Human Rights Watch

Les Commissions gouvernementales des droits de l'homme en Afrique : Protecteurs ou Pretendus Protecteurs?
Malawi








Présentation Générale

Résumé

Normes Iinternationales: les Principes de Paris

Facteurs Importants

Etat des Lieux

Contributions Innovatrices et Positives des Commissions

Les Iniatives Régionales

Le Role de la Communauté Internationale

Conclusion

Recommandations

Abréviations

Remerciements




    Human Rights Commission

    Origine et mandat

    Le Malawi a tenu ses premières élections démocratiques multipartites depuis son indépendance en 1994, après trente années de régime autoritaire à parti unique. Le Président Bakili Muluzi et son parti, le United Democratic Front [Front Démocratique Uni], sont arrivés au pouvoir sur une plate-forme qui promettait de rétablir l'Etat de droit et de respecter les droits de l'homme. Sous le gouvernement Muluzi, la situation des droits de l'homme au Malawi s'est nettement améliorée, bien que certains problèmes, tels que les brutalités policières, subsistent.

    La Human Rights Commission [Commission des droits de l'homme] a été créée dans le cadre du processus de transition vers un système pluraliste. La Commission des droits de l'homme a été prévue au chapitre XI de la nouvelle constitution, promulguée en 1994, avec pour mandat de « protéger et d'enquêter sur les violations des droits accordés par la présente Constitution »1. L'Article 131 de la constitution stipule que le président nommera les sept personnes suivantes aux postes de commissaires : les deux personnes occupant la fonction de Law Commissioner (Commissaire juriste) et celle d'Ombudsman, et les cinq autres qui seront proposées par le Law Commissioner et l'Ombudsman, en concertation avec les groupes de la société civile.

    La constitution a également créé deux autres institutions traitant des questions des droits de l'homme : un Ombudsman et un National Compensation Tribunal (NCT) [Tribunal National de Compensations]. L'Ombudsman est mandaté pour enquêter et entreprendre des actions en justice à l'encontre des fonctionnaires gouvernementaux responsables de violations des droits de l'homme et autres abus. Les pouvoirs de l'Ombudsman ont été quelque peu limités par une législation ultérieure qui restreint ses possibilités d'accès aux archives du gouvernement, lui imposant la présentation d'un mandat et une période d'attente de trois jours. En août 1999, la Haute Cour de Blantyre a émis une ordonnance empêchant l'Ombudsman d'enquêter sur le licenciement de quatre employés qui se plaignaient d'avoir été congédiés en raison de leurs opinions politiques. Outre cette ordonnance, la Haute Cour a établi que les activités de l'Ombudsman étaient sujettes à examen judiciaire. L'Ombudsman a fait appel de ce jugement.

    Pour étudier les violations des droits de l'homme commises dans le passé, la constitution a créé le NCT qui se prononce sur des requêtes portant sur la responsabilité civile et pénale de l'ancien gouvernement et verse des indemnisations financières. En février 1999, le National Compensation Tribunal avait déjà enregistré plus de 8700 requêtes, dont quelque 25% avaient été résolues, mais le manque de fonds du NCT a limité sa capacité à régler à fond les requêtes. Pendant ce temps, d'importantes sommes ont été déboursées par le gouvernement pour régler devant les tribunaux des procès non-NCT pour des cas similaires de violations des droits de l'homme. Répondant aux critiques du public l'accusant de favoritisme à l'égard de certains des bénéficiaires initiaux qui étaient des personnalités importantes, le NCT a maintenant fixé à 20.000 kwacha [environ 450 US$] le montant maximum d'un versement provisoire, suivi plus tard d'un versement du solde si les fonds sont disponibles. Ce qui veut dire que plusieurs milliers de personnes ont été indemnisées.2

    En dépit de la disposition constitutionnelle de 1994, la Commission des droits de l'homme n'est devenue opérationnelle que cinq ans plus tard, en 1999. Au cours des deux années qui ont suivi l'adoption de la constitution, la Commission n'a eu aucune activité. Puis, en 1996, le parlement a finalement inclus une petite ligne budgétaire pour la Commission des droits de l'homme. Dès que les fonds ont été disponibles, le Juge Elton Singini, Law Commissioner, et l'Ombudsman (de l'époque) l'Hon. James Chirwa, ont pu assumer leurs responsabilités au sein de la Commission des droits de l'homme. Ils étaient néanmoins limités dans leurs mouvements par l'absence de législation parlementaire habilitante fixant les procédures de fonctionnement et par l'insuffisance des ressources.

