Skip to main content

Arménie : De nombreux malades souffrent de manière évitable en fin de vie

Le gouvernement devrait assurer la disponibilité d'analgésiques efficaces et non onéreux

Gurgen G., un homme arménien atteint d’une tumeur au cerveau, photographié en 2012 avec sa mère lors de la phase terminale de sa maladie. Il est l’un des rares Arméniens à avoir pu bénéficier de soins palliatifs, qui ont atténué ses souffrances dans la dernière phase de sa vie, avant son décès en août 2012. © 2012 New Media Advocacy Project

(Erevan) – Chaque année en Arménie, des milliers de malades atteints de cancers en phase avancée endurent des douleurs aiguës qui seraient évitables, parce qu'ils ne peuvent se procurer de médicaments adéquats contre la douleur, a déclaré aujourd’hui Human Rights Watch dans un nouveau rapport et dans une vidéo. Alors que certains analgésiques efficaces, sûrs et peu coûteux sont disponibles en Arménie, la plupart de ces patients et leurs familles se heurtent à des obstacles bureaucratiques insurmontables pour se les procurer, ce qui constitue une violation de leur droit à la santé.

Ce rapport de 86 pages, intitulé « ‘All I Can Do Is Cry’: Cancer and the Struggle for Palliative Care in Armenia » («‘Tout ce que je peux faire, c'est pleurer’ : Le cancer et l’absence de soins palliatifs en Arménie »), décrit l'effet dévastateur de l'absence de soins palliatifs sur les personnes atteintes d'un cancer à un stade avancé et sur leurs familles. Il documente la pénurie qui règne en Arménie en matière de services de soins palliatifs et les réglementations trop restrictives imposées par le gouvernement pour l'obtention d'analgésiques puissants. Il décrit également des pratiques enracinées parmi les professionnels de la santé qui entravent un soulagement adéquat de la douleur, ainsi que le manque de formation et de sensibilisation des professionnels de la santé aux soins palliatifs.



« Les personnes atteintes d'un cancer en phase terminale en Arménie vivent dans la douleur et dans l'angoisse, souvent avec un soutien professionnel faible sinon inexistant », a déclaré Giorgi Gogia, chercheur senior sur le Caucase du Sud à Human Rights Watch et auteur du rapport. « Le système de santé les abandonne au moment de leur vie où ils sont le plus vulnérables. L'Arménie devrait réformer sa politique dans le domaine de la santé et ses réglementations en matière de médicaments afin de mettre des analgésiques sûrs et efficaces à la portée des personnes qui en ont besoin. »

Le rapport est basé sur plus de 90 entretiens approfondis avec des malades, leurs familles, des professionnels de la santé, des responsables gouvernementaux, des organisations qui font du plaidoyer en faveur des malades, et d'autres organisations, effectués à Erevan, la capitale, et dans huit autres villes d'Arménie.

« Les douleurs sont insupportables », a déclaré à Human Rights Watch Gayane G., une femme de 46 ans atteinte d’un cancer. « Je pleure, je hurle, j'ai constamment l'impression de marcher sur du feu. J'essaye d'endurer la douleur quand il y a quelqu'un d'autre à la maison, mais quand je suis toute seule, tout ce que je peux faire, c'est pleurer. »

Environ 8 000 personnes meurent du cancer chaque année en Arménie, dont un grand nombre dans des douleurs très intenses. La morphine, médicament clé pour atténuer les douleurs aiguës dues au cancer, est d'un coût abordable et facile à administrer, mais elle est dans une large mesure inaccessible aux personnes qui en ont besoin. De 2010 à 2012, l'Arménie a consommé en moyenne 1,1 kilogramme de morphine par an, soit une quantité suffisante pour traiter environ 3% seulement du nombre estimé des personnes qui en ont besoin. D'autres services destinés à aider les personnes à atténuer certaines douleurs et souffrances accompagnant la fin de vie ne sont, dans une large mesure, pas disponibles non plus.

