Human Rights Watch

Les Commissions gouvernementales des droits de l'homme en Afrique : Protecteurs ou Pretendus Protecteurs?
Ghana








Présentation Générale

Résumé

Normes Iinternationales: les Principes de Paris

Facteurs Importants

Etat des Lieux

Contributions Innovatrices et Positives des Commissions

Les Iniatives Régionales

Le Role de la Communauté Internationale

Conclusion

Recommandations

Abréviations

Remerciements




    Commission on Human Rights and Administrative Justice (CHRAJ)

    Origine et mandat

    La création de la Commission on Human Rights and Administrative Justice [Commission des droits de l'homme et de la justice administrative] (CHRAJ) s'inscrit dans le processus de transition qui a eu lieu au Ghana au début des années 90 et qui a marqué le passage d'un gouvernement autoritaire à parti unique à une démocratie constitutionnelle. En 1992, onze ans après que le Capitaine de l'armée de l'air Jerry Rawlings et son Provisional National Defense Council (PNDC) [Conseil de Défense National Provisoire] aient pris le pouvoir lors d'un coup d'Etat militaire, des élections étaient organisées pour ramener la démocratie dans le pays. Bien que controversées, ces élections ont abouti à l'élection de Rawlings au poste de président civil du pays.

    Dans le cadre de la transition vers la démocratie, un processus de consultation a eu lieu afin d'élaborer une nouvelle constitution prévoyant un équilibre des pouvoirs, notamment un appareil judiciaire indépendant et la création d'une commission indépendante des droits de l'homme, la CHRAJ, qui a effectivement été créée en 1993. Depuis lors, la situation des droits de l'homme a continué de s'améliorer au Ghana, bien que des problèmes subsistent en ce qui concerne le recours excessif à la force par les forces de sécurité municipales et la police, les conditions de détention pénibles et les pressions exercées par le gouvernement sur les médias indépendants. Dans la pratique, le système politique est toujours limité par un parlement monopolisé par le parti au pouvoir, un appareil judiciaire souvent timoré et un manque généralisé de moyens. En 1996, le Président Rawlings a été réélu avec 57 pour cent des suffrages.

    Lors de sa création en 1993, la CHRAJ a repris le rôle de l'Ombudsman - lequel avait été institué par la Constitution de 1979 et existait depuis 1980 - suite à la décision de créer une institution nationale unique traitant tous les aspects des droits de l'homme et de la justice administrative.1 Deux autres institutions nationales autonomes ont aussi été créées. Il s'agit de la National Media Commission [Commission Nationale des Médias], chargée de garantir le professionnalisme des médias et d'enquêter, de faire office de médiateur et de régler les plaintes contre les médias, et de la National Commission for Civil Education [Commission Nationale pour l'Education Civile], chargée de sensibiliser la population à la Constitution de 1992.

    L'indépendance de la CHRAJ est garantie par la Constitution de 1992 et l'organisation ne peut être soumise à aucun contrôle de la part des ministères ou agents gouvernementaux. La CHRAJ doit présenter un rapport annuel au Parlement qui peut en débattre et voter des résolutions mais ne peut modifier les décisions prises par la commission, décider du recrutement de son personnel ni définir ses procédures.

    La CHRAJ dispose de vastes pouvoirs d'investigation, notamment celui d'enquêter à propos de plaintes concernant:

    · Des violations des droits de l'homme fondamentaux, des injustices, des faits de corruption ou d'abus de pouvoir et des mauvais traitements qui sont le fait de toute personne exerçant une fonction publique ;

    · L'accès inégal aux procédures de recrutement ou aux services des agences de l'Etat, notamment le service civil, les forces armées, la police et les institutions pénitentiaires ;

    · Des pratiques et actes de personnes privées, d'entreprises privées et autres institutions qui violent les droits et libertés fondamentaux garantis dans la Constitution;

    · La corruption et les détournements de fonds publics par des représentants de l'Etat.

