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Rwanda : Enfermer les pauvres

Nouvelles constatations de détentions arbitraires et de mauvais traitements dans les « centres de transit »

(Nairobi) – Les autorités rwandaises arrêtent des personnes pauvres et les détiennent arbitrairement dans des « centres de transit » à travers le pays. Les conditions dans ces centres sont rudes et inhumaines, et les passages à tabac y sont fréquents. De nouvelles recherches indiquent que les autorités ont apporté peu de changements dans un centre à Gikondo, situé dans la capitale, Kigali, malgré un précédent rapport de Human Rights Watch sur les abus commis dans ce centre, et que des traitements dégradants similaires sont courants dans d’autres centres de transit.

Une rue de Kigali, la capitale du Rwanda, le 11 mai 2016. © 2016 Reuters

De nouvelles recherches menées par Human Rights Watch en 2016 ont permis de constater que des dizaines de personnes, y compris des sans-abri, des vendeurs ambulants, des enfants des rues et d’autres personnes pauvres, sont arrêtées dans les rues et détenues dans des « centres de transit » ou des « centres de réhabilitation » pendant des périodes prolongées. Les détenus y manquent de nourriture, d’eau et de soins médicaux appropriés, subissent des passages à tabac fréquents et sortent rarement des pièces sales et surpeuplées où ils sont confinés. Aucun des anciens détenus interrogés par Human Rights Watch n’avait été officiellement inculpé d’un délit, et aucun d’entre eux n’avait vu un procureur, un juge ou un avocat avant ou pendant sa détention.

« Le gouvernement rwandais devrait fermer ces centres de détention illégaux et fournir à leur place une formation professionnelle volontaire, une aide et une protection aux personnes vulnérables », a déclaré Daniel Bekele, directeur de la division Afrique à Human Rights Watch. « Enfermer des personnes démunies dans des conditions rudes et dégradantes et les brutaliser ne mettra pas fin à leur pauvreté, et cela viole à la fois le droit rwandais et le droit international. »

Suite à son rapport de septembre 2015 sur les abus perpétrés dans le centre de transit de Gikondo, Human Rights Watch a interrogé 43 anciens détenus de Gikondo et de trois centres de transit dans d’autres régions du Rwanda, situés à Muhanga (district de Muhanga), à Mbazi (district de Huye) et à Mudende (district de Rubavu). La plupart des entretiens ont eu lieu en 2016.

Contrairement à ce que laisseraient entendre les noms de ces centres, aucune des personnes interrogées n’a « transité » vers d’autres établissements après sa dernière arrestation, et la majorité n’a bénéficié d’aucune « réhabilitation », telle qu’une formation professionnelle ou une éducation, dans les centres.

« Ils nous corrigent à coups de bâtons », a expliqué un homme à Human Rights Watch.

En novembre, un peu plus d’un mois après la publication du précédent rapport de Human Rights Watch à ce sujet, le Conseil de la Ville de Kigali a publié une nouvelle directive réglementant le centre de Gikondo, créant pour la première fois un cadre juridique spécifique. La directive comprend des dispositions pour l’amélioration des conditions et l’octroi de certains droits, mais elle laisse la porte ouverte à la poursuite des détentions arbitraires et de longue durée.

Bon nombre d’aspects de la directive n’ont toutefois pas été mis en œuvre, et la situation à Gikondo ne s’est pas significativement améliorée depuis 2015, a constaté Human Rights Watch. Alors que certains anciens détenus ont décrit des ajustements mineurs au niveau de l’infrastructure et de la mise à disposition de certaines activités, le centre était toujours surpeuplé, avec des conditions déplorables. Les arrestations et les détentions étaient arbitraires et illégales, et des agents de police frappaient les détenus.

Les constats issus des nouvelles recherches menées par Human Rights Watch sur quatre centres – sur au moins 28 dans tout le pays – sont remarquablement similaires. La police ou d’autres groupes chargés de la sécurité ont arrêté des mendiants, des vendeurs ambulants ou des petits délinquants, essentiellement dans les zones urbaines, et les ont enfermés dans des centres de transit sales et surpeuplés.

La plupart des détenus dans ces quatre centres n’étaient pas autorisés à sortir de leur pièce, sauf pour aller aux toilettes, seulement deux fois par jour. Dans la plupart des cas, la nourriture se limitait à une tasse de maïs par jour, et plusieurs anciens détenus se sont plaints du manque d’eau potable et de l’impossibilité de se laver.

