Human Rights Watch

Les Commissions gouvernementales des droits de l'homme en Afrique : Protecteurs ou Pretendus Protecteurs?
Mauritanie








Présentation Générale

Résumé

Normes Iinternationales: les Principes de Paris

Facteurs Importants

Etat des Lieux

Contributions Innovatrices et Positives des Commissions

Les Iniatives Régionales

Le Role de la Communauté Internationale

Conclusion

Recommandations

Abréviations

Remerciements




    Commissariat aux Droits de l'Homme, à la Lutte contre la Pauvreté et à l'Insertion

Origine et mandat

Le Commissariat aux Droits de l'Homme, à la Lutte contre la Pauvreté et à l'Insertion a été créé le 2 juillet 1998, par décret du Premier Ministre. Il s'agit de l'une des plus jeunes commissions des droits de l'homme en Afrique occidentale francophone. C'est également la commission qui a le mandat le plus vaste, dans le sens où il inclut explicitement les droits économiques et sociaux et l'insertion.

La Mauritanie est une république islamique dominée par une présidence forte. La constitution de 1991 prévoit la formation d'un gouvernement civil composé d'un pouvoir exécutif dominant, d'un sénat et d'une assemblée nationale. Le Président Maaouya Ould Sid'Ahmed Taya est chef de l'Etat depuis 1984. Il a gouverné pendant 14 ans en tant que chef de la junte militaire, et depuis 1992, suite aux élections multipartites, en tant que chef d'un gouvernement civil. En décembre 1997, il a été réélu président et officiellement crédité de 90 pour cent des suffrages en dépit d'accusations généralisées de fraude électorale. Bien qu'il y ait eu des améliorations par rapport au passé, le bilan gouvernemental en matière de droits de l'homme reste assez médiocre. Des brutalités policières continuent à être dénoncées, la censure de la presse se poursuit et les conditions carcérales restent pénibles. Un projet de loi d'amnistie a été adopté en 1993, accordant l'amnistie aux auteurs des nombreuses exécutions extrajudiciaires, tortures et autres exactions perpétrées à l'encontre de membres des groupes ethniques du sud entre 1989 et 1991. Bien qu'officiellement proscrits, l'esclavage et la servitude continuent d'exister. Ainsi, de nombreux esclaves affranchis continuent à travailler pour leurs anciens maîtres.

Le gouvernement continue à réprimer et harceler l'opposition politique et la communauté des ONG des droits de l'homme, notamment en refusant de leur accorder un statut juridique. En 1998, trois militants bien connus des droits de l'homme ont été tenus au secret pendant quatre jours pour avoir soi-disant aidé une équipe de la télévision française à recueillir des informations sur des allégations selon lesquelles l'esclavage est encore pratiqué en Mauritanie. Deux des trois personnes arrêtées ont été inculpées du chef d'avoir agi pour le compte d'organisations non officiellement reconnues par le gouvernement et elles ont été condamnées à treize mois d'emprisonnement. L'un des avocats de la défense, un autre militant bien connu des droits de l'homme, a également été arrêté. Tous ont cependant été libérés sur ordre du Président Taya après que les condamnations aient été critiquées par la communauté internationale.

La création du Commissariat aux Droits de l'Homme, à la Lutte contre la Pauvreté et à l'Insertion semble avoir été motivée par le souci de se pencher sur les énormes inégalités existant dans la société, notamment les disparités économiques. Koita Bamariem, directeur de la promotion des droits de l'homme au Commissariat, a déclaré à Human Rights Watch que l'existence d'inégalités sociales et économiques était le motif principal de la fondation du Commissariat et qu'en l'absence de toute autre instance gouvernementale traitant de ces problèmes, « il fallait entreprendre un ensemble d'actions économiques et sociales, telles que la politique de l'eau ou la nécessité d'une scolarisation universelle, résoudre les problèmes de la pauvreté comme forme la plus violente de violation des droits de l'homme ».1

L'article 2 du décret instituant le Commissariat aux Droits de l'Homme, à la Lutte contre la Pauvreté et à l'Insertion stipule qu'il « a pour mission générale de concevoir, de promouvoir et de mettre en _uvre la politique nationale en matière des droits de l'homme, de lutte contre la pauvreté et d'insertion ». L'article 3 précise que le Commissariat devrait élaborer des plans de recherche « en collaboration » ou « en concertation » avec d'autres départements gouvernementaux. Les liens entre le Commissariat aux Droits de l'Homme et les autres structures gouvernementales sont ainsi renforcés par le fait qu'en vertu de la loi, le Commissaire « a rang et prérogatives de ministre ».

