Human Rights Watch

Les Commissions gouvernementales des droits de l'homme en Afrique : Protecteurs ou Pretendus Protecteurs?
Afrique du Sud








Présentation Générale

Résumé

Normes Iinternationales: les Principes de Paris

Facteurs Importants

Etat des Lieux

Contributions Innovatrices et Positives des Commissions

Les Iniatives Régionales

Le Role de la Communauté Internationale

Conclusion

Recommandations

Abréviations

Remerciements




    South African Human Rights Commission (SAHRC)

    Origine et mandat Lors des négociations qui ont abouti aux premières élections au suffrage universel en Afrique du Sud au mois d'avril 1994 et tout au long du processus de transition d'un régime minoritaire à un gouvernement élu démocratiquement, le besoin a été largement souligné d'apporter des amendements à la constitution en vue d'éviter que ne se reproduisent les effroyables violations des droits de l'homme dont l'Afrique du Sud avait été le théâtre par le passé. De fait, la constitution provisoire, adoptée au mois de décembre 1993 et entrée en vigueur dans le sillage des élections, prévoyait la mise en place d'un certain nombre d'institutions, dont une commission nationale des droits de l'homme, chargées de vérifier si le gouvernement appliquait bien les normes relatives aux droits de l'homme. Une proposition de loi a été rédigée une fois que le nouveau gouvernement d'unité nationale, dirigé par le Congrès National Africain (ANC), est arrivé au pouvoir, et le Président Nelson Mandela a signé la Loi relative à la Commission des Droits de l'Homme [Human Rights Commission Act] No. 54 de 1994, qui a été promulguée le 24 novembre 1994. La loi est entrée en vigueur au mois de septembre 1995 et la commission se réunissait pour la première fois en octobre 1995. Le Chapitre 9 de la constitution finale, laquelle avait été rédigée par le parlement élu en 1994 et réuni en assemblée constitutionnelle, et qui est entrée en vigueur en février 1997, a confirmé la position de la South African Human Rights Commission [Commission sud-africaine des droits de l'homme] (SAHRC) en tant que l'une des "institutions étatiques soutenant la démocratie constitutionnelle1" aux côtés de la Commission pour l'égalité des sexes [Commission on Gender Equality], le Protecteur Public [Public Protector], l'Auditeur-Général, la Commission électorale, la Commission pour la promotion et la protection des droits des minorités culturelles, religieuses et linguistiques [Commission for the Promotion and Protection of the Rights of Cultural, Religious and Linguistic Minorities], et l'Autorité indépendante de réglementation de la diffusion des programmes [Independent Authority to Regulate Broadcasting].2Par ailleurs, l'Afrique du Sud dispose d'une Direction indépendante des plaintes [Independent Complaints Directorate] (ICD) chargée d'examiner les plaintes déposées contre la police. Plus récemment, un juge- inspecteur a été nommé afin d'enquêter sur les conditions carcérales. Il est à noter que ni la Direction Indépendante des Plaintes, ni le juge-inspecteur ne sont mentionnés dans le Chapitre 9 de la constitution. Le nouveau gouvernement a également instauré la Commission pour la Vérité et la Réconciliation [Truth and Reconciliation Commission] (TRC) chargée d'étudier les violations commises sous le précédent gouvernement et, dans certains cas, d'accorder une amnistie au gouvernement ou à ses opposants pour les crimes commis. La TRC, qui est un organe provisoire, a organisé des audiences publiques entre 1996 et 1998 et publié un rapport en cinq volumes en octobre 1998. Un rapport final sera présenté lorsque toutes les demandes d'amnistie auront été traitées, ce qui devrait prendre plusieurs années. Bien que les dispositions de la constitution et de la loi établissant la SAHRC lui confèrent un mandat élargi, dans la pratique, la commission a plus limité son champ d'activités que les institutions nationales des droits de l'homme d'autres pays, afin d'éviter tout conflit de compétences avec d'autres organes similaires créés par la constitution et les autres lois. Elle n'assume aucune responsabilité dans les domaines ayant trait à la justice administrative (compétence du Protecteur Public); les plaintes déposées contre la police relèvent de la compétence de l'ICD tandis que les questions relatives aux droits de la femme incombent à la Commission pour l'égalité des sexes. En revanche, la version finale de la constitution a aussi conféré à la commission la responsabilité d'étudier les affaires relatives aux droits économiques et sociaux, ce qui a constitué la plupart du travail de la commission. La déclaration des droits de l'Afrique du Sud a un "effet horizontal" [horizontal effect] et est contraignante tant pour l'Etat que pour "les personnes morales ou juridiques" [natural or juristic persons]. Par conséquent, la SAHRC peut enquêter sur les relations entre particuliers, entre particuliers et sociétés, ou encore entre l'Etat et ses citoyens. Au mois de février 2000, le parlement sud-africain a adopté deux lois qui attribueront de nouvelles fonctions non négligeables à la SAHRC dès qu'elles entreront en vigueur. La Loi relative à la promotion de l'égalité et à la prévention de la discrimination injuste [Promotion of Equality and Prevention of Unfair Discrimination Act] stipule que, dans ses rapports au parlement, la commission doit inclure une évaluation des effets de la discrimination injuste et peut demander à toute personne ou institution étatique "de fournir des informations sur toute mesure relative à la réalisation de l'égalité"3 d'aider les plaignants à utiliser la loi, ou de mener des enquêtes dans le cadre d'affaires. Il est demandé aux divers ministères de soumettre à la SAHRC des "plans pour l'égalité" [equality plans] visant à éliminer toute forme de discrimination injuste dans les deux années suivant l'entrée en vigueur de la loi « conformément aux dispositions prévues »4 La Loi relative à la promotion de l'accès à l'information [Promotion of Access to Information Act], qui garantit l'accès du public aux documents du gouvernement, demande à la SAHRC de dresser un guide d'utilisation de la loi, de faire un rapport annuel à l'Assemblée Nationale sur les demandes d'informations reçues par les ministères et d'apprendre aux fonctionnaires et au public la manière d'exercer les droits garantis dans la loi.5 La SAHRC jouit de pouvoirs étendus. Conformément au mandat qui lui a été conféré de promouvoir et de veiller au respect des droits de l'homme, la commission peut mener des enquêtes dans le cas d'exactions, prendre des mesures en vue d'une réparation, notamment porter des affaires devant les tribunaux et garantir l'éducation aux droits de l'homme. Elle peut assigner des témoins à comparaître et a déjà entendu des membres des cabinets ministériels. Elle peut procéder à des perquisitions et des saisies, bien que cela ne se soit pas encore produit. Lors d'affaires pénales, tous les organes de l'Etat, à quelque niveau que ce