aux Droits de l'Homme a contribué à ce processus. La formation et l'apprentissage au sein d'autres commissions plus expérimentées en Afrique ou dans d'autres régions du monde peuvent aider grandement à remédier au manque de connaissances et d'expérience préalables. Bien que le manque de connaissances dans le domaine des droits de l'homme soit de toute évidence un inconvénient, il s'agit là d'un problème auquel on peut remédier par la formation et l'immersion directe. Par contre, ce qui ne peut être insufflé si facilement et qui est pourtant crucial, c'est la conviction personnelle et l'engagement envers les droits de l'homme dont tous les commissaires ont besoin pour travailler efficacement au nom de ceux dont les droits sont bafoués par les gouvernements et les puissants. Les commissaires et leur personnel administratif ont tous besoin d'être bien informés et de se familiariser avec les normes internationales des droits de l'homme et avec les obligations spécifiques qui incombent à leur pays en vertu des traités, notamment celles d'observer, de protéger et de promouvoir les droits de l'homme. Par conséquent, il est important que lorsque de nouveaux commissaires sont nommés, ils acquièrent très rapidement une bonne compréhension de ces éléments et si possible, qu'ils bénéficient des programmes de formation et d'assistance appropriés organisés par l'ONU ou d'autres organismes. Les commissaires doivent également être mis au courant des procédures d'enquête à suivre, sauf s'ils ont déjà une expérience en ce domaine, et apprendre comment assumer leur responsabilité par rapport aux plaignants ou aux autres personnes qui, en se présentant devant eux, risquent de s'exposer à des représailles. Les commissaires doivent être particulièrement sensibles aux besoins et aux inquiétudes des victimes ou des témoins et ils doivent éviter de commettre des erreurs comme celle commise par la commission nationale sud-africaine des droits de l'homme lorsqu'elle manquait encore d'expérience et qu'elle avait autorisé les gardiens de prison à être présents lors d'entretiens avec des détenus sur leurs conditions d'incarcération et la façon dont ils étaient traités. Ce n'était vraiment pas le moyen de mettre à l'aise les personnes interrogées et de gagner leur confiance. Il faut mettre au crédit de la commission qu'une enquête ultérieure a été menée pour corriger cette erreur méthodologique. Ceci illustre l'importance de la formation professionnelle des membres de la commission et de son personnel, qui même avec les meilleures intentions, peuvent involontairement mettre en danger des victimes ou des témoins. Les programmes de formation pour les membres des commissions nationales des droits de l'homme devraient toujours inclure une étude des normes internationales des droits de l'homme, notamment des Principes de Paris, et si possible, donner des exemples comparatifs d'expérience positive d'autres commissions des droits de l'homme. Ces programmes de formation devraient également inclure des contributions d'ONG et de militants locaux des droits de l'homme afin que les commissaires nationaux des droits de l'homme obtiennent une gamme complète de points de vue sur les priorités et problèmes majeurs du pays en matière de droits de l'homme ; il s'agira aussi d'un premier pas vers l'établissement de ce qui devrait être une relation réciproque de collaboration et de complémentarité. Activités Les gouvernements et la communauté internationale tendent à focaliser leur attention sur la structure formelle d'une commission et sur les décisions qui sont prises au moment de sa création mais ils ne font par la suite pas d'évaluation précise de ce que cette commission réalise ni de l'impact qu'elle a. Ils manquent de vision. Pourtant, même si la loi est fort bien élaborée, la création d'une commission des droits de l'homme ne peut être une fin en soi. Une fois la commission formée, il faut continuer à l'évaluer sur base de ses réalisations et de son impact. L'ensemble de la communauté internationale a clairement intérêt, si elle croit vraiment dans les droits de l'homme, à veiller à ce que toutes les commissions nationales des droits de l'homme donnent toute leur mesure et à leur faire savoir lorsqu'elles répondent à ce critère et surtout, lorsqu'elles n'y répondent pas. Le véritable impact de la commission sur la vie de la population du pays peut se mesurer à son accessibilité pour les particuliers. Une commission peut esquiver bon nombre de ses responsabilités simplement en n'étant pas disponible pour recevoir les plaintes individuelles ou en évitant les déclarations publiques qui sont critiques envers le gouvernement. Lorsqu'elles étudient la question de l'accessibilité, les commissions devraient trouver des moyens de se rendre accessibles aux populations rurales, en ayant des heures de permanence qui peuvent convenir au public qui travaille et en ayant des bureaux visibles et libres d'accès où les personnes