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Afghanistan : Les talibans continuent de porter atteinte aux droits humains

Les abus persistent et les protections restent fragiles, peu avant la reprise des pourparlers de paix

Deux enfants afghans marchent sur une route gardée par des membres de l’Unité rouge des talibans, dans la province de Laghman, à l’est de Kabul, le 13 mars 2020. © 2020 Jim Huylebroek/The New York Times/Redux

(New York, le 30 juin 2020) – En dépit des réformes qu’ils affirment avoir effectuées, les talibans ont fortement restreint les droits dans les zones qu’ils contrôlent en Afghanistan, a déclaré Human Rights Watch dans un rapport publié aujourd’hui. De nombreux habitants ont affirmé qu’ils ne pouvaient pas critiquer ou remettre en question les actions des talibans, leurs violations des droits des femmes et des filles ou encore les strictes limitations qu’ils imposent à la liberté d’expression et des médias. Du fait des atteintes aux droits commises aussi bien par les forces talibanes que par celles du gouvernement, les États-Unis et les autres pays appuyant le processus de paix devraient veiller à ce que tout accord s’accompagne de fermes engagements en faveur des droits humains et de mécanismes garantissant qu’ils soient respectés.

Le rapport de 69 pages, intitulé « ‘You Have No Right to Complain’: Education, Social Restrictions, and Justice in Taliban-Held Afghanistan » (« ‘Vous n’avez pas le droit de vous plaindre’ : Éducation, restrictions sociales et justice dans l’Afghanistan des talibans »), examine le quotidien des habitants des districts contrôlés par les talibans et les restrictions que ces derniers imposent en matière d’éducation, d’accès à l’information et aux médias et de liberté de déplacement. Les atteintes aux droits humains généralisées commises par les talibans dans les zones qu’ils contrôlent font douter de leur intention de respecter leurs engagements en matière de droits dans tout futur accord de paix.

« Les talibans ont fait marche arrière sur certaines de leurs mesures les plus dures dans les zones qu’ils contrôlent, mais il reste difficile et dangereux, pour la population, d’émettre des objections auprès des autorités talibanes », a déclaré Patricia Gossman, directrice adjointe de la division Asie à Human Rights Watch. « Les talibans semblent résolus à gouverner par la peur, sans rendre de comptes aux communautés vivant sous leur contrôle. »

Le rapport se fonde sur 138 entretiens effectués depuis janvier 2019, dont 120 en personne, avec des responsables talibans, des commandants et des combattants, ainsi qu’avec des enseignants, des médecins, des anciens de la communauté, des étudiants et élèves , ainsi que d’autres habitants des provinces de Helmand, Kunduz et Wardak.

Les forces talibanes contrôlent actuellement une part importante du territoire et de la population d’Afghanistan. Dans beaucoup de ces zones, les habitants doivent se conformer en parallèle à des lois gouvernementales et à des règles imposées par les talibans qui régissent l’éducation, les tribunaux et d’autres services et qui établissent ou renforcent des codes de conduite. Même si on a pu constater des avancées dans l’accès des filles et des femmes à l’éducation dans les zones gérées par les talibans, peu d’attention a été portée à la liberté d’expression, d’information, d’association, des médias, et au droit à la vie privée.

Même si les talibans affirment officiellement qu’ils ne s’opposent plus à la scolarisation des filles, en fait très peu d’autorités talibanes locales les autorisent à suivre un enseignement après la puberté, tandis que certaines n’autorisent tout simplement pas les écoles de filles. Les habitants ont appris à se méfier de leurs politiques, qui semblent varier en fonction de l’opinion personnelle de chaque commandant.

Comme l’a décrit une enseignante : « Un jour on vous dit que les filles peuvent aller jusqu’en sixième année, et le lendemain, si le responsable a changé, peut-être qu’il n’aime pas que les filles aillent à l’école. » Dans certains districts, la demande locale en matière d’enseignement a persuadé les autorités talibanes d’adopter une approche plus flexible. Dans d’autres, témoignent les habitants, ils n’osent même pas aborder le sujet de la scolarité des filles.

Des contrôles sociaux, incarnés par des agents de « moralité » travaillant pour les départements « du vice et de la vertu », sont effectués dans les districts gérés par les talibans pour faire respecter par les habitants les codes sociaux qu’ils prescrivent pour l’habillement, le comportement en public, la longueur de la barbe et l’assiduité des hommes à la prière du vendredi.

Des responsables talibans ont affirmé que ces restrictions sociales reflétaient les normes communautaires. Pourtant, et même si de telles restrictions existent aussi bien dans les zones du gouvernement que dans celles des talibans, on constate que certains habitants, les jeunes notamment, résistent à ces contraintes, aspirant à plus de liberté. Les responsables talibans ont puni des habitants qui avaient eu un comportement social prohibé. Le système judiciaire taliban met l’accent sur le châtiment et repose essentiellement sur les aveux, souvent obtenus par les coups et d’autres formes de torture.

Des habitants des districts contrôlés par les talibans ont témoigné que les responsables talibans ne leur permettaient pas d’exprimer leurs doléances ou préoccupations. Les talibans prétendent qu’ils tiennent les commandants et autres détenteurs de l’autorité pour responsables de leurs abus, mais en pratique les responsables talibans ont rarement considéré comme illégales des pratiques qui peuvent être qualifiées de crimes de guerre, comme les attaques illégales ayant tué des civils.

« Les talibans affirment publiquement qu’ils ne font pas de mal aux civils, pourtant ils ont puni des habitants qui se plaignaient que les forces talibanes entraient chez eux pour attaquer les troupes gouvernementales », a déclaré Patricia Gossman.

Les pourparlers de paix entre les talibans et une délégation du gouvernement afghan devraient démarrer dans les semaines à venir. Des représentants de la société civile indépendante font partie de la délégation gouvernementale, dont un petit nombre de femmes. Alors que les pourparlers avancent, ils devraient soulever la question préoccupante des droits humains fondamentaux, notamment des droits des femmes et des filles, a déclaré Human Rights Watch.

La constitution et les lois afghanes actuelles, promulguées depuis 2002, prévoient de nombreuses protections des droits humains, notamment l’égalité des sexes, mais elles ont été peu appliquées dans les zones contrôlées par le gouvernement. Les forces gouvernementales ont commis de nombreuses atteintes aux droits humains, dont la torture, et souvent échoué à protéger les droits des femmes. Aussi bien des chefs talibans que des responsables actuels et passés du gouvernement ont été impliqués dans des crimes de guerre et d’autres abus. Il règne une impunité quasi totale pour des violations graves.

« Un futur accord afghan ne devra pas seulement appuyer les principes des droits humains en général : il sera crucial que le gouvernement et les talibans fassent preuve de leur volonté de s’adapter aux diverses communautés, de tolérer la dissidence et de protéger les droits fondamentaux, notamment ceux des femmes et des filles », a conclu Patricia Gossman. « Pour que les parties respectent leurs engagements en matière de droits humains, il faut des garanties explicites et détaillées de ces droits ainsi qu’un suivi rigoureux de leur respect. »

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