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Syrie : Les agences de l’ONU devraient acheminer l'aide vers les zones où le besoin est le plus pressant

Les zones contrôlées par l'opposition manquent toujours de nourriture et d'assistance médicale

(New York, le 12 juin 2013) – L’aide humanitaire acheminée aux zones contrôlées par l'opposition dans le nord de la Syrie demeure insuffisante, en dépit de leur proximité avec la frontière turque et du manque extrême d’aide médicale, de nourriture et d'autres formes d’assistance humanitaire, a déclaré Human Rights Watch aujourd'hui. Human Rights Watch a visité le gouvernorat de Raqqa en avril 2013, ainsi que  les gouvernorats d’Alep, d’Idlib et de Lattaquié entre décembre 2012 et avril 2013.

Les agences des Nations Unies devraient faire davantage pour faciliter et renforcer l'expansion des opérations transfrontalières par des groupes non gouvernementaux, et envisager activement de mener des opérations transfrontalières elles-mêmes, selon Human Rights Watch. Le Conseil de sécurité de l'ONU devrait également indiquer clairement que les opérations transfrontalières sont nécessaires pour soulager les souffrances des civils, et devrait faire pression sur la Syrie afin qu’elle autorise de telles opérations. Le gouvernement syrien et les groupes d'opposition armés doivent s’acquitter immédiatement de leurs obligations légales de permettre et faciliter le passage rapide et sans entrave de l'aide humanitaire pour tous les civils dans le besoin.

 « Il y a des besoins massifs d'aide dans toute la Syrie, mais les villes proches de la frontière turque ne reçoivent presque rien, d’où la nécessité de tirer la sonnette d'alarme », a déclaré Nadim Houry, directeur adjoint de la division Moyen-Orient à Human Rights Watch. « Davantage doit être fait pour atteindre ces communautés dans le nord, avec ou sans l'autorisation du gouvernement. »

Le 7 juin, le Bureau des Nations Unies pour la coordination des affaires humanitaires (OCHA) a publié son deuxième Plan semestriel de réponse d’assistance humanitaire en Syrie (SHARP). L'exécution de ce plan est cruciale pour répondre aux besoins humanitaires urgents en Syrie, mais la réponse internationale devrait également prendre en compte les milliers de personnes se trouvant dans une situation de besoin désespéré dans les zones contrôlées par l'opposition. Le plan SHARP ne comprend pas l'assistance transfrontalière car le gouvernement syrien n'a pas donné son approbation à l'Organisation des Nations Unies ou aux organisations humanitaires pour acheminer l'aide à partir de pays voisins vers les zones contrôlées par l’opposition.

Les pays bailleurs de fonds devraient accroître l'aide bilatérale aux organisations non gouvernementales (ONG) qui fournissent déjà une assistance à travers la frontière vers la Syrie depuis la Turquie sans attendre le feu vert de la Syrie, selon Human Rights Watch.

En avril, les professionnels de la santé et les prestataires de soins locaux dans les villes de Raqqa et de Tal Abyad ont indiqué à Human Rights Watch qu'ils manquaient de fournitures médicales et de générateurs pour assurer une alimentation électrique constante pour les hôpitaux et une assistance alimentaire adéquate. Depuis que le gouvernement a cessé de payer les salaires, les hôpitaux manquent également de médecins, d’infirmières et de personnel technique essentiel à la maintenance de l'équipement médical. Par exemple, à l'Hôpital National de Raqqa, 15 des 28 machines de dialyse étaient hors service lorsque Human Rights Watch s’y est rendu. Seuls 25 des 112 médecins qui travaillaient auparavant à l'hôpital sont restés. Le personnel de l'hôpital a expliqué à Human Rights Watch qu’en une journée, en avril, quatre nourrissons sont morts quand le générateur fournissant de l'oxygène à leurs incubateurs est tombé en panne.

Des prestataires d'assistance médicale et humanitaire dans le gouvernorat de Raqqa ont déclaré à Human Rights Watch que leur capacité à fournir des services, qui avait compté principalement sur les ressources locales, était en déclin et qu'ils pourraient être obligés d’interrompre le niveau même insuffisant de l'aide qu'ils avaient pu fournir jusque là en raison de l'absence d'aide extérieure.

La Syrie a autorisé certaines livraisons d'aide transfrontalières en provenance de Damas, qui sont ensuite acheminées vers les zones contrôlées par l'opposition, mais elle n'a pas approuvé l'envoi d'aide humanitaire transfrontalière dans les zones de l'opposition directement à partir de pays voisins. Le gouvernement a également imposé de lourds obstacles bureaucratiques sur ces efforts transfrontaliers. Les agences humanitaires ont déclaré que les obstacles bureaucratiques et les difficultés à déplacer l’assistance en raison des conditions de sécurité à travers le pays ont fait que seule une aide limitée passe par Damas en direction des zones de l'opposition.

