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RD Congo : La condamnation d’un chef de guerre révèle des failles dans le procès

Un ancien militaire congolais coupable de viol et d’utilisation d’enfants soldats

Le chef de guerre congolais Marcel Habarugira, photographié en 2012 à Ngululu, à 80 kilomètres au nord-ouest de Goma, en République démocratique du Congo. © 2012 Michele Sibiloni/AFP/GettyImages

(Goma) – La condamnation par une cour militaire congolaise d’un chef de guerre pour les crimes de guerre de viol et utilisation d’enfants soldats dans l’est de la République démocratique du Congo a mis en évidence de graves dysfonctionnements dans le système de justice militaire du pays. La peine de 15 ans d’emprisonnement à l’encontre de Marcel Habarugira apporte une mesure de justice pour ses victimes et peut servir à freiner d’autres commandants responsables d’abus. Cependant, les procédures judiciaires ont soulevé des questions sur la protection des témoins, le droit du prévenu à faire appel et le manquement du gouvernement à verser les réparations aux victimes.

Le 1er février 2019, la cour militaire opérationnelle à Goma, dans la province du Nord-Kivu, a reconnu Marcel Habarugira, ancien militaire de l’armée congolaise, coupable de trois crimes commis alors qu’il commandait une faction d’un groupe armé connu sous le nom de Nyatura (« frapper dur » en kinyarwanda). Le groupe, qui a reçu des armes et une formation de la part de l’armée congolaise, a mené un grand nombre de ses pires attaques en 2012.

« La condamnation d’un chef de guerre pour crimes de guerre est un événement rare en RD Congo et la vaste majorité des commandants militaires responsables d’abus sont toujours en liberté », a expliqué Timo Mueller, chercheur pour Human Rights Watch en RD Congo. « Cependant, le procès de Marcel Habarugira pour viol et utilisation d’enfants soldats a révélé de graves failles au sein du système de justice militaire en RD Congo. »

Marcel Habarugira (à gauche, en uniforme militaire) est jugé dans le village de Bweremana, province du Nord-Kivu, République démocratique du Congo, le 15 décembre 2018.  © 2018 Privé

Human Rights Watch a travaillé avec un défenseur des droits humains local pour suivre le procès d’une durée de trois mois et s’est entretenu avec des survivants d’abus, des conseillers juridiques, des fonctionnaires de justice, des responsables des Nations Unies et des membres d’organisations non gouvernementales nationales et internationales. Human Rights Watch a obtenu une copie du jugement écrit à la mi-mars. En 2013, Human Rights Watch a interrogé des victimes, des combattants Nyatura et du personnel de l’armée congolaise lors de trois visites à Masisi, dans le Nord-Kivu.

L’absence de protection pour les victimes et les témoins a affaibli le dossier de l’accusation, a déclaré Human Rights Watch. Les fonctionnaires du système judiciaire militaire ont interrogé plus de 100 victimes et témoins qui ont fait le déplacement discrètement depuis leurs villages dans le Nord-Kivu. Cependant, bon nombre de ceux qui voulaient témoigner n’ont pas pu se déplacer, en raison d’obstructions, de menaces et d’intimidations de la part des combattants de Marcel Habarugira et de jeunes hutus fidèles au groupe.

En 2015, des victimes de Katoyi et de Ngungu ont raconté à Human Rights Watch que des combattants de Marcel Habarugira leur avaient dit qu’ils seraient tués s’ils venaient à témoigner contre lui. Un an plus tard, des agents des services de renseignements congolais et des jeunes hutus locaux à Ngungu ont battu et détenu pendant plusieurs heures un activiste des droits humains local qui avait facilité la participation de victimes aux procédures judiciaires. En 2018, des groupes de jeunes hutus ont bloqué les routes pour stopper les victimes de Katoyi qui tentaient de faire le déplacement.

Seules sept victimes ont participé au procès. En particulier, aucun témoin n’a comparu à propos du chef d’inculpation d’esclavage sexuel comme crime de guerre et Marcel Habarugira a été acquitté pour ce chef d’inculpation.

