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Liban

Événements de 2023

Un manifestant entouré de fumée provenant de gaz lacrymogènes tenait un drapeau du Liban et en portait un autre sur les épaules sur la place Riad al-Solh à Beyrouth, lors d’une manifestation contre la détérioration de la situation économique dans ce pays.

© 2023 Reuters/Mohamed Azakir

Le Liban est resté aux prises avec une profonde crise économique et financière qui a appauvri la majeure partie de la population depuis 2019. La situation des droits humains dans le pays s’est détériorée en 2023, avec une augmentation notable des poursuites judiciaires contre les discours critiques, des restrictions croissantes à l’encontre des réfugiés et des personnes LGBT, et une impunité persistante pour les exactions commises dans le passé.

Les tensions se sont accrues à la frontière entre le Liban et Israël, où des tirs de roquettes et des affrontements armés entre l’armée israélienne et divers groupes armés libanais et palestiniens se poursuivent depuis le 8 octobre. Depuis le 23 novembre, les attaques israéliennes au Liban auraient tué au moins 14 civils, et au moins 85 combattants du Hezbollah. Des tirs de roquettes et d’autres attaques contre Israël par le Hezbollah et des groupes palestiniens auraient tué au moins trois civils et six soldats.

Aucun représentant du gouvernement n’a été tenu pour responsable de l’explosion catastrophique du port de Beyrouth en août 2020, et les fonctionnaires impliqués ont réussi à faire obstruction à l’enquête menée au niveau national depuis décembre 2021. Les autorités n’ont pas mis en œuvre les réformes économiques et financières indispensables pour atténuer les conséquences de la crise économique et s’attaquer à ses causes profondes. Elles ont intensifié leur harcèlement d’avocats, d’activistes, de journalistes et d’humoristes en réponse à la manière dont ils critiquent publiquement le gouvernement et les agents de l’État. En avril et en mai, l’armée libanaise a expulsé sommairement des milliers de Syriens vers la Syrie.

En février 2023, un tribunal britannique a donné raison à trois familles dont les proches ont été victimes de l’explosion dans le port de Beyrouth en 2020 dans le cadre d’un procès intenté à l’entreprise qui possédait les 2 750 tonnes de nitrate d’ammonium qui auraient été à l’origine de l’explosion et qui étaient stockées dans le port dans des conditions dangereuses. En mars, 38 pays ont fait part de leurs préoccupations concernant l’obstruction et les ingérences dans l’enquête menée au niveau national sur l’explosion, et Margaret Satterthwaite, l’experte de l’ONU sur l’indépendance de la justice, a critiqué l’obstruction de l’enquête. Le 28 mars, neuf membres du Parlement ont présenté deux projets de loi visant à renforcer l’indépendance des enquêtes judiciaires et à empêcher les ingérences politiques vis-à-vis du pouvoir judiciaire, mais au moment de la rédaction de ce rapport, tous les textes législatifs restaient bloqués en raison de la vacance du pouvoir présidentiel.

Depuis octobre 2022, le Parlement a échoué à plusieurs reprises à élire un président à la tête du pays ou à mettre en place les réformes législatives exigées par le Fonds monétaire international (FMI) qui permettraient de débloquer des milliards de dollars d’aide. Des milliers de prisonniers, dont beaucoup sont en détention provisoire, continuent d’être détenus dans des centres de détention surpeuplés à travers tout le pays, sans accès adéquat aux soins de santé, aux médicaments ou à la nourriture.

Obligation de rendre des comptes et justice

Le 4 août 2023 a marqué le troisième anniversaire de l’explosion dans le port de Beyrouth, qui a fait au moins 220 morts, plus de 7 000 blessés et d’importants dégâts matériels. L’enquête menée au niveau national sur l’explosion est restée au point mort et les responsables politiques ont continué à interférer pour perturber le travail de l’enquêteur principal, le juge Tarek Bitar. Le 23 janvier, le juge Bitar a pris des mesures pour surmonter les obstacles juridiques qui l’empêchaient de reprendre son travail et a ordonné la libération de cinq suspects, en a inculpé d’autres et les a convoqués pour des interrogatoires, notamment le Procureur général principal, Ghassan Oueidat. En réponse, Ghassan Oueidat a ordonné aux forces de l’ordre de ne pas exécuter les ordonnances « caduques » de Tarek Bitar en l’accusant de plusieurs crimes, notamment d’« usurpation de pouvoir », et a ordonné la libération de tous les détenus dans cette affaire.