    Malgré les conditions de travail limitées, les deux commissaires en fonction se sont mis au travail, et en l'espace de six mois, ils avaient rédigé une loi habilitante avec l'aide du Haut Commissariat de l'ONU aux Droits de l'Homme et l'ont présentée au ministère de la justice. Pendant plus d'un an, la loi en instance est passée d'un comité de rédaction à l'autre, assortie de promesses répétées de promulgation. La loi relative à la composition, aux responsabilités et aux pouvoirs de la commission a finalement été adoptée par le parlement en juin 1998. Cela a permis la nomination d'autres commissaires et la Commission des droits de l'homme a pu devenir pleinement opérationnelle. 3 En avril 1999, les cinq commissaires restants ont finalement pu prêter serment. Au 1er août 1999, le personnel de la commission avait été engagé et la commission commençait à travailler à plein temps.

    Bien que la loi habilitante se soit fait trop longtemps attendre, la Loi relative à la Commission des droits d'homme est bien rédigée, conférant à la commission des pouvoirs étendus qui lui permettent d'être efficace et autonome. L'Article 12 stipule que la « Commission doit être compétente à tous égards pour protéger et promouvoir les droits de l'homme au Malawi dans le sens le plus large possible et pour enquêter sur les violations des droits de l'homme de son propre chef ou suite à des plaintes émanant de toute personne, classe de personnes ou organe»4. L'Article 15 accorde d'importants pouvoirs à la Commission des droits de l'homme pour entendre et obtenir tout témoignage s'avérant nécessaire, pour mener des recherches après avoir obtenu un mandat délivré par un magistrat, et exercer «une autorité inconditionnelle»5 pour visiter un lieu de détention «avec ou sans notification préalable».6 La loi encourage les commissaires à « développer des relations de travail »7 avec le secteur des ONG des droits de l'homme et à promouvoir la coopération avec d'autres organismes gouvernementaux sur les questions des droits de l'homme. Les commissaires peuvent faire des déclarations publiques sur toute question relative aux droits de l'homme et formuler des recommandations aux pouvoirs exécutif et législatif. Toute personne, y compris les employés gouvernementaux, qui interfère ou entrave le travail de la Commission est passible d'une amende et d'une peine d'emprisonnement pouvant aller jusqu'à cinq ans (Article 34).

    Procédures d'engagement et de nomination

    La Constitution stipule que la Commission des droits de l'homme est composée des personnes ayant les postes de Law Commissioner et d'Ombudsman. Il s'agit pour les deux cas de nominations présidentielles. Les cinq autres commissaires, recherchés au sein d'institutions honorables concernées par les droits de l'homme, sont désignés par le président sur recommandation du Law Commissioner et de l'Ombudsman après consultation avec les secteurs de la société civile. L'Article 4(2) de la Loi relative à la Commission des Droits de l'Homme stipule que « toutes les organisations compétentes doivent être invitées à proposer au maximum deux personnes qui sont indépendantes, non partisanes, d'une grande intégrité et réputation au sein ou en dehors de l'organisation pour être nommées membres de la Commission ».8 La nomination de personnes provenant « d'organisations compétentes » pourrait poser problème dans une société polarisée telle que le Malawi car le choix des organisations est subjectif. On ne voit pas non plus clairement comment des organes définis d'une façon aussi vague, tels que des communautés « religieuses » et « académiques », peuvent, dans la pratique, proposer des représentants ou leur faire assumer leur responsabilité.