Le 22 avril, John Ging, le directeur des opérations d’OCHA, a critiqué le gouvernement syrien pour avoir exigé des agences de l'ONU qu’elles pénètrent dans les zones contrôlées par l'opposition en traversant des lignes de front dangereuses. S'adressant aux journalistes, il a déclaré : « Il n'existe aucune raison logique pour laquelle vous pouvez franchir une ligne de conflit, mais pas une frontière ... [m] ais il existe une conséquence : les gens meurent. »

Certaines ONG dispensent une aide directement à partir de la Turquie dans le nord de la Syrie, selon les ONG et les résidents. Mais ces efforts sont restés limités et n'ont pas concerné les agences de l'ONU. Une implication de l'ONU dans les acheminements transfrontaliers permettrait d'assurer un effort d'assistance plus efficace et coordonné.

Une résolution (version anglaise/ française) du 8 mai de l'Assemblée générale de l'ONU a critiqué  l'incapacité à assurer une fourniture sûre et rapide de l'assistance humanitaire « en temps voulu et en toute sécurité dans toutes les zones touchées par les combats  », et a appelé le gouvernement syrien à autoriser des opérations humanitaires transfrontalières. L'Assemblée générale a également appelé toutes les parties à « accorder au personnel des organisations humanitairesun accès immédiat, libre, sans entrave et en toute sécurité à toutes les populations qui ont besoin d’assistance dans toutes les régions de la République arabe syrienne, notamment aux installations médicales, et engage toutes les parties à coopérer pleinement avec l’Organisation des Nations Unies et les organisations humanitaires concernées pour faciliter la fourniture de l’aide humanitaire de la manière la plus efficace qui soit ».

Le Conseil de sécurité de l'ONU n'a pas réussi à adopter une résolution appelant la Syrie à autoriser l'assistance transfrontalière principalement en raison de l'opposition russe, mais a émis une déclaration non contraignante, le 18 avril, qui a « souligné la nécessité de faciliter la fourniture de l'assistance humanitaire par les moyens les plus efficaces, notamment le cas échéant à travers les frontières conformément aux principes directeurs de l'assistance humanitaire. »

Selon le droit international humanitaire, la liberté de mouvement des personnels d’assistance humanitaire civils doit être accordée par toutes les parties au conflit et ils doivent être protégés contre les attaques, le harcèlement, l'intimidation et la détention arbitraire. Les parties au conflit doivent autoriser et faciliter le passage rapide et sans entrave de l'aide humanitaire aux civils dans le besoin.

La multiplicité des groupes armés et l'absence de garanties de sécurité sapent également la livraison de l'aide aux zones contrôlées par l'opposition. En avril, le Programme alimentaire mondial a indiqué que depuis le début de ses opérations en décembre 2011, plus de 20 entrepôts, des camions de nourriture et des voitures ont subi des attaques, mais les assaillants n’ont pas été clairement identifiés dans tous les cas. Lors d'une attaque, trois camions de vivres à destination du gouvernorat de Hasaka ont été interceptés par un groupe armé dans le gouvernorat de Deir el-Zour et la nourriture a été volée.

Les groupes d'opposition armés, encouragés par la coalition de l'opposition syrienne, devraient permettre un passage sûr aux convois et au personnel de secours dans les territoires sous leur contrôle. La coalition de l'opposition syrienne, avec l'appui des bailleurs de fonds et des organisations internationales, devrait également étendre la capacité de son unité de coordination de l'assistance afin de pouvoir faire davantage pour coordonner et faciliter l'acheminement de l'aide aux personnes dans le besoin dans les zones contrôlées par l'opposition.

