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Turquie : Tortures dans des centres de détention de la police et enlèvements

Il faut enquêter sur les abus commis à l'encontre de détenus et localiser les personnes disparues

Des policiers en tenue civile emmènent de force un homme dans la ville de Diyarbakır, dans le sud-est de la Turquie, en octobre 2016. © 2016 İlyas Akengin/AFP/Getty Images

(Istanbul) – Des personnes accusées en Turquie d'avoir des liens avec le terrorisme ou avec la tentative de coup d'État militaire de 2016 ont été torturées alors qu'elles étaient sous la garde de la police, et d'autres ont été enlevées, dans un contexte où se multiplient les preuves que des abus sont commis contre les détenus, a déclaré Human Rights Watch dans un rapport publié aujourd'hui.


Ce rapport de 43 pages, intitulé « In Custody: Police Torture and Abductions in Turkey » “ (« En garde à vue: Tortures policières et enlèvements en Turquie »), présente en détail des éléments de preuve crédibles concernant 11 cas de graves abus commis sur des personnes en détention, impliquant de nombreux individus, et qui, à une seule exception près, se sont tous produits lors des sept derniers mois. Les constats qu'il contient sont basés sur des entretiens avec des avocats et des proches des victimes, et sur l'examen de comptes-rendus d'audience de tribunaux, comprenant des allégations selon lesquelles des policiers ont violemment battu et menacé des détenus, les ont entièrement déshabillés et, dans certains cas, les ont agressés sexuellement ou menacés de le faire. Human Rights Watch a documenté cinq cas d'enlèvement à Ankara et à Izmir entre mars et juin 2017 qui pourraient équivaloir à des disparitions forcées – c'est-à-dire des cas dans lesquels les autorités interpellent une personne, puis démentent l'avoir fait ou refusent de fournir des informations sur son sort.

« Alors que se multiplient les preuves que la torture dans les locaux de la police est de retour en Turquie, le gouvernement doit d'urgence ouvrir des enquêtes et ordonner qu'il y soit mis fin », a déclaré Hugh Williamson, directeur de la division Europe et Asie centrale à Human Rights Watch. « Étant donné le sombre passé de la Turquie en matière de disparitions forcées, les autorités doivent localiser les hommes dont on est sans nouvelles et s'assurer que quiconque est détenu par des agents de l'État ait un accès régulier à un avocat et que sa famille sache où il est. »

Les données officielles montrent qu'au cours de l'année qui vient de s'écouler, bien plus de 150 000 personnes sont passées entre les mains de la police sous l'accusation d'activités terroristes, d'appartenance à un groupe armé ou d'implication dans la tentative de coup d'État de juillet 2016. Les affaires documentées dans le rapport montrent que les personnes les plus exposées au risque de torture sont celles qui sont détenues pour leur prétendue association avec ce que les tribunaux appellent désormais l'Organisation terroriste de Fethullah Gülen (Fethullahist Terrorist Organization, FETÖ), que le gouvernement considère comme responsable de la tentative de coup d'État, ou avec le Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK/KCK).

Le gouvernement du président Recep Tayyip Erdoğan affirme publiquement qu'il observe une politique de tolérance zéro en ce qui concerne la torture et a restauré la garantie consistant à accorder aux détenus un accès rapide à des avocats, qui avait été initialement supprimée sous le régime d'état d'urgence instauré en Turquie après la tentative de coup. Mais le gouvernement n'a rien fait pour éliminer la hausse spectaculaire des pratiques abusives observées dans les postes de police au cours de l'année écoulée. À partir de documents de tribunaux et d'autres sources, Human Rights Watch a identifié plusieurs cas dans lesquels des détenus ont affirmé à des procureurs, ou lors d'audiences de tribunaux, qu'ils avaient subi des mauvais traitements, allégations qui n'ont pas fait l'objet d'enquêtes appropriées.

Plusieurs avocats ont affirmé à Human Rights Watch que leurs clients leur avaient parlé de tortures ou leur en avaient montré des preuves physiques. Mais ils ont ajouté que de nombreuses victimes avaient peur de se plaindre, craignant des représailles contre des membres de leurs familles. Dans un des cas documentés par Human Rights Watch, un ancien principal d'école maternelle a raconté en détail au tribunal, lors de son procès en février, que les policiers l'avaient passé à tabac et menacé d'agression sexuelle et de viol pour lui faire « avouer » ses liens avec « FETÖ. » Six autres hommes, jugés en même temps que lui, ont fait des déclarations similaires.

« Quand je lui ai rendu visite à la prison, mon mari m'a raconté ce qu'il lui était arrivé lors de sa détention par la police à Kırıkkale », a déclaré sa femme à Human Rights Watch. « Il avait perdu beaucoup de poids et était épuisé. Il a pleuré et m'a dit qu'il se sentait honteux. ‘Je suis fini’, a-t-il dit. Il m'a dit qu'il avait été torturé. »

Dans une affaire de disparition forcée, Önder Asan, un ancien enseignant, a été enlevé en avril et on est resté sans nouvelles de lui pendant 42 jours, avant qu'il ne réapparaisse en garde à vue policière et qu'un tribunal ne prononce sa mise en détention préventive en l'attente de son procès. Il a affirmé à son avocat qu'il avait subi des interrogatoires et des tortures pendant ces 42 jours.

« J'ai vu mon client Önder Asan le 13 mai au poste de police », a déclaré son avocat à Human Rights Watch. « Il avait du mal à marcher et se tenait au mur. Ses mains tremblaient. Il était extrêmement affecté et disait qu'il avait besoin d'une assistance psychologique. »

Human Rights Watch a écrit au ministre de la Justice en août au sujet de la plupart de ces cas d'enlèvement, mais n'a reçu aucune réponse.

