(Maputo, le 23 mai 2013) – Parmi les 1 429 foyers relogés pour faire place aux chantiers des sociétés internationales Vale et Rio Tinto, qui exploitent des mines de charbon dans la province de Tete au Mozambique, beaucoup rencontrent de grandes difficultés pour se procurer de la nourriture et de l’eau et pour travailler, a déclaré Human Rights Watch dans un rapport publié aujourd’hui. Le gouvernement mozambicain s’est empressé d’accorder ces concessions minières, ouvrant ainsi la porte à des investissements qui se chiffrent en milliards de dollars, mais a été moins rapide pour mettre en place les protections appropriées pour les populations directement touchées.
Ce rapport de 122 pages, intitulé « ‘What is a House without Food?’ Mozambique’s Coal Mining Boom and Resettlements » (« ‘À quoi sert une maison, si on ne peut pas se nourrir ? ’: Déplacements de population liés au boom minier au Mozambique »), montre comment de graves failles dans la politique du gouvernement et dans la mise en œuvre du projet par les compagnies minières ont conduit au déracinement de communautés agricoles largement autosuffisantes pour les réinstaller sur des terres arides situées loin des rivières et des marchés. Ces communautés vivent des périodes d’insécurité alimentaire ou dépendent de l’assistance alimentaire à court terme financée par Vale et Rio Tinto, lorsqu’elle est disponible.
« Ces investissements de plusieurs milliards de dollars étaient censés contribuer au développement de l’un des pays les plus pauvres du monde, mais en fait ils ont rendu la vie de beaucoup de gens plus difficile », a déclaré Nisha Varia, chercheuse senior à Human Rights Watch. « Le gouvernement du Mozambique devrait veiller, conjointement avec les compagnies Vale et Rio Tinto, à ce que les fermiers relogés reçoivent des terres fertiles avant la prochaine saison agricole ainsi qu’une compensation rapide et suffisante pour ce processus de déplacement. »
On estime que la province de Tete possède environ 23 milliards de tonnes de réserves de charbon, en grande partie inexploitées, et qu’elle vit les premiers moments d’un boom économique grâce à ces ressources naturelles. D’après des données fournies par le gouvernement en 2012, les concessions d’exploitation minière et de prospection qui ont été attribuées couvrent environ 3,4 millions d’hectares, soit 34% de la surface de la province de Tete. Les mines de charbon représentent en gros en tiers de ces concessions.
Ce chiffre passe à environ six millions d’hectares, soit environ 60% de la surface de la province de Tete, si on y inclut les concessions en cours d’approbation. Toutes les activités de prospection n’aboutissent pas à des projets d’exploitation minière, mais la forte proportion de terrains destinés aux concessions minières contribue à créer des conflits autour de l’usage des terres.
« La quantité stupéfiante de terrains attribués aux activités minières a drastiquement limité la disponibilité de bonnes terres agricoles et de sites où les communautés choisies pour être relogées pourraient se réinstaller durablement », a déclaré Nisha Varia. « Le gouvernement devrait donc envisager d’interrompre l’attribution de nouvelles concessions jusqu’à ce que des mesures de protection suffisantes soient en place ».
En 2009 et 2010, Vale a relogé 1 365 foyers dans un village nouvellement construit, Cateme, et dans un quartier urbain appelé « 25 de Setembro » à Moatize, un chef-lieu d’arrondissement. En 2011, Rio Tinto a racheté la compagnie minière australienne Riversdale et toutes ses propriétés au Mozambique. Pour cette année 2011, Riversdale et Rio Tinto ont relogé respectivement 71 et 13 foyers dans un nouveau village, Mwaladzi, tandis que Rio Tinto est en train d’en reloger 388 de plus cette année. Jindal Steel & Power Limited possède également des mines de charbon dans la province de Tete et prévoit de reloger 484 familles.
Human Rights Watch s’est entretenue avec 79 personnes habitant à Cateme, 25 de Setembro, Mwaladzi, Capanga ou Cassoca, relogées pour faire place à ces chantiers miniers, ou sur le point de l’être, ainsi qu’avec 50 responsables du gouvernement, militants de la société civile et donateurs internationaux.
« Nous leur parlons des droits et des besoins des gens et ils s’en vont, simplement, et ne reviennent jamais avec une réponse », a témoigné Malosa C., une femme relogée. « Nous n’avons pas de nourriture, ni d’argent pour en acheter, notre situation n’a pas changé. »
Human Rights Watch a aussi discuté longuement de ces problèmes avec des représentants de Vale, Rio Tinto et Jindal Steel & Power, avec plus de 35 rencontres, conversations téléphoniques et échanges par écrit.