Plus précisément, le mandat du Commissariat est le suivant :

1) En matière de droits de l'homme :

· mettre en _uvre tous les moyens appropriés pour assurer la promotion et la diffusion des principes et valeurs des droits de l'homme ;

· renforcer le dialogue et la concertation avec les associations nationales concernées par les droits de l'homme ;

· développer la coopération et les échanges avec les organisations et instituts régionaux et internationaux, ainsi qu'avec les organisations non gouvernementales étrangères concernées par les droits de l'homme ; et

· dresser un rapport annuel sur la situation des droits de l'homme.

2) Dans le domaine de la lutte contre la pauvreté et de l'insertion :

· promouvoir, en collaboration avec les autres départements, une politique nationale visant à l'éradication de la pauvreté, par la promotion de l'emploi et la répartition équilibrée des services sociaux de base ;

· veiller à l'intégration des couches vulnérables dans le processus de développement et promouvoir des approches de développement fondées sur la solidarité des collectivités et des individus et sur la pleine mobilisation de leurs capacités humaines et matérielles.2

Procédures d'engagement et de nomination

Le fait que le Commissariat ait le statut de ministère se voit renforcé par ses structures fonctionnelles. Le Commissariat est traité comme un ministère chargé de la planification. Il est dirigé par un commissaire assisté d'un commissaire adjoint. Le Commissaire a rang et prérogatives de ministre et le Commissaire adjoint a rang de Chargé de Mission auprès de la Présidence de la République.3 Le commissaire et son adjoint sont nommés par décret du premier ministre,4 lequel nomme également, après délibération avec le conseil des ministres, le reste du personnel du Commissariat : les dix-sept chefs de service, les sept directeurs et les conseillers. 5 L'article 6 précise que le personnel du Commissariat est composé de fonctionnaires nommés « dans les conditions prévues par le statut du personnel (de l'administration publique) ».

L'autonomie du Commissariat, déjà sérieusement limitée par les conditions de nomination et d'engagement du personnel, est davantage compromise par le fait qu'il fonctionne sous la tutelle d'un « Conseil de Surveillance ». Celui-ci, présidé par le Commissaire, est composé de représentants des cabinets du président et du premier ministre, ainsi que de représentants des ministères de l'intérieur, des finances, des affaires économiques, de la santé, de l'éducation nationale, du développement rural, de l'alphabétisation et de la condition féminine.6 Le Conseil de Surveillance approuve le programme d'action du Commissariat, son budget ainsi que son rapport annuel. Les décisions du Conseil de Surveillance doivent à leur tour être approuvées par le Premier ministre 7, ce qui renforce encore davantage le contrôle de l'exécutif sur le Commissariat.

Les autres dispositions du décret (Articles 16 à 24) sont consacrées à une description plus détaillée de la structure interne du Commissariat. Ce dernier est divisé en sept directions :

· le Cabinet : composé de conseillers, d'une cellule d'études et du secrétariat ;

· la Direction Générale des Droits de l'Homme, avec une direction de la promotion des droits de l'homme et une direction des instruments juridiques ;

· la direction des relations extérieures ;

· la direction de la lutte contre la pauvreté ;

· la direction de l'insertion sociale ;

· la direction administrative ; et

· la direction financière.8

Le décret prévoit en outre la création de dix-sept services au sein de ces sept directions.

Le Commissariat dépend entièrement de l'approbation de l'exécutif en ce qui concerne ses nominations, sa structure et ses activités. Tous les membres du personnel occupant des postes supérieurs sont nommés directement par le premier ministre. Le fonctionnement du commissariat est surveillé de près et ses activités sont approuvées au préalable par un « Conseil de Surveillance » où ne siègent que des hauts fonctionnaires du gouvernement . Le Conseil de Surveillance est lui-même sous le contrôle du premier ministre.

