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Érythrée : Sévère répression à l’encontre des familles de réfractaires

Des punitions collectives sont infligées dans le cadre d’une campagne de conscription forcée

De  jeunes Érythréens revenaient d'une académie de formation militaire le 18 août 2019 à Elabered, en Érythrée. © 2019 Eric Lafforgue/Art in All of Us/Corbis via Getty Images

(Nairobi, le 9 février 2023) – Le gouvernement érythréen a infligé des punitions, ces derniers mois, aux membres des familles de milliers de réfractaires ou déserteurs présumés, dans le cadre d’une campagne intensive de conscription forcée, a déclaré Human Rights Watch aujourd’hui.

Les forces de sécurité érythréennes sont fortement impliquées dans des opérations militaires de soutien au gouvernement de l’Éthiopie depuis le début, en novembre 2020, du conflit qui ravage la région éthiopienne du Tigré, et elles sont responsables de certains des pires abus commis lors de ce conflit. Les autorités érythréennes ont effectué des séries de rafles en Érythrée afin d’identifier les personnes qu’elles considèrent comme étant des réfractaires ou des déserteurs. Depuis septembre 2022, date à laquelle les forces éthiopiennes et érythréennes ont mené des offensives conjointes dans la région du Tigré, le gouvernement érythréen a accru ses actes de répression, punissant les membres des familles des hommes et des femmes qui cherchent à échapper à la conscription ou à un rappel dans les rangs de l’armée, afin de mettre en œuvre une mobilisation obligatoire généralisée, qui vise même des hommes d’âge mûr. Les punitions ont consisté notamment en des détentions arbitraires et des expulsions de domicile.

« Le gouvernement de l’Érythrée, qui a des difficultés à regarnir les rangs de ses combattants, a emprisonné et expulsé de leurs domiciles des personnes d’âge mûr et des femmes avec de jeunes enfants, afin de trouver des hommes et des femmes qu’il considère comme des réfractaires ou des déserteurs », a déclaré Laetitia Bader, directrice adjointe de la division Afrique à Human Rights Watch. « L’Érythrée devrait immédiatement cesser cette punition collective des proches de citoyens qui refusent d’obtempérer et se concentrer plutôt sur une réforme de son impitoyable système de service militaire à durée indéfinie ».

L'Érythrée applique une politique de service national à durée indéterminée, comprenant une conscription obligatoire dans les rangs de l’armée, qui a été un élément central de la répression généralisée de sa population par le gouvernement depuis la guerre frontalière de 1998-2001 avec l’Éthiopie, et ses suites.

Le service national obligatoire de 18 mois a été allongé de manière indéfinie pour contraindre tous les hommes et toutes les femmes adultes de moins de 40 ans à être à la disposition de l’État pour travailler, soit à titre militaire, soit à titre civil. Dans la pratique, les adultes de plus de 40 ans sont également forcés à rejoindre ce service. Et malgré l’accord de paix conclu par le pays en 2018 avec l’Éthiopie, le gouvernement a refusé de réformer ce système répressif.

Une fois conscrits au sein de l’armée, les jeunes hommes et femmes, dont certains sont encore mineurs, n’ont que très peu de possibilités d’être démobilisés. Il en résulte que beaucoup d’entre eux prennent le risque de sévères représailles pour échapper à ce qu’une Commission d’enquête des Nations Unies a qualifié de « mise en esclavage ».

Human Rights Watch s’est entretenu avec 14 personnes qui s’étaient récemment enfuies d’Érythrée, avec des proches de personnes affectées par les conscriptions forcées et les représailles, ainsi qu’avec 11 journalistes et autres analystes, dont deux se trouvaient en Érythrée pendant cette campagne. Pour des raisons de sécurité, Human Rights Watch n’a pas interrogé de personnes se trouvant encore en territoire érythréen. Human Rights Watch a également examiné des images satellite qui permettent de corroborer d’importants aspects des récits des personnes interrogées jusqu’à la mi-janvier 2023. En février, Human Rights Watch a reçu des informations concernant certaines unités militaires qui avaient été envoyées combattre au Tigré, et des compte-rendus de réservistes qui avaient été déployés à la frontière, du côté érythréen.

La dernière opération de conscription a commencé au milieu de l’année 2022 et les autorités ont ciblé particulièrement des personnes considérées comme des réfractaires, y compris des élèves du cycle d’études secondaire qui ont cessé d’aller à l’école pour échapper à l’instruction militaire, ainsi que des déserteurs de l’armée, dont certains avaient déjà effectué plusieurs années de service militaire. Puis, à la mi-septembre, le gouvernement a mobilisé des réservistes, principalement des hommes âgés de 50 à 60 ans, dont beaucoup avaient été officiellement déchargés de leurs obligations militaires actives mais continuent de détenir leurs armes et sont tenus d’effectuer des services de garde. Le 17 septembre, le ministre de l’Information d’Érythrée a affirmé aux médias que seulement « un tout petit nombre » de réservistes étaient rappelés, démentant que cette opération de rappel concernait la totalité de la population.