Les familles des victimes et plusieurs groupes de défense des droits à l’échelle locale et internationale ont continué à réclamer une enquête internationale, indépendante et impartiale sur l’explosion, notamment une mission d’établissement des faits qui serait mise en place par le Conseil des droits de l’homme de l’ONU. Le 7 mars 2023, dans une déclaration commune prononcée par l’Australie devant le Conseil des droits de l’homme des Nations Unies, trente-huit pays ont fait part de leurs préoccupations quant à l’obstruction et à l’ingérence systémiques qui ont cours dans le cadre de l’enquête menée au niveau national. Lors de la session de septembre 2023 du Conseil des droits de l’homme, le Haut-Commissaire des Nations Unies aux droits de l’homme a demandé la mise en place d’une mission internationale d’établissement des faits sur l’explosion.

Crise économique et droits

La plupart des habitants du Liban n’ont pas été en mesure de jouir de leurs droits économiques et sociaux dans un contexte d’aggravation de la crise économique, les ménages à faibles revenus étant les plus durement touchés. Les programmes d’aide sociale existants, financés en partie par la Banque mondiale, n’ont offert qu’une couverture minimale et n’ont concerné que les ménages en situation d’extrême pauvreté, exposant de larges segments de la population qui ne remplissent pas les conditions requises à la faim, à la difficulté d’obtenir des médicaments et à d’autres privations qui portent atteinte à leurs droits.

Par leur mauvaise gestion du secteur de l’électricité pendant des décennies, les autorités libanaises ont massivement échoué à faire respecter le droit à l’électricité, qui, selon Human Rights Watch, est une composante essentielle du droit à un niveau de vie adéquat. Le fait que le Liban n’ait pas été en mesure de fournir de l’électricité plus de quelques heures par jour a plongé les habitants dans l’obscurité et a considérablement réduit leur accès à des droits essentiels, notamment à la nourriture, à l’eau, à l’éducation et aux soins de santé.

La crise économique a également menacé le secteur de l’éducation, les élèves des écoles publiques risquant de perdre une année scolaire supplémentaire en raison d’un déficit budgétaire et d’années de mauvaise gestion de la part du ministère de l’Éducation. 

Les conditions carcérales se sont dangereusement détériorées avec la crise économique, la majorité des prisonniers, dont certains sont en détention provisoire, étant confrontés à une surpopulation sans précédent, à une qualité de soins de santé médiocre, à des ruptures dans l’approvisionnement et à une baisse de la qualité de la nourriture.

En avril 2022, le gouvernement libanais et le FMI ont conclu un accord au niveau des services qui permettrait de débloquer 3 milliards de dollars sur 46 mois, à condition que des réformes clés soient adoptées, notamment l’adoption d’une loi sur le secret bancaire et le contrôle des capitaux et la restructuration du secteur bancaire libanais. Plus d’un an et demi plus tard, le processus de réforme est resté au point mort et, en septembre 2023, le FMI a critiqué le gouvernement pour son « manque d’action sur les réformes urgentes ». Le ministre intérimaire de I’Économie, Amin Salam, a déclaré en août qu’« un nombre croissant » de responsables dans le pays estimaient qu’un accord de prêt du FMI avec le Liban n’était plus nécessaire.

Liberté d’expression

Dans ce contexte de crise économique, les autorités libanaises ont de plus en plus recours aux lois pénales sur la diffamation pour intimider et harceler les personnes qui critiquent le gouvernement et les responsables publics.

