Human Rights Watch

Les Commissions gouvernementales des droits de l'homme en Afrique : Protecteurs ou Pretendus Protecteurs?
Cameroun








Présentation Générale

Résumé

Normes Iinternationales: les Principes de Paris

Facteurs Importants

Etat des Lieux

Contributions Innovatrices et Positives des Commissions

Les Iniatives Régionales

Le Role de la Communauté Internationale

Conclusion

Recommandations

Abréviations

Remerciements




    Comité National des Droits de l'Homme et des Libertés (CNDHL)

    Origine et mandat

    Le Comité National des Droits de l'Homme et des Libertés (CNDHL) a été créé par décret présidentiel en 1990. A l'instar des commissions qui l'ont précédé au Bénin et au Togo, le CNDHL est né à un moment où la population réclamait une plus grande démocratisation. Toutefois, il n'a pas pu jouer dans le processus de démocratisation un rôle aussi dynamique que la commission togolaise. Le CNDHL a été l'un des premiers organes instaurés dans le cadre d'un programme devant mener à une plus grande démocratie et annoncé par décret par le Président Biya en décembre 1990.1 Mais son mandat limité et la procédure de nomination de ses membres reflètent tout particulièrement la volonté du Président de conserver le contrôle étroit de l'exécutif sur toutes les institutions publiques. Par ailleurs, dans la pratique, le climat politique général qui règne au Cameroun amoindrit le rôle effectif que pourrait jouer le CNDHL sur le plan des droits de l'homme.

    Depuis l'indépendance, le Cameroun a été dirigé par le Rassemblement Démocratique du Peuple Camerounais (RDPC) dont la mainmise sur le pouvoir, en dépit du passage à un système multipartite en 1990, a été préservée en limitant le choix politique. Ainsi, les élections présidentielles et parlementaires ont régulièrement été entachées d'irrégularités. En grande partie à cause de cette marginalisation, les principaux partis d'opposition ont activement (et parfois violemment) dénoncé la méthode de démocratisation. Les dernières élections, organisées en octobre 1997, ont été boycottées par les trois principaux partis d'opposition au milieu d'accusations de fraude électorale. Le Président Biya a été réélu à la tête du pays pour un mandat de sept ans, en vertu d'un amendement à la constitution de 1996. Cet amendement prolongeait le mandat présidentiel et ménageait également la possibilité pour Biya de se représenter pour un nouveau mandat en 2004. Le gouvernement n'a pris aucune mesure concrète pour mettre en _uvre les autres réformes constitutionnelles de 1996 qui prévoyaient une plus grande indépendance des organes législatif et judiciaire. Les forces de sécurité se sont rendues responsables de torture et de harcèlement, notamment à l'encontre de militants de l'opposition politique et de militants locaux des droits de l'homme. Bien que les autorités aient poursuivi quelques-uns des auteurs des crimes les plus insignes, la plupart d'entre eux sont restés impunis. L'appareil judiciaire manque également d'indépendance, il est marqué par la corruption, l'inefficacité et une vulnérabilité à l'influence politique et des civils ont été jugés par des tribunaux militaires lors de procès non équitables.2

    Le mandat du CNDHL lui donne, entre autres attributions, le pouvoir de « procéder à toutes les enquêtes et investigations nécessaires sur les violations des droits de l'homme et des libertés, » mais il limite ce pouvoir en exigeant qu'il « n'en fasse rapport qu'au Président de la République. » Le CNDHL peut réaliser des études, assurer l'éducation aux droits de l'homme et coordonner l'action des ONG dans ce secteur. Il est également habilité à visiter les lieux de détention.3

    Les pouvoirs du comité sont extrêmement faibles. Il doit se contenter de faire des recommandations aux autorités compétentes mais elles ne sont pas contraignantes. L'Article 8 du décret fondateur stipule que le CNDHL ne peut rendre publics ni son rapport annuel sur l'état des droits de l'homme ni le bilan de ses activités, il ne peut les remettre qu'au chef de l'Etat. Pendant près de dix ans, cette disposition a été scrupuleusement respectée. Aucun rapport du CNDHL n'a été rendu public même si parfois il y a eu des fuites dans la presse. Mais en mars 1999, l'assemblée générale du comité a décidé de rendre publics tous les rapports qui avaient été remis au président.4 Suite à cela, une cérémonie publique a été organisée le 1er juillet 1999, à laquelle ont assisté des diplomates, des membres du gouvernement, des parlementaires et le grand public. Au cours de cette cérémonie, le comité a présenté au public un bilan quinquennal de ses activités ainsi que ses deux rapports annuels envoyés au président, l'un dressant un bilan de l'état des droits de l'homme au Cameroun, l'autre décrivant les activités de la commission.