soit, se doivent d'assister la commission, dans des limites raisonnables, si elle en fait la demande afin de lui permettre d'effectuer son travail. Cependant, elle n'a pas le pouvoir de faire appliquer ses recommandations, ni même d'exiger une réponse. Procédures d'engagement et de nomination A l'instar des autres organes instaurés aux termes du Chapitre 9, la SAHRC est responsable devant l'Assemblée Nationale et non devant l'exécutif. Les commissaires sont élus à la majorité des membres de l'Assemblée Nationale et le président confirme les nominations, qui peuvent être soit à temps plein, soit à temps partiel (pourvu que cinq membres au moins soient nommés à temps plein). La constitution stipule que le processus de recommandation peut comporter une participation de la société civile, bien que la Loi relative à la Commission des Droits de l'Homme n'exige pas cette concertation. Dans la pratique, la procédure de nomination est un processus ouvert et transparent, comportant des entrevues publiques. Les commissaires exercent un mandat d'une durée déterminée qui ne peut dépasser sept ans et qui est renouvelable une fois. Les commissaires ne peuvent être révoqués que pour des raisons d'inconduite, d'incapacité ou d'incompétence, procédure qui doit avoir fait l'objet d'une investigation d'un comité de l'Assemblée Nationale, avant d'être confirmée par les membres de l'Assemblée statuant à la majorité. La loi prévoit également que les commissaires et leur personnel doivent travailler de manière impartiale et indépendante et qu'aucun fonctionnaire de l'Etat ne peut intervenir dans le travail de la commission. Comme l'exige la constitution, les commissaires proviennent d'horizons fort diversifiés. Quatre commissaires, dont la vice-présidente, sont des femmes. Barney Pityana, président de la commission depuis sa fondation, est un pasteur ayant lutté contre l'apartheid. Il a passé bon nombre d'années au Conseil Mondial des Eglises à Genève et fait également partie de la Commission Africaine des Droits de l'Homme et des Peuples. Même si l'Assemblée Nationale compte une grande majorité de membres de l'ANC, il n'en va pas de même pour les commissaires. En fait, certains ont critiqué la procédure de nomination parce qu'elle a été plus attentive au besoin de représenter une grande diversité de groupes politiques et raciaux qu'aux compétences des commissaires en matière de droits de l'homme. Venitia Govender, directrice du Human Rights Committee non gouvernemental, a confié à Human Rights Watch que "toute une série de manoeuvres ont lieu entre les différents partis au sein du comité de justice du parlement au moment des nominations. Il semblerait parfois que les considérations politiques soient plus importantes que la qualité des personnes nommées."6Il y a eu énormément de changements au niveau de la composition de la commission. Une personne a notamment présenté sa démission car elle se sentait frustrée par la manière dont la commission était gérée. Par ailleurs, le remplacement des commissaires sortants ne s'effectue pas rapidement. La SAHRC est divisée en deux sections: la commission proprement dite, qui définit la politique générale, et le secrétariat qui met en oeuvre la politique. Le président dirige l'ensemble de la commission alors que le directeur exécutif dirige le secrétariat. Dans la pratique, cette structure a causé quelques problèmes, le rôle des commissaires dans les affaires journalières n'étant pas toujours clair ; la SAHRC a toutefois résolu les problèmes avec plus de succès que la Commission pour l'égalité des sexes, par exemple, qui a la même division entre personnel et commissaires. La commission au grand complet se réunit en séance plénière tous les deux mois afin de passer en revue les travaux de la commission. La commission s'est subdivisée en unités de fonctionnement et chaque membre est responsable d'au moins une des neuf provinces. Le secrétariat est quant à lui divisé en cinq départements: services juridiques; campagnes; recherche et documentation; médias et relations publiques; finances et administration. Un grand nombre de membres du personnel ont également présenté leur démission, surtout au cours des premières années de fonctionnement. Ceci peut être simplement dû au niveau élevé de mobilité dans les secteurs privé, public et non gouvernemental alors que de nouvelles opportunités se sont présentées au lendemain des élections de 1994. Outre le personnel salarié, la SAHRC utilise un grand nombre de stagiaires, notamment dans les premières phases du traitement des plaintes, ce qui leur permet d'acquérir de l'expérience dans le domaine des droits de l'homme. Le siège de la commission se trouve à Johannesburg. Elle possède également des bureaux provinciaux au Cap (depuis 1997), à Port Elizabeth, à Durban et à Pietersburg (tous établis en 1999). En vertu des dispositions de l'Article 5 de la loi, la commission a mis sur pied six comités permanents. Chacun de ces comités est présidé par un commissaire mais il se compose également d'experts externes. Le comité politique et de coordination internationale [policy and international coordination committee] conseille la commission au niveau de la politique générale et se tient informé de ce qui se passe aux Nations Unies, à l'OUA et dans d'autres institutions nationales des droits de l'homme de par le monde. Le comité de liaison auprès du gouvernement et du parlement [government and parliamentary liaison committee] suit de près la législation et les travaux des ministères et du parlement dans le domaine des droits de l'homme. Le comité des affaires juridiques et constitutionnelles [legal and constitutional affairs committee] s'occupe de l'administration de la justice, notamment au sein des prisons et des services de police. Le comité de liaison entre organisations non gouvernementales et communautaires et organismes de droit public [nongovernmental and community-based organizations (NGO/CBO) and statutory bodies liaison committee] assure le lien avec ces structures et est chargé de les consulter dans le cas où surgissent des problèmes ou lorsqu'il existe une possibilité d'action commune. Le comité pour les droits des personnes handicapées [committee on the rights of people with disabilities] veille à ce que les droits de l'homme soient bien respectés dans le cas de personnes handicapées et cherche à promouvoir les références à la déclaration des droits et aux instruments internationaux des droits de l'homme lors de l'interprétation des droits des personnes handicapées. Le comité des droits de l'enfant [committee on the rights of the child] fournit des conseils quant aux stratégies à développer en vue de la protection et de la promotion des droits de l'enfant. Ce comité traite en particulier le cas des enfants faisant l'objet de diverses formes de détention. Activités Au mois de décembre 1996, le SAHRC a publié un plan d'activités pour la période allant de 1996 à 2000. Ce plan définit cinq objectifs que la commission devra atteindre:

