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Les pays d’Europe de l’Ouest doivent rapatrier les combattants de l’Etat islamique et leurs familles

Publié dans: Al Jazeera (en anglais)
Une femme marche avec un enfant dans le camp de Roj, où sont détenus des épouses et des enfants étrangers de membres de l'État islamique (EI, ou Daech), dans le nord-est de la Syrie, en septembre 2018. © 2018 Delil Souleiman/AFP/Getty Images
L’intransigeance de l’Europe occidentale quant au rapatriement des personnes suspectées d’avoir combattu auprès de l’Etat islamique (EI) ou des membres de leur famille a fait les gros titres dans le monde après qu’une cour irakienne, à l’occasion d’une série de procès entachés d’allégations de torture, a condamné à mort onze Français.

Des pays comme la France, le Royaume-Uni et les Pays-Bas, soutiennent que les difficultés logistiques et les risques que représenteraient ces rapatriements pour leur sécurité rendent pratiquement impossible toute aide de leur part à leurs ressortissants accusés d’appartenir à l’EI. Pourtant, d’autres pays, comme le Kosovo, la Turquie, la Russie, et particulièrement des pays d’Asie centrale ont démontré que, quand on veut le retour de ses ressortissants, on peut l’obtenir.

En effet, trois pays d’Asie centrale (le Kazakhstan, l’Ouzbékistan et le Tadjikistan) ont jusqu’ici rapatrié 756 de leurs ressortissants, pour la plupart des femmes et des enfants. Le Kirghizistan envisage également d’éventuels rapatriements.

Cela contraste fortement avec les rapatriements sporadiques effectués par les pays d’Europe occidentale, en dépit, d’une part, de leurs ressources bien plus élevées, et, d’autre part, du nombre souvent bien moindre de ressortissants détenus en lien avec l’EI. Pour l’instant, ces pays ont surtout mis l’accent sur les enfants.

La Norvège, par exemple, a permis le retour de cinq orphelins depuis le nord-est syrien début juin, mais y a laissé 35 autres enfants. Depuis le mois de mars, 17 enfants ont rejoint la France depuis la même région et un depuis l’Irak, la plupart étant orphelins. Or, selon le gouvernement, plus de 400 autres ressortissants français, dont la moitié au moins sont des enfants, sont toujours détenus dans le nord-est de la Syrie, et la France semble n’avoir entrepris aucune démarche en vue de leur retour. La Suède et les Pays-Bas ont respectivement permis le retour de sept et deux enfants depuis la Syrie ; quant à l’Allemagne, moins de 10 de ses ressortissants ont pu quitter l’Irak.

Certes, le rapatriement est un processus complexe. En Irak, les autorités poursuivent des centaines de suspects étrangers accusés d’appartenance à l’EI – dont des femmes et des enfants – dans le cadre de procès entachés de graves irrégularités, mais veulent renvoyer dans leur pays les enfants détenus sans inculpation. Dans le nord-est de la Syrie, les autorités dirigées par les Kurdes, qui ne bénéficient pas d’une reconnaissance internationale, ne poursuivront aucun des 13 000 étrangers non-irakiens (2 000 hommes et 11 000 femmes et enfants) qu’elles disent détenir et souhaitent tous les renvoyer vers leurs pays d’origine.

De nombreuses personnes détenues, en particulier les enfants, ne sont pas en mesure de fournir d’actes de naissance, ni aucun autre document permettant de confirmer leur nationalité. En outre, de nombreux enfants sont nés de parents issus de pays différents, ce qui soulève la question de la nationalité à laquelle ils pourraient et devraient pouvoir légalement prétendre.

Mais l’obstacle le plus grand au retour de ces personnes pourrait bien être l’opinion publique. Craignant d’être pointées du doigt pour une attaque par un membre rapatrié de l’EI, ou son épouse ou son enfant, les autorités gouvernementales préfèrent souvent abandonner leurs ressortissants dans ces camps de détention aux conditions de vie sordides et même, dans certains cas, les déchoir de leur nationalité. Les gouvernements d’Europe occidentale affirment qu’il incombe à leurs ressortissants de se rendre dans un consulat et d’y demander un rapatriement ; or prétendre cela, c’est ignorer que ces personnes, détenues dans des camps ou dans des prisons, ne peuvent pas les quitter.

Les pays d’Asie centrale ont, eux, communiqué autour des rapatriements de leurs ressortissants en les présentant comme de missions de sauvetage humanitaires ; certains ont diffusé des images d’enfants aux visages angéliques et de femmes dont les voiles noirs avaient été remplacés par des tissus colorés, embrassant le tarmac à la descente de l’avion qui les ramenait chez elles.

Ces pays devraient donner suite à ces opérations de communication avec plus de transparence quant au sort réservé à leurs ressortissants après leur retour, et permettre un contrôle et un suivi indépendants des programmes de réinsertion afin d’assurer leur conformité avec les normes internationales des droits humains. Ils devraient également adopter la même approche à l’égard de toutes les poursuites de personnes rapatriées, compte tenu des antécédents de procès inéquitables et de torture dans la région.

En mai, Fionnuala Ni Aolain, Rapporteure spéciale sur la promotion et la protection des droits de l’homme dans la lutte anti-terroriste, a fait part de ses inquiétudes quant à la législation anti-terroriste du Kazakhstan, qui pouvait confondre extrémisme violent et expression pacifique d’opinions religieuses, et ainsi porter atteinte aux libertés d’expression, d’assemblée et de croyance. Elle a néanmoins reconnu et félicité les efforts de ce pays en matière de retours et de réintégration de ses ressortissants, notant que le Kazakhstan œuvrait en ce sens bien plus que d’autres pays européens.

Tous les pays, y compris ceux d’Europe occidentale, dont les ressortissants sont détenus en Irak et au nord-est de la Syrie doivent agir sur ces deux problématiques essentielles : tout d’abord, le droit de chacun de retourner dans son pays d’origine, sans que ce dernier les en empêche directement ou indirectement ; ensuite, le devoir de garantir que justice soit faite pour les pires crimes commis en Syrie et en Irak et que leurs principaux responsables soient poursuivis dans le cadre de procès équitables.

Les conditions de vie dans les camps et dans les centres de détention dans le nord-est de la Syrie et en Irak, avec des enfants qui seraient morts de maladies évitables à al-Hol, sont désastreuses. Ces camps constituent également un terreau idéal pour l’extrémisme violent. Cela rend d’autant plus urgent que les pays d’Europe de l’Ouest cessent de traîner des pieds et veillent au rapatriement de leurs ressortissants.

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