    Procédures d'engagement et de nomination

    Le comité est composé actuellement de quarante membres : vingt-trois membres titulaires et dix-sept membres suppléants dont :

    · Le président du CNDHL, qui est un membre indépendant ;

    · Trois représentants de l'administration dont un membre du Ministère de la justice ;

    · Deux magistrats de la Cour Suprême ;

    · Un représentant de chaque parti politique représenté à l'Assemblée nationale ;

    · Deux membres du Barreau ;

    · Deux professeurs de droit ;

    · Quatre représentants de confessions religieuses;

    · Un représentant des collectivités publiques locales ;

    · Deux journalistes de la presse privée et publique ;

    · Un représentant du Conseil Economique et Social (instance gouvernementale) ;

    · Deux représentants des associations de femmes.

A l'origine, le comité comptait quarante-quatre membres mais quatre sont décédés ou ont quitté le pays. Par conséquent, les suppléants sont généralement aussi considérés comme des membres à temps plein.

Les nominations au comité ont lieu par décret présidentiel et en vertu de l'article 4(2), les membres sont censés avoir un mandat de cinq ans. En fait, les membres du comité ont été nommés en 1991, à un moment où seul le RDPC au pouvoir disposait de sièges à l'assemblée nationale. Ils n'ont jamais été remplacés et leur nomination n'a jamais été officiellement renouvelée.5 Certains ont aussi refusé de siéger au CNDHL. C'est notamment le cas de Pius Njawe, journaliste bien connu et éditeur du quotidien indépendant Le Messager, et d'éminents juristes tels que Joseph Bipoum-Woum et Maurice Kamto, tous deux professeurs de droit. Ils ont refusé de siéger à la commission en raison de son manque d'autonomie et de crédibilité et leur position a été saluée par d'autres militants locaux des droits de l'homme lors d'entretiens avec Human Rights Watch. Un militant d'une ONG a déclaré que « toutes les personnalités crédibles nommées par le président ont refusé de siéger au comité » et un autre a ajouté que Pius Nyawe aurait été la seule « voix critique » s'il avait accepté sa nomination au comité.6

Le mandat original de cinq ans des membres du comité venait en principe à expiration en 1996. Le Président Biya, dont c'est la responsabilité, n'a toujours pas nommé de successeurs et le mandat des membres originaux n'a pas été officiellement prolongé. Etant donné que le mandat des commissaires a officiellement expiré et compte tenu de la prépondérance en son sein des partisans du gouvernement, bon nombre d'opposants politiques et d'ONG considèrent que le CNDHL est un organe illégitime, voire illégal. Cette anomalie a également été reconnue au sein du CNDHL, dont le secrétaire exécutif a déclaré à Human Rights Watch que le comité avait à plusieurs reprises prié le gouvernement d'examiner la question et qu'une « solution est promise pour bientôt ».7 L'opposition parlementaire ne semble toutefois pas partager cet optimisme. Selon un membre de l'opposition, Joseph Mbah Ndam, le RDPC au pouvoir a constamment bloqué les efforts faits par l'opposition à l'Assemblée nationale pour renouveler les mandats des membres du CNDHL et pour garantir que tous les partis siégeant à l'Assemblée y soient représentés, comme le stipule le décret de 1990.8 Selon Joseph Mbah Ndam, l'intention du gouvernement est de résister à l'ouverture du CNDHL aux membres de l'opposition politique, même si cela viole les termes du décret de 1990.9

La réputation du comité a été davantage entamée lorsque deux de ses membres ont été nommés à des postes au cabinet présidentiel sans pour autant abandonner leurs fonctions au sein du CNDHL Lucy Gwanmesia Doh, la secrétaire exécutive adjointe du CNDHL, nommée au comité en sa qualité de juge à la Cour Suprême, a été récemment nommée au poste de ministre déléguée chargée du contrôle supérieur de l'Etat tandis que le vice-président du comité, Grégoire Owona est devenu ministre délégué chargé des relations avec le Parlement. Il n'est pas surprenant que des critiques tels que Joseph Mbah Ndam y voient une preuve supplémentaire que « le comité est à la solde du gouvernement. »10