Lors de la dernière opération de mobilisation, en particulier à partir de septembre, les forces de sécurité ont installé des postes de contrôle dans tout le pays. En outre, en coopération avec les responsables locaux, les forces de sécurité ont fait du porte-à-porte, officiellement pour confirmer que les familles avaient droit à des bons d’achat qui donnent accès à des denrées subventionnées mais, en réalité, le but était également d’identifier les réfractaires. Selon les personnes que nous avons interrogées, les forces de sécurité ont utilisé ces visites pour découvrir d’éventuelles disparités entre le nombre de personnes qui, selon le systèmes des bons d’achat, devraient se trouver dans une résidence donnée et le nombre de personnes en âge d’être conscrites vivant sous ce toit, et ont souvent exercé des représailles à l’encontre de membres de ces familles, que les autorités accusent d’avoir failli à leur obligation de leur révéler où se trouvaient ces personnes.

Des parents plus âgés et des mères de jeunes enfants ont été placés en détention provisoire pendant des jours, parfois même plus longtemps, et ont été expulsés de leurs maisons lors de ces opérations de détection du gouvernement, a constaté Human Rights Watch. Une femme de 71 ans a été expulsée de son domicile à Asmara, la capitale, parce qu’elle n’était pas en mesure de confirmer où se trouvait un de ses fils qui était recherché par les autorités. Un autre de ses fils, qui vit à l’étranger, a déclaré :

« Ma mère a des problèmes de santé, donc les voisins ont essayé de plaider auprès des autorités pour qu’elles ne mettent pas la maison sous scellés après que mon premier frère se soit présenté pour être conscrit. Mais quand mon deuxième frère n’a pas fait de même, elles ont saisi la maison ».

Une Érythréenne, qui vit à l’étranger et dont les proches ont eux aussi été expulsés de chez eux, a déclaré : « Les confiscations de domicile, nous n’avions jamais vu cela auparavant. C’est un acte de désarroi ».

Malgré un accord de cessation des hostilités, signé en novembre entre le gouvernement fédéral éthiopien et les autorités du Tigré, Human Rights Watch a continué de recevoir des informations concernant des rafles de personnes et des représailles, jusqu’au début de 2023.

De nombreux réfractaires présumés, raflés près d’Asmara, ont été tout d’abord emmenés à la célèbre prison militaire d’Adi Abeito, au nord-est de la capitale. Des images satellite que Human Rights Watch a pu analyser montrent de vastes rassemblements de personnes dans la cour de la prison et aux alentours de celle-ci, d’octobre 2022 jusqu’à la fin de janvier 2023. Des membres des familles ont affirmé que de nombreux hommes avaient été amenés de la prison au quartier général de leur unité militaire pendant cette période.

Human Rights Watch n’a pas pu confirmer où les réservistes ont été emmenés mais a reçu des informations selon lesquelles des dizaines de réservistes rappelés à Asmara avaient été emmenés vers la ville de Tsorona, près de la frontière de l’Éthiopie.

« Tout le monde a toujours vécu avec le sentiment affreux créé par le risque d’être conscrit mais maintenant, cela a pris une tout autre dimension », a déclaré un habitant d’Asmara.

Certaines formes de conscription pour le service militaire sont autorisées par le droit international humanitaire. Toutefois, l’Érythrée a recours à des méthodes violentes qui incluent la menace de sanctions et de punitions à l’encontre des citoyens qui ne participent pas, ainsi que la punition collective des membres de leurs familles. Les responsables érythréens font également preuve d’un total manque de respect du droit à l’objection de conscience, et ils ne laissent aucune possibilité de contester la mise en application arbitraire et la nature indéfinie de la conscription. Ces facteurs constituent des violations des droits humains, a déclaré Human Rights Watch. Le droit international humanitaire interdit de tenir une personne quelconque pénalement responsable d’actes qu’elle n’a pas elle-même commis.

Les dirigeants internationaux et régionaux devraient prendre des mesures concrètes à l’encontre des responsables érythréens pour leur répression continue. Ils devraient s’assurer que les responsables érythréens fassent l’objet d’une surveillance soutenue de la part du Conseil des droits de l’homme des Nations Unies, de la Commission africaine des droits de l’homme et des peuples, ainsi que des experts de l’ONU.

Ils devraient adopter et conserver des sanctions ciblées à l’encontre d’individus et d’entités responsables de graves abus commis en Érythrée, dans le cadre de sanctions ciblées plus générales à l’encontre des forces armées érythréennes et des autres forces armées qui sont responsables des graves abus commis dans le nord de l’Éthiopie, le tout étant mesuré à l’aune de critères de droits humains clairs, a affirmé Human Rights Watch. Les partenaires régionaux de l’Érythrée, dont les États de la Corne de l’Afrique et du Golfe, devraient insister auprès de l’Érythrée pour qu’elle opère des changements significatifs à son système abusif de service national, qui a continué de pousser des Érythréens à partir en exil.

« Les Érythréens de toutes catégories sociales sont les victimes des tactiques répressives du gouvernement », a affirmé Laetitia Bader. « Les partenaires régionaux de l’Érythrée et les acteurs internationaux devraient agir pour qu’il soit mis fin à cette répression généralisée. »

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Le Monde    RFI

 

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