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La Tunisie persiste et signe dans le recul de la démocratie

L’arrestation de Rached Ghannouchi et l’emprisonnement d’Ali Laarayedh révèlent l’ampleur de l’offensive de Kais Saied contre la démocratie

Publié dans: Foreign Policy
Ali Laarayedh, alors Premier ministre tunisien, prononce un discours lors d'une conférence de presse à Tunis, le 22 février 2013. © 2013 AP Photo/Hassene Dridi

Bien des coups d’État ou tentatives de confiscation du pouvoir par la force commencent par l’arrestation du chef de l’opposition politique. En Tunisie, cela a pris près de deux ans au président Kais Saied d’emprisonner Rached Ghannouchi, chef de longue date du parti Ennahda et ancien président du parlement. Depuis que Saied s’est arrogé les pleins pouvoirs, a suspendu le parlement et a commencé à gouverner par décret en juillet 2021, son offensive contre les droits humains s’est faite crescendo, plutôt que par une démonstration de force massive dès le premier jour.

Lorsque Saied a fait arrêter Ghannouchi le 18 avril, sur la base d’accusations peu convaincantes d’incitation à la violence, ce n’était pas seulement pour éliminer un adversaire politique. Confronté à un malaise croissant face à son incapacité à redresser une économie tunisienne chancelante, Saied attise l’antipathie de ses partisans à l’égard d’Ennahda, à la fois parmi ceux qui reprochent au parti son bilan au gouvernement et ceux qui s’en méfient par principe parce qu’ils le soupçonnent de visées islamistes extrémistes, en dépit de son adhésion professée à la démocratie et au pluralisme.

Ghannouchi a cristallisé les griefs de ces deux tendances. Mais il n’est qu’un des douze membres ou anciens membres d’Ennahda emprisonnés depuis décembre pour des motifs politiques, aux côtés de détracteurs de Saied issus d’autres mouvements politiques.

Après Ghannouchi, le plus connu des détenus d’Ennahda est Ali Laarayedh. Le cas de cet ancien ministre de l’Intérieur et Premier ministre, âgé de 67 ans, résume les efforts de Saied pour accroître sa popularité en diabolisant ceux qui l’ont précédé à la tête du pays.

Ghannouchi n’a pas connu la prison depuis les années 1980, s’étant exilé durant plus de vingt ans avant de rentrer en Tunisie début 2011. Laarayedh a, lui, une connaissance intime des geôles tunisiennes, qui épouse les hauts et — surtout — les bas de l’histoire des droits humains en Tunisie, où l’on est passé d’un État policier à la réussite précaire qu’a été le Printemps arabe, avant de glisser de nouveau vers l’autocratie.

Né quelques mois avant l’indépendance de son pays en 1956, Laarayedh a été incarcéré sous trois présidents différents. À chaque fois, les chefs d’accusation retenus contre lui étaient politiques et fondés sur des éléments de preuve fragiles ou douteux.

En 1981, Laarayedh — ingénieur maritime de formation — a fondé, avec Ghannouchi et d’autres, le Mouvement de la tendance islamique (MTI), un parti politique officiellement non reconnu. Laarayedh a fait partie des 90 membres du MTI jugés pour sédition en 1987 par la Cour de sûreté de l’État. Deux de ses co-accusés qui, comme Laarayedh, avaient été condamnés à mort, ont été rapidement exécutés, suscitant des craintes de réaction politique contre le premier président de la Tunisie, Habib Bourguiba, qui gouvernait d’une main de fer depuis trois décennies. En partie en réponse à cette situation, en novembre 1987, le ministre de l’Intérieur, Zine el-Abidine Ben Ali, a organisé un « coup d’État médical » contre Bourguiba, alors âgé de 84 ans, et a rapidement commué les peines de mort prononcées contre Laarayedh et ses co-accusés, avant de les amnistier en 1988 et en 1989.