« Quand je suis arrivé à Bweremana pour témoigner, j’y ai trouvé les collaborateurs d’Habarugira », a expliqué un homme qui avait été recruté de force. « J’ai reconnu l’un d’eux. Il s’est approché de moi et a dit qu’il me donnerait de l’argent si je ne témoignais pas contre Habarugira. J’ai accepté parce que si je n’acceptais pas, comment serais-je rentré à la maison ? Ce sont des personnes qui vivent avec nous. Ce sont eux qui sont aux commandes là où nous vivons. »

Une femme qui avait été violée par des combattants de Marcel Habarugira a indiqué qu’elle connaissait de nombreuses autres victimes qui n’étaient pas venues témoigner parce qu’elles avaient entendu que des combattants de Marcel Habarugira « les attendaient le long de la route pour leur faire du mal ».

Quatre ans après son arrestation en 2014, Marcel Habarugira a été jugé par une cour militaire congolaise qui, d’habitude, juge des soldats immédiatement pour des crimes commis pendant des opérations militaires. Cette procédure ne permet pas de faire appel, contrairement à ce que prévoient la constitution congolaise et les normes internationales en matière de procès équitable.

La cour militaire opérationnelle à Bweremana, République démocratique du Congo, le 15 décembre 2018. © 2018 Privé

Dix-sept victimes et membres de famille de victimes ont intenté une action au civil parallèlement aux procédures pénales et se sont vu octroyer une indemnité de 5 000 USD chacun, devant être payée par Marcel Habarugira et le gouvernement congolais en raison des fonctions passées de Marcel Habarugira dans l’armée. Même si les tribunaux congolais ont souvent accordé des réparations aux victimes de violences sexuelles et d’autres crimes graves, ces réparations ont rarement – voire jamais – été versées. Le gouvernement congolais devrait immédiatement payer les réparations ordonnées par la cour qui lui incombent dans cette affaire et mettre en place un système de réparations efficace et durable pour les crimes internationaux graves, a déclaré Human Rights Watch.

La condamnation de Marcel Habarugira offre une occasion au nouveau président de la RD Congo, Félix Tshisekedi, et à son administration de mettre fin aux pratiques de l’armée visant à soutenir des groupes armés comme les Nyatura, en menant des enquêtes et en jugeant de manière équitable les responsables de crimes graves, a précisé Human Rights Watch.

« Pour mettre un terme aux cycles de violence et aux abus dans l’est de la RD Congo, les commandants de groupes armés responsables d’abus et leurs partisans doivent être traduits en justice », a conclu Timo Mueller. « Mais pour que la justice soit efficace, les victimes et les témoins ont besoin de protection, et les droits à un procès équitable des prévenus doivent être respectés. »

Informations complémentaires

Marcel Habarugira

À la fin des années 1990, Marcel Habarugira était un soldat de rang subalterne du Rassemblement congolais pour la démocratie (RCD), un groupe rebelle soutenu par le Rwanda. Plus tard, il a rejoint le Congrès national pour la défense du peuple (CNDP), un autre groupe rebelle soutenu par le Rwanda.

Marcel Habarugira a finalement déserté le CNDP et a rejoint les Patriotes résistants congolais (PARECO), un groupe d’autodéfense essentiellement hutu. Après un accord en date du 23 mars 2009 prévoyant l’intégration des combattants du CNDP et du PARECO dans l’armée congolaise, il est entré dans l’armée.

Quand de nombreux soldats hutus ont déserté en 2010 et 2011, en raison de leur marginalisation perçue par l’armée, Marcel Habarugira était parmi eux. Il a formé son propre groupe armé, appelé Nyatura.

Les Nyatura

Alors que bon nombre des groupes armés formés par les anciens soldats hutus ont leur propre dénomination ou sont nommés d’après le nom de leurs commandants, ils sont souvent désignés collectivement sous l’appellation Nyatura. Les Nyatura ont principalement attaqué des civils appartenant aux ethnies Tembo, Nyanga et Hunde au fil des années.

Les troupes de Marcel Habarugira étaient responsables d’un grand nombre des pires attaques contre des civils dans le sud de la province du Nord-Kivu et dans des zones de la province du Sud-Kivu au cours de l’année 2012. Avec un autre groupe hutu, les Forces démocratiques de libération du Rwanda (FDLR), les combattants du Nyatura ont exécuté sommairement des civils, ont violé des dizaines de femmes et de filles, et ont incendié des centaines de maisons dans une volonté manifeste de « punir » les civils accusés de soutenir l’« ennemi » ou de collaborer avec lui.