« Les dirigeants de l'opposition dans le gouvernorat de Raqqa près de la frontière nord ont du mal à fournir des services municipaux, de santé et humanitaires à la population locale », a conclu Nadim Houry. « Les pays concernés devraient aider à assurer que les besoins fondamentaux de santé, de nourriture et les autres besoins soient satisfaits immédiatement et continuent d'être satisfaits à l’avenir. »

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Informations détaillées :

Problèmes relatifs à l'aide frontalière
Le Programme alimentaire mondial (PAM) a fourni une assistance alimentaire au gouvernorat de Raqqa et l'Organisation mondiale de la Santé (OMS) a fournides médicaments et du matériel par le biais de groupes locaux aux résidents du gouvernorat de Raqqa, selon les médias d'information. Cependant, le 10 mai, le PAM a annoncé qu'ils éprouvent d'importantes difficultés à acheminer la nourriture à partir de leur entrepôt de Damas parce qu'ils « sont confrontés à d'énormes obstacles pour se déplacer dans le pays. »

Le 18 avril, Valérie Amos, sous-secrétaire générale aux affaires humanitaires et coordonnatrice des secours d'urgence, a décrit au Conseil de sécurité les difficultés que les agences de l'ONU avaient rencontrées lors d’opérations transfrontalières :

En février et mars de cette année, 276 000 personnes dans le besoin le plus sévère ont été effectivement coupées de l'aide parce que le gouvernement a fermé les opérations transfrontalières syriennes arabes du Croissant-Rouge. Nous avons des restrictions similaires à Rif Damas, Alep, Deraa et ailleurs. Ces destinations ont toutes été la cible de missions transfrontalières menées par l'ONU, mais en raison des restrictions d'accès, l'ampleur de l'aide fournie est bien en deçà des besoins ... Nous devons acheminer l'aide dans ces zones difficiles à atteindre. Et cela est difficile à faire de façon transfrontalière en raison de contraintes bureaucratiques. Le Conseil [de sécurité de l'ONU] doit envisager d'autres formes d’acheminement de l’aide, notamment des opérations transfrontalières, parce que trop de vies sont perdues.

D'autres responsables de l'ONU ont également reconnu publiquement les limites à se concentrer uniquement sur l’acheminement transfrontalier. Le 31 janvier, OCHA a déclaré publiquement être incapable « d’atteindre la grande majorité des personnes qui sont dans le besoin dans les zones contrôlées par l'opposition », et a appelé d'urgence à un accord pour permettre les transferts transfrontaliers en faisant remarquer qu' « il n'y a pas de temps à perdre. »

Manque d'assistance médicale
Du 22 au 27 avril, les chercheurs de Human Rights Watch ont visité les hôpitaux publics dans les villes de Tel Abyad et de Raqqa, ainsi que des organisations caritatives locales, travaillant pour fournir des produits alimentaires et une assistance de base aux familles dans le besoin dans les deux villes.

Tel Abyad, une ville située sur la frontière entre la Turquie et la Syrie dont les habitants ont affirmé à Human Rights Watch qu’elle accueille désormais environ 200 000 Syriens déplacés, en plus de la population locale, est desservie par un seul hôpital, l'Hôpital National Tel Abyad. Un médecin a indiqué à Human Rights Watch que les enfants représentent la plus grande partie de la population de patients et que, parfois, deux ou trois enfants se partagent un lit à cause de la surpopulation.

Le médecin a également déclaré que l'hôpital manquait de médicaments pour les enfants pour la leishmaniose – une maladie à transmission vectorielle qui provoque des ecchymoses sur la peau – ainsi que pour le choléra, la typhoïde, le paludisme et d'autres maladies d'origine hydrique. Le coordonnateur des secours au sein du Conseil civil local de Tel Abyad a indiqué à Human Rights Watch que l'hôpital a également un besoin urgent d’appareils de dialyse et de radiographie.

Le 4 juin, l'OMS a mis en garde contre l'augmentation des maladies contagieuses alors que le système de santé en crise de la Syrie continue de souffrir et compte-tenu de l'augmentation des températures au cours des mois d'été : « Tous les facteurs de risque favorisant la transmission des maladies contagieuses dans les situations d'urgence sont présents dans la crise actuelle en Syrie et dans les pays voisins ... Nous prévoyons un certain nombre de risques pour la santé publique découlant de maladies d'origine hydrique, en particulier l'hépatite, la typhoïde, le choléra et la dysenterie. Étant donné l'ampleur des mouvements de population à l'intérieur de la Syrie et à travers les frontières, avec la détérioration des conditions de santé environnementale, les épidémies sont inévitables. »

À Raqqa, la capitale du gouvernorat, à environ 90 kilomètres de la frontière turque, le personnel médical de l'Hôpital National a confié à Human Rights Watch les 25 et 26 avril qu'ils avaient de graves pénuries de médicaments de base, tels que l'insuline, nécessaires pour traiter les maladies chroniques, et qu'ils n'avaient pas l'argent nécessaire pour conserver le personnel de l'hôpital et réparer le matériel médical.