    · fournir des informations, des cours et des formations relatifs aux droits de l'homme;

    · s'attaquer aux violations des droits de l'homme;

    · mettre sur pied un vaste centre de recherche et de documentation;

    · faire de la SAHRC une ressource nationale et une référence dans le domaine des droits de l'homme; et

    · mettre en place et assurer une administration efficace et effective.7

C'est au début de l'année 1998, décrite comme "une année capitale, au cours de laquelle nous sommes passés de l'élaboration d'une vision et de l'établissement de structures au réglage minutieux des rouages de la mise en oeuvre des programmes," que la commission a défini ses programmes prioritaires: développer un plan d'action national relatif aux droits de l'homme; à l'égalité; aux droits socio-économiques; et à l'administration de la justice.8La commission est intervenue à des niveaux divers: campagne en haut lieu pour influencer la politique générale ou les lois élaborées par le gouvernement; éducation et formation aux droits de l'homme à l'intention du public et des agents de l'Etat; audiences et enquêtes dans le cadre de violations des droits; et enquêtes individuelles. La SAHRC est la principale institution qui a poussé à l'élaboration et à l'adoption du Plan d'Action National pour la Promotion et la Protection des Droits de l'Homme9 travaillant en relation étroite avec le Ministère de la Justice.10En 1998, le 10 décembre, journée des droits de l'homme, le gouvernement a annoncé l'adoption du plan d'action, ainsi que la ratification d'une série de traités des Nations Unies relatifs aux droits de l'homme. La SAHRC a été très active dans le domaine de l'enseignement des droits de l'homme. Elle a notamment élaboré la partie du "Programme Scolaire 2005" relative aux droits de l'homme. Le "Programme Scolaire 2005" est un programme national modifié destiné aux écoles d'Afrique du Sud. Lors de la semaine annuelle des droits de l'homme qui a lieu chaque année au mois de mars ( et a donné naissance à la journée sud-africaine des droits de l'homme, le 21 mars, en commémoration du massacre de Sharpeville de 1960), la SAHRC a participé à une vaste série de programmes de sensibilisation aux droits de l'homme dans les écoles. La commission s'est assuré une représentation au sein d'organismes impliqués dans l'élaboration de programmes éducatifs nationaux et provinciaux à objectifs divers tels que la formation d'enseignants. Elle a organisé des ateliers de formation destinés aux ministères, en priorité les ministères de la justice, des affaires intérieures, les services correctionnels, la police et l'armée. Ces programmes de formation ont été élaborés en collaboration avec le Haut Commissariat des Nations Unies aux Droits de l'Homme. La SAHRC a également produit des manuels à l'attention de ceux qui souhaitent mettre sur pied des ateliers consacrés aux droits de l'homme. La commission a cherché à promouvoir les droits de l'homme par le biais de dépliants, de campagnes d'affichage, d'annonces publiées dans les journaux, ou encore de programmes diffusés sur les chaînes de radio et de télévision. La commission était représentée au sein du comité directeur chargé d'une série télévisée en treize épisodes consacrée à la constitution et à la déclaration des droits. Elle a vérifié l'exactitude des faits développés dans le scénario. Cette série a été diffusée en 1998.11La commission tente de mettre sur pied un Centre de formation et d'éducation aux droits de l'homme à son siège de Johannesburg.12 Là où la SAHRC a reçu un grand nombre de plaintes émanant de groupes particuliers, elle a essayé d'aborder les problèmes de façon plus générale, même si elle n'est pas habilitée à résoudre les plaintes spécifiques qui sont déposées. Tout comme les autres institutions du même genre, la commission a été saisie d'un nombre élevé de plaintes émanant surtout de prisonniers. L'un des premiers projets d'envergure entrepris par la SAHRC a été une enquête nationale sur les conditions carcérales. Suite aux violentes émeutes de novembre 1996, un grand nombre de plaintes avaient été déposées contre les gardiens de prison accusés d'avoir abusé de la force. Une série d'audiences publiques ont été organisées à la prison de Leeuwkop, dans la province du Gauteng. Les gardiens de prison et les détenus ont également été interrogés dans plusieurs prisons de la province du Cap occidental, notamment à Pollsmoor, suite aux émeutes de 1997, dans l'espoir de pouvoir trouver une solution au conflit. La commission a rédigé également un rapport circonstancié sur les conditions générales de détention dans les prisons sud-africaines. Ce rapport se fonde sur des visites effectuées dans des prisons sur l'ensemble du territoire, parfois sans prévenir, ainsi que sur des lettres envoyées par des détenus. Il a été présenté au parlement en 1998.13La commission y critiquait certaines conditions de détention dans une nouvelle unité fermée de haute sécurité (C-Max) à la Prison de haute sécurité de Pretoria. En collaboration avec le Human Rights Committee [Comité des Droits de l'Homme], la SAHRC a organisé un atelier consacré à l'impact des conditions de détention dans les prisons de haute sécurité sur les droits de l'homme. Conformément à la loi de 1998, un corps d'inspecteurs judiciaires a été nommé afin d'étudier les conditions de vie dans les prisons, ce qui devrait réduire le travail de la SAHRC à ce niveau puisque la plupart des plaintes seront à présent transférées au juge- inspecteur. Un protocole d'accord a été élaboré afin de garantir cette coopération. Après les plaintes concernant les conditions de vie en milieu carcéral, la SAHRC reçoit également énormément de plaintes faisant état de discriminations. Par conséquent, la commission a choisi de consacrer une partie considérable de son temps à l'examen de plaintes déposées suite à des violences raciales ou à des discriminations raciales. Barney Pityana, président de la commission, a décidé de mettre ces problèmes en évidence. La SAHRC a été étroitement liée au processus de rédaction de la loi sur l'égalité, loi exigée par la constitution pour apporter un support législatif aux interdictions de discrimination stipulées dans la déclaration des droits. La commission et le Ministère de la Justice ont tous deux parrainé l'Equality Legislation Drafting Unit [Unité de rédaction de la loi sur l'égalité]. En 1999, la commission a assuré les travaux de secrétariat de l'unité. Afin d'aider l'unité de rédaction de la loi sur l'égalité, le bureau de la commission situé au Cap occidental a fait un relevé des plaintes qui lui avaient été soumises en lien avec la disposition de la constitution relative à l'égalité. Les commissaires se sont rendus dans des écoles et des institutions d'enseignement supérieur en vue d'enquêter sur les violences et insultes raciales. A la suite de ces investigations, des