    La durée du mandat du Law Commissioner et de l'Ombudsman dépend de la durée de leur mandat dans les institutions qui les ont parrainés. Les cinq autres membres nommés auront un mandat de trois ans. Ils ne peuvent être démis de leur fonction que pour cause d'incompétence, d'incapacité, ou si un membre est incapable d'exercer ses fonctions de façon impartiale. Les barèmes salariaux des commissaires sont déterminés par le parlement.

    Outre le Juge Elton Singini, Law Commissioner, et M. Enoch Chibwana, Ombudsman (depuis 1999), les commissaires sont : l'Abbé Alfred Nsope qui est président de la Commission des droits de l'hommes et dont la candidature avait été proposée par le Public Affairs Committee [Comité des Affaires Publiques] (un groupe de la société civile qui représente les musulmans et les chrétiens) ; M. Ralph Kasambara, juriste proposé par le monde juridique ; Mme Veronica Sembereka, enseignante faisant partie de la commission d'aide aux enseignants et proposée à la fois par la communauté religieuse et la commuanuté enseignante ; M. Mc Bain Kanongodza, de la Société nationale de la Croix-Rouge ; et le Dr Kanyama Phiri, professeur d'université proposé par la communauté universitaire. En outre, le personnel du secrétariat inclut environ soixante-dix personnes.

    Activités

    En principe, la Commission des droits de l'homme est opérationnelle depuis janvier 1996, depuis la nomination du Law Commissioner et de l'Ombudsman. Néanmoins, le retard pris dans l'adoption de la législation habilitante, qui a également retardé la nomination des cinq autres commissaires et le recrutement du personnel administratif, a empêché la Commission des droits de l'homme d'être opérationnelle à cent pour cent avant 1999.

    De 1996 à 1999, la Commission des droits de l'homme n'existait que de nom. Il faut reconnaître que le Law Commissioner et l'ombudsman ont bel et bien fait des efforts pendant cette période pour mener à bien certaines actions. Ils ont surtout passé leur temps à rédiger et à préconiser l'adoption de la loi habilitante relative à la commission, avec l'aide du haut Commissariat de l'ONU aux Droits de l'Homme. Les deux commissaires en fonction ont également décidé de ne faire aucune planification globale qui pourrait engager la Commission des droits de l'homme dans un plan d'action avant que la commission ne soit au complet, afin de s'assurer un consensus.9

    En 1999, la Commission des droits de l'homme a participé au contrôle des élections présidentielles et parlementaires de juin 1999 et elle a reçu à cet effet des fonds de Danida, une agence d'aide danoise. Après avril, une fois que les commissaires avaient prêté serment, beaucoup de temps a été consacré à des réunions de formation et d'orientation ainsi qu'au recrutement et à l'engagement du personnel administratif. Les commissaires s'étaient engagés à poursuivre une procédure d'embauche transparente. Un processus ouvert de recrutement, de dépôt des candidatures et d'entretiens a eu lieu sur une période de quatre mois. L'ensemble du personnel, comptant soixante-dix personnes, a été engagé et a commencé à travailler en août 1999. Les commissaires ont également organisé des réunions de planification stratégique, fixé les modalités de contrat du personnel et préparé des projets financiers destinés aux bailleurs de fonds. Un atelier d'orientation a eu lieu pendant deux jours pour les commissaires et le personnel, avec la participation de membres des commissions des droits de l'homme du Ghana, d'Ouganda et d'Afrique du Sud, ainsi que des représentants du Haut Commissariat des Nations Unies aux Droits de l'Homme. 10

    En liaison avec le ministère chargé de la gestion et du développement des ressources humaines, la Commission des droits de l'homme pense établir un secrétariat comprenant cinq départements : affaires juridiques, éducation et formation ; enquêtes, recherche et documentation ; et administration et finances. Le siège se trouve à Lilongwe et des bureaux régionaux sont prévus dans les trois régions administratives du Malawi.

    Financement

    Aux termes de la loi, le gouvernement est censé financer la Commission des droits de l'homme suffisamment que pour lui permettre d'exercer ses pouvoirs et d'accomplir ses tâches et fonctions et pour garantir son indépendance et son impartialité. La commission peut également recevoir des dons, à condition que cela ne compromette pas son indépendance ou son impartialité.