Le Dr Abdul Nassir el Darwish Ibn Abd al-Hamid, un médecin urgentiste, a déclaré à Human Rights Watch que bien qu’une certaine assistance médicale ait été fournie de l'extérieur, celle-ci a été très limitée et n'a satisfait qu'une fraction des besoins locaux. À titre d'exemple, il a décrit la situation dans le département de dialyse de l'hôpital :

Nous avons reçu de 80 à 100 patients chaque jour au service du rein à lui seul ... [et] il y a deux jours il n'y avait pas de cathéters pour les séances de dialyse ... [S]elon ce que nos collègues médecins dans le département du rein nous ont dit, chaque séance nécessite un demi-litre de solution saline ... [Nous faisons] 2400 à 2800 séances par mois ; nous avons donc besoin de près de 1300 sacs de sérum physiologique par mois ... les livraisons [d’aide que nous recevons] sont de petite taille, nous avons eu un petit camion avec des approvisionnements de la part du peuple turc, l'un des gars m'a dit que le Croissant-Rouge du Koweït/Syrie fournissait des sacs de sérum ... [Pour prendre un autre exemple] J'ai demandé à la banque de sang ce dont nous avons besoin quotidiennement, ils ont dit une centaine de poches de sang. Chaque jour, nous en avons besoin. L'aide qui arrive, [cependant] serait de seulement 100 sacs : c'est ce dont nous avons besoin chaque jour.

En plus de médicaments et de fournitures médicales insuffisants, le Dr Abdul Nassir a déclaré que l'hôpital n'avait pas les fonds nécessaires pour réparer les appareils essentiels au traitement. Quinze des 28 machines de dialyse de l'hôpital étaient hors service lorsque Human Rights Watch s’y est rendu. Le Dr Abdul Nassir a indiqué que cela faisait cinq mois que le tomodensitomètre ne fonctionnait pas.

Le directeur de l'hôpital a déclaré à Human Rights Watch que sans compter les salaires du personnel, l'hôpital avait besoin d'environ 20 millions de livres syriennes (environ 45 000 dollars US) pour se maintenir en état de marche pendant un mois. Il a affirmé que les sommes reçues par l'hôpital étaient bien loin de ce montant et que seuls 25 médecins parmi les 112 qui y avaient travaillé étaient encore là. Il a ajouté que, de son point de vue, le plus gros problème était de conserver le personnel infirmier parce que leurs salaires n'avaient pas été payés depuis que l'opposition a pris le contrôle de la région.

Le Dr Abdul Nassir a décrit à Human Rights Watch les conséquences affectant le personnel restant et la qualité des soins pour les patients. Il a expliqué qu'il avait dormi à la morgue de l'hôpital pendant les derniers 70 jours parce que personne d'autre n'était disponible pour fournir des soins aux patients. Il a ajouté que la plupart du temps, il comptait sur l'aide d’étudiants en médecine et en soins infirmiers.

Le Dr Abdul Nassir a également déclaré à Human Rights Watch que des pannes d'électricité ont eu un impact catastrophique sur les patients. L'hôpital possède deux générateurs, mais tous deux sont peu fiables, a-t-il affirmé.

Dans un cas particulier, quelques jours avant que les chercheurs de Human Rights Watch ne visitent l'hôpital, le générateur alimentant les réservoirs d'oxygène de l'hôpital est tombé en panne, entraînant la mort, le 21 avril, de quatre nourrissons dans la salle de soins pour la petite enfance qui dépendaient de l'oxygène des incubateurs pour les maintenir en vie.

Manque d'aide alimentaire
Les habitants et les fournisseurs d'assistance à Raqqa et Tel Abyad ont également déclaré à Human Rights Watch que des niveaux insuffisants d'aide alimentaire étaient acheminés dans la région. Un habitant qui donnait volontairement de son temps pour distribuer de la nourriture aux habitants qui en ont besoin dans la ville de Raqqa a expliqué à Human Rights Watch, le 27 avril, que son opération, qui nourrissait environ 10 000 personnes par jour, reposait entièrement sur l'aide de la communauté locale, mais que ce n'était pas suffisant et que son action nécessitait un soutien extérieur.

Human Rights Watch s'est également entretenu avec un coordonnateur d’actions caritatives à Tel Abyad et avec le coordonnateur des secours du Conseil civil local. Le premier a déclaré que son opération souffrait d’une pénurie d'eau potable et recevait une aide alimentaire limitée, mais insuffisante pour répondre aux besoins croissants, notamment pour des produits de base tels que la farine pour le pain. Le coordonnateur des secours a indiqué à Human Rights Watch que son unité avait reçu de l'aide de la part de l'unité de coordination d'assistance de la coalition de l'opposition syrienne, notamment de la farine, du lait pour bébé et des matelas.

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