recommandations ont été envoyées aux autorités compétentes. Une étude sur le racisme à l'école a été publiée au mois de mars 1999.14Des audiences publiques ont été organisées dans le cadre de plusieurs affaires de racisme, notamment en 1999 lorsque la police de Vryburg, dans la province du Nord-Ouest, avait été mise en cause pour ses pratiques racistes. La commission est également intervenue dans des cas de discrimination sexuelle et elle s'est associée à la National Coalition for Gay and Lesbian Equality [Coalition nationale pour l'égalité des homosexuels et des lesbiennes] pour obtenir du tribunal qu'il déclare anticonstitutionnelles les lois interdisant les pratiques sexuelles consensuelles entre personnes du même sexe. Cette opération a été couronnée de succès. Suite à la plainte déposée par la Black Lawyers Association [Association des Avocats noirs] et la Association of Black Accountants of South Africa [Association des Comptables noirs d'Afrique du Sud] à l'encontre de deux journaux, la SAHRC a mené une enquête sur le racisme dans les médias (bien qu'elle ait refusé d'enquêter sur les plaintes individuelles). Une surveillance de la couverture médiatique a donc débuté en 1999. Au mois de novembre 1999, la commission a publié un rapport intérimaire controversé. Ce rapport a subi les foudres de tous les secteurs des médias et d'autres détracteurs qui contestaient le fait qu'il se penchait sur des problèmes tels que le "racisme subliminal" plutôt que de s'en tenir aux droits reconnus par la constitution. En février 2000, la commission s'est trouvée impliquée dans une confrontation de taille avec le South African National Editors' Forum [Forum national des rédacteurs en chef d'Afrique du Sud] et d'autres représentants des médias lorsqu'elle a cité à comparaître les représentants d'une trentaine d'organisations de médias sud-africaines aux audiences sur le racisme dans les médias. Cela a provoqué un tollé général car ces convocations ont été perçues comme une menace à la liberté d'expression garantie par la constitution. Un compromis a été conclu et il a été décidé de ne pas assigner les représentants des médias, mais plutôt de les laisser se présenter volontairement aux audiences. Suite à ces audiences, qui ont eu lieu en mars 2000 et ont provoqué un large débat sur ces questions, la commission a prévu de publier un rapport final pour la fin juin 2000. L'Article 184 de la version finale de la constitution a confié une mission supplémentaire à la SAHRC, celle de s'assurer du respect, par l'Etat, des droits économiques et sociaux. La commission doit demander aux organes de l'Etat de lui soumettre un rapport annuel sur les mesures prises pour assurer la pleine réalisation des droits au logement, à l'alimentation, à l'eau, à la sécurité sociale, aux soins de santé, à l'éducation et à l'environnement. En collaboration avec un groupe d'ONG coordonné par le Centre for Human Rights [Centre des Droits de l'Homme] de l'Université de Prétoria, la SAHRC a élaboré et envoyé un questionnaire à tous les ministères dans le courant de l'année 1998. Les ONG ont remis un rapport à la commission en 1998. Un rapport en six volumes inspiré de ces informations et reprenant une liste de recommandations relatives aux obligations constitutionnelles du gouvernement a quant à lui été publié au mois de mars 1999. Au début de l'année 1998, et à l'initiative de la South African National NGO Coalition (Sangoco) [Coalition Nationale des ONG sud-africaines], la SAHRC et la Commission pour l'égalité des sexes ont organisé, sur l'ensemble du territoire, des auditions sur la pauvreté. Le rapport publié par la Sangoco sur "La Pauvreté et les Droits de l'Homme"15recommandait le lancement de campagnes et de programmes de formation visant à sensibiliser la population à l'importance des droits de l'homme, y compris les droits économiques, au sein des communautés désavantagées; des efforts pour améliorer l'accès aux services juridiques et la réaction positive des responsables du gouvernement; un rôle actif du gouvernement pour garantir l'accès aux services élémentaires; et le développement de stratégies visant à abolir les obstacles que rencontrent les personnes à la jouissance de leurs droits en raison de leur sexe. Un plan national d'action relatif à la pauvreté est en ce moment mis sur pied en collaboration avec la Sangoco.16La commission a participé ou s'est associée à l'organisation de plusieurs conférences sur le thème des droits sociaux et économiques, notamment en 1999 lors de conférences sur l'alimentation et la sécurité alimentaire (organisées en collaboration avec l'UNICEF et la WAHRN, une ONG basée à Oslo) et sur l'impact des politiques macro-économiques du gouvernement sur les droits de l'enfant.17 La SAHRC a parrainé des ateliers sur la rédaction de projets de loi visant à promouvoir "un gouvernement responsable et ouvert", notamment lors de la préparation des Lois relatives à un meilleur accès à l'information et à la justice administrative [Promotion of Access to Information and Administrative Justice Acts] conformément aux dispositions constitutionnelles. Elle a présenté au parlement toute une série d'autres propositions de lois touchant à la question des droits de l'homme. La commission s'est également penchée sur des questions ayant trait au manque de protection accordée par le système de justice pénale sud-africain aux droits de certains groupes de personnes particulièrement vulnérables. Assurant le suivi des auditions sur la pauvreté organisées au début de l'année 1998, la SAHRC a mis sur pied en août et en novembre 1998, dans la région de Messina (Province du Nord), des auditions sur les exactions dont avaient été victimes des ouvriers agricoles de la région. En février 1999, elle a publié un rapport dans lequel elle demandait au ministère public de la province d'instruire plusieurs affaires. En collaboration avec le centre de consultation juridique, le Centre d'études de droit appliquées de l'Université de Witwatersrand et l'ONG Lawyers for Human Rights, la SAHRC a mené une enquête sur les circonstances des arrestations et sur les conditions de détention au camp de rapatriement de Lindela, un centre privé utilisé par le Ministère de l'Intérieur pour regrouper les immigrés sans papiers en attente d'être expulsés. Des étudiants en droit se sont chargés d'effectuer les entretiens sur lesquels se base le rapport final. Le rapport a souligné que les entretiens "apportent des preuves accablantes des souffrances inutiles et illégitimes subies tant par les étrangers que par les Sud-Africains en raison des mesures coercitives actuellement appliquées."18 Suite au meurtre de trois étrangers dans un train en septembre 1998, la commission a organisé une conférence sur la xénophobie le mois suivant. Cette conférence a adopté une déclaration appelant à une campagne de sensibilisation de l'opinion