En avril, l’Ordre des avocats de Beyrouth a convoqué Nizar Saghieh, un avocat de renom qui dirige l’organisation de recherche et de plaidoyer Legal Agenda, pour avoir publiquement protesté contre les modifications apportées au Code de déontologie juridique de l’ordre, qui limitent la capacité des avocats à faire des déclarations publiques sans autorisation préalable. En mars 2023, la Sûreté de l’État a convoqué Jean Kassir, co-fondateur du média indépendant Megaphone, après la publication en ligne de textes qui affirmaient que le Liban est « gouverné par des fugitifs de la justice ». Lara Bitar, rédactrice en chef du site Public Source, a également été convoquée pour un interrogatoire le 31 mars par le bureau des cybercrimes des Forces de sécurité intérieure (FSI) pour un article qu’elle avait rédigé sur un parti politique local. En juillet, un tribunal libanais a condamné la journaliste Dima Saddek à un an de prison à la suite d’une plainte pour diffamation déposée contre elle par Gebran Bassil, membre du parlement et chef du Mouvement patriotique libre (MPL), après que celle-ci eut critiqué les actions des partisans du MPL. En août, les autorités libanaises, notamment le parquet militaire libanais et la division des enquêtes criminelles des FSI, ont convoqué pour enquête, puis arrêté, le célèbre comédien Nour Hajjar en représailles à des plaisanteries que celui-ci avait faites sur scène. En septembre, la journaliste Majdoline Lahham a également été convoquée pour enquête par la Division des enquêtes criminelles des FSI, à la suite d’une plainte pour diffamation déposée contre elle en réponse à un message qu’elle avait partagé sur les réseaux sociaux et qui mettait en évidence les pratiques de corruption du chef du Tribunal sunnite de la charia de Beyrouth, le juge Mohammed Ahmed Assaf.

Droits des femmes

Plusieurs lois sur le statut personnel fondées sur la religion sont discriminatoires à l’égard des femmes et permettent aux tribunaux religieux d’exercer un contrôle sur les questions liées au mariage, au divorce et aux enfants. En vertu de toutes les lois sur le statut personnel, une femme peut être considérée comme légalement récalcitrante (désobéissante) si elle quitte le domicile conjugal et refuse de cohabiter avec son mari sans raison jugée légitime par les tribunaux religieux. Une femme jugée légalement récalcitrante n’a pas droit à une pension alimentaire (soutien financier) de la part de son mari.

La loi libanaise sur la nationalité autorise les hommes libanais, mais pas aux femmes libanaises, de transmettre leur nationalité à leurs enfants et à leurs conjoints étrangers. Les cas de violence domestique, notamment les meurtres, sont en augmentation.

En septembre 2022, la Direction générale du statut personnel a cessé de reconnaître les mariages civils étrangers et a commencé à désenregistrer ceux qu’elle avait précédemment reconnus, y compris pour certains couples mariés qui attendaient des enfants.

Travailleurs migrants

Le statut juridique de milliers de travailleurs domestiques migrants au Liban, notamment des travailleurs originaires d’Éthiopie, des Philippines, du Bangladesh et du Sri Lanka, était régi par un dispositif législatif, réglementaire et coutumier à la fois restrictif et abusif, connu sous le nom de système de la kafala (parrainage).

Les agences de recrutement ont été accusées d’exposer les travailleurs à des abus, à des violations du droit du travail et à la traite des êtres humains. En 2020, ces agences ont réussi à faire obstacle à l’adoption par le ministère du travail d’un nouveau contrat type unifié, qui aurait introduit des garanties vitales pour les travailleurs. Un peu plus d’un mois après son adoption, le plus haut tribunal administratif du Liban a bloqué la mise en œuvre de ce contrat, au motif qu’il portait « gravement atteinte » aux intérêts des agences de recrutement.

Orientation sexuelle et identité de genre

Les personnes LGBT continuent de faire l’objet d’une discrimination systémique au Liban. L’article 534 du Code pénal punit « tout rapport sexuel contraire à l’ordre de la nature » d’une peine pouvant aller jusqu’à un an d’emprisonnement, malgré une série de décisions de justice rendues entre 2007 et 2018, selon lesquelles les relations consensuelles entre personnes de même sexe ne sont pas illégales.

En août, le ministre intérimaire de la Culture Mohammed Mortada et le député Ashraf Rifi ont présenté des projets de loi distincts qui criminaliseraient explicitement les relations homosexuelles entre adultes consentants et puniraient toute personne qui « promeut l’homosexualité » d’une peine pouvant aller jusqu’à trois ans d’emprisonnement.

Toujours en août, des hommes appartenant aux « Soldats de Dieu », un groupe ouvertement hostile aux personnes LGBT, ont attaqué un bar où se tenait un spectacle de travestis à Beyrouth et ont agressé les participants. Les agents des Forces de sécurité intérieure (FSI) arrivés sur les lieux ne sont pas intervenus, et n’ont pas protégé les clients du bar.