Mais la tolérance de Ben Ali vis-à-vis du principal mouvement islamiste du pays, qui a changé son nom de MTI à Ennahda (« La Renaissance »), a été de courte durée. Après plusieurs incidents épars de violence islamiste, Ben Ali a interdit le parti et a commencé à arrêter des centaines de ses membres, essentiellement pour appartenance à une organisation illégale et autres infractions non violentes. Laarayedh, en tant que porte-parole du mouvement, a été détenu plusieurs fois avant d’être condamné, ainsi que 264 co-accusés, en 1992 par la justice militaire à l’issue de deux procès de masse — entachés d’aveux obtenus sous la contrainte et de violations des procédures régulières — pour complot contre l’État. Parmi ses co-accusés, 46 hommes ont été condamnés à la prison à perpétuité.

Laarayedh, lui, a été condamné à 15 ans de prison et en a purgé 14. Parmi les milliers de membres du parti qui ont peuplé les prisons de Ben Ali, Laarayedh est celui qui a passé le plus de temps en cellule d’isolement, passant plus de 11 ans à l’isolement dans sept prisons différentes.

Laarayedh m’a décrit cette expérience en 2004, peu après sa remise en liberté : « À l’isolement, la seule personne à qui vous pouvez parler est le gardien. Mais de temps en temps, le personnel de la prison décide de ne pas vous adresser la parole, parfois pour quelques heures, parfois pendant une semaine entière. … Cela vous abat, vous rend prêt à faire quelque chose de désespéré, envers le gardien, ou vous-même, juste pour prouver que vous existez encore. »

Comme beaucoup d’ex-prisonniers, Laarayedh est resté sous surveillance mais a repris ses activités politiques au sein d’Ennahda, prenant la tête de son bureau politique. En 2005, la direction du parti a intégré une coalition avec plusieurs partis non islamistes pour réclamer le respect des droits démocratiques fondamentaux.

En décembre 2010, une révolte populaire, déclenchée par l’auto-immolation par le feu d’un marchand ambulant harcelé par la police, Mohamed Bouazizi, a gagné toute la Tunisie, menant à la chute de Ben Ali et inspirant des mouvements de protestation dans toute la région. Une semaine après la fuite à l’étranger de Ben Ali, le gouvernement intérimaire a libéré les prisonniers politiques en masse. Deux mois plus tard, les autorités ont abrogé la mesure d’interdiction d’Ennahda prise par Ben Ali, autorisant le parti.

En octobre 2011, la Tunisie a tenu ses premières élections libres et régulières, à l’issue desquelles Ennahda a obtenu une majorité relative à l’Assemblée constituante, lui permettant de gouverner au sein d’une coalition avec deux partis laïcs, appelée la « troïka ». En décembre 2011, Laarayedh est devenu ministre de l’Intérieur, s’installant dans l’imposant bureau situé plusieurs étages au-dessus des cellules du sous-sol où lui et ses collègues d’Ennahda avaient été torturés des décennies plus tôt. Il a ensuite été Premier ministre pendant près d’un an.

Lors de ces années post-révolutionnaires, les Tunisiens pouvaient s’exprimer et manifester sans crainte d’être arrêtés. Ils avaient de nombreuses raisons de manifester. La Tunisie n’a pas été épargnée par l’essor de l’État islamique et de ses affiliés. Les assassinats en 2013 à Tunis de deux hommes politiques de gauche, imputés à des islamistes extrémistes et condamnés par Ennahda, ont mené à des manifestations massives exigeant la démission du gouvernement, qui avait aussi échoué à inverser le déclin économique du pays.

Le gouvernement Laarayedh — le dernier dirigé par Ennahda — a démissionné en janvier 2014 pour laisser place à un gouvernement intérimaire, avant que le parlement n’adopte la première constitution de la Tunisie post-révolutionnaire.

Les gouvernements qui lui ont succédé ont également rencontré des difficultés face au fléau des attaques d’extrémistes armés, notamment deux attentats en 2015 revendiqués par l’État islamique (EI) dans lesquels 60 personnes ont été tuées dans un musée et dans une station balnéaire, handicapant gravement l’industrie du tourisme, secteur crucial de l’économie tunisienne.