Qui plus est, la CHRAJ est dotée de pouvoirs forts et contraignants en vertu de l'article 8 de la Loi relative à la Commission des droits de l'homme et de la justice administrative qui stipule qu'elle a le pouvoir de citer des témoins, d'obtenir toute information ou preuve pertinente et qu'elle dispose par ailleurs de la capacité d'intenter une action pour outrage à la Commission contre toute personne n'obéissant pas à sa requête.2 La CHRAJ est habilitée à imposer une solution « par des moyens justes, adéquats et efficaces, » notamment:

· La négociation et le compromis ;

· La remise d'un rapport d'enquête à un supérieur hiérarchique;

· L'introduction d'une action en justice pour mettre fin ou modifier tout acte ou conduite qui violerait des droits ;

· La dénonciation de toute loi qui viole les droits garantis par la constitution;

· La prise de mesures adéquates pour s'attaquer à la corruption, notamment faire rapport au Procureur général et à l'auditeur général;

· La restitution des biens confisqués par les deux gouvernements militaires précédents sous des conditions strictes stipulées à l'Article 35(2) des Dispositions Transitoires de la Constitution de 1992.

Lorsqu'elle statue sur la réparation, la CHRAJ « peut aller au-delà des obligations imposées par la loi et statuer dans le respect des principes de justice».3 De plus, la CHRAJ est responsable de la mise sur pied de programmes d'éducation aux droits de l'homme, notamment de publications, de conférences et de séminaires.

A la différence de la plupart des commissions des droits de l'homme en Afrique, la CHRAJ dispose d'un réseau de bureaux installés dans tout le pays. L'Article 220 de la Constitution précise que la législation habilitante doit prévoir l'ouverture d'antennes régionales et provinciales de la CHRAJ. La commission en a conclu que chaque région ainsi que les 110 provinces devaient disposer d'antennes. Cela signifie, d'une part, que la commission est vraiment considérée comme une instance nationale dont la mission est de protéger les droits et qui revêt une certaine importance aux yeux des Ghanéens des régions rurales. D'autre part, cette expansion a nécessité une équipe énorme et des engagements financiers importants qui vont souvent bien au-delà des capacités de la CHRAJ.

Procédures d'engagement et de nomination

La CHRAJ compte un commissaire et deux commissaires adjoints qui sont nommés par le président et agissent sur avis du conseil d'Etat, instance consultative impartiale constituée d'aînés respectés. La seule condition d'engagement mentionnée dans la Loi relative à la Commission des droits de l'homme et de la justice administrative est que le commissaire doit répondre aux critères de nomination des juges de la cour d'appel et ses adjoints doivent avoir des compétences équivalentes à celles des juges de la cour suprême. Le commissaire et les adjoints se voient garantir la même sécurité d'emploi que les juges et ne peuvent être révoqués avant l'âge de la pension, sauf dans des circonstances limitées requérant du président qu'il présente une plainte pour mauvaise conduite ou incompétence auprès du Procureur général, auquel cas un comité est alors convoqué et chargé de présenter des recommandations au président dès que la recevabilité de l'affaire a été établie. Même si la procédure de nomination ne garantit pas en elle-même l'indépendance, la sécurité d'emploi des commissaires leur donne la possibilité d'agir en toute indépendance et franchise.4

A l'heure actuelle, la commission est dirigée par Emile Short, un avocat qui travaillait auparavant dans le privé. Il exerce son mandat avec beaucoup de sérieux et n'a pas hésité à traiter de sujets controversés ou politiquement sensibles tels que la corruption au sein du gouvernement. Les deux commissaires adjoints se sont réparti le travail, l'un se chargeant des tâches juridiques, l'autre des tâches administratives.

La CHRAJ est divisée en quatre départements : (1) le département juridique qui comprend une unité de recherche composée d'avocats secondés par un greffier et des huissiers ; (2) le département des opérations qui est responsable des enquêtes et de l'éducation publique et qui est constitué principalement d'enquêteurs ; (3) le département administratif qui traite de toutes les questions relatives au personnel, aux relations publiques, aux statistiques et au système informatique ; (4) le département financier en charge de la comptabilité, de la vérification des comptes et des financements.

La CHRAJ compte au total plus de 600 employés. Des bureaux ont été ouverts dans les dix régions du pays et dans quatre-vingt neuf des 110 provinces. Les conditions de travail sont pénibles, surtout dans les zones rurales. La plupart des bureaux de la CHRAJ sont trop petits, les conditions de travail y sont inconfortables et cette promiscuité menace l'intimité et la confidentialité nécessaires lors des dépôts de plaintes. Il est prévu d'ouvrir des antennes dans toutes les provinces au cours des deux prochaines années et d'engager 200 personnes supplémentaires ou davantage.