publique ayant pour objectif de réduire la violence à l'encontre des étrangers et d'améliorer les interventions des forces de police. La commission n'a pas relâché l'intérêt qu'elle porte à cette affaire puisqu'elle préside le National Consortium on Refugee Affairs [Consortium national relatif à la question des réfugiés] (NCRA), lequel rassemble des ONG, des coalitions régionales de réfugiés, le Ministère de l'Intérieur ainsi que des agences internationales telles que le HCR. La commission a pris l'initiative de publier un manuel de formation destiné aux services de l'immigration et d'élaborer un plan d'action national sur la xénophobie intitulé "Roll Back Xenophobia 1999" [Faisons Reculer la Xénophobie 1999]. L'intérêt porté par la commission aux mauvais traitements à l'encontre des immigrés et au développement d'une politique d'immigration efficace devrait se renforcer suite à la nomination comme commissaire à temps partiel, en août 1999, de Zonke Majodina, responsable d'un programme de maîtrise sur l'immigration forcée à l'Université de Witwatersrand. En août 1999, Barney Pityana, président de la commission, a annoncé que les commissaires allaient commencer à rendre régulièrement visite aux commissariats de police afin d'y inspecter les cellules. Des visites surprises ont eu lieu en septembre 1999, en collaboration avec l'ICD.19Au cours de la semaine sud-africaine des droits de l'homme, en mars 2000, les commissaires ont visité des tribunaux d'instance dans tout le pays. En réponse au sentiment de l'opinion publique et des médias qui considèrent que la nouvelle constitution accorde trop de droits aux "criminels," la commission s'est engagée à produire, en collaboration avec le Ministère de la Justice, une "charte des victimes" [victims charter] et à sensibiliser l'opinion publique et les responsables du gouvernement aux droits des victimes. La SAHRC a adopté une série de réglementations internes explicites relatives au traitement des plaintes individuelles. Les personnes agissant en leur nom propre, faisant partie d'un groupe, agissant dans l'intérêt de quelqu'un qui ne peut agir en son nom, ou dans l'intérêt du public, ou les associations agissant dans l'intérêt de leurs membres, peuvent contacter la SAHRC soit par écrit, soit par téléphone, soit en se rendant directement dans l'un de ses bureaux (la plupart des contacts se font généralement par téléphone ou par lettre étant donné les difficultés d'accès aux bureaux pour la grande majorité de la population). Le département juridique évalue tout d'abord si la plainte est bien du ressort de la commission. La commission accuse réception de la plainte dans un délai de quelques jours, et dans les deux ou trois semaines qui suivent, elle prend une première décision quant à la recevabilité de la plainte. Si une plainte est recevable, elle peut faire l'objet d'une médiation, d'une enquête par la commission, d'une audience publique, être traitée avec un ensemble de plaintes semblables, ou encore être portée par la commission devant un tribunal compétent. La commission a bénéficié de l'aide de la Commission canadienne des droits de l'homme pour mettre au point une stratégie de défense au tribunal. Si une plainte est rejetée, appel peut être interjeté auprès du président de la commission dans un délai de quarante-cinq jours. Le service juridique se fait aider du Complaints Committee [Comité des Plaintes] lors de l'évaluation de cas plus ardus. Ce comité des plaintes est composé de quatre commissaires et de juristes.20 Le plus grand nombre de plaintes proviennent de détenus qui dénoncent surtout des agressions et des transferts. Les autres plaintes portent en majorité sur la discrimination raciale, ou plus rarement sexuelle, surtout au sein d'établissements scolaires. Quelque 80% des plaintes sont soit rejetées (par exemple, parce que l'incident dénoncé est survenu il y a trop longtemps), soit transférées à d'autres organes (l'ICD, la Commission pour l'égalité des sexes, le Conseil d'assistance juridique, le Protecteur Public, ou autres) parce qu'elles ne sont pas du ressort de la commission. Au cours de la période allant de décembre 1997 à novembre 1998, la commission a accepté de traiter 300 plaintes en provenance du grand public, et 327 plaintes envoyées par des détenus.21Au cours de l'année civile 1999, le siège de la commission à Johannesburg a reçu 1.322 plaintes dont 160 ont été rejetées, 489 ont été renvoyées devant d'autres instances, 63 ont été finalisées et 610 étaient en cours de traitement à la fin de l'année.22 La SAHRC a également été active au niveau international. En effet, les membres de la commission ont participé à toute une série de conférences, missions d'observation lors d'élections, et autres. La SAHRC a accueilli, avec le gouvernement sud-africain, la deuxième conférence des institutions nationales africaines pour la promotion et la protection des droits de l'homme, qui s'est tenue à Durban en juillet 1998, et depuis lors, elle occupe la présidence et le poste de secrétaire du Comité africain de coordination des institutions nationales. Mary Robinson, le Haut Commissaire des Nations Unies aux Droits de l'Homme, était présente en Afrique du Sud le 10 décembre 1997 pour le lancement de l'année conduisant au cinquantième anniversaire de la Déclaration Universelle des Droits de l'Homme. Elle a également participé à la conférence des institutions nationales africaines. Barney Pityana, président de la commission, a été invité à faire partie du groupe d'experts chargés de peaufiner les thèmes et objectifs de la Conférence Mondiale contre le racisme, la xénophobie et l'intolérance qui y est associée, qui doit avoir lieu en Afrique du Sud en 2001. La SAHRC a aidé le gouvernement à préparer les rapports qu'il doit présenter aux organes de supervision des traités des droits de l'homme de l'ONU et à la Commission africaine ; des représentants de la SAHRC ont assisté aux sessions de la Commission des droits de l'homme de l'ONU et de la Commission africaine (en plus de la participation de Pityana aux sessions de la Commission africaine en tant que commissaire). Financement A l'instar des autres institutions régies par le chapitre 9, la commission est financée par le budget du Ministère de la Justice, disposition qu'a critiqué la SAHRC qui avance qu'elle ne devrait pas dépendre autant de l'exécutif du gouvernement. Barney Pityana, président de la commission, a souligné que, "Malgré les dispositions constitutionnelles et législatives, dans la pratique, nous nous sommes retrouvés coincés dans les rouages de l'administration."23Par contre, l'ICD, qui en principe dépend du ministre de la sûreté et de la sécurité, reçoit un budget indépendant voté par le parlement. Cependant, l'indépendance administrative et financière de la commission par rapport à l'exécutif a été clarifiée et renforcée par le jugement rendu par la