Il y a deux ans, en février 2021, l'armée du Myanmar a mené un coup d'État, renversant le gouvernement démocratiquement élu et emprisonnant la plupart de ses responsables. Depuis lors, les forces de sécurité de la junte se livrent à une répression massive contre l'opposition au régime militaire, commettant de nombreux crimes contre l'humanité et crimes de guerre dans tout le pays, largement documentés par Human Rights Watch et d’autres organisations.
La France et l'Union européenne (UE) ont vigoureusement condamné les atrocités de l'armée. Le gouvernement français a également soutenu, en 2021, l’adoption par l'Assemblée générale et le Conseil des droits de l'homme des Nations unies (ONU) de résolutions appelant l'armée à mettre fin aux abus et à rétablir un gouvernement civil. La France a également contribué à imposer plusieurs séries de sanctions de l'UE contre des hauts responsables militaires et des entités détenues par l'armée qui financent le régime militaire.
Plus récemment, le 21 décembre 2022, la France a soutenu une résolution du Conseil de sécurité des Nations unies sur le Myanmar, dénonçant les violations des droits humains commises par les militaires depuis le coup d'État. La résolution, n’impose malheureusement pas un embargo mondial sur les armes, mais le fait qu'elle ait été adoptée montre l'isolement croissant de la junte sur la scène internationale. L’abstention de la Russie et de la Chine – plutôt que d’avoir opposé leur veto - signale que même les quelques amis de la junte voient de moins en moins d’intérêt à la défendre.
Cependant, rien de tout cela n'a été suffisant pour modifier la conduite ou les calculs de la junte. Celle-ci a continué de commettre des massacres, des arrestations arbitraires, des actes de torture, des violences sexuelles et des attaques militaires contre des civils dans les zones de conflit. Depuis le coup d'État, l'armée a détenu au moins 17 000 manifestants anti-coup d'État et a tué plus de 2 800 manifestants et passants. L'armée empêche toujours l’accès à l'aide humanitaire de millions de personnes déplacées et d'autres personnes à risque. Dans l'État de Rakhine, où les Rohingyas ont subi des années de crimes contre l'humanité, notamment le crime d’apartheid, les forces de sécurité ont imposé de nouvelles restrictions sur l'aide et les déplacements, aggravant le manque de nourriture et d'eau et ouvrant la voie à une augmentation des maladies évitables et de la malnutrition sévère.
Les dirigeants de la junte semblent peu soucieux de leur image internationale. Mais ils pourraient être sensibles à une attention accrue portée à leur responsabilité pénale éventuelle – et les membres de l'ONU devraient évoquer plus vigoureusement la perspective de la compétence de la Cour pénale internationale (CPI) sur les crimes contre l’humanité. Jusqu’à maintenant, ces demandes pour pousser le Conseil de Sécurité à voter en faveur d’un renvoi à la CPI ont été insuffisantes.
Une autre façon d'attirer l'attention de la junte du Myanmar serait que des gouvernements clés ciblent plus efficacement son poumon économique, en particulier les revenus en devises que l'armée tire des exportations comme le gaz naturel, les métaux, les pierres précieuses et le bois, et qu’elle utilise pour acheter des armes, des équipements militaires et du carburant.
Les sanctions économiques imposées jusqu'à présent par les États-Unis, l'UE et le Royaume-Uni, qui visaient à réduire ces flux de revenus, n'ont pas été suffisamment sévères – ni suffisamment appliquées – pour avoir un impact significatif sur la junte. Des pays asiatiques comme Singapour et le Japon, qui pourraient aider à faire appliquer ces sanctions par le biais de lois anti-blanchiment, ne l’ont pas fait. La junte ne s’est de toute évidence pas sentie contrainte à changer de conduite.
Dans l'exemple le plus flagrant, les revenus en dollars US de l'armée du Myanmar provenant des exportations de gaz naturel vers la Thaïlande et la Chine continuent d'être traités par des banques et envoyés à des entités contrôlées par l'armée. Cela est dû en partie au fait que les sanctions de l'UE sur les revenus du gaz naturel n'ont pas été assorties de sanctions par les États-Unis et le Royaume Uni. La France, l'Allemagne et d'autres États membres de l'UE devraient faire davantage pression sur les États-Unis et le Royaume Uni pour qu'ils imposent de telles sanctions.
Mais l'application des sanctions elle-même doit également être renforcée. Des banques européennes et asiatiques traitant des transactions en dollars US et en euros continuent d’effectuer des paiements en faveur d’entités sanctionnées. Le précieux bois de teck vendu aux enchères par des entités sanctionnées continue d'être importé aux États-Unis et dans l'UE. Et pendant ce temps, plusieurs compagnies japonaises, coréennes et singapouriennes – nombre d’entre elles ont des opérations multinationales qui les placent en partie sous la juridiction des États-Unis et de l'UE – ont continué à faire des affaires avec des entités appartenant à l'armée du Myanmar.
Trop souvent, la France et d'autres ont désigné l'Association des nations de l'Asie du Sud-Est (ASEAN) comme un moyen de résoudre la crise au Myanmar, malgré le manque de pouvoir et de cohésion du bloc. En avril 2021, l'ASEAN a réussi à négocier un consensus en cinq points avec l'armée du Myanmar, censé conduire au dialogue et à la désescalade. Mais les militaires l'ont dénoncé au bout de quelques jours et les abus n'ont fait qu'augmenter.
L'ASEAN n'a pas été en mesure d'influencer de manière significative les décisions de la junte. L’exemple le plus parlant est sans doute l'exécution de quatre prisonniers politiques par l'armée en juillet 2022 – premier recours à la peine de mort au Myanmar depuis plus de trois décennies – exécutions qu'un dirigeant de l'ASEAN a qualifié de « moquerie » des efforts de l'ASEAN.
La France et les autres États membres de l'UE devraient redoubler d'efforts pour se coordonner avec les États-Unis, l'UE dans son ensemble, et des autres partenaires occidentaux et asiatiques pour que les sanctions soient renforcées et mieux appliquées. Des actions plus sévères pourraient endiguer les flux de revenus étrangers et limiter la capacité de répression de l'armée, et, ce faisant, aider l'ASEAN et d'autres relais à la pousser à renoncer à la brutalité et commencer à prendre des mesures pour rétablir un régime démocratique.
Le statu quo ne fonctionne pas. Il est temps que la France et ses partenaires fassent davantage pour contrer la brutalité de l’armée et aider le peuple du Myanmar, qui continue d'appeler à l'aide la communauté internationale.