(Beyrouth, le 7 mars 2018) – Le système judiciaire pénal en Arabie saoudite bafoue le droit de prévenus pakistanais à des procédures régulières et à des procès équitables, ont déclaré Human Rights Watch et l'organisation Justice Project Pakistan dans un rapport publié conjointement aujourd'hui. Les lacunes flagrantes du système de justice pénale saoudien sont particulièrement préjudiciables aux ressortissants pakistanais, qui se heurtent à de grosses difficultés pour obtenir une assistance juridique, pour se frayer un chemin dans les procédures des tribunaux saoudiens et pour bénéficier de services consulaires de la part de l'ambassade du Pakistan.
Ce rapport de 29 pages, intitulé «‘Caught in a Web’: Treatment of Pakistanis in the Saudi Criminal Justice System » (« Pris dans la nasse : Traitement des Pakistanais dans le cadre du système de justice pénale saoudien »), documente les violations généralisées par les autorités judiciaires saoudiennes du droit à une procédure régulière dans les affaires pénales visant des Pakistanais. Parmi ces violations figurent de longues périodes de détention préventive sans inculpation ni procès, l'absence d'accès des prévenus à une assistance juridique, des pressions sur les détenus pour qu'ils signent des aveux et acceptent des peines de prison prédéterminées afin d'éviter une détention arbitraire prolongée et des services de traduction défectueux. Certains prévenus ont aussi fait état de mauvais traitements et de conditions carcérales déplorables.
« Malgré les promesses de réforme qu'elles font depuis des années, les autorités saoudiennes font preuve d'un mépris flagrant pour les droits des citoyens saoudiens et non saoudiens dans les affaires pénales », a déclaré Sarah Leah Whitson, directrice de la division Moyen-Orient à Human Rights Watch. « La façon dont l'Arabie saoudite traite les prévenus pakistanais montre l'ampleur des progrès qu'elle doit faire pour améliorer l'État de droit sur son territoire. »
L'Arabie saoudite accueille sur son sol 12 millions d'étrangers, qui représentent plus du tiers de la population totale du pays. Environ 1,6 million de Pakistanais, considérés pour la plupart comme des travailleurs migrants étrangers, constituent par leur nombre la deuxième communauté de migrants en Arabie saoudite.
C'est pour les prévenus impliqués dans les affaires les plus graves que les violations des normes de procédure régulières ont été le plus conséquentes. Depuis le début de 2014, 73 Pakistanais ont été exécutés en Arabie saoudite, soit plus que toute autre nationalité étrangère, et presque tous pour trafic d'héroïne. Trois des affaires de drogue examinées par les deux organisations ont abouti à des peines de mort, quatre à des peines de prison de 15 à 20 ans, une à une peine de quatre ans de prison, et trois étaient toujours en cours de jugement.
Des membres des familles ont affirmé que quatre des prévenus avaient été contraints par des trafiquants de drogue à jouer le rôle de « convoyeurs de drogues. » Mais, selon eux, les tribunaux saoudiens n'ont manifesté aucun intérêt pour les circonstances, n'ont pas tenté d'enquêter et n'ont pas semblé prendre en compte les affirmations de coercition dans leurs verdicts.
Dans toutes les affaires n'ayant pas abouti à des peines de mort, les juges n'ont pas donné aux prévenus une réelle possibilité de présenter une défense. Ceux-ci ont affirmé que lors de leur première audience, les juges avaient prononcé des verdicts de culpabilité et des condamnations prédéterminées fondés uniquement sur les procès-verbaux de police et avaient demandé aux prévenus de les accepter. Ils ont eu l'autorisation de contester les décisions par écrit mais les juges ont réitéré les mêmes décisions lors d'audiences ultérieures, donnant l'impression que ne pas accepter les verdicts entraînerait une détention d'une durée illimitée.
« Le juge avait nos dossiers sous les yeux », a déclaré un de ces prévenus. « Il a prononcé nos condamnations sans écouter ce que nous avions à dire. »
Neuf prévenus ont affirmé que le personnel judiciaire avait fait pression sur eux pour qu'ils acceptent les décisions sans même leur donner la possibilité de les lire, de les examiner et de les comprendre pleinement. L'un d'eux a indiqué qu'il avait été condamné à 10 jours de prison et 80 coups de fouet pour avoir consommé de l'alcool et s'être battu, et qu'il avait été ultérieurement stupéfait d'apprendre que le verdict prévoyait également son expulsion du pays.
Un seul des accusés interrogés avait un avocat, pour une large part parce que les autres n'avaient pas eu les moyens de trouver et de payer un avocat lors de leur séjour en prison. Quatre d'entre eux ont affirmé que les traducteurs commis d'office par le tribunal ne leur avaient pas fourni un service adéquat, allant parfois jusqu'à déformer délibérément leurs déclarations ou à ne pas leur décrire de manière exacte le contenu de documents judiciaires rédigés en arabe.
Certains détenus et membres des familles ont décrit des conditions de vie déplorables en prison, dont le surpeuplement, des installations non sanitaires, un manque de lits et de draps, ainsi que de soins médicaux adéquats. Un détenu et deux anciens détenus ont affirmé que les autorités pénitentiaires saoudiennes leur avaient fait subir de mauvais traitements, notamment des gifles, des coups de ceinturon et des chocs électriques, lors de leurs interrogatoires. L'épouse d'un autre détenu a affirmé que les autorités avaient frappé son mari à coups de « bâton. »
Aux termes de la Convention de Vienne sur les relations consulaires, que l'Arabie saoudite a ratifiée en 1988, l'Arabie saoudite est tenue d'informer les responsables consulaires pakistanais lorsqu'un citoyen pakistanais est arrêté. Dans les affaires examinées par les deux organisations, cependant, il ne semble pas que les responsables saoudiens aient informé les agents consulaires pakistanais des arrestations. Justice Project Pakistan a écrit à des responsables du ministère pakistanais des Affaires étrangères au sujet de tous les détenus pakistanais, mais n'a reçu aucune réponse. Généralement, les membres des familles interrogés ne savaient pas quelle agence gouvernementale contacter quand un de leurs proches est arrêté en Arabie saoudite.
La plupart des Pakistanais interrogés n'avaient pas cherché à obtenir des services consulaires auprès de l'ambassade du Pakistan à Riyadh ou du consulat à Djeddah car ils ne pensaient pas que les responsables pakistanais leur apporteraient la moindre assistance. Une personne avait rencontré un agent consulaire, mais d'autres qui avaient contacté des responsables de l'ambassade n'avaient reçu d'aide qu'en ce qui concerne les procédures d'expulsion. Ils ont affirmé que les responsables pakistanais visitaient rarement, sinon jamais, les prisons saoudiennes, contrairement aux représentants diplomatiques d'autres pays.
« Il n'y a aucune excuse pour le traitement des citoyens pakistanais par l'Arabie saoudite, mais les autorités pakistanaises devraient améliorer grandement les services consulaires pour leurs compatriotes en détention ou en cours de jugement », a affirmé Sarah Leah Whitson. « Une amélioration de ces services donnerait aux ressortissants pakistanais une meilleure chance de survivre au système judiciaire arbitraire et inéquitable de l'Arabie saoudite. »
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Pas de justice pour des milliers de Pakistanais détenus et condamnés à mort en #Arabie saoudite, selon un rapport https://t.co/BLGszC5nIF
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