Ces gouvernements ont aussi peiné à redresser l’économie, alimentant un mécontentement populaire qui a contribué à la victoire retentissante de Saied, alors nouveau-venu en politique, lors des élections de 2019.

Laarayedh a perdu son siège au parlement après ces élections mais est resté vice-président d’Ennahda. Le 9 décembre 2021, un incendie s’est déclaré au siège d’Ennahda à Tunis après qu’un jeune militant s’est immolé par le feu ; Laarayedh a sauté d’une fenêtre située au deuxième étage de l’immeuble, se fracturant le bassin et le fémur.

La situation économique de la Tunisie s’est aggravée au début du mandat de Saied, grevée par la pandémie de COVID-19 et la réponse maladroite du gouvernement. Le 25 juillet 2021, Saied a suspendu le parlement et entamé un processus, encore en cours, de consolidation de son pouvoir aux dépens des institutions étatiques qui pouvaient lui faire obstacle. Il a sapé l’indépendance de la justice et de l’instance de supervision des élections, et a mis en œuvre une nouvelle constitution qui centralise le pouvoir entre les mains du président.

Sous la présidence de Saied, un certain nombre de dirigeants d’Ennahda ont été emprisonnés. Parmi eux figure Noureddine Bhiri, arrêté en décembre 2021 sous l’accusation d’avoir, lorsqu’il était ministre du gouvernement entre 2011 et 2013, facilité l’obtention de passeports pour des Tunisiens qui ont rejoint l’État islamique (EI) et d’autres groupes armés combattant en Syrie, en Irak et ailleurs. À l’époque, des milliers de jeunes Tunisiens partaient pour rejoindre l’EI. Les autorités ont remis Bhiri en liberté deux mois plus tard, mais l’ont réarrêté en février 2023 ; sans jamais encore l’inculper.

Ghannouchi, depuis son arrestation pour incitation à la violence, a été transporté de prison vers une unité anti-terroriste de la Garde nationale pour y subir des interrogatoires. Au lendemain de son arrestation, les autorités ont fermé le siège national d’Ennahda et interdit à ses membres de tenir des réunions, ramenant le pays un peu plus près encore de l’ère Ben Ali, quand le parti était officiellement interdit et des milliers de ses membres envoyés en prison pour le seul « crime » d’y appartenir.

Quant à Laarayedh, un juge anti-terroriste l’a convoqué pour le questionner le 19 décembre 2022, puis a ordonné son incarcération, deux jours après l’élection -par seulement 11% des électeurs- d’une chambre des députés aux pouvoirs réduits, selon la nouvelle constitution de Saied.

Laarayedh est détenu à la prison de Mornaguia depuis quatre mois, sans avoir été présenté à un juge ou formellement inculpé. Son mandat de dépôt indique clairement que les accusations portées contre lui sont liées à des décisions politiques qu’il a prises lorsqu’il était au gouvernement, qui ont prétendument échoué à contrer l’extrémisme et le terrorisme « de manière adéquate, contribuant ainsi à … l’augmentation des départs de jeunes Tunisiens vers des foyers de tension pour le djihad ».

Quoique Laarayedh, lorsqu’il était ministre du gouvernement, n’ait pas éradiqué le terrorisme, il n’y a, pour l’heure, aucune preuve de sa responsabilité dans de tels crimes. Ce n’est pas un hasard si, aux côtés des détenus liés à Ennahda, la plupart des autres figures de l’opposition, de tendance plus laïque, actuellement en détention soit partisanes de l’inclusion d’Ennahda dans un front uni de l’opposition. En février, Saied les a dénoncées comme « terroristes ».

Passé du couloir de la mort sous le premier président de la Tunisie à 11 ans d’isolement sous le deuxième, Laarayedh est de retour derrière les barreaux sous le dernier en date des présidents autoritaires du pays.