De nombreux anciens détenus ont signalé avoir été battus. À Gikondo et à Muhanga, presque toutes les personnes interrogées ont raconté qu’elles étaient battues par des policiers ou par d’autres détenus, souvent avec des bâtons. Deux adultes détenus dans le centre de Mbazi, près de la ville de Huye, dans le sud du Rwanda, ont expliqué qu’ils ont été battus dès leur arrivée.

« Chaque jour, nous avons le ‘droit’ d’être battus deux fois : le matin et le soir », a raconté à Human Rights Watch un ancien détenu du centre de transit de Mudende. « C’est notre ‘droit’. » La situation à Mudende, à proximité de la ville de Rubavu dans le nord-ouest du Rwanda, était particulièrement grave ; des agents de police, des militaires ou d’autres détenus y battaient les détenus au quotidien. Dès que les détenus arrivaient, des agents de police les frappaient tout en les forçant à ramper sur le sol jusqu’à la pièce où ils seraient enfermés.

Human Rights Watch a recueilli des informations selon lesquelles plusieurs personnes sont décédées pendant ou juste après leur détention à Mudende, d’après certains témoignages suite à une conjonction de blessures liées aux passages à tabac, de mauvaises conditions et de manque de soins médicaux. Human Rights Watch a transmis des informations sur l’un de ces cas au ministère de la Justice, qui a exprimé sa volonté de mener une enquête approfondie sur les allégations.

Human Rights Watch a mené des entretiens avec 13 enfants âgés de 10 à 18 ans qui avaient été détenus à Muhanga et à Mbazi entre juin 2015 et mai 2016. La plupart ont dit qu’ils étaient des enfants des rues. À Muhanga, les enfants étaient détenus dans le même bâtiment que les adultes. À Mbazi, ils étaient enfermés dans un bâtiment séparé, dans des conditions légèrement meilleures que celles des adultes, mais sans hygiène appropriée ni accès à l’éducation. Plusieurs anciens détenus de Mudende et de Gikondo ont affirmé qu’ils avaient aussi vu des enfants dans ces centres, allant de nourrissons détenus avec leur mère à des enfants ayant jusqu’à 18 ans. Plusieurs anciens détenus ont indiqué que des enfants étaient battus à Gikondo et à Muhanga.

« Nous sommes sérieusement préoccupés par la détention et les mauvais traitements d’enfants dans les centres de transit », a déclaré Daniel Bekele. « C’est une évolution négative, alors que nous ne recevions plus de signalements de détentions d’enfants à Gikondo entre la mi-2014 et la mi-2015. Le gouvernement rwandais devrait ordonner la libération immédiate de tous les enfants détenus dans les centres de transit. »

Human Rights Watch a écrit au ministre de la Justice rwandais, Johnston Busingye, en mars, en mai et en juin 2016 pour lui faire part de ses conclusions et pour commenter la directive du Conseil de la Ville de Kigali. Dans une réponse datée du 5 juillet, le ministère a déclaré qu’il continuait de se renseigner « pour s’assurer qu’il n’y a pas de violations des droits humains dans les centres de transit au Rwanda » et qu’il avait « été assuré qu’aucun incident de mauvais traitements n’a eu lieu à Muhanga, à Huye ou à Mudende ». Le ministère a indiqué qu’il assurerait un suivi de tout incident spécifique signalé.

L’arrestation arbitraire de personnes pauvres s’inscrit dans le cadre d’une politique gouvernementale officieuse visant à dissimuler la présence de personnes « indésirables », et tranche avec les efforts importants du gouvernement rwandais pour réduire la pauvreté, a déclaré Human Rights Watch. Des vendeurs ambulants, dont de nombreuses femmes, figuraient parmi les principales cibles. Le 25 mai, le maire de Kigali a qualifié les vendeurs ambulants d’« entrave à la propreté » et leur a dit de former des coopératives.

Plusieurs autres représentants du gouvernement ont promis des mesures pour améliorer la situation après que Théodosie Mahoro (une vendeuse ambulante) a été tuée le 7 mai à la gare routière de Nyabugogo à Kigali – illustrant les conditions précaires dans lesquelles ces vendeurs et d’autres personnes pauvres vivent. Des agents de sécurité ont tenté de confisquer les biens de Théodosie Mahoro et l’ont rouée de coups devant de nombreux témoins. Elle est décédée presque immédiatement. Les autorités ont arrêté trois agents de sécurité soupçonnés d’avoir causé sa mort et ont promis d’enquêter.

En 2015 et 2016, la Commission nationale des droits de la personne et des membres du parlement rwandais ont confirmé certaines des conclusions de Human Rights Watch et ont approuvé une recommandation pour un cadre juridique actualisé pour tous les « centres de transit ».