peuvent se rendre sans être découragées par une paperasserie rebutante ou par crainte de représailles. Bien que le travail d'éducation et de promotion des droits de l'homme soit très important, la capacité d'une commission des droits de l'homme à avoir un impact significatif réside dans sa capacité à mener des activités de protection des droits de l'homme ; en d'autres termes à enquêter à propos des violations des droits de l'homme et à chercher des voies de recours ou de réparation pour les victimes. Bien que le travail de promotion des droits de l'homme soit important et qu'il faille éduquer les personnes aux droits de l'homme, il faut aussi leur montrer que si et quand leurs droits sont menacés, il existe des moyens effectifs de protéger ces droits. Certaines commissions des droits de l'homme suivent une procédure de médiation où les victimes des atteintes aux droits de l'homme reçoivent souvent une compensation financière. Cette procédure est efficace dans la mesure où certaines victimes reçoivent une aide dont elles avaient fort besoin après les abus dont elles avaient fait l'objet mais la médiation seule ne peut s'attaquer à la question plus fondamentale de la responsabilité des auteurs des violations. Un policier, un soldat ou tout autre agent de l'Etat qui commet ce type d'exactions risque de ne pas être suffisamment dissuadé de récidiver si la seule conséquence qu'il entrevoit est tout au plus une amende qui sera probablement payée par l'Etat. Par conséquent, il est de loin préférable que les commissions nationales des droits de l'homme disposent de davantage de pouvoirs sur le plan des poursuites et des enquêtes et qu'elles n'opèrent pas uniquement sur base d'une médiation. Que la commission suive la procédure de médiation ou d'investigation, ou une combinaison des deux, il est très important qu'elle ait le pouvoir de citer des témoins, d'ordonner la remise de documents et qu'elle ait un accès illimité aux lieux d'accès restreint, en particulier les locaux des forces de maintien de l'ordre qui sont souvent responsables des violations perpétrées par l'Etat. Financement Les gouvernements ont l'obligation d'accorder à leurs commissions des droits de l'homme les ressources financières suffisantes pour remplir leurs fonctions. Le budget prévu pour la commission est un bon indicateur du degré d'engagement d'un gouvernement par rapport à sa commission des droits de l'homme. Le critère devrait être d'accorder ce que reçoivent les autres agences gouvernementales et le budget devrait être fixé de façon à ce qu'il ne puisse être utilisé comme arme pour influencer le travail de la commission. Le budget devrait être voté par le pouvoir législatif, et non pas alloué par l'exécutif, pour bien montrer à la population que l'exécutif entend répondre de ses actes. Une fois alloué, le budget de la commission devrait être autogéré sans ingérence, tout en étant soumis uniquement aux règles d'audit habituelles. La plupart des commissions des droits de l'homme d'Afrique souffrent d'un financement insuffisant, ce qui entrave fortement les efforts qu'elles font pour devenir des institutions viables. Dans certains cas, le manque de financements peut être dû en partie aux difficultés économiques touchant l'ensemble des pays africains, certaines de ces difficultés étant exacerbées par les programmes d'ajustement structurels mis en _uvre sur tout le continent sur ordre des institutions financières internationales, programmes qui ont généralement conduit à des coupes dans les budgets gouvernementaux. Bon nombre de gouvernements africains sont confrontés à une dévaluation de leur monnaie, à une chute de leurs revenus et à des déficits commerciaux, ce qui a un impact négatif sur le niveau des ressources allouées aux activités des droits de l'homme, notamment à celles des commissions nationales des droits de l'homme. Dans certains pays cependant, le refus d'octroyer des financements publics aux commissions nationales des droits de l'homme sert de moyen direct à l'Etat pour exercer un contrôle. Au Cameroun par exemple, le financement de la commission a fait l'objet de réductions drastiques pendant deux ans, après qu'elle ait critiqué les exactions commises par le gouvernement dans un rapport confidentiel sur l'état d'urgence dans la province du nord-ouest en 1992. En Zambie, la commission, déjà à court d'argent, s'est vu retirer l'autorisation de s'installer dans les locaux promis par le gouvernement après avoir fait des remarques sur des actes de torture commis sur des personnes détenues en lien avec la tentative de coup d'Etat de 1996. Au Liberia, le gouvernement Taylor a refusé de prévoir dans le budget un financement pour la commission nationale des droits de l'homme sous prétexte que cela compromettrait l'indépendance de la commission. Le manque de financement peut également être un prétexte derrière lequel se retranchent les commissaires trop accommodants. Human Rights Watch a constaté