En avril 2022, cela faisait un an que Mahamat Idriss Déby Itno avait pris le pouvoir et s’était autodéclaré chef du Conseil militaire de transition (CMT) après le décès soudain de son père Idriss Déby Itno, président depuis 1990. Les forces de sécurité ont fait usage excessif de la force, notamment de balles réelles et de gaz lacrymogène, pour disperser les manifestations organisées par l’opposition dans tout le pays, et arrêté arbitrairement des manifestants, dont beaucoup ont rapporté avoir subi des tortures et d’autres mauvais traitements en détention.
Les élections libres, justes et crédibles que Mahamat Déby avait promises pour octobre 2022 au plus tard n’ont pas eu lieu et ont été reportées.
Le 8 août, le Conseil militaire de transition et plus de 40 groupes rebelles ont signé un accord de paix à Doha au Qatar pour mettre fin à un conflit qui durait depuis des décennies et lancer un dialogue national plus large. L’accord a été salué par les Nations Unies et le chef de la Commission de l’Union africaine (UA) Moussa Faki Mahamat. Cependant, neuf factions armées, dont le Front pour l’alternance et la concorde au Tchad (FACT), le groupe basé en Libye contre lequel l’ancien président a perdu la vie lors d’un combat en 2021, ont rejeté cet accord, affirmant qu’il ne prenait pas leurs demandes en compte.
Le 20 août, le dialogue national – une série de pourparlers auxquels devaient prendre part tous les segments de la société tchadienne organisée dans le but de définir un calendrier et des règles pour l’élection présidentielle – s’est ouvert dans la capitale, N’Djamena. Certains membres et partisans de partis d’opposition et d’organisations de la société civile ont refusé de participer à ce dialogue, le jugeant « non inclusif ».
Le 1er octobre, le dialogue national a adopté une mesure pour prolonger la transition pour un maximum de 24 mois et les participants ont décidé que Mahamat Déby serait maintenu en tant que chef d’État par intérim, en dépit des avertissements des partenaires internationaux selon lesquels les autorités transitionnelles ne devraient pas monopoliser le pouvoir. De plus ce forum a autorisé Mahamat Déby à présenter sa candidature aux élections présidentielles lorsqu’elles auront lieu.
Le 20 octobre, les forces de sécurité ont ouvert le feu sur des manifestants dans plusieurs villes du pays, tuant au moins 50 personnes et faisant des dizaines de blessés. Les manifestations, qui avaient été interdites la veille, marquaient la date à laquelle l’administration militaire avait initialement promis de transférer le pouvoir à un gouvernement civil.
Répression de l'opposition politique et de la dissidence
La junte militaire a harcelé, intimidé et parfois poursuivi en justice des partis politiques et leurs partisans. Les forces de sécurité ont continué à jouir d’une large impunité concernant l’usage excessif de la force contre les manifestants.
Les forces de sécurité ont tué au moins 13 personnes – dont un enfant de 12 ans – et fait plus de 80 blessés à Abéché, dans la province de Ouaddaï, les 24 et 25 janvier. Les forces de sécurité y ont violemment dispersé une manifestation contre le projet d’intronisation d’un nouveau chef traditionnel issu de la communauté ethnique Bani Halba, tuant trois manifestants. Le lendemain, les forces de sécurité ont ouvert le feu lors de l’enterrement des personnes tuées, causant la mort de dix personnes supplémentaires et blessant au moins 40 autres.
En mai, les autorités tchadiennes ont arrêté six membres et partisans de Wakit Tamma, une coalition de partis d’opposition et d’organisations de la société civile du Tchad, pour avoir pris part à une manifestation le 14 mai et les ont inculpés pour « trouble à l’ordre public, d’atteintes aux biens et à l'intégrité corporelle ». Les jours suivant les arrestations, l’association du barreau tchadien a annoncé une grève pour protester contre leur inculpation pour des motifs politiques.
Wakit Tamma a mené des manifestations dans tout le pays la semaine du 14 mai, dénonçant la présence militaire française au Tchad et son soutien présumé à la junte militaire. Trois mois plus tard, les autorités ont interdisait à Wakit Tamma de manifester avant que ne s’ouvre le Dialogue national inclusif.
La répression politique a continué à s’intensifier après le démarrage officiel du dialogue national.
Les forces de sécurité ont eu recours à un usage excessif de la force, y compris de gaz lacrymogène, à N’Djamena les 2, 3 et 9 septembre, blessant un grand nombre de manifestants et arrêtant plus de 220 personnes, pour la plupart des membres et partisans du parti d’opposition Les Transformateurs. Plusieurs d’entre eux ont rapporté qu’ils étaient détenus dans des conditions inhumaines, manquant d’espace, d’hygiène, d’aération et de lumière. Le 3 septembre, les forces de sécurité ont aussi passé à tabac quatre journalistes tchadiens, dont Aristide Djimalde, une reporter de 25 ans travaillant pour le média tchadien Alwihda Info, et arrêté trois d’entre eux pour leur couverture de la répression de l’opposition par les forces de sécurité.