« Une nouvelle législation pourrait être une mesure qui va dans le bon sens si elle empêche les détentions arbitraires et garantit aux détenus le droit à une procédure régulière et une protection face aux mauvais traitements », a conclu Daniel Bekele. « Mais au bout du compte, le gouvernement rwandais devrait fermer ces centres et s’assurer que les abus fassent l’objet d’enquêtes et de poursuites judiciaires. »

Pour de plus amples détails, veuillez lire la suite.

Nouveau cadre juridique pour le centre de Gikondo

Suite à la publication en septembre 2015 du rapport de Human Rights Watch sur le centre de transit de Gikondo, le ministre de la Justice Johnston Busingye a été cité dans les médias comme niant l’existence de tout centre de détention illégal dans le pays et rejetant les conclusions de Human Rights Watch. Il a déclaré que le gouvernement maintenait sa politique de « réhabilitation plutôt que d’incarcération » et que Gikondo « est un centre de transit » et que « les personnes y sont détenues pendant une courte période avant que des mesures de redressement ou correctives à long terme ne soient prises ».

Une vue générale de Kigali, la capitale du Rwanda, le 26 mars 2014. © 2014 Reuters

Dans une démarche positive, le Conseil de la Ville de Kigali a adopté en novembre une nouvelle directive sur le Centre de transit de réhabilitation de Kigali – nom officiel du centre de Gikondo – stipulant les objectifs et les procédures du centre. La directive traite certains des problèmes soulevés par Human Rights Watch, en particulier le manque de cadre juridique. Elle répertorie également les droits de ceux qui sont conduits dans le centre, y compris le droit de ne pas être soumis à des sévices corporels, des harcèlements ou des discriminations, le droit à l’accès à l’hygiène et aux soins médicaux et le droit à des visites.

Des préoccupations fondamentales perdurent, cependant. Au lieu d’éliminer la détention arbitraire, la directive semble intégrer des pratiques de détention qui pourraient être en contradiction avec les obligations du Rwanda en vertu du droit international relatif aux droits humains. D’après cette directive, le centre doit accueillir des personnes dont le comportement perturbe l’ordre public et la sécurité – une notion vaste et vague qui pourrait s’appliquer à des catégories de personnes pour qui l’arrestation et la détention ne constituent pas une réponse appropriée ou légale.

La directive a créé, en théorie du moins, une commission composée de personnes gérant le centre, de représentants du ministère de la Justice, de l’hôpital du district et des autorités du district, pour analyser les problèmes des personnes conduites à Gikondo et les affecter, dans un délai de 72 heures, à différentes catégories. En fonction de la désignation, dans un délai de 14 jours, les autorités doivent les reconduire dans leur famille ou les envoyer à la police judiciaire, dans un centre de rééducation, dans un hôpital ou un autre lieu « qui pourrait redonner [à la personne] une vie qui améliore son bien-être ».

En théorie, par conséquent, la plupart des détenus devraient quitter Gikondo après un maximum de 17 jours. Cependant, la directive permet que certains soient gardés en détention plus longtemps. À moins qu’ils ne réussissent un « test » et soient libérés, la commission peut décider que les détenus devront rester à Gikondo pendant une période plus longue non spécifiée, pour « aider à réadapter ceux que la commission ne peut pas transférer ailleurs ».

Le 4 mars, Human Rights Watch a adressé au ministre de la Justice un courrier comprenant une demande d’éclaircissements sur des éléments de la directive et exprimant ses inquiétudes quant à la possibilité maintenue de détention arbitraire dans le centre pendant une période potentiellement longue et non définie. Le ministère de la Justice a répondu le 5 juillet qu’il appréciait l’analyse de la directive de Human Rights Watch et a indiqué que « vous ne pouvez pas nier le fait que la directive contient des éléments positifs et que c’est un pas en avant, entre autres, pour éliminer toute forme de mauvais traitements dans les centres de transit ». Le ministère n’a pas fourni de réponses plus détaillées sur les points spécifiques de la directive.

Absence de changements fondamentaux à Gikondo

Depuis la publication de la directive, Human Rights Watch a interrogé 12 anciens détenus – 7 femmes et 5 hommes – qui ont passé entre quatre jours et trois mois à Gikondo entre octobre 2015 et avril 2016. Au moins deux ont été maintenus en détention pendant plus longtemps que la période spécifiée dans la directive, et un troisième a dit avoir passé environ deux semaines dans le centre de détention. Les autres sont restés en moyenne une semaine à Gikondo.