Quelles que soient les manquements de Laarayedh au gouvernement, une chose est claire : quand il était ministre de l’Intérieur et Premier ministre, les Tunisiens jouissaient d’une plus grande liberté d’expression que sous tous les présidents qui l’ont emprisonné.

Bien des coups d’État ou tentatives de confiscation du pouvoir par la force commencent par l’arrestation du chef de l’opposition politique. En Tunisie, cela a pris près de deux ans au président Kais Saied d’emprisonner Rached Ghannouchi, chef de longue date du parti Ennahda et ancien président du parlement. Depuis que Saied s’est arrogé les pleins pouvoirs, a suspendu le parlement et a commencé à gouverner par décret en juillet 2021, son offensive contre les droits humains s’est faite crescendo, plutôt que par une démonstration de force massive dès le premier jour.

Lorsque Saied a fait arrêter Ghannouchi le 18 avril, sur la base d’accusations peu convaincantes d’incitation à la violence, ce n’était pas seulement pour éliminer un adversaire politique. Confronté à un malaise croissant face à son incapacité à redresser une économie tunisienne chancelante, Saied attise l’antipathie de ses partisans à l’égard d’Ennahda, à la fois parmi ceux qui reprochent au parti son bilan au gouvernement et ceux qui s’en méfient par principe parce qu’ils le soupçonnent de visées islamistes extrémistes, en dépit de son adhésion professée à la démocratie et au pluralisme.

Ghannouchi a cristallisé les griefs de ces deux tendances. Mais il n’est qu’un des douze membres ou anciens membres d’Ennahda emprisonnés depuis décembre pour des motifs politiques, aux côtés de détracteurs de Saied issus d’autres mouvements politiques.

Après Ghannouchi, le plus connu des détenus d’Ennahda est Ali Laarayedh. Le cas de cet ancien ministre de l’Intérieur et Premier ministre, âgé de 67 ans, résume les efforts de Saied pour accroître sa popularité en diabolisant ceux qui l’ont précédé à la tête du pays.

Ghannouchi n’a pas connu la prison depuis les années 1980, s’étant exilé durant plus de vingt ans avant de rentrer en Tunisie début 2011. Laarayedh a, lui, une connaissance intime des geôles tunisiennes, qui épouse les hauts et — surtout — les bas de l’histoire des droits humains en Tunisie, où l’on est passé d’un État policier à la réussite précaire qu’a été le Printemps arabe, avant de glisser de nouveau vers l’autocratie.

Né quelques mois avant l’indépendance de son pays en 1956, Laarayedh a été incarcéré sous trois présidents différents. À chaque fois, les chefs d’accusation retenus contre lui étaient politiques et fondés sur des éléments de preuve fragiles ou douteux.

En 1981, Laarayedh — ingénieur maritime de formation — a fondé, avec Ghannouchi et d’autres, le Mouvement de la tendance islamique (MTI), un parti politique officiellement non reconnu. Laarayedh a fait partie des 90 membres du MTI jugés pour sédition en 1987 par la Cour de sûreté de l’État. Deux de ses co-accusés qui, comme Laarayedh, avaient été condamnés à mort, ont été rapidement exécutés, suscitant des craintes de réaction politique contre le premier président de la Tunisie, Habib Bourguiba, qui gouvernait d’une main de fer depuis trois décennies. En partie en réponse à cette situation, en novembre 1987, le ministre de l’Intérieur, Zine el-Abidine Ben Ali, a organisé un « coup d’État médical » contre Bourguiba, alors âgé de 84 ans, et a rapidement commué les peines de mort prononcées contre Laarayedh et ses co-accusés, avant de les amnistier en 1988 et en 1989.

