Skip to main content

Kirghizistan/Tadjikistan : Des crimes de guerre apparents commis lors du conflit frontalier

La justice devrait être rendue pour les attaques mortelles perpétrées contre des civils

© 2023 Human Rights Watch
  • Les forces armées du Kirghizistan et du Tadjikistan ont tué et blessé des civils, commettant des crimes de guerre apparents dans le cadre du bref mais intense conflit frontalier qui les a opposées en septembre 2022.
  • Les familles des victimes méritent que justice soit rendue et que des réparations leur soient accordées, pour ouvrir la voie à une résolution de ce conflit qui perdure, d’une manière respectueuse des droits humains.
  • Les deux pays devraient rapidement enquêter sur les violations commises par leurs forces armées, demander des comptes aux responsables et accorder des réparations. Les partenaires internationaux devraient soutenir ces démarches.

(Berlin, le 2 mai 2023) – Les forces du Kirghizistan et du Tadjikistan ont commis des crimes de guerre apparents lors d’attaques contre des civils au cours du bref mais intense conflit frontalier armé qui les a opposées en septembre 2022, a déclaré Human Rights Watch dans un rapport publié aujourd’hui.

Le rapport de 69 pages, intitulé « ‘When We Moved, They Shot’: Laws of War Violations in the September 2022 Kyrgyzstan – Tajikistan Border Conflict » (« “Quand nous bougions, il nous tiraient dessus” : Violations des lois de la guerre lors du conflit frontalier entre le Kirghizistan et le Tadjikistan en septembre 2022 ») est le compte-rendu le plus détaillé à ce jour des violations des droits humains commises lors des quatre jours de combats, du 14 au 17 septembre 2022. Les forces kirghizes ont tiré sur des ambulances et des voitures transportant des civils et, dans un cas, ont tué au moins 10 civils lors d’une attaque menée avec une bombe guidée par laser sur la place d’une ville. Les forces tadjikes ont tiré sur des voitures transportant des civils et tué illégalement au moins huit civils dans diverses circonstances, tout en autorisant le pillage et l’incendie à grande échelle de biens privés dans des villages kirghizes.

« Les civils qui vivent dans les zones frontalières contestées du Kirghizistan et du Tadjikistan ont payé un lourd tribut aux agissements brutaux des forces kirghizes et tadjikes lors des combats de septembre dernier », a déclaré Jean-Baptiste Gallopin, chercheur senior auprès de la division Crises et conflits à Human Rights Watch. « Les familles des victimes méritent que justice soit faite et que des réparations leur soient accordées, afin d’ouvrir la voie à une résolution respectueuse des droits humains dans de ce conflit qui perdure. »

Le travail de Human Rights Watch a porté en particulier sur les violations du droit international humanitaire, qui rassemble les lois de la guerre. L'organisation ne prend pas position sur la question de savoir quel camp a déclenché le conflit.

Fin octobre et début novembre, Human Rights Watch a mené des entretiens avec 86 personnes des deux côtés de la frontière, dont 69 survivants, témoins ou membres des familles des victimes. Les chercheurs ont visité les villages touchés, examiné des restes de munitions, vérifié 12 vidéos, analysé de l’imagerie satellite et construit des modèles 3D de ces attaques.

Human Rights Watch a également adressé une série de questions aux gouvernements du Kirghizistan et du Tadjikistan en décembre 2022 et en mars 2023. Le gouvernement du Kirghizistan a répondu en communiquant des informations sur les attaques contre ses ressortissants, mais n’a donné aucune information sur les attaques auxquelles ont participé ses propres forces. Le gouvernement tadjik n’a pas répondu aux lettres de Human Rights Watch.

Human Rights Watch a documenté la mort de 37 civils, dont 5 enfants, ainsi que les blessures de 36 autres personnes, des deux camps. Selon les comptes-rendus des médias et les listes officielles des victimes, le nombre total de civils tués pourrait s’élever à 51 et celui des blessés à 121. On estime à 130 000 le nombre de personnes déplacées rien qu’au Kirghizistan et, en janvier 2023, au moins 4 000 d’entre elles n’étaient pas encore rentrées chez elles.

Les tensions entre le Kirghizistan et le Tadjikistan ont débouché sur un conflit armé qui a éclaté le 14 septembre, qui s’est propagé sur environ 110 kilomètres de frontière contestée dans et autour de la vallée fertile de Fergana. La région compte plusieurs goulets d’étranglement à différents points des rivières qui fournissent des ressources en eau stratégiques à Batken – la capitale régionale du côté kirghiz – et à de vastes étendues de terres agricoles irriguées au Tadjikistan.

La frontière n’a jamais été intégralement démarquée après la proclamation de l’indépendance des deux pays en 1991, et a périodiquement été le théâtre d’affrontements de faible ampleur. En avril 2021, des affrontements ont opposé des gardes-frontières des deux pays.