Aucun d’eux n’a dit avoir vu les membres d’une commission ou avoir passé un test. D’après ce qu’ils ont pu voir, les policiers étaient les seuls agents chargés de « sélectionner » les détenus et de décider qui pourrait partir.

Des descriptions fournies par d’anciens détenus ont révélé que les conditions à l’intérieur du centre de Gikondo n’avaient pas changé fondamentalement. Certains ont mentionné que les murs avaient été repeints et que les toilettes avaient été rénovées, mais les conditions restaient dans l’ensemble très mauvaises.

Centres de transit de Mudende, de Mbazi et de Muhanga

Human Rights Watch a interrogé 31 personnes – 13 hommes, 5 femmes et 13 enfants – que les autorités rwandaises ont détenues dans trois centres de transit – le centre de transit de Mudende (à Nyabushongo, district de Rubavu), le centre de transit de Mbazi (à Mbazi, district de Huye) et le centre de transit de Muhanga (à Mushubati, district de Muhanga) – entre septembre 2014 et mai 2016.

Les 10 personnes interrogées venant de Mudende avaient passé entre une semaine et six mois dans le centre ; les 12 personnes de Mbazi avaient passé entre une nuit et trois mois au centre, et les 9 personnes de Muhanga étaient restées dans le centre entre trois jours et trois mois.

La plupart de ces anciens détenus ont expliqué qu’ils avaient été arrêtés parce qu’ils ne pouvaient pas présenter de papiers d’identité ou parce qu’ils étaient des vendeurs ambulants ou des enfants des rues, d’autres parce qu’ils étaient ivres ou troublaient d’une autre manière l’ordre public.

La plupart avaient déjà été arrêtés et enfermés dans un centre de transit plusieurs fois auparavant – un schéma que Human Rights Watch avait documenté dans son rapport de 2015. L’un d’eux a dit qu’il avait été arrêté plus de 20 fois. Un autre ne pouvait même plus compter le nombre de fois où il avait été arrêté et envoyé dans un centre de transit.

Ni transit, ni réhabilitation

Malgré le fait que le gouvernement rwandais appelle ces centres des « centres de transit » ou des « centres de réhabilitation », toutes les personnes interrogées avaient été relâchées après leur dernière période de détention sans avoir été transférées ailleurs. La plupart d’entre elles ont repris leurs anciennes habitudes et activités dès qu’elles ont été relâchées, car elles n'avaient pas d’autres solutions pour gagner leur vie.

Néanmoins, certains ont raconté que d’autres détenus avaient été envoyés vers un centre de réhabilitation à Iwawa, une île sur le lac Kivu. Human Rights Watch s’est entretenu avec un homme qui avait passé neuf mois à Gikondo en 2015, puis avait été transféré à Iwawa, avant d’être arrêté à nouveau et reconduit à Gikondo – pour la sixième fois – en avril 2016 après sa libération d’Iwawa.

Le ministre de la Justice Johnston Busingye a déclaré en septembre 2015, dans sa réponse au précédent rapport de Human Rights Watch, que le Rwanda avait « choisi de se concentrer sur la réhabilitation et la réintégration [des toxicomanes et d’autres criminels] pour leur offrir la chance d’une vie meilleure ». La directive de 2015 sur Gikondo prévoit que le centre propose des activités et des cours pour encourager une bonne conduite, ainsi que des conseils et d’autres accompagnements, mais peu d’anciens détenus interrogés avaient bénéficié de ces activités ou de ces services.

Les recherches menées par Human Rights Watch en 2016 ont montré que les efforts de réhabilitation ou de réintégration sont très limités dans les centres de transit. La majorité des personnes interrogées n’avaient pas connaissance ou n’avaient pas eu l’occasion de participer à des activités de formation ou d’éducation. Une ancienne détenue a mentionné que les détenus à Gikondo apprenaient à faire des paniers, une autre s’est souvenue d’une présentation concernant les économies. À Mbazi, Muhanga et Mudende, aucune formation n’était proposée, mais certains anciens détenus se sont souvenus d’activités d’éducation civique sur la prévention de la criminalité, la commémoration du génocide, ou le VIH/sida.

Un vendeur ambulant de 25 ans qui était détenu à Gikondo en mars a raconté :

Ils ont dit à la radio que le gouvernement enseignait des professions à Kwa Kabuga [désignation non officielle de Gikondo]. C’est faux, parce que personne dans notre pièce n’a reçu de formation pendant que j’étais là-bas. Il n’y a pas de travail à Kwa Kabuga. Nous restons dans la pièce toute la journée.