De nombreux groupes Nyatura ont aussi collaboré avec l’armée, y compris pendant les opérations militaires en 2012 et 2013 contre le M23, un groupe rebelle dirigé par Bosco Ntaganda, un ancien commandant de l’armée actuellement jugé à La Haye. D’après le groupe d’experts de l’ONU, le général Gabriel Amisi (également appelé « Tango Four »), ancien chef d’état-major des forces terrestres et actuel chef d’état-major général adjoint de l’armée, a ordonné aux unités de l’armée dans le secteur de travailler avec les Nyatura et lui a envoyé des armes en juillet 2012. Entre septembre et novembre 2012, Marcel Habarugira s’est rendu, avec des centaines de combattants Nyatura, sur un site de regroupement à Mushaki, dans le territoire de Masisi, où on leur a indiqué qu’ils seraient intégrés dans une unité de l’armée qui serait appelée « Régiment Tango Four ».

Cependant, frustrés par le manque de progression, au moins 600 de ces combattants, y compris Marcel Habarugira, ont quitté le site trois mois plus tard environ. Dans un entretien avec Human Rights Watch en novembre 2013, Marcel Habarugira a expliqué qu’il avait reçu des armes – y compris du mortier, des lance-grenades et des balles – fournies par l’armée le 12 novembre 2012. Human Rights Watch a vu un document de l’armée signé par un général de brigade confirmant cette information.

Depuis le début de l’année 2012 jusqu’à la défaite du M23 au début du mois de novembre 2013, des milices hutues ont opéré dans de nombreuses parties des territoires de Masisi et Rutshuru où le gouvernement congolais et les autorités militaires étaient largement absents. Les leaders Nyatura ont souvent pris le contrôle des structures administratives, déplaçant de force ou parfois cooptant les responsables gouvernementaux locaux. Le groupe Nyatura de Marcel Habarugira a uni ses forces à l’armée congolaise pour combattre le M23. Ils ont commis des abus généralisés contre des civils dans les zones qu’ils contrôlaient, y compris des viols, des actes de torture, des détentions illégales et des pillages.

Meurtres, viols et incendies de maisons par les combattants Nyatura

Un grand nombre des pires attaques menées par les combattants Nyatura ont eu lieu entre avril et novembre 2012 pendant les opérations contre le Raia Mutomboki, un autre groupe armé de la région, et ses alliés.

Une femme de l’ethnie Tembo, âgée de 25 ans, du groupement Ufamandu I dans le sud du territoire de Masisi a raconté à Human Rights Watch qu’elle a fui son village quand il a été attaqué par des combattants Nyatura le 15 juillet 2012. « Alors que je m’enfuyais, j’ai dû enjamber les corps de plusieurs personnes qui avaient été tuées – des hommes, des femmes et des enfants », a-t-elle décrit. « Je ne sais pas combien, parce que j’étais moi-même comme une personne morte. »

La femme a emmené ses enfants pour se cacher dans la forêt voisine avec un autre groupe. « Nous étions huit, toutes des femmes », a-t-elle raconté. « Soudain, nous avons vu 10 combattants armés de machettes et de couteaux avancer vers nous. Ils nous ont dit de nous allonger sur le sol. Nous avons obéi et ils ont commencé à nous violer. Personnellement, j’ai été violée par deux combattants. »

Une autre femme de l’ethnie Tembo d’Ufamandu I dans le territoire de Masisi a raconté que cinq combattants Nyatura l’ont violée en juillet 2012 :

Je dormais avec mon mari et mes enfants quand les combattants ont pénétré dans notre maison. Quand ils m’ont vue, ils ont immédiatement commencé à me violer, à tour de rôle. Quand le troisième a voulu se mettre sur moi, mon mari est sorti du coin d’où il regardait ce qui se passait et a crié : « Ça suffit. Je ne vais pas tolérer cela une fois de plus ! » Sans attendre, les combattants l’ont immédiatement abattu et mon mari est mort là sur le sol devant moi. J’avais très peur et je me suis mise à hurler à pleins poumons. Je pleurais pour mon mari qui était mort. Un voisin a entendu mes cris et est venu m’aider, mais lui aussi a été abattu. Je ne peux pas rentrer à la maison aujourd’hui parce que nous avons appris que certains qui étaient revenus au village pour y chercher de la nourriture ont été attaqués à nouveau, des femmes ont été violées et d’autres ont été tués.