En juillet, le chef du Hezbollah, Hassan Nasrallah, a incité à la violence contre les gays et les lesbiennes en appelant à leur assassinat, suscitant la terreur parmi les personnes LGBT, dont beaucoup ont reçu des menaces de mort et ont été harcelées en ligne.

Un rapport de Human Rights Watch datant de 2023 décrit les lourdes conséquences hors ligne du ciblage en ligne des personnes LGBT, notamment le chantage et la révélation de leur homosexualité, les violences familiales et les arrestations arbitraires par les Forces de sécurité intérieure libanaises.

Refugiés

Les autorités libanaises ont continué à mener des politiques et à mettre en œuvre des tactiques visant à contraindre les réfugiés syriens à rentrer en Syrie.

Entre avril et mai 2023, les Forces armées libanaises (FAL) ont arrêté de manière arbitraire et expulsé sommairement des milliers de Syriens, y compris des enfants non accompagnés, vers la Syrie, et ont intensifié leurs raids contre des logements de réfugiés dans plusieurs quartiers du pays, notamment au Mont-Liban, à Jounieh, à Qob Elias et à Bourj Hammoud. Un grand nombre des personnes renvoyées de force étaient enregistrées auprès du Haut-Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés (HCR), ou connues de cette agence.

Selon les Nations Unies, environ 489 000 réfugiés palestiniens vivent au Liban, où ils continuent de faire l’objet de restrictions, notamment en ce qui concerne leur droit au travail et à la propriété.

En juillet, des affrontements armés ont éclaté dans le camp de réfugiés palestiniens d’Ain El Hilweh, près de Saïda, après que des membres d’un groupe islamiste ont tué un commandant du Fatah et ses gardes du corps dans une embuscade. Environ 20 000 personnes, dont 12 000 enfants, ont été déplacées à la suite de ces combats meurtriers, selon Save the Children. Plus de 30 personnes, dont des civils, ont été tuées dans les affrontements.

Héritage des guerres et conflits du passé

Environ 17 000 Libanais ont été enlevés ou ont « disparu » pendant la guerre civile de 1975 à 1990 et les autorités n’ont pris aucune mesure récente pour faire la lumière sur le sort de ces personnes.

En janvier, les Nations Unies ont prolongé le mandat du Tribunal spécial pour le Liban jusqu’à la fin du mois de décembre afin de lui permettre de terminer son travail. En 2022, le tribunal avait condamné par contumace des agents du Hezbollah pour avoir planifié et commis l’assassinat de l’ancien premier ministre Rafic Hariri en 2005.

Principaux acteurs internationaux

La Syrie, l’Iran, la France, l’Arabie Saoudite et d’autres puissances régionales exercent leur influence au Liban par l’intermédiaire de leurs alliés politiques locaux.

Human Rights Watched a vérifié que les forces israéliennes avaient utilisé du phosphore blanc dans le sud du Liban, en plus d’avoir procédé à des attaques indiscriminées contre des civils et au ciblage apparemment délibéré de journalistes, des actes qui pourraient être considérés comme des crimes de guerre.

En juillet, l’Union européenne (UE) a prolongé d’un an son cadre de sanctions ciblées pour le Liban, qui permet d’imposer des sanctions ciblées à des individus ou à des entités pour atteinte à la démocratie et à l’état de droit, mais l’UE n’a encore désigné aucun individu ni aucune entité qui tomberait sous le coup de ces mesures.

Toujours en juillet, le Parlement européen a adopté une résolution sur le Liban appelant à des sanctions ciblées contre les personnes qui font obstruction à la justice pour l’explosion de Beyrouth en 2020, et exhortant le Conseil des droits de l’homme des Nations Unies à ouvrir une enquête indépendante afin d’établir les responsabilités de cette explosion. Au sein du Conseil des droits de l’homme, l’UE a demandé à plusieurs reprises la mise en place d’une enquête rapide, transparente et crédible.

En juillet, les États-Unis, le Royaume-Uni et le Canada ont imposé des sanctions ciblées et coordonnées contre l’ancien gouverneur de la Banque centrale du Liban, Riad Salamé, et ses associés, après la fin de son mandat de 30 ans, pour leur rôle présumé dans un vaste système de corruption et de blanchiment d’argent. En mai, la France a émis un mandat d’arrêt contre Salamé et Interpol a publié une notice rouge à son nom. Le premier adjoint de Salamé, Wassim Mansouri, a assumé le rôle de gouverneur par intérim en août.