Des conditions inhumaines

Les descriptions faites par les anciens détenus des conditions dans les quatre centres de transit étaient remarquablement similaires. Ils ont dit que plusieurs centaines de personnes étaient entassées dans une seule pièce. Certains ont raconté qu’il y avait tellement peu d’espace qu’ils devaient dormir debout. Il y avait une mauvaise hygiène, de la vermine et un accès difficile et limité aux toilettes, entraînant des problèmes de santé.

La plupart des anciens détenus ont dit qu’ils recevaient au maximum une tasse de maïs par jour, parfois mélangé avec des haricots. Certains ont indiqué qu’ils recevaient de la bouillie le matin. La majorité des détenus dormaient sur le sol, d’autres sur des tapis ou sous des couvertures sales, que plusieurs détenus devaient partager.

L’accès à l’eau potable variait selon le lieu et la période de détention. Certains disaient qu’il n’y avait pas d’eau potable, alors que d’autres affirmaient qu’il y avait suffisamment d’eau. Dans son rapport annuel de 2014-2015, la Commission nationale des droits de la personne a documenté que dans sept centres de transit, y compris Mudende, il n’y avait pas d’eau potable. Certains détenus n’étaient pas en mesure de se laver ou de laver leurs vêtements pendant leur séjour dans un des quatre centres, alors que d’autres pouvaient se laver de temps en temps ou régulièrement.

Une vendeuse de boissons sucrées de 33 ans a décrit la routine quotidienne et les conditions à Gikondo en mars :

À l’intérieur, la vie n’est pas bonne. Ils nous réveillent à 3 h du matin, nous mettent en ligne, nous comptent et écrivent [le nombre de détenus]. Ils nous demandent ce que nous possédions avant l’arrestation. Il n’y a pas d’eau. Ils nous donnent seulement une demi-tasse de maïs. Nous avons du mal à trouver de l’eau pour boire, sauf lorsque nous pouvons sortir pour nous laver. Nous prenons une douche dans la pièce. Ils nous donnent un seau pour cinq personnes. Nous nous lavons devant tout le monde. Nous faisons aussi nos besoins devant tout le monde, car il n’y a pas de portes. […] Dans la pièce, il y a des souris, des poux et des puces. Nous avons essayé de nettoyer la pièce, mais cela n’a pas servi à grand-chose. J’ai des cicatrices à force de me gratter.

La plupart des anciens détenus quittaient uniquement la pièce pour aller aux toilettes, ce qu’ils étaient autorisés à faire une ou deux fois par jour, en groupe. Si quelqu’un avait besoin d’aller aux toilettes entre ces visites, il lui fallait improviser dans la pièce.

Au centre de Gikondo, certains anciens détenus ont expliqué qu’ils pouvaient quitter la pièce pour des prières ou des exercices en groupe appelés mchaka. Dans d’autres centres, d’autres détenus sortaient seulement pour être battus ou lorsque des agents comptaient les détenus.

Dans ces conditions, des problèmes de santé tels que la malaria, le choléra et la diarrhée étaient fréquents, ont indiqué les anciens détenus. Certains ont précisé qu’ils avaient accès à des médicaments et qu’un infirmier leur rendait visite, mais d’autres n’avaient reçu aucun soin de santé. Certains détenus, parfois menottés, ont été conduits à un dispensaire pour des soins médicaux. Certains ont été libérés parce qu’ils étaient très malades.

Certains anciens détenus ont mentionné que les visites étaient autorisées deux fois par semaine à Gikondo ou une fois par semaine à Mbazi. Mais un ancien détenu de Gikondo a raconté : « Ce ne sont pas de vraies visites. Les personnes viennent seulement demander si vous êtes là puis elles repartent. C’est juste pour informer la famille. C’est ce qu’ils appellent une visite. »

Absence de procédure régulière

La plupart des détenus avaient été arrêtés dans des lieux publics dans les villes ou les centres urbanisés, tels que des gares routières ou des marchés, par la police, par des militaires ou par des personnes décrites comme « ceux qui font les rondes » (des agents de sécurité privés dans les lieux comme la gare routière de Nyabugogo à Kigali), comme des inkeragutabara, service auxiliaire des forces de défense rwandaises, ou encore comme des membres de l’Organe d’appui à l’administration du District pour le maintien de la sécurité (District Administration Security Support Organ, DASSO). Plusieurs anciens détenus ont déclaré que des membres de tous ces groupes avaient battu certaines personnes pendant leur arrestation.

