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Myanmar : Le retrait de TotalEnergies va profiter à la junte

Des sanctions des Etats-Unis sur les milliards de revenus pétroliers et gaziers sont nécessaires de toute urgence

(Paris) – La junte abusive du Myanmar obtiendra une participation accrue dans le plus grand gisement de pétrole et de gaz du pays quand la société française TotalEnergies se sera retirée du Myanmar le 20 juillet 2022, a déclaré Human Rights Watch aujourd’hui. Les parts de TotalEnergies seront réparties proportionnellement entre les trois partenaires restants : la société américaine Chevron, la société  thaïlandaise PTTEP et la Myanmar Oil and Gas Enterprise (MOGE), contrôlée par la junte.

TotalEnergies a annoncé en janvier son intention de quitter le Myanmar dans les six mois, invoquant une détérioration de la situation des droits humains qui « ne permet plus à TotalEnergies d'apporter une contribution positive suffisante dans le pays. » La société exploite le projet gazier de Yadana depuis les années 1990 en partenariat avec Chevron et PTTEP.

« Le transfert des parts détenues par Total à une société contrôlée par l'armée enrichira davantage la junte au détriment des droits humains », a déclaré Bénédicte Jeannerod, directrice de Human Rights Watch pour la France. « Les autres sociétés énergétiques qui envisagent de se retirer devraient s'assurer qu'elles le font de manière responsable, sans contribuer aux finances de la junte. »

Depuis le coup d'État du 1er février 2021 au Myanmar, la junte a mené une répression brutale à l'échelle nationale contre toute opposition. Les abus généralisés et systématiques de la junte, notamment les massacres, la torture, les arrestations arbitraires et les attaques indiscriminées contre les civils, constituent des crimes contre l'humanité et des crimes de guerre. Les forces de sécurité ont tué plus de 2 000 personnes et en ont arrêté arbitrairement plus de 14 000.

En mars, les partenaires du projet pétrolier et gazier ont approuvé PTTEP pour prendre la relève en tant qu'opérateur de Yadana. La division de la participation de 31,2 % de TotalEnergies dans le gisement de gaz et le gazoduc se traduira par une participation de 41,1 % pour Chevron, de 37,1 % pour PTTEP et de 21,8 % pour MOGE. Chevron a également annoncé son projet de se retirer et a indiqué son intention de vendre sa participation à PTTEP, mais peu de détails sur son retrait ont été rendus publics.

Les projets de gaz naturel au Myanmar génèrent annuellement plus de 1 milliard de dollars US de revenus étrangers pour la junte, constituant sa principale source de revenus en devises étrangères. L'argent est transmis en dollars américains à MOGE et à d'autres comptes bancaires contrôlés par l'armée dans des pays étrangers sous la forme de frais, taxes, redevances et revenus de l'exportation de gaz naturel, dont la majorité transite par pipeline vers la Thaïlande ou la Chine.

Le 21 février, l’Union européenne (UE) a imposé de nouvelles sanctions aux entreprises contrôlées par la junte, dont MOGE, la première entité gouvernementale à le faire. Cependant, l’UE a également délivré une licence dans des termes ambigus qui semble permettre aux sociétés sortantes de céder ou de transférer leurs actions à MOGE.

D'autres sociétés, dont Woodside, Mitsubishi, Petronas et ENEOS, ont annoncé ces derniers mois leur intention de se retirer, du moins en partie, de leurs opérations au Myanmar. Petronas est remplacé en tant qu'opérateur du gisement de Yetagun par Gulf Petroleum Myanmar, selon des informations de Myanmar Now et de Justice for Myanmar.

Lorsque des entreprises quittent le Myanmar, elles devraient placer leurs actions ou droits de propriété existants en fiducie ou sous séquestre, notamment les actions de projets d'exploration ou de développement, de production ou de transport par pipeline, afin de s'assurer que les revenus de ces actions ne profitent pas à l'armée, a déclaré Human Rights Watch. Si les entreprises sortantes décident qu'elles doivent vendre ou transférer leurs actions à une autre entité commerciale, elles devraient s'assurer que ces entités respecteront les sanctions internationales et suivront les normes internationales sur les entreprises et les droits humains.

L’adoption de ces mesures serait conforme aux responsabilités des entreprises en vertu des Principes directeurs relatifs aux entreprises et aux droits de l’homme des Nations Unies, qui stipulent que « l'action appropriée » dans les cas où les activités commerciales permettent des violations des droits comprend l'examen de « la question de savoir si la cessation de la relation avec l'entité elle-même aurait des conséquences néfastes pour les droits de l'homme ».

Les gouvernements concernés devraient se joindre à l'UE pour sanctionner MOGE tout en précisant que les transferts de propriété à la junte sont interdits, selon Human Rights Watch. Les États-Unis, en particulier, sont dans une position clé pour imposer des sanctions puisque les paiements dans le secteur du gaz – même ceux gérés par des entreprises non américaines – sont généralement effectués en dollars américains et nécessitent l'intervention de banques correspondantes américaines ou européennes pour finaliser ou « régler » de grosses transactions en dollars ou en euros. Des sanctions supplémentaires contribueraient également à garantir que la junte ne puisse pas échapper aux nouvelles sanctions de l'UE dans d'autres juridictions.

PTTEP et le sud-coréen POSCO, les deux principales sociétés énergétiques restant au Myanmar, devraient signaler leur soutien à de telles mesures. Les plus gros paiements de revenus du gaz aux comptes contrôlés par la junte sont effectués via PTT, la société mère de PTTEP, qui achète environ 80 % du gaz naturel exporté par le Myanmar de Yadana, ainsi que le champ gazier de Zawtika, qu'elle exploite elle-même. En avril, PTTEP a annoncé qu’elle se retirait du champ de Yetagun pratiquement épuisé. POSCO gère le deuxième plus grand projet, Shwe.

Human Rights Watch a déjà écrit à toutes ces entreprises et à leurs actionnaires, leur demandant instamment de soutenir les sanctions sur les revenus du gaz. Human Rights Watch a également exhorté d'autres gouvernements, dont les États-Unis, le Royaume-Uni, l'Australie et le Japon, à adopter l'approche de l'UE et à sanctionner les entreprises appartenant à l'armée du Myanmar telles que MOGE.

« Les États-Unis et d'autres gouvernements devraient suivre l'exemple de l'UE en imposant de toute urgence des mesures qui priveront la junte de ses millions de revenus du gaz, avant que des entreprises indifférentes aux droits ne prennent le contrôle des flux de paiement », a conclu Bénédicte Jeannerod. « Les dirigeants de la junte doivent subir les conséquences économiques des atrocités qu'ils commettent au Myanmar. »

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