Mais la tolérance de Ben Ali vis-à-vis du principal mouvement islamiste du pays, qui a changé son nom de MTI à Ennahda (« Renaissance »), a été de courte durée. Après plusieurs incidents épars de violence islamiste, Ben Ali a interdit le parti et a commencé à arrêter des centaines de ses membres, essentiellement pour appartenance à une organisation illégale et autres infractions non violentes. Laarayedh, en tant que porte-parole du mouvement, a été détenu plusieurs fois avant d’être condamné, ainsi que 264 co-accusés, en 1992 par la justice militaire à l’issue de deux procès de masse — entachés d’aveux obtenus sous la contrainte et de violations des procédures régulières — pour complot contre l’État. Parmi ses co-accusés, 46 hommes ont été condamnés à la prison à perpétuité.

Laarayedh, lui, a été condamné à 15 ans de prison et en a purgé 14. Parmi les milliers de membres du parti qui ont peuplé les prisons de Ben Ali, Laarayedh est celui qui a passé le plus de temps en cellule d’isolement, passant plus de 11 ans à l’isolement dans sept prisons différentes.

Laarayedh m’a décrit cette expérience en 2004, peu après sa remise en liberté : « À l’isolement, la seule personne à qui vous pouvez parler est le gardien. Mais de temps en temps, le personnel de la prison décide de ne pas vous adresser la parole, parfois pour quelques heures, parfois pendant une semaine entière. … Cela vous abat, vous rend prêt à faire quelque chose de désespéré, envers le gardien, ou vous-même, juste pour prouver que vous existez encore. »

Comme beaucoup d’ex-prisonniers, Laarayedh est resté sous surveillance mais a repris ses activités politiques au sein d’Ennahda, prenant la tête de son bureau politique. En 2005, la direction du parti a intégré une coalition avec plusieurs partis non islamistes pour réclamer le respect des droits démocratiques fondamentaux.

En décembre 2010, une révolte populaire, déclenchée par l’auto-immolation par le feu d’un marchand ambulant harcelé par la police, Mohamed Bouazizi, a gagné toute la Tunisie, menant à la chute de Ben Ali et inspirant des mouvements de protestation dans toute la région. Une semaine après la fuite à l’étranger de Ben Ali, le gouvernement intérimaire a libéré les prisonniers politiques en masse. Deux mois plus tard, les autorités ont abrogé la mesure d’interdiction d’Ennahda prise par Ben Ali, autorisant le parti.

En octobre 2011, la Tunisie a tenu ses premières élections libres et régulières, à l’issue desquelles Ennahda a obtenu une majorité relative à l’Assemblée constituante, lui permettant de gouverner au sein d’une coalition avec deux partis laïcs, appelée la « troïka ». En décembre 2011, Laarayedh est devenu ministre de l’Intérieur, s’installant dans l’imposant bureau situé plusieurs étages au-dessus des cellules du sous-sol où lui et ses collègues d’Ennahda avaient été torturés des décennies plus tôt. Il a ensuite été Premier ministre pendant près d’un an.

Lors de ces années post-révolutionnaires, les Tunisiens pouvaient s’exprimer et manifester sans crainte d’être arrêtés. Ils avaient de nombreuses raisons de manifester. La Tunisie n’a pas été épargnée par l’essor  de l’État islamique et de ses affiliés. Les assassinats en 2013 à Tunis de deux hommes politiques de gauche, imputés à des islamistes extrémistes et condamnés par Ennahda, ont mené à des manifestations massives exigeant la démission du gouvernement, qui avait aussi échoué à inverser le déclin économique du pays.

Le gouvernement Laarayedh — le dernier dirigé par Ennahda — a démissionné en janvier 2014 pour laisser place à un gouvernement intérimaire, avant que le parlement n’adopte la première constitution de la Tunisie post-révolutionnaire.

Les gouvernements qui lui ont succédé ont également rencontré des difficultés face au fléau des attaques d’extrémistes armés, notamment deux attentats en 2015 revendiqués par l’État islamique (EI) dans lesquels 60 personnes ont été tuées dans un musée et dans une station balnéaire, handicapant gravement l’industrie du tourisme, secteur crucial de l’économie tunisienne.

Ces gouvernements ont aussi peiné à redresser l’économie, alimentant un mécontentement populaire qui a contribué à la victoire retentissante de Saied, alors nouveau-venu en politique, lors des élections de 2019.