dans ses entretiens avec des membres de commissions des droits de l'homme que c'était immanquablement les commissions les plus inactives qui invoquaient tant et plus le manque de financement pour excuser leur inertie. Même si pratiquement toutes les commissions des droits de l'homme d'Afrique auraient bien besoin de plus de crédits, ce sont les institutions faisant preuve d'inertie qui ont surtout soulevé le problème du manque de moyens. Par contre, les commissions des droits de l'homme les plus crédibles et actives n'ont jamais invoqué le manque de crédits comme excuse pour expliquer leur inertie, même si elles ont aussi mentionné qu'elles étaient limitées par les finances. En fait, les membres des commissions les plus actives ont souvent décrit à Human Rights Watch les moyens qu'ils avaient trouvés de contourner les limites budgétaires par des initiatives peu coûteuses mais très payantes telles que des interviews dans la presse, des déclarations publiques et en coopérant avec les ONG ou en mettant sur pied des projets communs avec elles. La plupart des commissions nationales des droits de l'homme peuvent accepter, et elles le font, des crédits provenant de sources autres que leur gouvernement. Ces bailleurs de fonds peuvent être des pays, notamment les Etats-Unis, le Canada, les pays européens, ou d'autres donateurs privés. Le soutien de la communauté internationale est une lame à double tranchant:  d'une part, elle peut apporter un appui tant matériel que politique à une commission des droits de l'homme, ce qui est positif. Un gouvernement qui sait que la communauté internationale observe et soutient sa commission des droits de l'homme est moins susceptible d'intervenir ouvertement dans le travail de la commission. D'autre part, les financements internationaux octroyés aux commissions des droits de l'homme qui sont liées au pouvoir exécutif peuvent conférer une légitimité à une commission peu active qui ne contribue pas à la protection des droits de l'homme. Les financeurs se sont précisément trouvés devant ce dilemme lorsqu'ils ont dû décider d'apporter ou non un soutien à la commission des droits de l'homme nigériane durant le régime militaire. Au moment où le gouvernement a formé la commission des droits de l'homme, il a demandé à l'ONU de fournir une coopération technique à la commission tout en contestant la légitimité des critiques de la Commission des Droits de l'Homme de l'ONU à l'encontre du régime et en refusant d'octroyer un visa au rapporteur spécial de l'ONU sur le Nigeria. Les bailleurs de fonds, c'est bien compréhensible, hésitaient beaucoup à subsidier la commission des droits de l'homme nigériane de crainte que cela ne soit considéré comme un acte légitimant une commission faible ou que le gouvernement ne profite des circonstances et n'interprète cet acte comme un signe de confiance. En même temps, le manque de soutien international a isolé davantage encore les commissaires qui essayaient d'agir dans cet espace politique fort restreint. Un membre de la commission nigériane, le juge Paul K. Nwokedi, a déclaré à Human Rights Watch que la commission avait éprouvé énormément de difficultés à obtenir des financements étrangers sous le gouvernement militaire en raison du contexte de répression politique dans lequel elle avait été mise sur pied. Il a néanmoins fait remarquer que les crédits internationaux auraient aidé les membres de la commission à tenir le pouvoir exécutif à distance : « Si un gouvernement militaire sait que vous recevez un soutien international, il y réfléchira à deux fois avant d'exercer des pressions sur vous. Nous avons besoin de tous les encouragements possibles pour faire du bon travail ».3 Même si les crédits extérieurs apportent un soutien important aux commissions des droits de l'homme, surtout dans les pays aux ressources financières limitées, le financement international ne devrait pas remplacer le soutien du gouvernement. Chaque gouvernement devrait investir dans sa commission nationale des droits de l'homme. Lorsqu'ils fournissent un soutien complémentaire, les bailleurs de fonds internationaux devraient clairement préciser que ces financements ne constituent qu'un complément et qu'ils ne remplacent pas les fonds versés par le gouvernement du pays. Les gouvernements devraient prévoir un budget et des conditions de travail pour leurs commissaires comparables à ceux prévus pour d'autres organes importants de l'Etat. Bien que le financement extérieur joue un rôle important en permettant aux commissions des droits de l'homme d'entreprendre davantage d'activités, il est important que les bailleurs de fonds internationaux assortissent les dons qu'ils versent aux commissions des droits de l'homme d'un appel lancé aux gouvernements pour qu'ils fournissent à leurs commissions les crédits nécessaires, et de pressions sur les commissaires pour qu'ils jouent un rôle plus dynamique. Relations avec les associations non gouvernementales