La plupart des détenus ont ensuite été conduits à un poste ou à un commissariat de police, où certains ont été détenus pendant plusieurs jours, souvent dans de mauvaises conditions. La police y a battu certains d’entre eux. Elle les a ensuite transportés vers un centre de transit dans une camionnette de police. En mai, les chercheurs de Human Rights Watch ont vu une camionnette de police avec des détenus à bord arriver au centre de transit de Mudende.

Trois personnes arrêtées à Kigali ont été libérées du poste de police après que des membres de leur famille ou des connaissances ont versé des pots-de-vin à la police ou après qu’un agent de police est intervenu pour leur compte. « Normalement ceux qui sont emmenés à Gikondo sont des vagabonds et des vendeurs ambulants », a expliqué un vendeur ambulant. « [Après mon arrestation] j’ai pu informer des personnes vivant près de chez moi et elles sont venues vérifier ma situation. Elles ont trouvé une personne (civile) estimée et lui ont donné 10 000 francs rwandais [12 USD] que la personne a remis à un agent de police. C’est comme ça que j’ai été libéré après trois semaines de détention [par la police]. » D’autres personnes qui n’avaient pas les moyens de corrompre les agents de police ont confirmé cette pratique.

La police administrant les centres de transit effectuait souvent un enregistrement très basique des détenus avant ou à l’arrivée au centre de transit.

Seul un ancien détenu du centre de transit de Mbazi a indiqué qu’il avait été interrogé par un officier de police judiciaire. Aucune des personnes interrogées par Human Rights Watch n’avait été présentée devant un procureur ou un juge, ou officiellement inculpée pour un délit, avant ou pendant la détention. Certains détenus de Gikondo ont reçu un jeton ou un bout de papier indiquant leur délit présumé – par exemple « vol à main armée » – mais ils n’ont pas eu l’occasion de s’expliquer ou de se défendre.

Bien que le droit à une assistance juridique soit inscrit dans la loi rwandaise et le droit international, aucune de ces personnes interrogées n’a pu voir un avocat avant ou pendant sa détention, et les responsables du centre ne leur ont pas non plus demandé s’ils souhaitaient une assistance juridique.

Certaines familles ne savaient pas où les détenus étaient gardés, même si la plupart allaient directement à la police ou dans ces centres de transit pour chercher les détenus, puisqu’il est bien connu que les personnes pauvres sont enfermées dans ces centres. Certaines familles ont alors pu confirmer que les détenus étaient là. Dans son rapport de 2014-2015, la Commission nationale des droits de la personne a mentionné que « la commission a observé que certaines familles qui ont des [membres de leur famille] dans des centres de transit n’ont pas été informées qu’ils étaient emprisonnés là ».

Passages à tabac

Tous les anciens détenus de Mudende interrogés ont dit qu’ils avaient été battus par des policiers qui administraient le centre et par d’autres détenus choisis par la police pour faire régner l’ordre à l’intérieur du centre.

Les passages à tabac par la police commençaient dès leur arrivée. Un ancien détenu a expliqué :

Après que nous sommes sortis du véhicule, ils nous ont ordonné de nous allonger sur le ventre par terre et d’avancer avec les mains, comme un serpent. Lorsque nous sommes arrivés près de la porte du lieu où les policiers se lavent, ils m’ont frappé avec un cadenas. Ils m’ont frappé partout.

D’autres passages à tabac ont eu lieu pendant leur détention, parfois au quotidien. Des policiers et des militaires faisaient parfois sortir les détenus de leur pièce pour les frapper.

La majorité des anciens détenus de Gikondo ou de Muhanga avaient aussi été frappés par des policiers ou par d’autres détenus. Une femme de 40 ans qui vendait du jus et de l’eau à la gare routière de Nyabugogo à Kigali faisait partie d’un groupe de personnes arrêtées et conduites à Gikondo en décembre. Elle a raconté :

Lorsque nous sommes arrivés à Gikondo, ils nous ont forcés à nous asseoir en ligne. D’abord ils ont frappé les enfants des rues. C’était des agents de police en uniforme. Puis ils ont frappé les femmes à coups de pieds, en disant [...] « Pourquoi est-ce que vous continuez à vendre dans les rues ? Pourquoi est-ce que vous ne respectez pas la loi ? » Les hommes étaient allongés sur le ventre et étaient frappés comme ça sur les fesses par les policiers. La police les battait avec des bâtons. Moi aussi, j’ai été frappée aux épaules.

Elle a dit qu’elle ressentait toujours la douleur liée aux coups plusieurs mois plus tard.

À l’intérieur des quatre centres de détention, les détenus choisis par la police et surnommés les « conseillers », battaient ceux qui perturbaient l’ordre ou qui n’avaient pas d’argent à leur donner. À Mudende, le « conseiller » frappait les détenus avec une corde à nœuds.