Activités

Le CNDHL présente pour les dix années écoulées un bilan impressionnant d'activités de promotion et d'éducation telles que l'organisation de séminaires et de conférences ainsi qu'une participation à des programmes radiophoniques et télévisés. Au cours de sa première année en 1992, le comité a organisé des séminaires à Douala et Bertoua qui consistaient en des sessions publiques destinées à des personnes appartenant à différents secteurs de la société. Mais l'expérience, semble-t-il, n'a pas été considérée comme positive par le comité. Dans son Bilan Quinquennal des Activités 1992-1997, il écrit :

« Les deux séminaires de Douala et Bertoua ont rapidement révélé les limites de la formule des séminaires ouverts tous azimuts. Il est en effet apparu que pour nombre des participants, ces forums étaient l'occasion de règlements de comptes, les uns accusant les autres de violer les droits de l'homme et inversement. Dès lors, le Comité a décidé d'accorder plus d'attention aux séminaires de formation à l'intention de groupes soigneusement ciblés, dont l'activité a une influence directe sur les droits de l'homme et qui sont susceptibles de jouer un rôle dans la promotion et la défense des droits de l'homme. »11

Par la suite, les sessions de formation ont été organisées à l'intention de groupes spécifiques - par exemple les encadreurs des agents de l'administration et des forces de maintien de l'ordre - et dans des lieux diversifiés :Yaoundé en 1994, Bamenda en mars 1995, Buea en mai 1996 et Maroua en 1997. Le comité a par ailleurs _uvré en faveur de l'introduction de cours sur les droits de l'homme dans les programmes scolaires. A cet effet, le président du comité a participé à un Forum National de l'Education en mai 1995 et il a rencontré des experts du Centre National de Recherche en Education.

En contraste avec ses activités de sensibilisation aux droits de l'homme, les résultats enregistrés par le CNDHL sur le terrain de la protection des droits de l'homme sont beaucoup plus faibles. Son décret fondateur autorise le comité à recevoir « toutes dénonciations portant sur les cas de violation des droits de l'homme », à diligenter « toutes enquêtes » et à procéder à « toutes investigations nécessaires sur les cas de violations des droits de l'homme et des libertés. » Il n'y a aucune restriction quant à l'origine ou à la forme des plaintes, qui peuvent émaner de victimes, de témoins, de parents des victimes, de particuliers ou d'ONG. Elles peuvent être orales ou écrites, et même anonymes. En principe, le président distribue les plaintes aux membres du comité pour qu'ils les étudient et procèdent éventuellement à une enquête. Aucune échéance n'est fixée pour la clôture des rapports. Les rapports produits par le CNDHL prennent généralement la forme de recommandations à l'adresse de l'autorité exécutive la plus directement concernée telle que le ministre compétent, le chef de la police ou le chef de l'administration territoriale locale.

Dans son Bilan Quinquennal des activités 1992-1997, le CNDHL fait état de nombreuses visites de centres de détention, de prisons et de cellules de bureaux de police et de gendarmerie. Il décrit ces visites comme étant « l'une des activités courantes du comité »12 Dans les faits, les visites de prisons du CNDHL n'ont lieu que très rarement.

Au départ, le CNDHL était plus actif sur le plan de la protection des droits de l'homme. En mai 1992, par exemple, il s'est rendu au poste central de la gendarmerie de Yaoundé pour y enquêter à propos de dénonciations de torture contre des étudiants contestataires qui avaient été arrêtés suite à une marche organisée dans la province du Nord-Ouest (fief de l'opposition politique) en commémoration de la journée de la jeunesse. Les délégués du CNDHL se sont tout d'abord vu refuser l'accès aux détenus et ils ont ensuite été eux-mêmes retenus brièvement par des agents qui leur ont confisqué leur matériel de travail. Mais le CNDHL a maintenu la pression pour que soient libérés les dirigeants étudiants. Ceux-ci ont finalement été remis en liberté quelques jours plus tard. Le comité a également dénoncé les fraudes électorales et a violemment critiqué les violences entre manifestants et forces de sécurité qui ont abouti à la détention sans procès pendant plus d'un an de certains contestataires. Lorsque l'état d'urgence a été décrété par les autorités dans la province du Nord-Ouest en 1992, le CNDHL a protesté en remettant un rapport à ce propos au gouvernement.