Human Rights Watch a constaté que les avocats se heurtaient à des obstacles et à des risques considérables dans l'exercice de leurs tâches professionnelles. Ils sont souvent empêchés d'avoir accès à leurs clients sans que des policiers soient présents. Les avocats peuvent être soumis personnellement à de fortes pressions, et leurs ordres professionnels en Turquie (l'Union nationale des barreaux de Turquie et les associations de barreaux provinciaux) se sont abstenus de les soutenir dans leurs efforts pour documenter les tortures et mauvais trLe recours à la torture et aux « disparitions forcées » en Turquie s’est intensifié depuis la tentative de coup d'État de 2016, selon un nouveau rapport de HRW qui appelle à la cessation de ces graves abus qui violent le droit international.aitements infligés à leurs clients.

Avec trois associations d'avocats fermées sous le régime de l'état d'urgence et plusieurs centaines d'avocats eux-mêmes en détention provisoire sous le coup d'enquêtes et de procès pour terrorisme, il est difficile pour les avocats en Turquie de représenter leurs clients sachant qu'il existe un risque de représailles, a constaté Human Rights Watch.

Human Rights Watch et d'autres organisations ont documenté pendant de nombreuses années combien est enracinée en Turquie la culture de d'impunité pour les agents de l'État accusés de graves violations des droits humains. Cette situation a d'ailleurs conduit à de multiples décisions défavorables à la Turquie de la part de la Cour européenne des droits de l'homme.

Les autorités turques devraient démontrer d'urgence leur attachement au respect de l'interdiction absolue de la torture et des disparitions forcées, a affirmé Human Rights Watch. Elles devraient s'assurer de l'ouverture sans retard d'enquêtes effectives sur les membres des forces de sécurité, des services de renseignement et sur tous les autres agents de l'État accusés d'avoir torturé ou maltraité des détenus ou de les avoir illégalement privés de leur liberté.

L'Union des barreaux de Turquie et les associations de barreaux provinciaux devraient soutenir publiquement le droit des avocats de défendre tous leurs clients quels que soient leurs profils, et devraient insister auprès des autorités turques pour qu'elles respectent les droits de chaque personne détenue.

Les partenaires internationaux de la Turquie, y compris l'Union européenne (UE) et ses États membres, devraient placer les préoccupations suscitées par la situation des droits humains au centre de leur dialogue avec la Turquie. Les États membres de l'UE en particulier devraient profiter des réunions prévues la semaine prochaine du Conseil des affaires étrangères et du Conseil européen des dirigeants de l'UE, où la Turquie figure à l'ordre du jour des discussions, pour exprimer publiquement leur inquiétude au sujet de la situation des droits humains dans ce pays. Ils devraient soulever avec les autorités turques, dans les termes les plus pressants, l'accroissement des plaintes concernant des actes de torture dans les locaux de la police, et appeler publiquement à l'ouverture d'enquêtes exhaustives sur les allégations de tortures et de mauvais traitements en détention et de disparitions forcées.

« Alors que les procureurs et les tribunaux de Turquie prétendent ignorer la torture, il est d'une importance cruciale que les associations de barreaux prennent position en faveur de la justice et des droits humains », a affirmé Hugh Williamson. « Il est tout aussi important que les partenaires internationaux de la Turquie évoquent la question des disparitions forcées et de la torture dans les postes de police avec le gouvernement aux niveaux les plus élevés. »

Parmi les cas de torture documentés par Human Rights Watch, figurent les incidents suivants:

  • Le propriétaire d'une affaire commerciale qui a affirmé qu'en juin, des policiers l'ont à plusieurs reprises frappé et roué de coups de pied, ainsi que ses deux cousins, alors qu'ils étaient en garde à vue, puis ont pris des photos d'eux couverts de sang, lesquelles ont alors été mises en circulation sur Twitter et dans les médias;
  • Un enseignant licencié et un conférencier d'université qui, en juin, ont été séparément sortis de prison et remis entre les mains de la police, où ils affirment avoir été passés à tabac, la tête recouverte d'une capuche, et menacés lors d'interrogatoires de police. L'un d'eux a affirmé avoir subi à deux reprises des électrochocs dans une jambe;
  • Des dizaines d'habitants d'un village du sud-est de la Turquie qui, en août, ont été rassemblés de force et battus à plusieurs reprises dans le village, puis de nouveau, à l'aide de gourdins et d'un tuyau en caoutchouc, au poste de police;
  • Un agent de police dont l'affirmation qu'il avait été torturé lors de sa garde à vue dans les locaux de la police en avril a été rejetée par le procureur, bien qu'une radiographie ait montré qu'il avait eu une côte fracturée ; et
  • Un comptable qui a affirmé à plusieurs reprises à un procureur, puis à un juge, qu'il avait été sévèrement passé à tabac en détention mais dont le témoignage a été ignoré.

Human Rights Watch a documenté des cas dans lesquels des personnes ont été enlevées en plein jour à Ankara et à Izmir et placées dans des lieux de détention secrets, dans des circonstances laissant penser que cela pourrait constituer des disparitions forcées. Parmi ces cas figurent les suivants :

  • Deux hommes dont Human Rights Watch a appris qu'ils avaient été enlevés, détenus et torturés par des individus qui, selon eux, étaient membres des forces de sécurité. Ils n'ont été remis en liberté que des mois plus tard ; et

Un ancien comptable dans un hôpital, Murat Okumuş, enlevé à Izmir à la mi-juin. Les enregistrements des caméras de surveillance montrent le moment de son enlèvement et il y a des témoins de l'incident. On est toujours sans nouvelles à son sujet.

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