En septembre 2022, les deux pays ont déployé leurs soldats ainsi que d’autres forces qui ont combattu en faisant usage d’artillerie, de chars et d’autres véhicules blindés et, du côté du Kirghizistan, de drones armés. Depuis septembre, les gouvernements ont repris leurs pourparlers pour définir le tracé des zones contestées de la frontière, mais ils ne sont pas encore parvenus à un accord.

La plupart des violations ont eu lieu le 16 septembre, au troisième jour du conflit armé. Au cours de l’un des incidents les plus meurtriers, les forces kirghizes ont largué une bombe à fragmentation guidée par laser sur la place centrale d’Ovchi Kal’acha, une ville frontalière tadjike ; cette bombe a tué au moins 10 personnes, pour la plupart des hommes qui s’étaient rassemblés à l’extérieur d’une mosquée après un enterrement. Au moins 13 autres civils ont été blessés dans cette attaque disproportionnée et en apparence indiscriminée.

Une femme de 40 ans qui a été témoin de l’attaque a déclaré avoir entendu un sifflement avant de voir la place se remplir de fumée. « Les gens volaient [en l’air] », a-t-elle déclaré. « Je me souviens des voix des gens qui criaient. Il y avait du sang partout. »

Sur plusieurs routes le long de la frontière, les forces tadjikes ont ce jour-là attaqué des voitures qui transportaient des civils kirghizes en fuite, tuant deux civils et blessant au moins quatre autres personnes. Une femme de 63 ans, dont le mari et le fils ont été blessés, a déclaré que sa famille avait rampé pour sortir de la voiture « pour éviter d’être tués à l’intérieur si elle explosait », après que des soldats tadjiks leur ont tiré dessus. La famille est restée immobile au sol pendant des heures et, quand ils ont fait mine de bouger, les soldats tadjiks ont de nouveau ouvert le feu.

Plus tôt dans la journée, deux ambulances tadjikes, clairement identifiées comme telles, et une voiture civile ont essuyé des tirs nourris sur un pont près de la frontière à Chorbog au Tadjikistan, tuant 10 civils. Le droit international humanitaire accorde une protection particulière aux ambulances utilisées pour le transport médical.

Au cours de la journée, les forces tadjikes ont pris le dessus sur les forces kirghizes, tuant au moins six civils, dont trois étaient apparemment en train de fuir, et deux autres lors d’apparentes exécutions extrajudiciaires. Des individus en tenue civile et parlant tadjik ont pillé des propriétés privées sous le regard des forces tadjikes, tandis que des centaines de maisons et d’autres infrastructures civiles, telles que des jardins d’enfants, des écoles, des installations médicales et des bâtiments officiels, ont été incendiés dans ce qui semblait être une tentative de vider la région de sa population. Plusieurs villages ont été détruits ou incendiés.

Le droit international humanitaire, qui s’applique à toutes les parties à un conflit armé international, exige que les parties fassent à tout moment la distinction entre civils et combattants. Il interdit les attaques qui prennent pour cible les civils ou les attaques qui sont menées sans discernement, ou sont susceptibles de causer aux civils et aux biens à caractère civil des dommages disproportionnés au regard de l’avantage militaire direct et concret escompté. Les parties belligérantes doivent prendre toutes les précautions possibles pour éviter ou réduire au minimum les dommages aux civils.

Les gouvernements du Tadjikistan et du Kirghizistan devraient enquêter sur les violations ou abus éventuels commis par leurs forces et par les civils dans les zones qu’ils contrôlent, et s’assurer que les individus responsables soient tenus de rendre des comptes. Les deux gouvernements devraient veiller à ce que les accords de démarcation des frontières et les aménagements frontaliers provisoires respectent les droits des populations locales, y compris leurs droits à la propriété et leur accès à l’éducation, à un logement convenable et à l’eau.

Ces gouvernements devraient également fournir à leurs forces armées et de sécurité une formation au droit international humanitaire, et veiller à ce que ses normes soient respectées en cas de futur conflit. Ils devraient promouvoir des mesures visant à accroître la confiance mutuelle entre les communautés locales dans les zones frontalières, notamment des programmes visant à réduire les tensions et les discours haineux. Les deux gouvernements devraient approuver la Déclaration sur la sécurité dans les écoles, ainsi que la Déclaration politique sur l’utilisation d’armes explosives dans les zones peuplées.

Les partenaires internationaux du Kirghizistan et du Tadjikistan devraient soutenir les mesures prises par les deux gouvernements pour enquêter sur les graves violations du droit international humanitaire commises lors du conflit frontalier de septembre 2022, et pour s’assurer de l’obligation de rendre des comptes.

« Des deux côtés de la frontière, les civils ont indiqué qu’ils veulent désespérément voir la fin du cycle des conflits et des abus », a déclaré Jean-Baptiste Gallopin. « Pour contribuer à une résolution pacifique des tensions, les deux gouvernements devraient s’engager à protéger les civils et à respecter les droits humains. »

N.B. La lettre du ministère kirghiz des Affaires étrangères a été mise à jour à sa demande, afin de refléter la position actuelle des autorités kirghizes.

..............

Tweets

 

Your tax deductible gift can help stop human rights violations and save lives around the world.

Région/Pays