Le 9 août 2012, des combattants Nyatura a attaqué le village de Kipopo, tuant cinq civils et incendiant des dizaines de maisons. Une femme âgée de 25 ans, enceinte et mère de cinq enfants, a raconté :

Quand ils sont venus, je dormais à la maison. C’est par chance que je me suis sauvée. Mon père m’a dit : « Ma fille, tu dois sauver ta vie, parce que je n’ai plus moyen de sauver la mienne. » Je suis sortie en courant de la maison et je me suis allongée dans un champ de canne à sucre. Lorsque [mon père] a quitté la maison derrière moi, il est tombé sur [les Nyatura]. Ils lui ont lié les mains et l’ont enfermé dans la maison qu’ils ont incendiée. J’ai entendu mon père hurler avant de mourir.

Pendant une attaque près du village de Buloto, dans le territoire de Masisi, le 3 novembre 2012, des combattants Nyatura ont tué quatre femmes et deux enfants. Une femme de 20 ans qui a été témoin de l’attaque a décrit qu’un groupe Nyatura armé de fusils, de machettes, de lances et de couteaux et portant des pantalons civils et des hauts militaires les ont surprises, elle, sa sœur aînée et une amie alors qu’elles se rendaient à leurs fermes. Elles ont tenté de s’enfuir, mais les hommes du Nyatura ont tiré sur la sœur de la femme et son amie. « Quand elles sont tombées au sol, ils [les hommes Nyatura] se sont approchés d’elles et ont commencé à les frapper avec leurs machettes pour les tuer », a-t-elle raconté. La survivante a indiqué que, submergée par la peur, elle avait perdu connaissance et était seulement revenue à elle quand elle avait entendu des jeunes gens venus ramasser les corps.

Une femme de 25 ans et mère de quatre enfants a expliqué que des combattants Nyatura ont attaqué son village dans le territoire de Masisi le 25 juillet 2012 :

La première chose [qu’ils ont faite] a été de tuer mon mari. Ensuite ils m’ont demandé de choisir entre la mort et le viol. J’ai choisi le viol à cause de mes enfants. Ils m’ont tous violée, l’un après l’autre. Quand ils ont fini, ils ont pillé ma maison, ils ont tout pris. Ensuite, ils ont brûlé la maison et mon mari a brûlé dedans. Nous n’avons pas pu l’enterrer.

Recrutement forcé d’enfants

Les commandants Nyatura ont recruté de force des dizaines d’enfants dans leurs rangs. Pendant les procédures de contrôle des membres du Nyatura qui se sont rendus en 2012 et 2013, des responsables de la protection des enfants de l’ONU ont identifié et séparé 227 enfants qui étaient d’anciens membres de groupes armés Nyatura.

Un rapport de 2013 de la Mission de l’Organisation des Nations Unies pour la stabilisation en RD Congo (MONUSCO) sur le recrutement d’enfants a documenté un nouveau recrutement de 185 garçons et 5 filles par les Nyatura entre janvier 2012 et août 2013. L’ONU a cité Marcel Habarugira comme l’un des principaux recruteurs d’enfants. Trente-quatre des enfants avaient moins de 15 ans, les plus jeunes avaient 11 ans et 33 autres avaient 15 ans. Le droit international interdit aux groupes armés de recruter et d’utiliser des enfants de moins de 18 ans et le déploiement d’enfants de moins de 15 ans est un crime de guerre.

Les Nyatura ont recruté des enfants sur la route du marché, au marché, sur le chemin entre leur maison et l’école ou alors que les enfants travaillaient dans les fermes ou marchaient jusqu’aux champs. Les combattants ont forcé les enfants à participer à des entraînements militaires et ceux accusés d’insubordination étaient sévèrement battus ou enfermés dans des prisons souterraines sans nourriture. Alors que certains enfants étaient utilisés pour des tâches domestiques, beaucoup ont été envoyés sur le champ de bataille, y compris des enfants jeunes. Six enfants soldats sont morts à la suite d’affrontements, ont signalé des témoins, y compris deux garçons âgés de 12 et 13 ans. Le réenrôlement était aussi courant. De nombreux enfants ont raconté que les commandants Nyatura les ont forcés à rejoindre le mouvement après qu’ils avaient été démobilisés et réunis avec leurs familles.

Marcel Habarugira a indiqué à Human Rights Watch en novembre 2013 qu’il n’y avait aucun enfant dans ses rangs, mais il a admis avoir reçu quatre enfants soldats d’un commandant Nyatura, Kapopi, basé près de Luke dans le territoire de Masisi.

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