Ces actions menées au nom des victimes ont poussé le gouvernement à réduire substantiellement le financement du CNDHL pendant deux ans. Il a en outre accusé ce dernier d'avoir poussé les bailleurs de fonds internationaux à diminuer l'aide octroyée au pays.13 La diminution des montants alloués et la pression exercée par l'exécutif semblent avoir eu les effets escomptés puisque le CNDHL a dû réduire fortement ses activités.

A l'heure actuelle, le comité traite principalement les plaintes à l'encontre de personnes privées plutôt que les cas de violations des droits de l'homme commises par l'Etat. Il est rare qu'il s'exprime publiquement sur les abus des autorités bien que certains de ses membres soient intervenus auprès de représentants du gouvernement dans des cas précis, notamment pour permettre d'éviter des arrestations ou pour obtenir une assistance médicale pour les suspects qui la nécessitaient. Dans les dossiers n'impliquant pas l'Etat, le comité fait souvent office de médiateur entre les parties en conflit.14 Certaines plaintes concernent des litiges entre employeurs et employés. Dans de tels cas, le comité fournit une assistance juridique et propose une médiation ou d'autres moyens de réparation. Selon le comité, ce type d'interventions contribue à la réalisation des droits économiques et sociaux et au maintien de la paix.15

Il faut souligner que les demandes de renseignements reçues par le CNDHL de sources telles que les membres d'Amnesty International d'autres pays sont également enregistrées comme « plaintes individuelles », ce qui augmente exagérément le nombre de plaintes examinées par le CNDHL. Par conséquent, alors que les registres du comité font état de 834 plaintes individuelles reçues en 1999 (à la date du 22 novembre 1999), plus de 75 pour cent étaient des demandes de renseignements émanant de membres d'Amnesty International ou d'autres organisations telles que Reporters sans Frontières concernant l'arrestation de Pius Njawe, un journaliste de renom, au début de l'année.16 Vu que bon nombre de plaintes ont trait à des conflits de travail ou entre particuliers dans lesquels le gouvernement n'est pas mis en cause, le nombre réel de plaintes pour violations commises par l'Etat est minime.17

Plusieurs raisons expliquent cette situation. Tout d'abord, peu de Camerounais sont au courant de l'existence du comité qui existe pourtant depuis dix ans. En 1999, le comité ne disposait que d'un bureau à Yaoundé que presque personne ne connaissait, même sur place. Les membres du comité, conscients de cet état de fait, ont inclus sur la liste de leurs priorités dans le Plan d'Action 1999-2000 du 10 mars 1999 « la création d'antennes dans les provinces. »18

Ensuite, le CNDHL ne publie pas les rapports de ses enquêtes ou de ses interventions en matière de protection des droits de l'homme. Plusieurs militants d'ONG interrogés par Human Rights Watch étaient étonnés de lire dans le Bilan Quinquennal des Activités 1992-1997 du CNDHL que le comité avait mené plusieurs enquêtes et investigations sur le terrain entre 1992 et 1997, notamment lors de violences politiques, de conflits interethniques et d'émeutes.19 Le fait que le comité doive se limiter à ne présenter ses rapports qu'aux « autorités compétentes » est un facteur important qui contribue à entretenir l'ignorance du public vis-à-vis des activités du comité, voire même de son existence.

Enfin, le fait qu'il n'attribue pas aux ONG locales des droits de l'homme un rôle consultatif ou de coopération a également entamé la crédibilité et l'effectivité du CNDHL. Cette situation a créé une sorte de cercle vicieux : le CNDHL ne travaille pas avec les ONG parce que ces dernières ne lui présentent pas de plaintes et les ONG ne voient toujours pas l'intérêt de présenter des plaintes au CNDHL puisqu'il ne semble pas vraiment souhaiter les associer à ses travaux.

Financement

En vertu de l'Article 3 du décret du 8 novembre 1990, les ressources du comité proviennent des subventions de l'Etat, de dons extérieurs et de la vente de ses études. Les subventions de l'Etat couvrent principalement les frais de fonctionnement (salaires, déplacements, fournitures de bureau, communications, etc.). Entre 1992 et 1997, les fonds alloués par le gouvernement camerounais représentaient 65 pour cent des ressources totales du CNDHL et couvraient la quasi-totalité de ses dépenses courantes. Les fonds restants proviennent de dons d'autres gouvernements, très souvent dans le cadre d'un accord de coopération bilatéral conclu avec le gouvernement camerounais.