Une femme de 30 ans a décrit comment les « conseillères » traitaient les détenus à Gikondo :

Elles sont très méchantes, mais ce sont des prisonnières comme nous. Si nous n’avons rien [pas d’argent] sur nous, nous sommes battus de façon terrible. Je n’ai pas été battue moi-même, car j’avais 500 francs rwandais [environ 60 cents d’USD] que j’ai donnés immédiatement. Les « conseillères » frappaient les autres à coups de poing, pour laisser une « empreinte » sur leur dos, ou les frappaient avec leurs coudes.

Un ancien détenu qui était chargé de la sécurité dans une pièce à Gikondo en avril 2016 a raconté :

Le « conseiller » était notre chef. Lorsque quelqu’un parlait, il devait mettre les pieds sur le mur, comme ça. [Il a montré comment les détenus étaient forcés de se tenir les pieds en l’air contre le mur]. La punition ne s’arrêtait que lorsque tout le monde devait quitter la pièce [pour les sports collectifs ou les visites aux toilettes]. Si [le détenu] tombait, il était battu par le « conseiller ».

À Mbazi, deux anciens détenus interrogés sur 12 – un homme et une femme – ont déclaré avoir été battus, mais pour eux, les conditions dans le centre étaient encore plus préoccupantes. Un ancien détenu de Mbazi a indiqué que les conditions étaient pires que les passages à tabac.

Enfants en détention

Human Rights Watch a interrogé 13 mineurs, âgés de 10 à 18 ans, qui avaient été arrêtés à Muhanga ou Mbazi. D’anciens détenus de Mudende et de Gikondo ont aussi indiqué qu’ils avaient vu des enfants dans ces centres, y compris des nourrissons détenus avec leur mère.

La présence d’enfants dans ces centres de transit marque un recul, car Human Rights Watch n’avait reçu aucun signalement d’enfants envoyés à Gikondo entre la mi-2014 et septembre 2015.

À Muhanga, les enfants étaient détenus dans le même centre que les adultes, alors qu’à Mbazi, ils étaient enfermés dans un bâtiment séparé, dans des conditions légèrement meilleures. Ils recevaient une alimentation plus variée et en plus grande quantité et ils pouvaient se déplacer plus librement, mais les adultes qui visitaient la pièce des enfants ont dit que les enfants manquaient d’hygiène appropriée et ne recevaient aucune éducation.

La plupart des enfants interrogés qui avaient séjourné à Muhanga ont raconté à Human Rights Watch qu’ils avaient été battus par les policiers qui géraient le centre ou par d’autres détenus. Certains anciens détenus de Gikondo ont aussi déclaré avoir vu des enfants se faire battre.

La majorité des enfants avaient été arrêtés parce qu’ils étaient des enfants des rues. Deux garçons ont expliqué qu’ils étaient allés au centre de transit de Mbazi volontairement, en quête d’une vie meilleure. L’un d’eux s’est enfui quelques jours après son arrivée. Un assistant social a sorti l’autre garçon du centre, où il n’y avait pas d’activités, pour le placer à nouveau à l’école.

Libérations

La plupart des détenus ont été libérés sur décision du commandant de police en charge du centre, parfois assisté par d’autres policiers, des militaires ou des autorités gouvernementales locales. Les libérations étaient aussi arbitraires que les arrestations. Il n’y avait pas de critères clairs pour déterminer si quelqu’un pouvait quitter le centre. Certains se sont vu dire qu’ils étaient relâchés parce que leur pièce était pleine, d’autres parce qu’ils étaient malades ou avaient apparemment passé suffisamment de temps au centre. D’autres ne connaissaient pas la raison.

Un jeune homme qui a été détenu à Gikondo à six reprises, dernièrement en avril parce qu’il n’était pas en mesure de présenter une carte d’identité, a raconté :

Le « filtrage » est une sélection de ceux qui peuvent partir [être relâchés] et ceux qui restent. C’est le commandant [de police] qui le fait. Ils nous font sortir, les enfants des rues, les vendeurs ambulants, les criminels, chacun avec son groupe. L’afande [le commandant] annonce : « Vendeurs ambulants, partez ! » ou « Enfants des rues, partez ! » […] Pour la sélection, il y a trois ou quatre personnes, mais l’afande est le chef. Les autres sont des policiers en uniforme, mais le commandant décide.