Activités

Le Commissariat aux Droits de l'Homme, à la Lutte contre la Pauvreté et à l'Insertion avait à peine neuf mois d'existence lorsque Human Rights Watch en a rencontré les représentants en avril 1999. Il est donc compréhensible qu'il n'avait encore acquis aucune expérience notable. La seule activité signalée a été l'organisation d'une « Journée d'enseignement des droits de l'homme », le 10 décembre 1998, à l'occasion de la commémoration du cinquantenaire de la Déclaration Universelle des Droits de l'Homme. Au cours de cette journée, des conférences ont été animées en français et en arabe par des professeurs de droit de l'Université de Nouakchott et selon le Commissariat, il y avait « entre 180 et 400 » participants.9 Une « Journée pédagogique nationale » organisée le même jour a attiré 150 étudiants de l'Ecole normale des instituteurs tandis que des «causeries-débats sur les droits des femmes» ont réuni des représentants du Commissariat et des agences des Nations Unies implantées dans le pays.

Il a été signalé à Human Rights Watch que le Commissariat est en train d'élaborer un plan d'action pluriannuel dont les composantes sont : l'élaboration de matériel d'éducation aux droits de l'homme destiné aux écoles et aux médias, des actions d'information auprès des organismes gouvernementaux pour les inciter à adopter et appliquer des lois relatives aux droits de l'homme, et des actions s'adressant aux juges pour les aider à améliorer leur travail en matière des droits de l'homme. 10

Quoiqu'encore en phase de préparation, il est clair que ce plan d'action insiste fortement sur les activités éducatives mais qu'il n'intègre pas un travail de protection des droits de l'homme. Il s'agit d'une lacune importante et révélatrice de l'approche ouvertement accommodante du Commissariat. Bien qu'il existe au sein du Commissariat une direction chargée de la protection des droits de l'homme, son travail s'est jusqu'à présent limité à enseigner les droits de l'homme et à réviser les instruments juridiques. Interrogé par Human Rights Watch sur la place faite à la protection des droits de l'homme dans les activités du Commissariat, Koita Bamariem, directeur de la promotion des droits de l'homme du Commissariat, a insisté sur le fait que la protection des droits de l'homme incombait au premier chef au système judiciaire et non au Commissariat, tandis que le rôle du Commissariat était d'aider les juges à accomplir leur devoir en ce domaine, ce qui est prévu dans le plan d'action du Commissariat.11 Le directeur a ajouté que le Commissariat recevait les plaintes des victimes de violation des droits de l'homme à travers les ONG locales. « Nous écoutons ce que les ONG nous disent et nous procédons à des vérifications auprès du ministère concerné ».12

La Mauritanie compte quelques-unes des ONG les plus dynamiques de l'Afrique francophone. Elles se sont vu refuser l'octroi d'un statut officiel et elles sont harcelées par le gouvernement. Il est dommage que ces ONG ne puissent trouver un soutien auprès du Commissariat, ni collaborer avec lui pour promouvoir les droits de l'homme. Les principales ONG des droits de l'homme en Mauritanie continuent en quelque sorte à fonctionner parallèlement au Commissariat, qui, dans la pratique, les ignore. Interrogé sur la façon dont le Commissariat pouvait établir un dialogue avec les ONG des droits de l'homme si celles-ci ne participaient à aucune de ses activités, Koita Bamariem a répondu que « le Commissariat leur confie des tâches précises dans le domaine de la promotion des droits de l'homme, comme c'était le cas lors des manifestations de commémoration du cinquantenaire de la Déclaration Universelle des Droits de l'Homme ».13 Cependant, le rapport officiel du Commissariat sur ces manifestations ne mentionne aucunement la participation d'une quelconque ONG.

Financement

Le Commissariat reçoit chaque année quelque 480.000 US$ du budget de l'Etat. En outre, il a bénéficié du soutien financier de sources extérieures. Par exemple, en 1999, le Commissariat a reçu 2.400.000 US$ du PNUD et de l'Union Européenne pour son programme concernant la pauvreté.

Evaluation

La caractéristique la plus remarquable du Commissariat aux Droits de l'Homme, à la Lutte contre la Pauvreté et à l'Insertion est l'importance que son mandat accorde aux droits économiques et sociaux. La question des droits économiques et sociaux passe souvent au second plan dans le travail des commissions nationales des droits de l'homme, ou même des ONG des droits de l'homme africaines et internationales, bien que la Commission Africaine des Droits de l'Homme et des Peuples en ait fait l'une de ses priorités. Les commissions nationales des droits de l'homme envisagent rarement la lutte contre la pauvreté et les inégalités sociales sous l'angle des droits de l'homme. Le Commissariat mauritanien fait _uvre de pionnier en élargissant officiellement les activités traditionnelles des commissions gouvernementales des droits de l'homme.