D'après le Bilan Quinquennal des Activités 1992-1997, les subsides publics ont été versés avec régularité et les autres principaux bailleurs de fonds ont été les pays occidentaux, la Chine et le Haut Commissariat de l'ONU aux Droits de l'Homme.20 Entre 1992 et 1997, le CNDHL a reçu (en francs CFA) :

1991-1992 : 90.000.000 (environ 150.000 US$) ;

1992-1993 : 49.049.334 (82.000 US$) ;

1993-1994: 4.978.995 (8.500 US$);

1994-1995: 87.738.615 (146.000 US$);

1995-1996: 50.000.000 (85.000 US$);

1996-1997: 80.000.000 (135.000 US$).

Les chiffres de 1998-1999 n'étaient pas disponibles au moment de la visite de Human Rights Watch.

Evaluation

Après bientôt dix années d'existence, le CNDHL reste très peu connu au Cameroun. En novembre 1999, pour pallier à ce problème, une brochure gratuite était en préparation.21 Le comité espère par ailleurs se faire mieux connaître en ouvrant des bureaux provinciaux à Douala, Bamenda et Garoua dès que les fonds seront débloqués par le gouvernement. De plus, le comité envisage d'organiser des activités qui le rapprocheront du public comme la création d'une bibliothèque des droits de l'homme et d'un centre de documentation. Il s'agit là d'une des priorités du « Plan d'action 1999-2000.»

Ces mesures sont les bienvenues mais si le CNDHL veut se poser en force crédible des droits de l'homme, il doit devenir plus autonome et plus franc et s'attaquer aux exactions des autorités publiques. Actuellement, le CNDHL est perçue par les ONG locales des droits de l'homme et autres comme une institution paisible et docile au service du pouvoir exécutif.

Le CNDHL devra, à terme, s'assurer lui-même une plus grande crédibilité mais le gouvernement pourrait, pour l'aider à préparer le terrain, prendre immédiatement une série de mesures simples et ciblées. En particulier, le pouvoir législatif devrait amender le décret instituant le CNDHL afin de réduire le pouvoir qu'a le président de nommer les membres du comité et de se faire remettre des rapports privés. Une loi devrait être votée par l'Assemblée nationale en ce sens. Par ailleurs, une loi devrait déclarer que le fait, pour tout membre de la commission, d'occuper en même temps un poste au bureau présidentiel ou dans toute autre section du pouvoir exécutif engendre un conflit d'intérêt fondamental.

Ensuite, la représentation d'un seul parti au sein du CNDHL continue de violer le décret fondateur. Le décret présidentiel de 1990, promulgué sous le régime à parti unique, prévoit un siège au CNDHL pour un représentant de chaque parti politique siégeant à l'Assemblée nationale. A l'époque des nominations en 1991, le Cameroun était encore gouverné par un parti unique et le représentant de l'Assemblée nationale siégeant au CNDHL est donc issu de ce parti. Plus de sept années se sont écoulées depuis les élections de mars 1992 qui ont marqué l'apparition d'une demi-douzaine de partis d'opposition et les mandats des commissaires élus au CNDHL ont officiellement expiré voici trois ans. Le fait que la composition du CNDHL reste inchangée et que le mandat des membres originels soit prolongé dans les faits en raison de l'inertie de l'exécutif ne fait que jeter le discrédit sur cet organisme.

