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Cameroun

Événements de 2022

Un groupe de femmes marche dans le camp de personnes déplacées de Bogo lors d'une visite de Filippo Grandi, le Haut Commissaire des Nations Unies pour les réfugiés, à Maroua, au Cameroun, le 28 avril 2022.

© 2022 AFP/AURELIE BAZZARA-KIBANGULA via Getty images 

En 2022, des groupes armés et les forces gouvernementales ont commis des atteintes aux droits humains, y compris des exécutions extrajudiciaires, dans les régions anglophones du Cameroun et dans la région de l’Extrême-Nord.

Alors que la crise dans les régions anglophones se poursuivait pour la sixième année consécutive, au mois d’août 2022, 598 000 personnes étaient déplacées à l’intérieur du pays et au moins 2 millions de personnes avaient besoin d’une aide humanitaire dans les régions du Nord-Ouest et du Sud-Ouest.

Les séparatistes, qui depuis 2017 imposent avec violence un boycott scolaire, ont continué d’attaquer des écoles, des élèves et des professionnels du secteur de l’éducation, détruisant des bâtiments et privant des centaines de milliers d’enfants de leur droit fondamental à l’éducation.

Les groupes armés islamistes Boko Haram et Province de l’État islamique d’Afrique de l’Ouest (ISWAP) ont continué à perpétrer des attaques dans la région de l’Extrême-Nord de janvier à avril, tuant des dizaines de civils et contribuant au déplacement interne de plus de 378 000 personnes en juillet. Les forces gouvernementales ont violé le droit international humanitaire et le droit international relatif aux droits humains en s’abstenant de poursuivre en justice de manière équitable les membres présumés des groupes islamistes ayant commis des crimes graves. Le gouvernement n’a pas tenu son engagement consistant à aider les anciens membres de Boko Haram et d’ISWAP qui ont volontairement quitté ces groupes dans le cadre d’un programme de désarmement. Les autorités n’ont pas non plus aidé et protégé les femmes et les enfants associés à ces groupes.

Les libertés d’expression et d’association ont continué de faire l’objet de restrictions, et la persécution des personnes lesbiennes, gays, bisexuelles et transgenres (LGBT) s’est également poursuivie. Les attaques collectives visant des membres de la communauté LGBT se sont intensifiées.

Les forces gouvernementales ont soumis les demandeurs d’asile camerounais déportés par les États-Unis en 2020 et 2021 à de graves atteintes aux droits humains à leur retour, notamment des agressions et des exactions physiques, des arrestations et des détentions arbitraires, des actes d’extorsion et la confiscation de leurs documents d’identité, entravant ainsi leur liberté de circulation, leur capacité à travailler et leur accès aux services publics.

En avril, le Cameroun a pris des mesures importantes pour protéger le droit des élèves enceintes et des mères adolescentes. La nouvelle « politique de réadmission » mise en place par le gouvernement stipule que les élèves enceintes peuvent poursuivre leur scolarité jusqu’à la 26ème semaine de leur grossesse et qu’elles sont autorisées à retourner à l’école après l’accouchement, sous réserve de certaines conditions.

La crise anglophone

Au moins 6 000 civils ont été tués par les forces gouvernementales et par les combattants séparatistes armés depuis fin 2016 dans les régions du Nord-Ouest et du Sud-Ouest, des groupes séparatistes armés cherchant à obtenir l’indépendance des régions anglophones minoritaires du pays.

Violations commises par les forces gouvernementales

Les forces de sécurité ont violemment répondu aux attaques séparatistes, ciblant souvent les civils dans les régions anglophones.

Le 24 avril, à Ndop, dans la région du Nord-Ouest, des soldats du Bataillon d’intervention rapide (BIR) ont arrêté, sévèrement battu et détenu entre 30 et 40 motocyclistes faisant partie d’un convoi funéraire, prétendument parce qu’ils les soupçonnaient d’être des combattants séparatistes. Parmi les personnes détenues, au moins 17 auraient disparu de force. En septembre, on ignorait toujours où elles se trouvaient.

Le 1er juin, des soldats du 53ème Bataillon d’infanterie motorisée (BIM) ont tué neuf personnes, dont quatre femmes et une fillette de 18 mois, dans le village de Missong, dans la région du Nord-Ouest, lors d’une opération de représailles contre une communauté soupçonnée d’abriter des combattants séparatistes.