Chaque bureau régional est géré par un directeur régional qui est avocat et est assisté de juristes et d'enquêteurs. Chaque bureau provincial est dirigé par un officier de district qui doit être détenteur d'un diplôme universitaire. Dans les bureaux provinciaux travaillent généralement aussi un enquêteur-adjoint, un greffier-adjoint, un huissier et un(e) secrétaire. Ces bureaux provinciaux peuvent procéder à des médiations mais n'ont pas le pouvoir de trancher en cas de litige (sauf dans la petite minorité des bureaux où l'officier de district est avocat). Les bureaux régionaux doivent transférer tous les cas litigieux au siège d'Accra pour approbation. Cette méthode garantit la cohérence des décisions mais ralentit le processus. Au niveau provincial, le nombre de plaintes est relativement peu élevé, sans doute parce que les populations rurales sont peu familiarisées avec la CHRAJ et en raison des problèmes de transport qui se posent pour se rendre à la capitale provinciale pour y déposer une plainte.

Activités5

La plus grosse partie du travail de la CHRAJ consiste à recevoir et à traiter les plaintes orales ou écrites. Dès que la plainte est enregistrée, un enquêteur ou un juriste vérifie si elle est recevable et si elle relève de la compétence de la commission. La CHRAJ a essayé de faire en sorte que les bureaux régionaux soient à même d'enregistrer les plaintes dans les langues locales. Le suivi de l'affaire est assuré par correspondance ou par des visites sur place. Près de la moitié des cas sont résolus par la négociation et le compromis. Si un cas ne peut être résolu, la CHRAJ doit réunir en audience un panel présidé par un avocat qui devra émettre une recommandation, procédure quelque peu retardée par le manque d'avocats. Il n'existe aucun mécanisme séparé permettant de s'assurer qu'une recommandation a bien été suivie.

En 1995, la CHRAJ a été saisie de 6.173 plaintes. Elle en a réglé plus de 3.700 datant de 1995 et des années antérieures. En 1996, la CHRAJ a enregistré un total de 12.409 plaintes et en a réglé 8.775, principalement par la voie de la médiation. En 1997, 5.876 plaintes ont été introduites. En moyenne, entre 4.000 et 5.000 nouvelles requêtes arrivent chaque année. La majorité des affaires portent sur des conflits du travail, surtout des plaintes pour licenciement lancées contre l'Etat, qui est le plus gros employeur, mais aussi contre des employeurs privés tels la société d'exploitation des mines d'or. Selon le commissaire Short, « ces cas devraient être traités par un tribunal du travail indépendant mais puisque cette instance n'existe pas, les plaignants s'adressent généralement à nous plutôt qu'au Ministère du Travail.6 Près d'un quart des litiges concerne la propriété immobilière et plus particulièrement des conflits entre propriétaires et locataires. 25 % des plaintes ont trait à des violations des droits de l'hommes fondamentaux telles que les arrestations et détentions arbitraires, les mauvais traitements et autres exactions. Un petit nombre de conflits sont familiaux et concernent principalement des problèmes d'héritage ou de pension alimentaire à verser aux enfants ou à l'épouse.

La commission essaie, dans la mesure du possible, d'apporter son soutien même dans les cas où elle n'a pas de compétence officielle. Un aspect intéressant de son travail est qu'elle se concentre principalement sur la gestion de plaintes contre des acteurs privés (non étatiques) tels que les employeurs, les propriétaires et les époux dévoyés. Cela va au-delà de l'interprétation traditionnellement plus étroite du travail de protection des droits de l'homme mais néanmoins, son rôle a été accepté et même bien accueilli par les Ghanéens. Parfois, elle renvoie les plaignants qu'elle ne peut aider vers des ONG de droits de l'homme ou d'assistance juridique. Cependant, dans la mesure du possible, le personnel de la CHRAJ tente d'aider les personnes, surtout dans les zones rurales où elle est souvent le seul endroit où la population peut trouver conseil. Cette approche conciliante a contribué à améliorer la confiance du public à l'égard de la CHRAJ qu'il considère comme une institution à l'écoute de la population.

Les pouvoirs de la CHRAJ sont étendus. Le commissaire peut introduire une action en justice lorsqu'une recommandation de la CHRAJ n'a pas été mise en _uvre dans les trois mois. Dans la pratique, ce pouvoir n'a été que très peu utilisé. Des débats ont eu lieu quant à savoir si le rôle des tribunaux était de réentendre l'affaire dans sa totalité ou simplement de renforcer la décision de la CHRAJ sauf en cas d'irrégularité dans sa gestion de l'affaire. C'est de cette dernière façon que la CHRAJ et la Cour Suprême ont généralement interprété la loi et ce n'est qu'à une seule occasion qu'un juge de la Cour Suprême a rouvert le dossier sur le fond.