L'indépendance, la diversité et le dynamisme des différents secteurs de la société civile tels que les ONG de défense des droits de l'homme et les médias indépendants, revêtent une importance capitale pour la promotion et la protection des droits de l'homme. Dans le mouvement des droits de l'homme, certains secteurs de la société civile ont joué un rôle crucial en amenant les gouvernements partout dans le monde à rendre davantage compte de leurs actes et à respecter davantage les droits de l'homme. Reconnaissant ce lien important, le paragraphe C(7) des Principes de Paris souligne que les commissions des droits de l'homme doivent : « Compte tenu du rôle fondamental que jouent les organisations non gouvernementales pour amplifier l'action des institutions nationales, développer les rapports avec les organisations non gouvernementales qui se consacrent à la promotion et la protection des droits de l'homme, au développement économique et social, à la lutte contre le racisme, à la protection des groupes particulièrement vulnérables (notamment les enfants, les travailleurs migrants, les réfugiés, les handicapés physiques et mentaux) ou à des domaines spécialisés ». Les commissions nationales des droits de l'homme jouent un rôle différent de celui des ONG des droits de l'homme. En tant qu'institutions nationales créées par le gouvernement, les commissions des droits de l'homme sont investies du large pouvoir de parler au nom de la nation et de demander des comptes aux autres organes de l'Etat s'ils bafouent les droits de l'homme. Par contre, même les commissions nationales des droits de l'homme les plus indépendantes se sentiront généralement davantage sous pression que les groupes militants de la société civile qui se sont donné le mandat d'informer et de dénoncer publiquement les atteintes aux droits de l'homme. Souvent, les ONG des droits de l'homme et la presse indépendante sont plus solidement enracinées et ne s'effarouchent pas à l'idée de dénoncer des violations des droits de l'homme plus sensibles sur le plan politique. Cela signifie qu'elles s'attaquent aux problèmes les plus urgents mais qu'en contrepartie elles sont plus souvent en butte aux attaques des milieux gouvernementaux. Dans certains cas, les gouvernements ont reconnu ce lien important et ont intégré les relations officielles avec les ONG dans le texte fondateur. Parfois, des représentants des ONG sont membres mandataires d'une commission gouvernementale des droits de l'homme. C'est le cas au Bénin, au Maroc et au Sénégal. Dans d'autres cas, l'une des responsabilités de la commission gouvernementale est d'établir des liens avec les ONG. C'est le cas de la commission malawienne. Ailleurs, les liens sont moins officiels et ce sont les organismes gouvernementaux des droits de l'homme qui décident s'ils vont consulter, coopérer et soutenir le cercle des ONG. Les commissions gouvernementales des droits de l'homme ne peuvent pas remplacer les ONG pour superviser les droits de l'homme et plaider pour des changements, mais une véritable collaboration et concertation avec ce milieu peut conduire à l'union de deux forces - l'une au sein du gouvernement et l'autre en dehors - jouissant d'un grand potentiel pour faire respecter les droits de l'homme. Les commissions des droits de l'homme peuvent servir d'important écran de protection aux ONG des droits de l'homme. La commission togolaise, créée en 1987, l'a fait remarquablement : au cours de ses premières années d'existence, elle a beaucoup contribué à créer les conditions qui ont permis l'émergence des ONG locales de défense des droits de l'homme qui existent aujourd'hui et que, malheureusement, la commission nationale actuelle, qui a beaucoup changé par rapport à cette époque de dynamisme et d'audace, passe son temps à dénigrer. Une commission des droits de l'homme peut être un interlocuteur constructif entre le gouvernement et la société civile pour ce qui touche aux droits de l'homme et elle peut offrir un écran de protection et un soutien au mouvement des ONG. Les relations qu'entretient une commission gouvernementale des droits de l'homme avec les secteurs de la société civile du pays peut être un bon baromètre de son autonomie et de sa crédibilité. Plus particulièrement, des relations constructives avec les ONG des droits de l'homme en disent long sur le sérieux avec lequel une commission des droits de l'homme voit ses responsabilités et sur la crédibilité qu'elle a en ne se laissant pas manipuler par ceux qui, au gouvernement, pourraient chercher à réduire les ONG au silence. Human Rights Watch a constaté que les commissions des droits de l'homme africaines qui cherchaient à créer et à valoriser les partenariats avec les cercles d'ONG de leurs pays étaient invariablement celles qui présentaient le bilan le plus positif. Par exemple, la Uganda Human Rights Commission [Commission ougandaise des droits de l'homme] (UHRC) considère ses relations avec les