Le 8 juin, des soldats ont mené une opération militaire à Chomba, dans la région du Nord-Ouest, incendiant une maison et pillant le centre de santé local. Ils ont également arrêté une femme ainsi que son enfant adoptif de 11 ans et les ont détenus pendant 24 jours à la caserne du BIR à Bafut, dans la région du Nord-Ouest.

Du 9 au 11 juin, à Belo, dans la région du Nord-Ouest, les forces de sécurité ont tué un homme, en ont blessé un autre, ont incendié au moins 12 maisons, détruit un centre de santé communautaire et pillé au moins dix magasins.

Exactions perpétrées par les séparatistes armés

Des combattants séparatistes ont continué de tuer, de torturer, d’attaquer et d’enlever des civils. Ils ont également poursuivi leurs attaques contre les élèves, les enseignants et le système éducatif, privant des milliers d’étudiants du droit à l’éducation.

Le 12 juin, des combattants séparatistes ont agressé physiquement, menacé et humilié un groupe de 11 élèves âgés de 14 à 18 ans, qui se rendaient à pied au lycée Bokova, à Buea, dans la région du Sud-Ouest. Ils ont tiré dans la jambe droite de l’un d’entre eux et ont détruit ou saisi leur matériel scolaire.

Le 19 janvier, des combattants séparatistes ont attaqué le lycée public de Weh, dans la région du Nord-Ouest, enlevant cinq enseignants et blessant deux élèves au motif qu’ils n’avaient pas respecté le boycott scolaire ni contribué financièrement à leur lutte pour l’indépendance. Les enseignants ont été libérés le 24 janvier après le paiement d’une rançon.

Le 12 janvier, des combattants séparatistes qui voulaient perturber le tournoi de football africain de la Coupe d’Afrique des Nations, qui s’est tenue au Cameroun du 9 janvier au 6 février, ont mené une série d’attaques dans la ville de Buea. Ils ont décrété un confinement et puni les personnes qui ne l’observaient pas. Ils ont tué par balle un chauffeur de taxi de 30 ans et un autre homme dans la zone du marché Bwitingi et tiré sur un autre homme, le blessant aux deux jambes et à l’estomac dans la zone du poste de contrôle à proximité du même marché.

Le 13 janvier, des combattants séparatistes ont attaqué une plantation de caoutchouc de la Cameroon Development Corporation (CDC), une entreprise agroalimentaire publique, à Tiko, dans la région du Sud-Ouest, enlevé neuf ouvriers, dont six femmes, et mis le feu à un tracteur. Les ouvriers ont tous été libérés le 25 janvier après le paiement d’une rançon.

Le 11 février, des combattants séparatistes ont mis le feu à trois dortoirs d’un internat d’enseignement secondaire réservé aux filles, le Queen of the Rosary College, à Okoyong, dans la région du Sud-Ouest.

Le 5 avril, des séparatistes ont pris d’assaut le campus de l’université de Bamenda, dans la région du Nord-Ouest, tirant en l’air et semant la panique parmi les étudiants et les enseignants et provoquant une bousculade qui a blessé au moins cinq personnes. Les combattants ont attaqué l’université parce qu’elle n’avait pas respecté le « confinement » (« lockdown »), ou ordre de rester chez soi, qu’ils avaient décrété dans toute la région. 

Le 28 avril, des combattants séparatistes ont attaqué la station de taxis et de bus de Mamfe, dans la région du Sud-Ouest. Ils ont incendié au moins cinq voitures et tué trois hommes, accusant les employés de la station d’avoir poursuivi leur activité alors que le confinement avait été décrété.

Le 30 mai, des combattants séparatistes présumés ont enlevé et tué Lukong Francis, professeur à la retraite du lycée public de Jakiri, dans la région du Nord-Ouest, et membre du parti au pouvoir, en guise de représailles pour avoir participé aux célébrations publiques du 20 mai à l’occasion de la Fête nationale de l’unité, auxquelles les groupes séparatistes sont opposés.

Le 10 juin, des combattants séparatistes présumés ont incendié l’hôpital de district de Mamfe, dans la région du Sud-Ouest, privant 85 000 personnes d’accès aux soins de santé.

Le 16 septembre, des militants armés ont attaqué et incendié l’église Sainte-Marie de Nchang, dans le diocèse de Mamfe, et enlevé neuf personnes – dont cinq prêtres. Le Pape François s’est joint à l’appel lancé par les évêques de la Conférence épiscopale de la province ecclésiastique pour la libération des personnes enlevées. Les neuf personnes enlevées ont toutes été libérées le 23 octobre.