À Gikondo, à Mudende et à Muhanga, plusieurs détenus ont fini par être libérés parce qu’ils étaient gravement malades, ou après qu’un membre de leur famille ou une connaissance a versé des pots-de-vin à l’un des agents de police en charge du centre. Dans certains cas, l’intervention d’une personne influente a conduit à une libération.

Les agents de police ont dit à un ancien détenu à Mbazi avant sa libération en février 2016 : « Tu as vu les conditions ici, tu as compris. Tu dois changer si tu as compris. »

Débat public

Après la publication du rapport de 2015 de Human Rights Watch, plusieurs organisations rwandaises et internationales ont discuté de la situation dans les centres de transit.

Dans son rapport annuel de 2014-2015, la Commission nationale des droits de la personne a décrit ses visites dans 28 centres de transit au Rwanda. Elle a confirmé plusieurs problèmes dans les centres de transit, mais a conclu que les droits humains étaient respectés. Malgré son indépendance officielle, la commission exprime rarement des critiques fortes ou fondamentales vis-à-vis du bilan du gouvernement rwandais en matière de droits humains. En mars 2016, le Comité des droits de l’homme de l’ONU a fait part de ses inquiétudes concernant la sélection des membres de la commission et son manque d’indépendance perçu.

Après que la commission a présenté son rapport au parlement en octobre 2015 et après une visite parlementaire dans 11 centres de transit, des membres du parlement ont été cités dans les médias en mars 2016 qualifiant les centres de transit de « prisons » et s’élevant contre la détention prolongée, y compris celle des mineurs.

Un membre du parlement a déclaré lors d’un débat parlementaire diffusé sur la Voix de l’Amérique le 15 mars 2016 :

Ce n’est même pas un centre de transit ! En fait, ceux qui sont détenus dans un centre de transit ont normalement une destination. C’est-à-dire, ceux qui sont détenus là y restent un certain temps, normalement une période courte, en attendant d’être transférés ailleurs. Mais nous avons appris que ceux qui sont enfermés dans ces centres ont passé près de deux mois là-bas avant de rentrer chez eux. Ils n’ont reçu aucune formation. En fait, nous avons réalisé que c’est une prison conçue d’une autre manière.

Plusieurs stations de radio rwandaises ont diffusé des débats sur ce sujet à la fin de l’année 2015 et au début de l’année 2016. Dans une rare expression de points de vue et de débats critiques – la majorité des médias rwandais ont tendance à favoriser le point de vue du gouvernement – les auditeurs ont appelé et relaté leurs histoires personnelles de détention dans des centres de transit, alors que les représentants du gouvernement dans le studio de la radio ont nié l’existence d’abus dans les centres de transit.

En mars, l’Assemblée nationale a avalisé une recommandation de la Commission nationale des droits de la personne de réviser une ordonnance ministérielle sur les centres de réhabilitation pour mineurs. Le gouvernement rwandais prépare un nouveau cadre juridique sur les centres de transit. Malgré plusieurs requêtes adressées au ministère de la Justice, Human Rights Watch n’a reçu aucun détail concernant cette nouvelle législation.

Après son examen en mars 2016 de la situation des droits humains au Rwanda, le Comité des droits de l’homme de l’ONU a exprimé des préoccupations sur le fait que « des sans-abri et des mendiants continuent d’être placés en détention, sans inculpation ni contrôle judiciaire, au centre de réinsertion et de transit de Gikondo, dans des conditions qui seraient extrêmement dures ». [Il] Le Comité a recommandé de mettre fin « à l’enfermement contre leur gré de sans-abri, de mendiants et d’autres membres de groupes vulnérables dans des centres de transit ou de réinsertion » et de supprimer les infractions de vagabondage. Une révision prochaine du Code pénal du Rwanda pourrait fournir une bonne occasion d’abolir ce délit.

À l’issue de l’Examen périodique universel du Rwanda par le Conseil des droits de l’homme de l’ONU en novembre 2015, le Rwanda a accepté une recommandation du Royaume-Uni de respecter et de mettre en œuvre de nouvelles lois pour réglementer les centres de transit. Il n’a pas accepté une suggestion du Ghana d’« enquêter sur les allégations d’arrestation arbitraire et de mauvais traitements de détenus dans le Centre de transit de Gikondo et traduire les responsables en justice ».

Malgré les promesses publiques du ministre de la Justice d’enquêter et de prendre des mesures concernant des indications d’éventuelles violations des droits humains, et malgré de multiples demandes d’informations, Human Rights Watch n’a connaissance d’aucune enquête, poursuite judiciaire ou d’autres actions menées par les autorités rwandaises en lien avec les abus dans les centres de transit.

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BBC Afrique 21.07.16

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