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Qu’adviendra-t-il des enfants de la « Jungle » de Calais ?

Ces enfants sont exposés à des risques si les autorités continuent de démanteler hâtivement le tristement célèbre camp de réfugiés

Publié dans: Newsweek

À quelques kilomètres seulement des rues ordonnées du centre-ville de Calais, passés quelques entrepôts et stations-services, l'une des scènes les plus saisissantes dans l'Europe moderne s'offre à la vue : celle du camp sordide, tentaculaire et surpeuplé de migrants souvent appelé la « Jungle ».

Avant cette semaine, pas moins de 10 000 demandeurs d'asile et migrants se trouvent dans le camp, la plupart sous des tentes ou dans des abris délabrés construits n'importe comment avec du contreplaqué et d'autres matériaux de construction de fortune ; d'autres vivent dans une section autorisée du camp, dans d'anciens conteneurs maritimes reconvertis en abris provisoires. La plupart des femmes et des filles sont logées dans un petit abri mis en place par une organisation d'aide humanitaire.

A l’extérieur de conteneurs convertis où les mineurs non accompagnés étaient hébergés pendant que le démantèlement de la « Jungle » de Calais commençait, des centaines de mineurs n’avaient toujours pas été enregistrés au milieu de la semaine.   © 2016 Zalmaï / Human Rights Watch

Les garçons non accompagnés, originaires pour la plupart d'Afghanistan, du Soudan et de l'Érythrée, dorment là où ils trouvent de la place. Beaucoup d'entre eux sont dans le camp depuis des mois, dans l'espoir de traverser la Manche par n'importe quel moyen, généralement en montant de manière clandestine à bord d'un camion.

Mais ce lundi, les autorités françaises ont commencé  à démanteler le camp. Elles disent avoir trouvé d'autres solutions d'hébergement pour tous les enfants non accompagnés ainsi que pour les adultes désireux de demander l'asile en France. Le gouvernement britannique a reçu des pressions de la part de Paris et du Parlement britannique pour accueillir autant d'enfants non accompagnés que possible, en particulier ceux qui ont des liens de parenté avec la Grande-Bretagne. Le ministre de l'Intérieur français, Bernard Cazeneuve, a demandé à Londres d'« assumer son devoir moral ».

La question n'est plus de savoir si le camp doit être démantelé ou non, mais à quel moment et de quelle manière. Si la démolition a lieu comme prévu, il y a amplement raison de douter que des dispositions adéquates soient en place pour tous les enfants non accompagnés.

Pour commencer, il n'est pas évident que les autorités françaises connaissent le nombre exact d'enfants non accompagnés résidant dans le camp. Le nombre officiel d'environ 900 se fonde sur les contrôles de police ponctuels réalisés pendant quatre heures un jour par mois. Les travailleurs humanitaires qui ont effectué des comptages systématiques de la population plus fréquents chiffrent à quelque 1 300 à 1 600 le nombre d'enfants non accompagnés dans le camp.

Certains enfants et adultes sont en cours de réinstallation dans des centres situés ailleurs en France. Chaque matin, des migrants quittent le camp à bord de cars. Les gens commencent à faire la queue de bonne heure et nombre d'entre eux n'ont pas de place à bord.

Les autorités britanniques ont reconnu qu'environ 400 enfants dans le camp ont droit à une réinstallation sur la base de leurs liens familiaux étroits avec le Royaume-Uni. Toutefois, en date de lundi, 235 enfants étaient effectivement arrivés sur les rives britanniques avant une « pause » des transferts en attendant que le camp soit vidé et démantelé.

La Grande-Bretagne pourrait accueillir bien davantage que 400 jeunes si le gouvernement faisait preuve de volonté politique. Sa Loi sur l'immigration inclut déjà une disposition selon laquelle le pays peut accepter l'accueil des enfants non accompagnés pour des raisons humanitaires. Lorsque cette disposition est devenue force de loi plus tôt cette année, le législateur a évoqué le fait d'accueillir des milliers d'enfants non accompagnés de toute l'Europe. Toutefois, à ce jour, aucun enfant n'est arrivé sur le sol britannique en vertu de cette nouvelle loi.