Restriction de l’accès humanitaire et abus à l’encontre de travailleurs humanitaires

L’accès humanitaire a été restreint dans les régions anglophones et de l’Extrême-Nord et des travailleurs humanitaires ont été victimes d’attaques perpétrées par les forces gouvernementales et par des groupes armés. D’après le Bureau pour la coordination des affaires humanitaires des Nations Unies (UNOCHA), les acteurs humanitaires ont continué d’opérer sous de fortes contraintes imposées par les combattants séparatistes armés dans les régions anglophones, y compris des confinements répétés, des mesures de harcèlement aux postes de contrôle et des risques associés aux engins explosifs improvisés.

En avril, Médecins Sans Frontières (MSF) a suspendu toutes ses activités dans la région du Sud-Ouest en raison de la « détention injuste » de quatre de ses travailleurs. En décembre 2020, les autorités camerounaises avaient suspendu les activités de MSF dans la région du Nord-Ouest, accusant l’organisation d’être trop proche des séparatistes anglophones, privant ainsi des dizaines de milliers d’habitants de la région d’accès à des soins médicaux.

Les combattants séparatistes et les groupes armés islamistes ont entravé l’accès des agences humanitaires aux zones placées sous leur contrôle.

Le 25 février, des hommes armés non identifiés ont enlevé cinq travailleurs de MSF à leur domicile à Fotokol, dans la région de l’Extrême-Nord, zone dans laquelle opère Boko Haram. Ils ont été libérés un mois plus tard.

Le 26 février, des combattants séparatistes ont arrêté deux véhicules des Services de santé de la Convention baptiste du Cameroun (Cameroon Baptist Convention Health Services, CBCHS), une organisation médicale à but non lucratif, à un poste de contrôle à Mile 90, dans la région du Nord-Ouest. Ils ont tiré sur un véhicule, tuant une infirmière de 46 ans, et blessant une autre infirmière et un médecin.

Le 2 juillet, dans la région de l’Extrême-Nord, des combattants de Boko Haram présumés ont attaqué l’hôpital de Mada dans la division de Logone-et-Chari, tuant un civil, entraînant la fermeture provisoire de l’établissement de santé et privant des milliers de personnes de soins de santé essentiels.

Attaques perpétrées par Boko Haram et ISWAP

Les attaques et les raids menés par les groupes armés islamistes Boko Haram et ISWAP se sont poursuivis dans la région de l’Extrême-Nord.

Le Département de la sûreté et de la sécurité de l’ONU (UNDSS) a signalé une escalade de la violence, recensant 23 attaques perpétrées par Boko Haram et ISWAP, le bilan étant de 13 morts parmi la population civile, dont deux enfants et une femme, 12 blessés, 10 personnes enlevées et 7 600 personnes déplacées à l’intérieur du pays. Face à la résurgence de ces attaques, le Cameroun a déployé des centaines de troupes supplémentaires dans la région de l’Extrême-Nord.

Répression de l’opposition politique et des dissidents

Le gouvernement a continué de limiter la capacité de l’opposition politique et de la société civile à opérer librement.

Le 22 avril, quatre Rapporteurs spéciaux de l’ONU sur la situation des défenseurs des droits humains, sur les exécutions extrajudiciaires, sur le droit à la liberté d’expression et sur la liberté d’association ont adressé un courrier au Président camerounais Paul Biya soulevant des préoccupations concernant les menaces de mort envoyées de manière répétée depuis 2015 au président d’Organic Farming for Gorillas, une organisation de la société civile camerounaise qui a révélé les abus perpétrés par des entreprises dans la région du Nord-Ouest.

Le 11 août, des soldats ont arrêté Abdul Karim Ali, un éminent militant pacifiste camerounais anglophone, à Bamenda, dans la région du Nord-Ouest. Bien qu’aucun chef d’accusation officiel n’ait été retenu contre Ali, il a été informé qu’il était accusé d’« apologie du terrorisme » pour avoir eu en sa possession sur son téléphone une vidéo montrant des violations présumées des droits humains commises par un militaire camerounais contre des civils dans les régions anglophones du pays. En septembre, Ali se trouvait toujours en détention dans l’attente de son procès.

Au moins 105 membres et sympathisants de partis de l’opposition arrêtés en septembre 2020 pour avoir bravé une interdiction de manifester sont toujours en détention, après avoir été condamnés par des tribunaux militaires à des peines allant de deux à cinq ans de prison sur la base d’accusations à caractère politique. Parmi eux figurent Olivier Bibou Nissack et Alain Fogué Tedom, deux membres éminents du Mouvement pour la renaissance du Cameroun.