    Actuellement, le principal problème auquel la Commission des droits de l'homme doit faire face est l'insuffisance des crédits. En raison des programmes d'ajustement structurel mis en place par les institutions financières internationales, le gouvernement a imposé des contrôles budgétaires stricts. Tous les mois, les différents ministères reçoivent des fonds au prorata des rentes que le Trésor a enregistrées le mois précédent, et rien de plus. Cela a entraîné un important manque à gagner pour de nombreuses instances gouvernementales, notamment la Commission des droits de l'homme. Au cours de l'exercice 1999, le budget prévisionnel de la Commission des droits de l'homme, qui lui aurait permis de travailler efficacement, s'élevait à 31 millions de kwacha (environ 700.000 US$). Elle n'a toutefois reçu que moins d'un quart de ce montant : 7 millions de kwacha seulement (environ 160.000 US$) lui ont été versés par intermittence au cours de l'année. 11

    A la fin 1999, la Commission des droits de l'homme était en contact avec le Haut Commissariat des Nations Unies aux Droits de l'Homme, le PNUD et d'autres bailleurs de fonds afin de collecter les fonds nécessaires pour faire face à ses problèmes financiers.

    Evaluation

    La Commission malawienne des droits de l'homme vient juste de commencer à fonctionner à plein rendement, après la nomination de tous les commissaires et le recrutement du personnel vers la fin de l'année 99. A ce stade initial, l'avenir de la commission semble prometteur. Sa loi habilitante est l'une des meilleures du continent africain, lui conférant des pouvoirs étendus d'investigation et de réparation et une autonomie considérable. Cependant, beaucoup de leçons sont à tirer de l'histoire récente du Malawi, laquelle donne à penser que le problème ne réside pas dans le manque de cadres normatifs appropriés mais plutôt dans l'absence de volonté politique pour actualiser les normes. Il appartient désormais aux commissaires d'utiliser cette liberté que leur accorde la loi pour garantir un plus grand respect des droits de l'homme au Malawi. Un autre problème majeur qui se pose en ce moment est l'insuffisance des crédits mis à la disposition de la commission, qui découle des réductions budgétaires dues aux ajustements structurels imposés par les institutions financières internationales. Les restrictions budgétaires constituent clairement un problème touchant tous les organismes gouvernementaux au Malawi, pas seulement la Commission des droits de l'homme. Néanmoins, étant donné l'importance du travail de la commission et la disposition législative qui prévoit le versement de crédits suffisants pour son travail, le gouvernement malawien veillera à ce que tous les crédits soient mis à la disposition de la commission pour qu'elle remplisse pleinement son mandat relatif à la protection et la promotion des droits de l'homme.

    1 « the protection and investigation of violations of the rights accorded by this Constitution. » 2 Département d'Etat américain « Malawi Country Report on Human Rights Practices for 1999 », le 25 février 2000.

    <http : www.state.gov/www/global/human_rights/1999_hrp_report/malawi.html> ; et courrier électronique de Richard Carver, consultant, le 10 mars 2000.

    3 Entretien de Human Rights Watch avec le Juge Elton Singini, membre de la Commission malawienne des droits de l'homme, Durban, Afrique du Sud, le 2 juillet 1998. 4 « Commission shall be competent in every respect to protect and promote human rights in Malawi in the broadest sense possible and to investigate violations of human rights on its own motion or upon complaints received by any person, class of persons or body ». 5 « unhindered authority » 6 « with or without notice » 7 « develop work relationships » 8 « all appropriate organizations shall be invited to nominate up to two persons who are independent, non-partisan and of high integrity and standing from within or outside the organization for appointment as member or members of the Commission » 9 Entretien de Human Rights Watch avec le Juge Elton Singini, membre de la Commission malawienne des droits de l'homme, Durban, Afrique du Sud, le 2 juillet 1998. 10 Entretien téléphonique de Human Rights Watch avec le Juge Elton Singini, membre de la Commission malawienne des droits de l'homme, le 23 décembre 1999. 11 Ibid, et « 21 to be Chopped : Governement on Trimming Binge », Nation (Malawi), le 7 mai 1998.
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