Après avoir tergiversé pendant des mois des deux côtés de la Manche, les autorités françaises et britanniques font preuve de précipitation, commettant des erreurs flagrantes. Ainsi, au lieu de tenter de collaborer avec les associations dès le début afin de mener un processus d'enregistrement rationnel, les responsables ont brusquement déclaré les inscriptions ouvertes le 14 octobre en annonçant par haut-parleurs que tous les enfants non accompagnés devaient se présenter d'eux-mêmes dans la section des conteneurs, seule zone autorisée du camp, s'ils souhaitaient se rendre au Royaume-Uni.

Comme on pouvait s'y attendre s'en est suivi le chaos, accru par le fait que les agents — dans un premier temps — avaient dit à certains enfants que leurs parents n'étaient pas éligibles pour les recevoir. L'après-midi de ce même jour, une nouvelle annonce a intimé à ceux qui avaient été refoulés le matin de se présenter de nouveau. En milieu de semaine, après plusieurs jours de confusion, les agents ont compris leur intérêt à agir de concert avec les associations humanitaires afin d'identifier les enfants non accompagnés.

Même sans ces bévues, il est clair qu'au rythme actuel de la réinstallation, des centaines d'enfants non accompagnés seront toujours dans le camp au moment où les démolitions sont censées démarrer la semaine prochaine. Les autorités françaises ne semblent pas avoir de plan réaliste quant au sort réservé aux enfants non accompagnés non transférés en Grande-Bretagne ou réinstallés ailleurs en France.

Les autorités ont communiqué aux travailleurs humanitaires leur intention de déplacer les enfants non accompagnés qui resteront vers des conteneurs reconvertis en abris dans la zone autorisée du camp avant de procéder à la démolition des parties non autorisées. Ces abris temporaires sont actuellement occupés par des migrants adultes qui doivent en être expulsés avant de pouvoir y transférer les enfants, une opération qui promet de poser de sérieuses difficultés.

Les autorités françaises prévoient de loger environ 550 enfants dans les conteneurs, soit beaucoup moins que le nombre d’enfants vivant actuellement dans le camp et bien en deçà du nombre total de jeunes qui restera une fois les derniers transferts de la semaine vers la Grande-Bretagne terminés. Quand bien même les autorités françaises seraient en mesure d'expulser les adultes des conteneurs avant lundi et de trouver assez de place pour loger tous les enfants non accompagnés qui resteront, il ne va pas de soi que des dispositions ont été prises pour prendre soin d'eux et de leur bien-être.

Presque tous les enfants et les migrants adultes du camp considèrent le Royaume-Uni comme leur destination de rêve ; ils sont prêts à s’y rendre à bord de camions, navires et trains en qualité de passagers clandestins s'il le faut.

Les enfants non accompagnés ne sont pas expulsés immédiatement lorsqu'ils mettent pied à terre au Royaume-Uni. Or, les demandes d'asile émanant d'enfants afghans et érythréens sont souvent rejetées, en dépit des risques auxquels ils sont exposés dans leurs pays d'origine et du fait que le ministre de l'Intérieur britannique cherche à les expulser lorsqu'ils atteignent 18 ans.

Les enfants non accompagnés en provenance de ces pays et d'autres ont beaucoup plus de chances de bénéficier du droit d'asile ou d'un autre statut en France, mais nombre d'entre eux l'ignorent. Les enfants qui cherchent asile en France sont confrontés à d'énormes obstacles bureaucratiques et à des délais prolongés. Les mauvais traitements aux mains de la police les dissuadent également de déposer une demande d'asile en France, selon les dires des enfants et des travailleurs humanitaires recueillis cette semaine.

Les autorités françaises devraient garantir à tous les enfants non accompagnés des soins et des conditions d'hébergement alternatives avant la démolition du camp, si nécessaire en retardant la démolition. Quant au gouvernement britannique, il devrait accepter tant les transferts humanitaires que les transferts fondés sur les liens familiaux.

De nombreux enfants à Calais sont tout seuls et loin de chez eux. Nombre d'entre eux ont été la proie de trafiquants divers sur le chemin des camps. Tous ont enduré de dures épreuves.

Par-dessus tout, ce sont des enfants. Tant les autorités françaises que les autorités britanniques devraient veiller à ce que leur réponse soit guidée par cette vérité toute simple.

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