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Cameroun : Un pas vers la justice pour les victimes du massacre de Ngarbuh

Il faut garantir un procès équitable et sécurisé, et poursuivre tous les responsables

Cérémonie de commémoration des victimes du massacre de Ngarbuh, le 21 février 2020, à la cathédrale Sainte-Thérèse l de Kumbo, dans la région Nord-Ouest du Cameroun. © 2020 Privé

(Nairobi) – Le procès de trois membres des forces de sécurité accusés d’être impliqués dans le massacre de 21 civils à Ngarbuh, dans la région du Nord-Ouest du Cameroun, doit s'ouvrir le 17 décembre 2020, marquant un jalon important dans la lutte contre l’impunité. Les meurtres commis le 14 février 2020 à Ngarbuh ont été parmi les pires incidents imputables aux forces de sécurité camerounaises depuis le début, fin 2016, de la crise qui sévit dans les régions anglophones du pays.

Deux soldats et un gendarme ont été arrêtés et accusés de meurtres, d’incendie criminel, de destructions, de violences contre une femme enceinte et de violation de consigne. Dix-sept membres d’un groupe d’autodéfense et un ancien combattant séparatiste ont également été inculpés mais sont toujours en liberté, tandis que les officiers supérieurs des forces de sécurité susceptibles d’avoir des responsabilités dans la chaîne de commandement n’ont pas été arrêtés ni inculpés.

« Les survivants et les membres de la famille des personnes assassinées à Ngarbuh se rapprochent d’un cran de la justice à laquelle ils ont droit », a déclaré Ilaria Allegrozzi, chercheuse senior sur l’Afrique centrale à Human Rights Watch. « Garantir un procès équitable aux personnes accusées des meurtres – un procès ouvert au public où tous les participants se sentent rassurés que leur sécurité est garantie – sera crucial pour aider à briser les cycles de violence et d’impunité qui accablent les régions anglophones depuis quatre ans. »

Le gouvernement a d’abord nié la responsabilité de l’armée dans les meurtres de Ngarbuh, préférant se lancer dans une campagne de dénigrement contre les organisations de défense des droits humains et les médias qui avaient dénoncé le massacre. Mais le 1er mars, sous la pression de la communauté internationale, notamment de la France, le président camerounais Paul Biya a accepté de créer une commission d’enquête. Le gouvernement camerounais a admis le 21 avril que ses forces de sécurité étaient partiellement responsables des meurtres et a annoncé en juin l’arrestation de deux soldats et d’un gendarme.

Human Rights Watch a constaté que les forces gouvernementales, y compris des membres du bataillon d’intervention rapide, l’unité d’élite de l’armée camerounaise entraînée par Israël et des individus, également armés, d’ethnie peule ont tué 21 civils à Ngarbuh, dont 13 enfants et une femme enceinte, incendié cinq maisons et pillé des dizaines d’autres propriétés et passé à tabac des résidents. Des témoins ont déclaré à Human Rights Watch qu’il n’y avait pas eu de confrontation entre les séparatistes armés et les forces de sécurité à Ngarbuh et que les meurtres étaient délibérés et visaient à punir la population accusée d’abriter des combattants séparatistes.

Human Rights Watch a exprimé des préoccupations quant à certaines des principales conclusions de l’enquête gouvernementale, selon laquelle cinq des personnes tuées étaient des combattants séparatistes et 13 civils ont perdu la vie dans des échanges de tirs. La commission d’enquête a déclaré que les soldats avaient tenté de dissimuler leurs crimes en incendiant des maisons et en présentant un rapport falsifié sur l’incident.

« Les conclusions de la commission gouvernementale n’établissent pas de responsabilités suffisantes, en incriminant des soldats de rang inférieur et en omettant que ces derniers ont agi sur les ordres de leur hiérarchie », a déclaré à Human Rights Watch Richard Tamfu, l’un des avocats des victimes. « Le procès devrait être l’occasion d’identifier tous les responsables des meurtres odieux de civils commis à Ngarbuh, y compris ceux qui ont ordonné le massacre et tout autre officier supérieur de la chaîne de commandement. »

Selon des témoins et des défenseurs locaux des droits humains, plusieurs témoins ont été contraints de fuir Ngarbuh dans les jours suivant l’attaque, après avoir été menacés et intimidés par des membres des forces de sécurité. Certains vivent encore cachés.

Le procès des trois membres des forces de sécurité se déroulera devant un tribunal militaire à Yaoundé, la capitale du Cameroun. Cinq avocats doivent représenter les victimes et leurs familles, qui peuvent être présentes dans la salle d’audience. Mais il reste à déterminer si elles disposeront des ressources et de la protection nécessaires pour se rendre à Yaoundé et assister au procès. Les avocats des parties civiles ont déclaré à Human Rights Watch qu’ils travaillaient pro bono et avaient du mal à mobiliser les moyens suffisants pour permettre à leurs clients d’être présents au procès.

Les autorités camerounaises, avec le soutien de partenaires, y compris l’ONU, devraient veiller à ce que les parties civiles soient présentes au tribunal pendant toute la durée du procès et garantir la sécurité de tous ses participants, notamment les accusés, les victimes, les témoins et les défenseurs des droits et les journalistes impliqués dans le procès, a recommandé Human Rights Watch.

Loin d’être un cas isolé, Ngarbuh s’inscrit dans le cadre d’un cycle prolongé d’abus militaires perpétrés dans les régions anglophones. L’impunité a été l’une des principales raisons de la crise anglophone, la justice pour les crimes graves commis à la fois par les forces gouvernementales et les combattants séparatistes armés ayant été inexistante ou insuffisante jusqu’à présent. Pour remédier plus efficacement à cette culture d’impunité, les autorités judiciaires devraient aller au-delà des trois membres des forces de sécurité actuellement inculpés, enquêter sur les hauts responsables de la chaîne de commandement et ouvrir des poursuites contre eux, s’il était avéré qu’ils étaient au courant des meurtres ou auraient dû l’être, mais ont pris des mesures insuffisantes pour les empêcher ou sanctionner leurs auteurs, a déclaré Human Rights Watch.

« Les progrès représentés par ce procès sont substantiels, mais ne sont qu’un élément de la lutte contre l’impunité dans les régions anglophones du Cameroun », a conclu Ilaria Allegrozzi. « Les hauts responsables n’ont pas encore été inculpés et les familles de nombreuses autres victimes attendent toujours que justice soit rendue pour les crimes commis par toutes les parties. »

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