Human Rights Watch a identifié les obstacles suivants qui entravent un traitement effectif de la douleur en Arménie:
 
  • L'absence de morphine absorbable par voie buccale : La morphine à absorber par voie buccale, le principal médicament pour le traitement des douleurs chroniques aiguës, n'est pas disponible en Arménie.
  • Des lois restrictives : La procédure à suivre pour prescrire des opioïdes injectables est complexe, lente et passe par une bureaucratie lourde. Seuls les oncologues sont habilités à prescrire des analgésiques opiacés à leurs patients en consultation externe, et uniquement à des malades atteints de cancers. Les oncologues peuvent prescrire des opioïdes seulement après que plusieurs médecins aient rendu visite au malade à son domicile et aient donné leur aval à la décision; de multiples signatures et sceaux sont nécessaires pour chaque ordonnance.
  • Des dosages inadéquats : Bien que les règles en vigueur en Arménie n'imposent pas de plafonds aux dosages, la pratique habituelle consiste à commencer le traitement du patient avec une seule injection d'opioïdes par jour, puis d'ajouter une seconde injection quotidienne au bout d'environ deux semaines. Mais l'effet sédatif de la morphine injectable dure entre quatre et six heures, ce qui laisse le malade sans calmant adéquat de la douleur pendant la majeure partie de la journée.
  • Des procédures compliquées pour chercher les médicaments : Une fois que des analgésiques opiacés ont été prescrits, les malades du cancer ou leurs aides-soignants doivent aller retirer l'ordonnance à la polyclinique locale, puis aller chercher le produit dans un grand centre médical régional ou, à Erevan, à l'unique pharmacie qui en dispose, et enfin restituer les ampoules vides, avant qu'une nouvelle ordonnance puisse être émise. Ils doivent renouveler ce processus tous les deux jours ou, dans certains cas, chaque jour car dans la pratique, les médecins ne prescriront d'opioïdes puissants qu'en doses de 24 ou 48 heures.
  • Des procédures strictes de contrôle par la police: Tous les oncologues interrogés pour les besoins de ce rapport ont affirmé qu'ils devaient remettre à la police des rapports écrits mensuels contenant des informations détaillées sur l'identité et le diagnostic de malades qui reçoivent des analgésiques opiacés, en violation du droit des malades à la confidentialité de ces informations.
Les étudiants en médecine et en infirmerie arméniens ne reçoivent pratiquement aucune formation sur les soins palliatifs et sur les méthodes adéquates de traitement de la douleur, et les personnels de santé manquent de sensibilisation, de formation et de directives sur l'utilisation à des fins médicales des analgésiques opioïdes.

Les obstacles importants qui entravent l'administration de soins palliatifs de qualité en Arménie privent les malades de traitements adéquats et constituent une violation du droit à la santé, a affirmé Human Rights Watch. L'inaction de l'Arménie afin d'améliorer l'accès à des sédatifs essentiels pourrait aussi constituer une violation de son obligation de protéger les malades de tout traitement cruel, inhumain ou dégradant.

Le gouvernement arménien a reconnu la nécessité des soins palliatifs et a pris certaines mesures importantes ces dernières années pour les développer. Il a inclus les soins palliatifs dans la liste des services médicaux reconnus par le gouvernement, créé un groupe de travail sur les soins palliatifs et, en étroite coopération avec des experts et des organisations non gouvernementales, a élaboré une stratégie nationale en vue de mettre en œuvre des soins palliatifs. Entre 2011 et 2013, les autorités ont mené à bien quatre projets pilotes dans le domaine des soins palliatifs.

« Le gouvernement arménien a pris d'importantes mesures préparatoires, mais il doit maintenant passer des paroles aux actes », a affirmé Giorgi Gogia. « Le gouvernement devrait avant tout réviser ses règlementations restrictives relatives aux médicaments et autoriser la morphine à prise par voie buccale, afin d'atténuer les souffrances de milliers de patients. »
 

Sélection de témoignages de patients
« J'avais l'impression de marcher sur des aiguilles. La douleur commençait dans ma hanche, puis s'étendait à toute ma jambe droite. J'avais vraiment mal, je pleurais tout le temps. J'étais incapable de dormir pendant ces douleurs. Je ne pouvais que rêver à un moment où la douleur disparaîtrait, pour que je me sente libre. Je me sentais tellement mal que je voulais mourir.... »
– Karine K., ancienne institutrice d'école maternelle, décrivant la douleur causée par une tumeur abdominale.

« Les accès de douleur commencent sans que je m'y attende et je me mets à hurler et je deviens une personne différente. Quand ma main commence à me brûler comme si je la tenais au dessus du feu, je sais que la vague de douleur va commencer. Lorsque cela commence, je perds mes facultés de communication verbale et je peux juste désigner des objets avec la main droite. Je subis ces vagues de douleur toutes les nuits, mais parfois cela arrive aussi pendant la journée.... »
– Lyudmila L., 61 ans, institutrice d'école maternelle à la retraite, décrivant les douleurs causées par un cancer du sein inopérable.

Your tax deductible gift can help stop human rights violations and save lives around the world.