Quoiqu'il ne soit pas possible de tirer des conclusions définitives après si peu de temps, nous relevons un certain nombre d'aspects inquiétants dans le mandat du Commissariat, dans sa structure et dans sa vision articulée qui constituent des obstacles significatifs à son fonctionnement en tant qu'instance autonome des droits de l'homme. Le Commissariat n'est pas indépendant : le premier ministre contrôle totalement le Commissariat, il nomme le commissaire et le commissaire adjoint, il est représenté au Conseil de Surveillance et contrôle ce Conseil. Interrogé par Human Rights Watch à ce propos, Koita Bamariem, directeur de la promotion des droits de l'homme au Commissariat, a simplement déclaré que ce contrôle de l'exécutif était « un aspect normal de notre système constitutionnel ».14

Le mandat confié au Commissariat est un autre problème. S'il est important de se pencher sur les questions de lutte contre la pauvreté et d'éducation aux droits de l'homme, il n'en reste pas moins que cela ne peut se faire au détriment des droits civils et politiques. L'attention accordée aux droits économiques et sociaux ne devrait pas servir d'écran derrière lequel le Commissariat se retranche pour éviter de se pencher sur la question plus sensible au plan politique des violations des droits civils et politiques par le gouvernement. En outre, le mandat du Commissariat est principalement formulé avec des termes tels que « planification » et « études », ce qui permet d'éviter de s'attaquer à de graves problèmes de droits de l'homme et de chercher à obtenir réparation pour ces problèmes, notamment ceux vécus suite aux violations perpétrées entre 1986 et 1991, la discrimination raciale et l'exclusion sociale systématique de la communauté noire, ainsi que le harcèlement des militants des droits de l'homme.

Une autre faille que présente la structure du Commissariat est l'absence de collaboration et de soutien envers les ONG des droits de l'homme qui font souvent l'objet de pressions du gouvernement. Selon Cheikh Saad Bouh Kamara, président de l'Association Mauritanienne des Droits de l'Homme (AMDH):

Toutes les ONG indépendantes des droits de l'homme sont victimes de discrimination [de la part du gouvernement]. Au départ, nous avions beaucoup d'espoir mais très vite, nous avons constaté que le Commissariat est plus une vitrine à l'intention des bailleurs de fonds et un « alibi » car en fait, le gouvernement ne veut pas partager les droits avec la société civile... Pourquoi ne reconnaît-il pas les treize ONG mauritaniennes indépendantes ? ... En fait, il est plus facile de fonder un parti politique en Mauritanie que de créer une ONG des droits de l'homme. En conclusion, le Commissariat ne coopère pas avec les ONG indépendantes des droits de l'homme.15

Si la commission mauritanienne veut devenir un jour un véritable organe de promotion et de protection des droits de l'homme, des changements significatifs doivent être opérés. Il faudrait tout particulièrement amender le décret de juillet 1998 instituant le commissariat de manière à réduire le degré de supervision et de contrôle exercés par le premier ministre et la branche exécutive du gouvernement et il faudrait garantir l'autonomie et l'indépendance du commissariat. Par ailleurs, le commissariat doit pour sa part, et de toute urgence, tendre la main aux ONG locales des droits de l'homme et trouver une base effective pour collaborer avec elles et intégrer l'ensemble de son travail dans la société mauritanienne.

1 Entretien de Human Rights Watch avec Koita Bamariem, directeur de la Promotion des Droits de l'Homme au Commissariat aux Droits de l'Homme, à la Lutte contre la Pauvreté et à l'Insertion, Abuja, Nigeria, le 3 avril 1999. 2 Article 3. 3 Article 4. 4 Ibid. 5 Article 7. 6 Ibid. 7 Articles 7 et 8. 8 Article 16. 9 Commissariat aux Droits de l'Homme, à la Lutte contre la Pauvreté et à l'Insertion : Commémoration du Cinquantième anniversaire de la Déclaration universelle des droits de l'homme, Actes de la Journée, 12 décembre 1998, p.3 10 Entretien de Human Rights Watch, Koita Bamariem, directeur de la Promotion des Droits de l'Homme au Commissariat aux Droits de l'Homme, à la Lutte contre la Pauvreté et à l'Insertion, Abuja, Nigeria, le 3 avril 1999. 11 Ibid. 12 Ibid. 13 Ibid. 14 Ibid. 15 Courrier électronique du Cheikh Saad Bouh Kamara, président de l'AMDH, le 13 mars 2000.
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