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Les atrocités commises au Burkina Faso au nom de la sécurité risquent de grossir les rangs des terroristes

Publié dans: The Washington Post
2019 Anne Mimault/Reuters

 

Le Burkina Faso est confronté à une dangereuse menace de la part de combattants islamistes armés qui assassinent des civils et menacent de déstabiliser d'autres pays d'Afrique de l'Ouest. Mais la stratégie antiterroriste abusive du gouvernement, notamment les exécutions sommaires de suspects, risque d'enflammer encore plus le conflit en poussant davantage de personnes dans les bras des agents recruteurs des groupes militants islamistes.

Depuis 2017, j'ai documenté les exécutions extrajudiciaires présumées par les forces de sécurité de plus de 150 hommes accusés de soutenir ou d'héberger des terroristes. Je ne suis pas en mesure de confirmer si chacun de ces hommes soutenait ou non les islamistes armés. Mais tous ont été vus pour la dernière fois alors qu'ils étaient sous la garde des forces de sécurité gouvernementales et ont été retrouvés quelques heures plus tard tués d'une balle dans la tête ou dans la poitrine.

Presque toutes les victimes appartenaient au groupe ethnique des Fulanis, (Peuls), dont les doléances vis-à-vis du gouvernement ont été exploitées par les islamistes pour gagner des recrues. « Nous sommes devenus les otages des deux camps », m'a déclaré un notable de l'ethnie peule. « Le jour, nous avons peur de l'armée et la nuit, nous avons peur des djihadistes. »

Un dimanche de mai dans la matinée, des combattants islamistes armés sont arrivés dans la ville de Dablo au Burkina Faso et se sont immédiatement dirigés vers l'église catholique. « Nous étions en train de chanter, quand ils ont fait irruption », m'a déclaré un membre de la congrégation. « Ils ont abattu le prêtre, puis ont ordonné à cinq hommes, dont un membre du chœur, de s'allonger sur le sol et ils les ont exécutés sous les yeux de leurs familles. Avant de partir, ils ont ordonné à nos femmes de commencer à porter le voile. »

Cette attaque d'église est la dernière en date commise par les islamistes armés depuis l'apparition en 2016 d'un groupe djihadiste local, Ansaroul Islam. Depuis 2016, ce groupe, ainsi que d'autres, liés à la fois à al-Qaïda au Maghreb islamique et à l'État islamique dans le Grand Sahara, ont assassiné des enseignants et des maires; abattu des clients dans des cafés dans la capitale, Ouagadougou; enlevé des étrangers; pillés du bétail; et interdit aux villageois de cultiver leurs terres ou de célébrer des mariages.

Le rythme accéléré et la magnitude de leurs attaques ont entraîné le déplacement de plus de 130 000 personnes, amené le gouvernement à décréter l'état d'urgence et alimenté les craintes que les violences s'étendent au-delà des frontières du Burkina.

L'enlèvement, en mai, de deux touristes français et de leur guide dans une réserve naturelle  dans le nord du Bénin, et les informations faisant état de l'apparition de cellules islamistes armées dans d'autres pays d'Afrique de l'ouest non précédemment touchés par ce genre de violences, devraient résonner comme une sonnette d'alarme pour la communauté internationale.

Cependant, en réaction à une menace véritable, le gouvernement burkinabè a adopté une approche antiterroriste dans le cadre de laquelle des suspects en grand nombre ont été exécutés de manière illégale. Par cette approche, il s'est mis à dos les nomades peuls, membres du groupe ethnique le plus affecté par ces méthodes, dont beaucoup résident dans plusieurs des autres pays à risques.

Des dizaines de personnes qui ont été témoins de plus de 20 opérations des forces gouvernementales dans le nord du Burkina Faso m'ont fourni des listes de victimes et montré des cartes indiquant où les cadavres avaient été découverts.

« Les militaires ont encerclé le marché et ont arrêté 17 hommes », a déclaré un témoin d'une opération menée le 10 mai dans la ville de Titao, dans le nord du pays. « Avant de les emmener, un militaire a dit : ‘vous ne vivrez pas un autre jour de marché.’ » Un autre témoin a décrit comment ces hommes avaient été retrouvés deux jours plus tard à environ 25 kilomètres de là, certains ayant été tués d'une balle dans la tête.

Trois témoins ont décrit comment neuf suspects ont été retrouvés morts peu après leur arrestation lors d'une opération similaire dans le village de Belharo, en février. Un témoin m'a montré des photos de l'enterrement d'une victime et a déclaré : « Nous avons retrouvé Hamadoun, qui avait 72 ans, les genoux et le front contre le sol, comme s'il avait demandé à prier avant d'être tué. »

Une organisation burkinabè de défense des droits humains a documenté 60 autres exécutions de suspects qui, selon elle, ont eu lieu lors d'une vaste opération en février, près de la ville de Kain.

Des villageois peuls que j’ai rencontrés se sont plaints amèrement d'être pris en étau entre les groupes islamistes armés et les forces gouvernementales. Les islamistes tentent de les enrôler et menacent d'exécuter ceux qui collaborent avec le gouvernement, et les forces de sécurité font pression sur eux pour obtenir des renseignements sur la présence de groupes armés et leur infligent des punitions collectives s'ils ne les fournissent pas.

Dans une récente interview, le ministre de la Défense, Moumina Cheriff Sy, nommé en janvier, a déclaré qu'une de ses premières priorités serait de rassurer la population sur le fait qu'« il y a un gouvernement et une armée, dont le rôle est de la protéger. »

Et pourtant, les villageois qui sont aux premières loges pour assister aux opérations de son armée ne le voient pas du même œil. « Les gens fuient l'armée en grand nombre ; pour eux, leur armée est synonyme de peur, pas de sécurité », m'a déclaré un notable communautaire.

Les civils et les membres des forces de sécurité du Burkina Faso ont payé un lourd tribut depuis 2016, mais tuer des suspects au nom de la sécurité ne fait qu'alimenter son problème de terrorisme. Le gouvernement est tenu, par ses propres lois et par le droit international, de garantir aux suspects un procès équitable et d'empêcher ses forces de sécurité de commettre des meurtres illégaux. En outre, les atrocités commises par l'armée semblent dresser contre elle la population qu'elle a pour mandat de protéger, et risquent de grossir les rangs de ces groupes abusifs.

Les partenaires internationaux du Burkina Faso devraient faire entendre leur voix, insister pour que les autorités contiennent les unités qui commettent des atrocités et apporter un soutien crucial aux systèmes judiciaires civil et militaire, qui sont systématiquement négligés.

Le Burkina Faso fait face à une menace très réelle, mais il doit rectifier sa stratégie antiterroriste. Cela implique de l'ancrer dans le respect des droits humains.

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