Suite aux manifestations du 20 octobre, des militaires, des gendarmes et des policiers ont battu et arrêté des centaines de personnes, dont beaucoup apparemment de façon arbitraire. En parallèle, le Premier ministre a annoncé que le gouvernement allait créer une « commission judiciaire » pour établir les responsabilités pour les abus commis. Le 21 octobre, le ministre de la Justice a ordonné à plusieurs tribunaux du pays d’entamer des enquêtes judiciaires sur les manifestations et la réaction des forces de sécurité.
Abus commis par des groupes armés
Les groupes islamistes armés Boko Haram et l’État islamique en Afrique de l’Ouest (Islamic State in West Africa Province, ISWAP) ont continué à mener des attaques illégales contre des civils ainsi que contre les forces de sécurité de la zone du lac Tchad.
Au Sahel, le Tchad a fourni de substantielles contributions militaires aux opérations régionales de lutte contre le terrorisme durant des années. L’Opération Barkhane, une opération de contre-insurrection dirigée par les Français contre les groupes islamistes armés au Sahel, a ses quartiers généraux à N’Djamena. Le pays est le troisième plus grand contributeur à la Mission multidimensionnelle intégrée des Nations Unies pour la stabilisation au Mali (MINUSMA), en termes de nombre de troupes.
Le Tchad est membre du G5 Sahel, une force conjointe pour combattre le terrorisme dans la région, qui comprend également le Burkina Faso, la Mauritanie, le Niger et jusqu’à récemment le Mali.
Justice internationale et nationale
L’ancien président tchadien Hissène Habré est mort des suites du Covid-19 le 24 août 2021, alors qu’il purgeait une peine de prison à perpétuité. Habré avait été reconnu coupable, le 30 mai 2016, de crimes contre l’humanité, de crimes de guerre et de torture par un tribunal appuyé par l’UA à Dakar (Sénégal. Il a également été reconnu coupable d’avoir commis des crimes sexuels, dont le crime de viol et le celui d’esclavage sexuel pour avoir envoyé des femmes servir d’esclaves sexuels aux membres de son armée.
Le 19 septembre, le gouvernement tchadien a annoncé qu’il avait déboursé 10 milliards de francs CFA (14,8 millions de dollars) pour compenser les victimes et survivant des abus de l’ère Habré, dont beaucoup attendaient de recevoir leur compensation ordonnée par le tribunal depuis la condamnation de 2016.
Le 24 décembre, le gouvernement de transition a accordé l’amnistie à près de 300 rebelles et dissidents politiques qui avaient été reconnus coupables de graves infractions, notamment de recrutement d’enfants soldats.
Orientation sexuelle et identité de genre
L’article 354 du Code pénal de 2017 interdit « rapports sexuels avec les personnes de son sexe ». En vertu de ce code, les individus inculpés pour avoir eu des relations homosexuelles risquent jusqu’à deux ans d’emprisonnement et une amende comprise entre 50 000 et 500 000 francs CFA (de 75 à 750 dollars environ).
Droits des femmes
En juillet, le gouvernement tchadien a interdit aux jeunes filles de quitter le pays sans autorisation parentale, prétendument pour répondre aux inquiétudes concernant « un flux migratoire de jeunes filles » quittant le territoire « à des fins d’exploitation ». Le Tchad a le taux de mariage d'enfants le plus élevé du monde, avec 70 % de jeunes filles mariées avant leurs 18 ans. En août, une Haute cour islamique de la région de Mangalmé, située dans le nord-est, a prononcé un jugement selon lequel les personnes qui refusent une proposition de mariage devaient payer une amende connue sous le nom de amchilini. Des groupes de défense des droits des femmes ont dénoncé cette amende ainsi que l’interdiction de quitter le pays pour les jeunes filles, expliquant qu’elle était discriminatoire et violait le droit des filles à circuler librement.
Droits sociaux et économiques
D’après le Programme alimentaire mondial, le Tchad a l’un des taux de prévalence de la faim les plus élevés du monde et on estime que 42 % de sa population vit dans la pauvreté. Pendant des décennies, le pays a sous-investi le domaine de la protection sociale, tandis que le changement climatique et la désertification ont eu un impact négatif sur les rendements agricoles.
En juin, Mahamat Déby a déclaré l’urgence alimentaire à l’échelle nationale alors que les prix internationaux des céréales avait fortement augmenté depuis le début de la guerre entre la Russie et l'Ukraine. Depuis le début de la pandémie de Covid-19, Depuis le début de la pandémie de Covid-19, le nombre de personnes estimées en situation d'insécurité alimentaire aiguë dans le pays a augmenté de près de 70 %. Entre juin et septembre de cette année, au cours de la saison creuse agricole, on a estimé que 2,1 millions de personnes avaient besoin d’une aide humanitaire alimentaire.