Cour Constitutionnelle au terme d'une affaire déclenchée par le New National Party [Nouveau Parti National] à propos de la situation semblable dans laquelle se trouvait la Independent Electoral Commission [Commission Electorale Indépendante], une autre institution régie par le chapitre 9.24 Pour l'année 1998-1999, le budget annuel de la commission s'élevait à 13,2 millions de rands [2,15 millions de US$]. Ce montant avait été alloué sans aucune concertation avec la commission. La SAHRC a déclaré que ce montant ne lui permettait pas d'effectuer correctement son travail. Certaines ONG ont cependant confié à Human Rights Watch que la commission pourrait disposer de plus de moyens pour effectuer un travail sur le fond si elle avait choisi de s'établir dans des bureaux moins luxueux et si les salaires versés aux commissaires étaient moins généreux. En novembre 1998, la commission a annoncé qu'elle avait créé un fonds en fidéicommis, présidé par un juge de la haute cour de justice, afin de récolter des dons et d'assurer une plus grande indépendance financière de la commission par rapport au gouvernement. La SAHRC a bénéficié de l'assistance technique et de formations des Nations Unies, du Secrétariat du Commonwealth et d'autres institutions des droits de l'homme de plusieurs pays du Commonwealth, dont le Royaume-Uni, l'Australie, le Canada, la Nouvelle-Zélande et l'Inde.25La U.S. Agency for International Development [agence américaine pour le développement international] a financé certains programmes, versant notamment la somme de 1,5 million de rands [250.000 US$] pour la réalisation d'un programme radiophonique de conscientisation.26 Suite à une évaluation des besoins réalisée en mai 1995, un projet d'assistance technique s'étalant sur deux années a été attribué à l'Afrique du Sud par le Haut Commissariat de l'ONU aux Droits de l'Homme. Ce projet, visant à promouvoir les capacités de promotion et de protection des droits de l'homme au sein du gouvernement et des institutions étatiques indépendantes, a démarré au mois d'avril 1998. Le projet offre des formations et une assistance technique au Ministère de la Justice, au Ministère des Services Correctionnels, à la police, à l'armée, au Justice College [faculté de droit] (pour la formation des juges et magistrats), au Centre des Droits de l'Homme de l'Université de Fort Hare, à la Commission on the Restitution of Land Rights [Commission pour la Restitution des droits fonciers] ainsi qu'à la SAHRC. Un directeur de projet a été posté au siège de la SAHRC à Johannesburg, où il relaie les informations et assure le lien avec les Nations Unies pour l'organisation de l'ensemble du projet. Les membres du personnel de la SAHRC bénéficient non seulement des formations proposées par le projet mais ils font également office d'animateurs lors des sessions de formation proposées aux ministères par le Haut- Commissariat des Nations Unies aux Droits de l'Homme. Ils ont également contribué à l'élaboration d'outils de travail. On s'attend à ce que le projet soit renouvelé, mais à une échelle réduite.27 Le bureau du HCR à Pretoria a également apporté son soutien à la campagne de la commission intitulée "Faisons reculer la xénophobie". Ce bureau a aidé la commission à déposer des demandes de financement auprès des ambassades établies en Afrique du Sud et dans le milieu des donateurs en général et elle a subsidié le NCRA par le biais de la SAHRC. En général, le soutien direct des Nations Unies aux activités de la SAHRC est resté modeste. Il se limite principalement à une assistance logistique, à la mise en contact avec des institutions similaires dans d'autres régions du monde et au financement de certains ateliers. Evaluation De son propre aveu, au début de ses activités, la SAHRC a agi davantage en fonction des plaintes dont elle était saisie qu'en fonction d'une vision stratégique fondée sur ses responsabilités. Avec le temps, la commission a développé certains points d'intérêt particuliers et s'est surtout mise en évidence sur des problèmes liés à la discrimination. Elle a très certainement renforcé son importante présence institutionnelle et a eu le courage de prendre des positions impopulaires, notamment contre la xénophobie et contre les appels lancés par les médias et l'opinion publique, très inquiets face aux crimes violents, pour que les droits constitutionnels "liant les mains de la police" soient dilués. Elle a publié ou collaboré à la publication de plusieurs rapports substantiels sur une vaste palette de sujets. Elle a résolu avec succès bon nombre de plaintes qui lui avaient été adressées, prenant des décisions remarquées de nature juridique dans un certain nombre d'affaires. Grâce à son action, la SAHRC a permis de mettre en lumière certaines affaires qui seraient autrement restées dans l'ombre. Les auditions sur la pauvreté, par exemple, qui ont eu lieu à l'initiative de la Sangoco, ont permis de mettre en relief la nécessité d'une justice économique à un moment où bon nombre de ceux qui travaillent dans le domaine des droits de l'homme et du développement avaient l'impression que le gouvernement essayait avant tout d'attirer les investisseurs étrangers moyennant une rigueur macro-économique plutôt que de répondre aux besoins de ceux qui devraient être au centre de ses préoccupations, à savoir les pauvres et les démunis.28 En dépit des interventions de la commission, qui se font de plus en plus concluantes et plus systématiques à mesure que croît son expérience, certains observateurs extérieurs critiquent cependant toujours son manque de profondeur et de minutie dans ses investigations. Ils lui reprochent notamment de s'étendre trop superficiellement sur une multitude de sujets plutôt que de se concentrer sur quelques-uns dans lesquels elle pourrait s'engager à fond et faire véritablement bouger les choses. Govender, qui fait partie du Comité des droits de l'homme, explique que, "La Commission des droits de l'homme est un organe important qui a pu apporter des contributions très utiles, sans pour autant répondre entièrement à nos attentes. La qualité de certains commissaires laisse quelque peu à désirer et la commission a tendance à diluer son attention, s'étendant trop superficiellement sur un grand nombre de sujets. Si certaines investigations et certains rapports se sont avérés être d'une grande qualité, d'autres nous ont fortement déçus en raison de leur caractère trop légaliste et circonspect." D'autres ont critiqué certaines interventions de la SAHRC destinées à défrayer la chronique sans aboutir pour autant à des résultats concrets. La décision de mener une enquête sur le racisme dans les médias a été fort malmenée par les médias (ce qui était peut-être prévisible): "L'enquête ne fera que créer un sentiment de culpabilité, de dénigrement de soi ou de mépris manifeste. ... Pityana et compagnie devraient plutôt suivre