Outre l'enregistrement des plaintes, la commission a lancé une série d'enquêtes de son propre chef. En 1995 par exemple, elle a organisé une inspection nationale de toutes les prisons et cellules des bureaux de police. Dans la majorité des cas, les prisons ghanéennes sont très mal entretenues et les conditions y sont des plus rudes. En 1996, la commission a publié un rapport sur les résultats de ses enquêtes et effectue depuis lors des visites de contrôle annuelles. Le rapport décrivait des prisons insalubres et surpeuplées et recommandait, entre autres, d'augmenter les rations alimentaires et d'emprisonner les jeunes détenus séparément des adultes. Bien que le gouvernement ait été d'accord avec les résultats et ait suivi les recommandations, il a fait état de limitations financières qui l'empêchaient de procéder à d'autres améliorations. Le rapport recommandait également l'abolition de la peine de mort et l'amélioration de l'administration de la justice pénale, après avoir découvert que beaucoup de détenus croupissaient dans les prisons depuis des années sans être passés devant les tribunaux. Bien que la CHRAJ n'ait pas la compétence d'enquêter sur des affaires en instance, en 1997 elle est intervenue pour s'assurer que les affaires soient traitées rapidement en attirant l'attention du cabinet du Procureur Général. Plus d'un an après, un comité mis sur pied par le Procureur Général étudiait encore la manière dont les prisonniers en détention préventive pouvaient soit passer en jugement, soit être libérés. L'intervention de la commission dans les prisons est d'autant plus importante que les autorités ont limité l'accès de ces lieux à la presse. Depuis lors, le Ghana prisons service council (conseil ghanéen des services pénitentiaires) a constitué une équipe d'évaluation qui inspecte les installations.

En 1996, à l'invitation du président, la CHRAJ a enquêté sur des accusations de corruption, détournements de fonds et abus de pouvoir portées contre quatre hauts fonctionnaires. C'était la première enquête de ce type au Ghana et elle a été vivement controversée. La CHRAJ a conclu son rapport en octobre 1996, détaillant les charges qui pesaient sur trois personnes (deux ministres et un membre du personnel du cabinet présidentiel). Le quatrième fonctionnaire a été disculpé. Suite à ce rapport, les trois personnes incriminées ont démissionné. Le rapport évoquait la réaction agressive et défensive de certains cercles gouvernementaux qui ont mis en question le mandat de la CHRAJ. Les autorités ont même été jusqu'à publier un livre blanc en avril 1997 dans lequel elles réfutaient certaines des conclusions de la commission et recommandaient que son interprétation de la loi soit réexaminée par le bureau du Procureur Général. Les médias publics ont lancé des attaques contre le commissaire Short et la CHRAJ pour avoir révélé les cas de corruption. Le gouvernement a tenté d'empêcher la commission de demander réparation pour des licenciements abusifs qui s'étaient produits avant le retour au pouvoir des civils. La CHRAJ a dénoncé le livre blanc et demandé une interprétation de son mandat par la Cour Suprême laquelle, en août 1997, a tranché en sa faveur pour ce qui concernait son droit d'enquêter dans des affaires antérieures à la constitution de 1992. Cependant, la Cour a décidé que la commission n'était pas habilitée à enquêter sur les biens confisqués par les cours ou tribunaux spéciaux instaurés par décret militaire suite au coup d'Etat et sous le régime du PNDC. Suite à une vague de soutien populaire, le gouvernement a dû revenir sur ses accusations et reconnaître publiquement que la CHRAJ était libre de prendre toutes les mesures nécessaires pour faire respecter ses recommandations. Il a également accepté les recommandations de la commission d'élargir la catégorie des agents de l'Etat obligés, par la loi, de déclarer leurs avoirs, de revoir les lois régissant les exemptions de droits de douane et de réévaluer les droits prélevés sur les importations de poisson. Entre-temps, la CHRAJ a poursuivi son travail selon les mêmes principes, soumettant un rapport intérimaire en novembre 1997 rejetant les allégations de corruption pesant contre un haut fonctionnaire du Cocoa Board.