La crédibilité du CNDHL se porterait mieux s'il travaillait davantage en collaboration avec les ONG du pays. Pour ce faire, il faudra qu'il s'attire leur confiance. Interrogées à ce sujet par Human Rights Watch, plusieurs ONG ont exprimé de fortes réserves quant à la capacité du CNDHL de collaborer davantage avec les ONG puisqu'il a gardé le silence lorsque des défenseurs des droits de l'homme ont fait l'objet d'attaques au Cameroun.22 Le cas de l'avocat Abdulaye Math, président du Mouvement pour la Défense des Droits de l'Homme et des Libertés à Maroua est révélateur : en mai 1999, il a fait l'objet d'une série de tentatives d'assassinat menées par dix-huit gendarmes dirigés par un officier du nom de Guillaume Pom. M. Math s'est vu obligé de se réfugier à Yaoundé pendant plus de deux semaines. Lorsqu'il est rentré à Maroua en juin 1999, il a adressé une lettre de remerciement à toutes les ONG qui lui avaient offert leur soutien, en les citant nommément. Le nom du CNDHL n'y apparaît pas. Pour sa défense, le comité affirme qu'il a pris la défense de M. Math en privé « en contactant le gouvernement au plus haut niveau» mais il apparaît clairement que ni Abdoulaye Math ni les ONG qui l'ont défendu activement n'étaient au courant de cette démarche.23 L'impact de cette intervention privée du CNDHL n'est pas clair non plus, si tant est qu'il y en a eu un. Cela illustre le besoin pour le comité de mettre fin à la confidentialité de ses actions. Si, comme ils le prétendent, les membres du comité souhaitent promouvoir plus activement le travail du CNDH, ils n'y parviendront certainement pas en entretenant des communications confidentielles avec l'administration, ce qui est tout à fait incompatible avec la nécessaire transparence dans le débat sur les droits de l'homme au Cameroun.

Un plus gros effort devrait être consenti pour accueillir les ONG au sein du comité et leur faire prendre part à ses activités. Pour l'instant, les ONG de défense des droits de l'homme ne figurent pas dans la liste des institutions représentées dans le comité. La seule allusion du décret fondateur aux ONG signale que le CNDHL « coordonne » les actions des ONG qui souhaitent participer à ses travaux. On comprend que les ONG locales aient interprété cela comme un souhait de les subordonner au comité alors qu'elles espéraient plutôt coopérer avec ce dernier en tant que partenaires se trouvant plus ou moins sur un même pied d'égalité.

Compte tenu des relations tendues et souvent conflictuelles entre le gouvernement et les ONG, le CNDHL pourrait essayer de jouer un rôle plus actif de médiateur entre ceux-ci et offrir ainsi une certaine protection aux défenseurs locaux des droits de l'homme. Il y gagnerait beaucoup en crédibilité, en visibilité, et peut-être en efficacité, s'il parvenait à établir une relation de travail plus étroite avec les ONG locales, et par là-même à compléter et renforcer leurs activités de promotion et de protection des droits de l'homme au Cameroun.