l'exemple de la Commission pour l'égalité des sexes dont la stratégie médiatique soigneusement définie a engendré une multitude de changements dans la manière dont sont couverts les viols, les voies de fait, les meurtres de femmes, les chasses aux sorcières, et les autres campagnes qu'elle mène."29 La décision prise par la commission en février 2000 d'assigner à comparaître les représentants des médias pour qu'ils réagissent aux conclusions du rapport intérimaire de novembre 1999 a été d'autant plus violemment condamnée que beaucoup voyaient, derrière cette tentative de témoignages forcés, une menace à la liberté d'expression. D'autres ont remis en question les priorités de la commission, alors que l'Afrique du Sud doit faire face à tant de défis urgents dans le domaine des droits de l'homme. Rhoda Khadalie, ancienne commissaire qui avait démissionné suite à des désaccords portant sur la gestion de la commission, a fait part de ses impressions dans le Mail and Guardian, l'un des journaux assignés à comparaître. Selon elle, la commission est devenue « la `police de la pensée' autoproclamée de la nouvelle Afrique du Sud ». Elle a « failli à son rôle de protectrice des valeurs garanties dans la Déclaration des Droits." Elle a demandé à la commission de "se débarrasser de la médiocrité et du manque de professionnalisme qui ont jusqu'ici caractérisé ses débats."30L'approche de la commission était sans doute pour le moins une erreur tactique alors qu'elle essayait d'obtenir la coopération et la bienveillance des médias pour s'attaquer au problème du racisme mais la qualité des recherches sur lesquelles s'est basé le rapport intérimaire a également soulevé des préoccupations quant aux éléments sur lesquels s'est basée la commission pour déterminer que les droits constitutionnels avaient été violés. Par contre, en mettant les médias en point de mire, la commission a certainement réussi à susciter un débat public sur le racisme en Afrique du Sud, un problème fondamental qui se retrouve dans tous les aspects de la vie nationale. Les ONG des droits de l'homme ont tout particulièrement critiqué Barney Pityana, président de la commission, lorsqu'il a remis, en son nom propre, un document suggérant à l'Etat de mettre un terme aux poursuites judiciaires fondées sur les violations commises durant l'époque de l'apartheid. Ce document allait bien au-delà de la simple prise de position adoptée par la commission en novembre 1998 sur le rapport final de la TRC.31Une déclaration publiée par le Center for the Study of Violence and Reconciliation [Centre pour l'étude de la violence et la réconciliation] et signée par plusieurs autres ONG a critiqué de façon cinglante les commentaires de Pityana qui, selon eux, "risquent de miner tout ce que la Commission des Droits de l'Homme est censée défendre."32 La multiplicité des organes de supervision créés par la constitution et par la législation a semé une certaine confusion. Pour essayer d'éclaircir ce flou, la SAHRC préside un forum de coordination regroupant les institutions créées par le chapitre 9 et les institutions analogues. Ce forum réunit tous les trois mois les directeurs exécutifs et les responsables des ministères. Cependant, le Comité des Droits de l'Homme a fait remarquer "qu'il arrive qu'une personne doive s'adresser à plusieurs organes, devant chaque fois reprendre toute la procédure depuis le début."33S'il ne prône pas de fusion immédiate des différentes institutions, Pityana, président de la SAHRC, reconnaît que la situation actuelle pose des problèmes: "La prolifération des organes a donné naissance à des conflits de compétences, ce qui sème la confusion auprès de l'opinion publique. Cela coûte cher au contribuable et cela peut également donner lieu à une concurrence malsaine entre nous lorsqu'il s'agit d'attirer l'attention des médias, d'obtenir des financements, ou dans d'autres circonstances. Nous courons aussi le risque d'être plus tard manipulés par le gouvernement."34La SAHRC a également souligné le besoin de rationaliser "la prolifération d'organes spécifiquement consacrés à la défense des droits de l'homme au sein des ministères." Elle a d'ailleurs fait des propositions au cabinet en ce sens. Elle s'est plainte, par exemple, du fait que le ministre provincial de Gauteng (MEC) chargé de l'enseignement et le commissaire de la police nationale avaient tous deux ordonné que soient menées des enquêtes respectivement sur le racisme à l'école et au sein des forces de police, alors qu'il était bien clair que la commission avait déjà entamé des investigations similaires.35 Certains pensent également que la création d'une commission des droits de l'homme et d'une commission pour l'égalité des sexes a eu l'effet paradoxal d'entraîner une marginalisation des problèmes relatifs aux droits de la femme. Bien que d'autres soutiennent que la Commission pour l'égalité des sexes a permis de mettre en avant les droits de la femme, un membre du personnel de ladite commission a fait remarquer à Human Rights Watch que la commission pour l'égalité des sexes était clairement considérée comme moins importante, la SAHRC étant perçue comme étant la "vraie" commission. La création d'un organe séparé traitant exclusivement des droits de la femme a également conduit la SAHRC à ne plus considérer les droits de la femme comme faisant partie de ses compétences.36Cependant, les efforts se sont multipliés pour coordonner les travaux de la commission des droits de l'homme et ceux de la commission pour l'égalité des sexes. Les deux commissions partagent d'ailleurs des locaux dans plusieurs bureaux régionaux. Les deux organes envisagent d'installer leurs sièges, avec la Cour Constitutionnelle et d'autres institutions créées par le Chapitre 9, dans de nouveaux bâtiments actuellement en construction à Johannesburg. Le siège de la SAHRC se trouve actuellement à Houghton, une banlieue huppée de Johannesburg difficilement accessible avec les transports en commun et assez éloignée des quartiers où sont situés la plupart des ONG et des ministères. Une faiblesse supplémentaire de la commission, et d'autres institutions créées par le Chapitre 9, est le manque de clarté quant à l'action à entreprendre suite à ses recommandations.37La SAHRC a elle-même exprimé son désarroi face à l'incapacité du parlement de discuter de ses rapports en profondeur et dans un délai raisonnable. « Nous sommes frustrés car nous menons des enquêtes approfondies et nous rédigeons des rapports contenant d'importantes recommandations, mais rien ne se passe ensuite » déclarait Pityana en novembre 1999. « Même notre premier rapport sur les droits économiques et sociaux, mandaté par la constitution et déposé il y a des mois, n'a pas encore été débattu."38Dans son quatrième rapport annuel, la commission « s'est abstenue d'émettre d'autres recommandations. Etant donné que nos recommandations précédentes