Ce n'est pas la seule fois où la CHRAJ a été soumise à des pressions de la part d'autres agences gouvernementales tentant de la réduire au silence. Le ministère de la justice et le bureau du Procureur Général ont tenté de limiter sa juridiction en avançant qu'elle ne devait traiter d'aucune violation perpétrée avant l'entrée en vigueur de la nouvelle constitution et en affirmant qu'elle ne pouvait pas enquêter sur les confiscations de biens décidées par les tribunaux militaires spéciaux du gouvernement précédent.

La CHRAJ s'est également penchée sur des pratiques traditionnelles cruelles qui violent les droits des femmes et des enfants. Elle a travaillé avec les chefs traditionnels et les ONG locales pour permettre la libération des femmes et des fillettes réduites au travail forcé et maintenues en esclavage sexuel au service des prêtres féticheurs de la région de la Volta, selon une pratique connue sous le nom de trokosi.7 Ces femmes et fillettes sont envoyées dans des lieux sacrés pour servir les prêtres féticheurs pour expier les transgressions commises par leurs familles. La CHRAJ a permis la libération de certaines de ces femmes et fillettes et mené une campagne d'éducation publique contre cette pratique. De même, elle a enquêté sur le bannissement et, parfois, le lynchage de femmes accusées de sorcellerie dans le nord du pays. Une enquête menée par la CHRAJ en septembre 1997 a permis d'identifier des centaines de vieilles femmes regroupées dans des camps loin de leurs communautés. La commission a également lancé une campagne d'éducation publique contre ce type de coutume en coopération avec le Center for National Culture [Centre de Culture Nationale] et la House of Chiefs [Maison des Chefs]. Elle est par ailleurs intervenue en faveur d'enfants malades auxquels les parents refusaient un traitement médical pour des motifs religieux (les Témoins de Jéhovah par exemple).

Les programmes d'éducation publique de la CHRAJ comprennent des séminaires et des ateliers destinés aux agents des services publics et autres, notamment les militaires, les fonctionnaires, les membres des assemblées provinciales, les associations de femmes, les instances religieuses, les associations de jeunes, les chefs. Au vu du nombre élevé de plaintes liées au travail, la commission a concentré son attention sur ce thème dans les programmes d'éducation publique. Des campagnes de sensibilisation ont été menées dans les zones rurales afin d'endiguer la diminution du nombre de plaintes dans ces régions depuis 1997, d'informer les populations sur la constitution de 1992 et d'identifier les réparations possibles en cas de violation d'un droit. Les médias ont aidé à promouvoir la commission en assurant fréquemment la couverture de ses activités.

Financement

Le gouvernement ghanéen assure la majeure partie du financement de la CHRAJ mais son budget est insuffisant par rapport aux fonctions prévues par la Constitution. L'Article 220 de la Constitution stipule que le budget de la commission doit être couvert par le Fonds Consolidé du gouvernement et ne doit dépendre d'aucun ministère. Toutefois, dans la pratique, les montants doivent être approuvés par le Ministère des Finances qui réduit systématiquement le budget proposé après les sessions budgétaires. La CHRAJ a demandé de pouvoir présenter son budget directement au parlement pour que son indépendance prenne tout son sens. Entre-temps, elle dépend étroitement de bailleurs de fonds étrangers. Ces derniers, notamment les gouvernements danois, américain et britannique ainsi que des fondations, couvrent les coûts d'exploitation de la bibliothèque, les formations, le système informatique et les programmes éducatifs.

En 1999, les dépenses totales en investissements de capitaux et frais de fonctionnement de la CHRAJ étaient les suivantes8 :

· personnel : 1.738.383.000c [soit environ 390.000 US$]

· frais généraux et administratifs : 1.572.716.000c [350.000 US$]

· programmes : 184.708.362c [41.000 US$]

· investissements de capitaux: 2.860.901.000c [636.000 US$]

L'insuffisance des financements a provoqué le départ de bon nombre de personnes formées par la CHRAJ vers d'autres instances gouvernementales capables de leur offrir un meilleur salaire. En novembre 1998, la CHRAJ a introduit une requête auprès du gouvernement mais elle n'avait toujours pas reçu de réponse un an plus tard.