1 Voir Hughes François Onana, Les transitions démocratiques en Afrique : le cas du Cameroun, (CEPER, Yaoundé, 1994). 2 Département d'Etat américain, "1999 Cameroon Country Report on Human Rights, » 25 février 2000, http://www.state.gov/www/global/human_rights/1999_hrp_report/cameroon.html 3 Article 2, Décret présidentiel n° 90-1459 (8 novembre 1990). 4 Ces informations proviennent des entretiens de Human Rights Watch avec Marie-Claire Konkombo, présidente du comité des activités de promotion du CNDHL, Yaoundé, Cameroun, le 21 novembre 1999 et avec Semuh Akuchu, Secrétaire exécutif du CNDHL, Yaoundé, Cameroun, le 23 novembre 1999. Voir aussi la lettre du 23 mars 1999 adressée au président, dans la préface du CNDHL, Bilan Quinquennal des activités février 1992 - février 1997. 5 Les membres actuels ont été nommés par le décret présidentiel 91/478 du 27 novembre 1991. 6 Entretiens de Human Rights Watch avec le pasteur Luc-Norbert Kenne, responsable des programmes des droits de l'homme et de paix de la Fédération Nationale des Eglises Chrétiennes, Yaoundé, Cameroun, le 23 novembre 1999 et avec Benoît Ndameu du Centre pour l'Environnement et le Développement, Yaoundé, Cameroun, le 21 novembre 1999. 7 Entretien de Human Rights Watch avec Semuh Akuchu, Secrétaire exécutif du CNDHL, Yaoundé, Cameroun, le 23 novembre 1999. 8 Entretien de Human Rights Watch avec Joseph Mbah Ndam, avocat et membre d'un parti d'opposition à l'Assemblée nationale, Yaoundé, Cameroun, le 23 novembre 1999. 9 Ibid. 10 Ibid. 11 CNDHL, Bilan Quinquennal des activités, février 1992-février 1997. 12 CNDHL, Bilan Quinquennal des Activités, février 1992-février 1997, p.16. 13 Entretien de Human Rights Watch avec Solomon Nfor Gwei, président de la CNDHL, Durban, Afrique du Sud, le 2 juillet 1998. 14 Entretien de Human Rights Watch avec Denis Kuindje, président du comité des activités de protection du CNDHL, Yaoundé, Cameroun, le 22 novembre 1999. 15 Ibid ; et aussi entretien de Human Rights Watch avec Semuh Akuchu, secrétaire exécutif du CNDHL, Yaoundé, Cameroun, le 23 novembre 1999. 16 Ibid. 17 Denis Kuindje du CNDHL reconnaît que le registre des plaintes s'allonge considérablement lorsque le comité reçoit des lettres relatives à un seul cas particulier, envoyées par des organisations internationales telles Amnesty International ou Reporters sans Frontières. Entretien de Human Rights Watch avec Denis Kuindje, président du comité chargé des Activités de Protection, Yaoundé, Cameroun, le 22 novembre 1999. 18 Entretiens de Human Rights Watch avec Marie-Claire Konkombo, présidente du comité chargé des Activités de Promotion, Yaoundé, Cameroun, le 21 novembre 1999 et avec Semuh Akuchu, secrétaire exécutif du CNDHL, Yaoundé, Cameroun, le 23 novembre 1999. Pour ce qui est des antennes provinciales, un accord de coopération a été signé entre les gouvernements français et camerounais au début de l'année, lors de la visite du Président Jacques Chirac. Un des volets de l'accord concernait des fonds de soutien de la Mission Française de Coopération pour la création de trois bureaux, à Bamenda, Douala et Garoua. Au moment de la visite de Human Rights Watch au Cameroun en novembre 1999, les fonds n'étaient toujours pas arrivés. 19 Entretien de Human Rights Watch avec le pasteur Luc-Norbert Kenne, responsable des programmes des droits de l'homme et de paix à la Fédération Nationale des Eglises Chrétiennes, Yaoundé, Cameroun, le 23 novembre 1999 et avec Benoît Ndameu, Centre pour l'Environnement et le Développement, Yaoundé, Cameroun, le 21 novembre 1999. 20 Le gouvernement britannique a alloué 31.772.220 de francs CFA (plus des dons en mobilier) pour l'organisation de séminaires et la participation à la supervision des élections locales; le gouvernement canadien a versé 24.327.150 pour l'organisation de conférences ; le gouvernement français a octroyé 20.000.000 de francs CFA pour l'organisation de conférences ; Le Centre de l'ONU pour les Droits de l'Homme a également alloué 19.095.085 de francs CFA pour l'organisation de conférences; le gouvernement chinois a versé 15.000.000 en matériel informatique et de communication ; le gouvernement américain a versé 7.301.230, plus dons en mobilier ; et le gouvernement allemand a octroyé 2.663.680 pour l'organisation de séminaires. 21 Entretien de Human Rights Watch avec Marie-Claire Konkombo, présidente du comité des Activités de Promotion, Yaoundé, Cameroun, le 21 novembre 1999. 22 Entretien téléphonique de Human Rights Watch avec Clément Fondufe, Human Rights Clinic and Education Center (HURCLED), Bamenda, Cameroun, le 23 novembre 1999 et entretiens de Human Rights Watch avec le pasteur Luc-Norbert Kenne, directeur des programmes des droits de l'homme et de paix à la Fédération Nationale des Eglises Chrétiennes, Yaoundé, Cameroun, le 23 novembre 1999 et avec Benoît Ndameu du Centre pour l'Environnement et le Développement, Yaoundé, Cameroun, le 21 novembre 1999. Confirmé lors de l'entretien de Human Rights Watch avec Semuh Akuchu, secrétaire exécutif du CNDHL, Yaoundé, Cameroun, le 23 novembre 1999. 23 Entretien de Human Rights Watch avec Semuh Akuchu, secrétaire exécutif du CNDHL, Yaoundé, Cameroun, le 23 novembre 1999.
Rapport Annuel
Afrique: dossiers
Afrique: actualités

Pays


Afrique du Sud

Bénin

Cameroun

Ghana

Kenya

Liberia

Malawi

Mauritanie

Nigeria

Ouganda

Rwanda

Sénégal

Sierra Leone

Soudan

Tchad

Togo

Zambie



RETOURNER EN HAUT

Copyright © 2001
Human Rights Watch