associations locales et internationales des droits de l'homme comme un partenariat. Selon la présidente de la UHRC, Margaret Sekaggya, le travail de la UHRC et des associations non gouvernementales des droits de l'homme est « fondé sur la réciprocité et la complémentarité ».4 Emile Short, membre de la Commission on Human Rights and Administrative Justice [Commission ghanéenne des droits de l'homme et de la justice administrative] (CHRAJ) « a conscience de l'importance d'établir et de maintenir une coopération étroite avec les organisations non gouvernementales qui sont engagées directement ou indirectement dans la promotion et la protection des droits de l'homme »5 et il a mis sur pied un comité de coordination des ONG des droits de l'homme chargé de discuter des priorités et stratégies permettant d'_uvrer ensemble au progrès de la cause des droits de l'homme. La CHRAJ collabore activement avec les ONG tant pour le travail de protection que pour celui de promotion des droits de l'homme. Dans certains cas, les commissions nationales des droits de l'homme ont été instituées par des gouvernements cherchant à dominer le milieu des droits de l'homme et à supplanter les ONG indépendantes critiques à l'égard du gouvernement. Parfois, les membres des commissions des droits de l'homme remplissent ce rôle et font le sale travail en défendant la conduite du gouvernement ou en dénonçant les rapports critiques des ONG des droits de l'homme, comme c'est arrivé en Algérie, en Tunisie, au Togo et au Soudan. Dans d'autres cas, au Kenya par exemple, les commissions gardent le silence face aux attaques lancées par le gouvernement contre les défenseurs et les ONG des droits de l'homme. Mais malgré les intentions des gouvernements, les membres des commissions n'acceptent pas tous de se comporter de cette façon. A ce propos, on peut par exemple comparer la pratique des commissions kenyane et nigériane des droits de l'homme, toutes deux existant dans des pays comptant des cercles d'ONG des droits de l'homme énergiques et vigoureux qui sont au premier plan dans la lutte pour un changement démocratique et qui, par conséquent, sont souvent en butte aux attaques du gouvernement. Dans ces deux pays, des dirigeants répressifs - le Président Daniel arap Moi au Kenya et le Général Sani Abacha au Nigeria - ont créé des commissions nationales des droits de l'homme essentiellement pour anticiper les critiques de la communauté internationale et aucune de ces deux commissions n'a jamais soulevé les problèmes des droits de l'homme plus sensibles au plan politique. Cependant, leurs rapports avec le milieu des ONG présentent des différences prononcées. Dans le cas du Kenya, Onesimus Mutungi, le président du Standing Committee on Human Rights [Comité permanent des droits de l'homme] a adopté une attitude distante par rapport aux ONG locales et internationales des droits de l'homme. Régulièrement, les ONG se sont vues menacées par le Président Moi de harcèlement ou de retrait de leur statut juridique sans recevoir le moindre soutien du Standing Committee on Human Rights. Au Kenya, la coopération ou concertation entre l'organisme gouvernemental et les ONG est quasi inexistante, pour ne pas dire totalement. Par contre, au Nigeria, la commission des droits de l'homme, limitée tout autant, voire plus, par le gouvernement, a à plusieurs reprises aidé et protégé les ONG et les militants des droits de l'homme les plus remuants. Les militants nigérians des droits de l'homme confirment que la commission nationale nigériane des droits de l'homme présidée par Paul K. Nwokedi a cherché à aider le milieu des ONG en butte à de sévères attaques du gouvernement militaire d'Abacha. La commission nationale des droits de l'homme est intervenue lorsque des militants des droits de l'homme se sont vu confisquer leurs passeports par le gouvernement et elle a co-parrainé des séminaires qui n'auraient pu avoir lieu autrement. Il ressort clairement de tout ceci que même dans des situations politiques de répression, les membres des commissions des droits de l'homme ont la possibilité de poser des choix importants.
1 Entretien de Human Rights Watch avec Emile Short, membre de la CHRAJ, Durban, Afrique du Sud, le 3 juillet 1998. 2 Cela a été le cas en Inde où, même avec un texte fondateur fragile, les commissaires ont doté la commission des droits de l'homme d'un programme progressiste qui a conduit à un travail assez considérable dans le domaine des droits de l'homme. 3 Entretien de Human Rights Watch avec le Juge P.K. Nwokedi, président de la Commission des Droits de l'Homme nigériane, Durban, Afrique du Sud, le 2 juillet 1998. 4 Entretien de Human Rights Watch avec Margaret Sekaggya, présidente de la UHRC, Durban, Afrique du Sud, le 2 juillet 1998. 5 Emile Short, membre de la commission ghanéenne, « The Commission on Human Rights and Administrative Justice in Ghana », 1998, p.20.
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