Evaluation

La CHRAJ défend les droits de l'homme avec franchise et indépendance. Elle est fort respectée et jouit de toute la confiance du public. Sa fermeté et sa volonté de ne pas plier sous la pression d'autres instances gouvernementales ont grandement contribué à augmenter sa crédibilité et sa visibilité au Ghana et lui valent une réputation bien méritée. Un militant d'une ONG soulignait que « la CHRAJ et les médias indépendants ont été les deux défenseurs les plus ardents des droits de l'homme au Ghana. »9 Sa force est alimentée par la présence d'un appareil judiciaire indépendant qui s'est prononcé contre le gouvernement lorsque celui-ci a mené des actions en justice visant à affaiblir les pouvoirs de la commission, ce qui met une fois de plus en évidence le besoin d'autres instances étatiques indépendantes.

Le Commissaire Short a déclaré à Human Rights Watch que : « le concept d'instance autonome et indépendante au sein du gouvernement est une idée que nous tentons d'imposer au Ghana. Au sein de l'exécutif, tout le monde n'est pas encore parvenu à l'accepter mais nous faisons des progrès. » En même temps, le Commissaire reconnaît la nécessité de jeter des ponts et de travailler avec ses détracteurs en disant : « Je ne peux compromettre mon indépendance mais être constamment à couteaux tirés avec le bureau du Procureur Général n'est absolument pas constructif car, en fin de compte, ce sont toujours les victimes qui en pâtissent. »10

La CHRAJ a tenté d'établir des liens avec la National Media Commission, la National Commission on Civic Education, les ONG et les médias. Le commissaire a fondé un comité de coordination des ONG des droits de l'homme pour pouvoir discuter des priorités et des stratégies. La coopération avec les ONG est particulièrement étroite dans le secteur de l'éducation aux droits de l'homme grâce à l'organisation de réunions et d'ateliers communs. La CHRAJ dispose d'un réseau national plus étendu que la majorité des ONG ghanéennes.

De toutes les commissions africaines des droits de l'homme, c'est la CHRAJ qui s'est le plus efforcée d'atteindre les populations vivant en dehors de la capitale. Selon M. Short : «Etant donné que près de soixante-dix pour cent de la population ghanéenne vit en milieu rural, il est essentiel que la commission décentralise ses opérations. »11

Toujours selon lui, le plus gros obstacle pour la CHRAJ est qu'elle travaille au-delà de ses capacités. La diversité des dossiers à traiter et le manque de spécialisation ont fait que le personnel travaille à la limite de ses possibilités, avec pour effet de démoraliser les employés opérant dans les rangs moins élevés. En outre, le taux élevé de rotation du personnel, associé au manque de personnel, a entravé d'autant plus le travail de la commission. La CHRAJ a des difficultés à garder son personnel, spécialement les avocats, à cause de la quantité de travail, des salaires relativement bas et du fait que les perspectives professionnelles seraient limitées par le commissaire. Les avocats doivent assister à toutes les réunions de panel et, de ce fait, les retards s'accumulent et une grande pression pèse sur tous les avocats. Le salaire et les conditions de travail du commissaire et des vice-commissaires sont comparables respectivement à ceux d'un juge de la cour d'appel et d'un juge de la cour suprême. En d'autres termes, les salaires de l'ensemble du personnel sont relativement bas et comparativement, un avocat travaillant pour le bureau du procureur général gagne plus.12

Malgré les difficultés, la CHRAJ témoigne de ce que peut arriver à faire une commission gouvernementale lorsqu'elle est protégée par la constitution, qu'elle dispose de pouvoirs contraignants forts et qu'elle est dirigée par un commissaire intègre et indépendant. La CHRAJ a fait preuve d'ambition en créant un réseau d'antennes dans tout le pays et en se chargeant d'un grand éventail de dossiers. Bien que les bailleurs de fonds internationaux aient octroyé leur soutien financier et autre à la CHRAJ, le manque de personnel, les bas salaires et le manque de ressources financières sont un obstacle. Une commission comme celle-ci devrait recevoir un plus large soutien des autorités nationales et des financeurs internationaux et servir de centre de formation pour d'autres commissions gouvernementales qui voient le jour.