Certains détenus sont morts dans des conditions de détention abjectes au sein des prisons du pays, notamment Rodrigue Ndagueho Koufet, l’un des six détenus de la prison de Douala morts du choléra entre février et avril. Koufet était détenu de manière arbitraire depuis septembre 2020 pour avoir pris part à des rassemblements pacifiques.

Dans un avis rendu en octobre et adopté lors de sa 94ème session, le Groupe de travail des Nations Unies sur la détention arbitraire a qualifié d’arbitraires l’arrestation et la détention en 2018 de dix militants camerounais à Abuja, au Nigeria, et a demandé leur libération immédiate. Le Groupe a constaté que ces personnes avaient été renvoyées de force depuis le Nigeria vers le Cameroun en 2018, en violation du principe de non-refoulement, et conclu que la procédure dans son ensemble n’était pas conforme aux normes internationales.

Orientation sexuelle et identité de genre

Le code pénal camerounais punit les « rapports sexuels avec une personne de son sexe » d’une peine pouvant aller jusqu’à cinq années de prison. On observe une augmentation des cas de violence et d’abus commis contre les personnes LGBTI au Cameroun en 2022.

De mars à mai, les forces de sécurité ont arrêté arbitrairement au moins six personnes et en ont placé 11 autres en détention pour avoir prétendument eu des rapports sexuels consentis entre personnes du même sexe et pour non-conformité de genre. En avril, une bande d’environ huit hommes armés de machettes, de couteaux, de bâtons et de planches de bois a attaqué un groupe d’au moins dix personnes LGBTI. Les gendarmes ont détenu et passé à tabac au moins deux des victimes.

Justice et lutte contre l’impunité

Entre janvier et août, huit audiences ont eu lieu dans le cadre du procès de trois membres des forces de sécurité accusés d’avoir été impliqués dans le meurtre de 21 civils dans le village de Ngarbuh, dans la région du Nord-Ouest. Le procès se tient devant un tribunal militaire à Yaoundé et, au moment de la rédaction du présent rapport, il durait depuis 21 mois. Les officiers supérieurs qui pourraient avoir une responsabilité de commandement n’ont pas été arrêtés ou inculpés, et les possibilités d’accès des familles des victimes sont limitées.

En juin 2020, l’ambassadeur de France au Cameroun a déclaré aux médias que le Président Biya lui avait assuré qu’une enquête serait ouverte sur la mort en détention du journaliste Samuel Wazizi en août 2019. Mais en septembre, l’enquête n’avait pas progressé.

Dans un communiqué de presse publié le 7 juin, le colonel Cyrille Serge Atonfack Guemo, porte-parole de l’armée camerounaise, a reconnu la responsabilité de l’armée dans le meurtre de neuf personnes dans le village de Missong, dans la région du Nord-Ouest, le 1er juin. Il a déclaré que quatre soldats avaient été arrêtés et qu’une enquête avait été ouverte. En septembre, l’enquête n’avait toujours pas progressé.

Dans un communiqué de presse publié le 21 septembre, le ministre de la Défense a reconnu la responsabilité dans le meurtre de deux civils dans la division de Momo, dans la région du Nord-Ouest, le 19 septembre. Le communiqué indique que des membres des Forces de défense et de sécurité ont agi en violation des instructions.

Principaux acteurs internationaux

Le 21 mars, l’Union européenne a exprimé ses préoccupations concernant « la crise en cours dans les régions du Nord-Ouest et du Sud-Ouest » et demandé « l’arrêt immédiat de la violence, le respect des droits humains et des principes humanitaires, un accès humanitaire sans entrave et un environnement sécurisé pour le travail humanitaire ».

Le 15 avril, le Département américain de la sécurité intérieure a annoncé qu’il accordait au Cameroun un statut de protection temporaire (Temporary Protected Status, TPS) de 18 mois. Les ressortissants camerounais résidant aux États-Unis au 1er avril et qui ne peuvent retourner dans leur pays d’origine en raison des conditions qui y règnent—y compris violence des forces gouvernementales et des groupes armés, destruction de l’infrastructure civile, instabilité économique et insécurité alimentaire—pourront rester aux États-Unis jusqu’à ce que la situation se soit améliorée.

Les 25 et 26 juillet, le Président français Emmanuel Macron s’est rendu au Cameroun où il a rencontré le Président Biya. Cette visite a mis l’accent sur le renforcement des liens politiques et économiques entre Paris et Yaoundé. Macron n’a pas exprimé publiquement ses préoccupations quant à la situation des droits humains dans le pays.