Laarayedh a perdu son siège au parlement après ces élections mais est resté vice-président d’Ennahda. Le 9 décembre 2021, un incendie s’est déclaré au siège d’Ennahda à Tunis après qu’un jeune militant s’est immolé par le feu ; Laarayedh a sauté d’une fenêtre située au deuxième étage de l’immeuble, se fracturant le bassin et le fémur.

La situation économique de la Tunisie s’est aggravée au début du mandat de Saied, grevée par la pandémie de COVID-19 et la réponse maladroite du gouvernement. Le 25 juillet 2021, Saied a suspendu le parlement et entamé un processus, encore en cours, de consolidation de son pouvoir aux dépens des institutions étatiques qui pouvaient lui faire obstacle. Il a sapé l’indépendance de la justice et de l’instance de supervision des élections, et a mis en œuvre une nouvelle constitution qui centralise le pouvoir entre les mains du président.

Sous la présidence de Saied, un certain nombre de dirigeants d’Ennahda ont été emprisonnés. Parmi eux figure Noureddine Bhiri, arrêté en décembre 2021 sous l’accusation d’avoir, lorsqu’il était ministre du gouvernement entre 2011 et 2013, facilité l’obtention de passeports pour des Tunisiens qui ont rejoint l’État islamique (EI) et d’autres groupes armés combattant en Syrie, en Irak et ailleurs. À l’époque, des milliers de jeunes Tunisiens partaient pour rejoindre l’EI. Les autorités ont remis Bhiri en liberté deux mois plus tard, mais l’ont réarrêté en février 2023 ; sans jamais encore l’inculper.

Ghannouchi, depuis son arrestation pour incitation à la violence, a été transporté de prison vers une unité anti-terroriste de la Garde nationale pour y subir des interrogatoires. Au lendemain de son arrestation, les autorités ont fermé le siège national d’Ennahda et interdit à ses membres de tenir des réunions, ramenant le pays un peu plus près encore de l’ère Ben Ali, quand le parti était officiellement interdit et des milliers de ses membres envoyés en prison pour le seul « crime » d’y appartenir.

Quant à Laarayedh, un juge anti-terroriste l’a convoqué pour le questionner le 19 décembre 2022, puis a ordonné son incarcération, deux jours après l’élection -par seulement 11% des électeurs- d’une chambre des députés aux pouvoirs réduits, selon la nouvelle constitution de Saied.

Laarayedh est détenu à la prison de Mornaguia depuis quatre mois, sans avoir été présenté à un juge ou formellement inculpé. Son mandat de dépôt indique clairement que les accusations portées contre lui sont liées à des décisions politiques qu’il a prises lorsqu’il était au gouvernement, qui ont prétendument échoué à contrer l’extrémisme et le terrorisme « de manière adéquate, contribuant ainsi à … l’augmentation des départs de jeunes Tunisiens vers des foyers de tension pour le djihad ».

Quoique Laarayedh, lorsqu’il était ministre du gouvernement, n’ait pas éradiqué le terrorisme, il n’y a, pour l’heure, aucune preuve de sa responsabilité dans de tels crimes. Ce n’est pas un hasard si, aux côtés des détenus liés à Ennahda, la plupart des autres figures de l’opposition, de tendance plus laïque, actuellement en détention soit partisanes de l’inclusion d’Ennahda dans un front uni de l’opposition. En février, Saied les a dénoncées comme « terroristes ».

Passé du couloir de la mort sous le premier président de la Tunisie à 11 ans d’isolement sous le deuxième, Laarayedh est de retour derrière les barreaux sous le dernier en date des présidents autoritaires du pays.

Quelles que soient les manquements de Laarayedh au gouvernement, une chose est claire : quand il était ministre de l’Intérieur et Premier ministre, les Tunisiens jouissaient d’une plus grande liberté d’expression que sous tous les présidents qui l’ont emprisonné.

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