1 « La Commission ghanéenne est un modèle d'institution nationale ayant adopté une approche holistique en concentrant diverses responsabilités en une seule organisation. Cette approche est différente de celle de l'Afrique du Sud où il y a un `Protecteur public' (pendant de l'ombudsman), une Commission des Droits de l'Homme, une Commission pour l'égalité entre les sexes et une Direction indépendante des plaintes. Un des désavantages de la coexistence de plusieurs instances nationales ayant compétence pour traiter différents types de plaintes est qu'il peut y avoir conflit de compétences et, par conséquent, plus d'une victime se demandera vers quelle instance se tourner. De plus, il est important de noter que, pour les pays en développement spécialement, le fait de devoir financer suffisamment plusieurs instances nationales dotées de mandats similaires représente un fardeau économique évident. Dans le cas du Ghana, c'est ce dernier facteur qui a fait pencher la balance en faveur d'une institution unique lors du débat au sein de l'Assemblée Consultative qui a rédigé la Constitution. Il faut cependant reconnaître qu'une instance nationale dotée de tout un éventail de fonctions peut se voir inondée de plaintes qui peuvent la pousser à la limite de ses ressources financières et humaines . » Emile Short, Commissaire, « The Commission on Human Rights and Administrative Justice in Ghana : Country Report, » 1998, p.1-2. 2 Selon le Commissaire Short, « L'octroi de ces pouvoirs contraignants à la commission a déclenché un grand débat au Ghana. Les opposants à cette disposition affirment que la dignité de la Commission sera mise à mal dès que les tribunaux refuseront de mettre en _uvre la décision de la commission en rejetant ses conclusions et recommandations. Ils déclarent de plus que la commission occupe une position peu enviable puisqu'elle cumule déjà plusieurs fonctions, situation qui pourrait compromettre sa neutralité dans certains cas. En d'autres mots, elle enregistre et enquête à propos de ces plaintes, tente une médiation et, lorsque celle-ci échoue, doit assumer un rôle de juge. Il serait inopportun d'ajouter à ces différentes fonctions celle d'imposer ses propres décisions par une action en justice. Malgré le poids de ces arguments, jusqu'à présent l'expérience prouve qu'il est nécessaire qu'elle conserve ce pouvoir coercitif. C'est en effet un pouvoir qui est rarement invoqué...Le pouvoir coercitif de la Commission sert donc de garde-fou qui peut être invoqué dès que nécessaire. » Emile Short, Commissaire, « The Commission on Human Rights and Administrative Justice in Ghana : Country Report, » 1998, p.11. 3 Ibid., p.10. 4 La procédure de nomination des membres de la National Media Commission est assez différente : les membres sont nommés par diverses organisations de la société civile, sous contrat à durée déterminée. Les différences sont parlantes. La NMC jouit d'une grande indépendance mais le gouvernement a exercé une forte pression sur certaines des organisations lorsqu'il a fallu proposer des candidats pour le deuxième mandat. Résultat: la composition de la commission a été totalement modifiée à l'exception d'un membre. Par contraste, la National Commission on Civic Education, dont la procédure de nomination est comparable à celle de la CHRAJ, est considérée comme étant totalement soumise au gouvernement. 5 Les informations apparaissant dans le présent chapitre proviennent d'un certain nombre de sources, notamment des entretiens de Human Rights Watch avec Emile short, commissaire, et Ken Agyemang Attafuah, enquêteur principal et directeur des Opérations, CHRAJ, Durban, Afrique du Sud, les 1er et 3 juillet 1998 ; Emile Short, « The Commission on Human Rights and Administrative Justice in Ghana : Country Report, » 1998 ; CHRAJ, « Third Annual Report, » 1996 ; CHRAJ, « Report of the Inspection of the Country's Prisons, Prison Camps and Police Cells, » mars 1995 ; Département d'Etat américain, « Ghana Country Report on Human Rights Practices for 1998, » 26 février 1999 ; et divers entretiens téléphoniques avec Richard Carver, consultant, International Council on Human Rights, 1999. 6 Entretien de Human Rights Watch avec Emile Short, commissaire, CHRAJ, Durban, Afrique du Sud, le 1er juillet 1998. 7 Voir aussi chapitre sur Les Contributions innovatrices et positives des Commissions des Droits de l'Homme. 8 Courrier électronique du commissaire Emile Short, le 3 juin 2000. 9 Entretien de Human Rights Watch avec Raymond A. Atuguba, directeur de projets, Legal Resources Center (Ghana), Cambridge, U.S.A., novembre 1999. 10 Entretien de Human Rights Watch avec Emile Short, commissaire de la CHRAJ, Durban, Afrique du Sud, le 1er juillet 1998. 11 Emile Short, commissaire, « The Commission on Human Rights and Administrative Justice in Ghana : Country Report, » 1998, p.5. 12 Entretien de Human Rights Watch avec Emile Short, commissaire de la CHRAJ, Durban, Afrique du Sud, le 3 juillet 1998.
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