n'ont donné lieu à aucune réaction, nous craignons qu'il ne soit imprudent de faire de nouvelles recommandations avant d'avoir examiné la façon dont le gouvernement et l'Assemblée nationale traitent nos rapports. »39Dans un rapport sur la surveillance parlementaire des institutions créées aux termes du Chapitre 9, commandé par le président du parlement et bien accueilli par la commission, le Professeur Hugh Corder de l'Université du Cap a recommandé la création d'un comité parlementaire spécial chargé spécifiquement de prendre en considération les rapports et les recommandations de la SAHRC et des institutions soeurs, ainsi que l'adoption de nouvelles lois, l'une relative aux normes de responsabilité et l'autre relative à la responsabilité et à l'indépendance des institutions constitutionnelles.40 La SAHRC a travaillé en étroite collaboration avec des ONG et des institutions universitaires dans le cadre de plusieurs projets. Cette ouverture envers les ONG lui aura très certainement permis de renforcer sa capacité d'entreprendre des recherches et des campagnes, notamment sur la xénophobie. Jonathan Klaaren de la Wits University, chargé de coordonner les travaux de recherche des étudiants en droit sur les conditions de détention à Lindela des personnes sous le coup d'une expulsion, a fait remarquer que "la commission s'est montrée disposée à travailler dans un esprit de collaboration et de manière novatrice avec la faculté de droit. Il nous aurait été impossible de réaliser ce projet de recherche sans le soutien de la commission."41Cependant, certaines ONG sud-africaines, qui au départ attendaient beaucoup de ce système, ont émis de sévères critiques à propos de la façon dont cette collaboration fonctionne dans la pratique. Christof Heyns, directeur du Centre des droits de l'homme de l'Université de Pretoria, qui était chargé du projet d'élaboration d'un rapport sur la politique du gouvernement en matière de droits économiques et sociaux, a souligné qu'en dépit de la participation des ONG aux premières phases du projet, elles en avaient été exclues par la suite. Et surtout, elles n'avaient pas été autorisées à accéder librement aux données rassemblées après que leur rapport ait été soumis à la commission, alors que selon elles, c'était ce qui avait été convenu. "La procédure de rapport national relatif aux droits économiques et sociaux peut constituer un outil essentiel pour mieux garantir la jouissance de ces droits. Mais il est important d'impliquer la société civile dans le processus, lequel jusqu'à présent se déroule largement sous le sceau du secret. La participation des ONG permettra de profiter de leur expérience et le processus permettra d'encourager un débat national et la participation de la nation dans la réalisation de ces droits économiques et sociaux. Par ailleurs, la commission doit développer ses capacités pour mettre en oeuvre ce mécanisme nouveau et important. Ce genre de processus exige une certaine continuité au niveau du personnel."42En réponse à cette critique, la commissaire Jody Kollapen a toutefois fait remarquer que "s'il est nécessaire de s'assurer la participation de la société civile, il ne faut pas oublier qu'en fin de compte le rapport est celui de la commission et que la société civile doit pouvoir le critiquer. Il ne s'agit pas d'un rapport commun."43 La Nkuzi Development Association, une ONG travaillant dans le domaine de la réforme agraire et dont les interventions auprès de la commission ont contribué à la décision d'enquêter sur les violences perpétrées contre les ouvriers agricoles dans la Province du Nord, a critiqué le rapport final qui, selon elle, n'a pas abordé le côté systématique des problèmes: "La commission a opté pour une approche bien trop formaliste" a déclaré Marc Wegerif, directeur de l'association Nkuzi. La commission a essayé d'appréhender chaque cas comme si elle était un tribunal pénal. Elle n'était pourtant pas habilitée à enquêter à fond sur les `chefs d'inculpation'. Elle s'est donc bornée à comparer les dépositions faites par les ouvriers agricoles, les exploitants agricoles et la police, pour ensuite rendre une fin de non-recevoir ou se trouver dans l'incapacité de prendre une décision claire. Le rapport n'a pas tenté d'aborder le problème du racisme généralisé et institutionnalisé qui empêche le système de justice pénale de protéger les droits de la majorité de la population de la région. La commission n'a même pas recommandé au gouvernement d'entamer un examen systématique des conditions de travail dans les exploitations agricoles ni de la réponse du système judiciaire face à ces cas de violence, ce qui aurait pourtant constitué la mesure la plus élémentaire. Les cas qui nous ont été présentés nous montrent clairement qu'un tel examen serait nécessaire.44 La SAHRC a obtenu quelques résultats substantiels depuis sa création en 1995. Résumant les quatre premières années de travail de la commission, son président Barney Pityana a souligné, lors de son entretien avec Human Rights Watch, que "nous sommes parvenus à développer et à affirmer notre indépendance, tout en maintenant des contacts étroits et nécessaires avec le gouvernement et la société civile." Il a également ajouté que les médias reconnaissaient de plus en plus le rôle que la commission joue dans la protection et la promotion des droits de l`homme.45En comparaison avec la Commission pour l'égalité des sexes, par exemple, la SAHRC s'est mise en évidence au niveau national et elle n'a pas eu peur de mettre en cause le gouvernement. Elle aurait cependant pu réaliser bien davantage vu son pouvoir juridique étendu, son financement et ses autres ressources, supérieurs à ceux de la plupart des institutions africaines analogues. Il faudrait rationaliser et coordonner l'ensemble des organismes créés par la constitution pour s'occuper des droits de l'homme. La commission devrait, pour sa part, assurer un meilleur suivi des plaintes ou des problèmes dont elle s'occupe ; veiller à une utilisation plus efficace de ses ressources financières et humaines; donner une part plus grande à la concertation au moment de définir ses priorités et de traiter des dossiers comme l'enquête sur le racisme dans les médias ; être plus accessible, plus efficace ; sensibiliser l'opinion publique au rôle qu'elle joue dans le traitement des plaintes individuelles et des divers types d'abus. Il faudrait revoir le système de nomination des commissaires afin de garantir immanquablement la nomination de personnes très compétentes plutôt que de faire ressortir un équilibre politique. La commission a toutefois pu s'affirmer en tant qu'acteur important sur la scène nationale. Et en développant des bureaux régionaux, elle pourra apporter des changements concrets dans la vie des individus ainsi que dans l'évolution de la politique nationale.
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