Les représentants de Vale ont reconnu que les terres des sites de réinstallation étaient arides et avaient besoin d’irrigation pour devenir plus fertiles, tandis qu’une communication de Rio Tinto adressée à Human Rights Watch notait qu’ils étaient « conscients que la capacité d’accueil des terres de Mwaladzi [était] très réduite sans un plan d’irrigation. » Pourtant, en avril 2013, aucun plan d’irrigation accessible au plus grand nombre n’était encore en place. Par ailleurs, comme les sites de réinstallation sont très éloignés des marchés et que les habitants ont très peu de moyens de déplacement, cela réduit aussi les chances de ces communautés de gagner leur vie autrement que par l’agriculture.
Des fermiers réinstallés dans le village de relogement de Cateme ont connu des retards dans la réception de la totalité de la compensation qu’on leur avait promise. Début mai, tous les foyers relogés à Cateme attendaient toujours que les autorités de la province leur allouent un second hectare de terre agricole comme promis dans leur offre de compensation initiale en 2009.
Au moins 83 familles de Cateme ne disposent de fait d’aucune terre agricole, parce que les premiers terrains qu’elles ont reçus sont très caillouteux ou bien parce qu’ils ont été réclamés par leurs usagers originels. En avril, Vale a déclaré qu’il n’avait fourni à ces foyers aucune assistance supplémentaire en rapport avec les épreuves particulièrement dures qu’elles ont traversées depuis leur relogement.
Même si les relogements ont été mis en œuvre par Vale et Rio Tinto, en fin de compte c’est le gouvernement mozambicain qui est responsable de l’approbation et de l’attribution des sites de réinstallation, ainsi que de la surveillance du succès des opérations.
Il y a également eu trop peu de communication entre le gouvernement et les compagnies minières d’une part, et les communautés réinstallées d’autre part, a remarqué Human Rights Watch. Ni les sociétés ni le gouvernement n’ont fourni de mécanismes suffisamment accessibles et réactifs pour que les habitants puissent participer aux décisions, déposer des plaintes, et enfin demander et obtenir réparation pour les torts qu’ils ont subis.
Déçus de l’absence de réponses sur leur situation, environ 500 habitants de Cateme, le village de réinstallation de Vale, ont manifesté le 10 janvier 2012, bloquant le chemin de fer entre la mine de charbon de Vale et le port de Beira. Des briquetiers, pour la plupart non relogés mais dont le gagne-pain a été perturbé par la mine de charbon de Vale, ont également organisé des manifestations en avril et mai 2013 pour se plaindre au sujet de leur compensation.
Aussi bien Vale que Rio Tinto se sont engagés, en privé et en public, à améliorer les conditions de vie des communautés réinstallées. Début 2013, les deux sociétés ont mis en œuvre des projets pour améliorer l’alimentation en eau à usage domestique et son stockage, et cherchaient des moyens d’augmenter la disponibilité en eau pour irriguer les terrains agricoles. Ils ont mis en route des projets de subsistance comme des coopératives d’élevage de poulets ou des formations aux nouvelles techniques agricoles. Cependant, certaines de ces initiatives pourront mettre des années avant de porter leurs fruits.
Le gouvernement du Mozambique a pris des mesures pour renforcer son cadre législatif, adoptant notamment en août 2012 un décret règlementant les relogements pour cause de projet économique. Le décret contribue à combler une lacune importante et fixe les exigences fondamentales en termes de logement et d’infrastructures de services sociaux. Mais il oublie de fournir certaines protections clés, comme des garanties concernant la qualité des terres, les moyens de subsistance, les soins de santé et les mécanismes de réparation des torts. Le gouvernement mozambicain devrait revoir le décret sur les relogements en faisant de larges consultations auprès des gens affectés par les projets miniers, de la société civile, des compagnies minières et des donateurs, a déclaré Human Rights Watch.
Les gouvernements de pays comme l’Australie, le Brésil, l’Indeet le Royaume-Unidevraient surveiller comment se comportent, du point de vue des droits humains, leurs sociétés minières travaillant au Mozambique, en exigeant notamment de ces compagnies qu’elles publient des rapports sur l’impact de leurs opérations sur les droits humains. Les sociétés privées ont une responsabilité vis-à-vis du respect des droits humains, entre autres en surveillant si leurs opérations entraînent des violations des droits humains, afin de les prévenir, et en tâchant de les atténuer si c’est le cas.
« Les projets de Vale et Rio Tinto dans la province de Tete ne sont que les précurseurs des vastes projets et des déplacements de population qui vont certainement avoir lieu dans les décennies à venir au Mozambique, ce qui rend d’autant plus importantes les leçons à en tirer », a conclu Nisha Varia. « Le gouvernement devrait mettre en place des protections efficaces afin que les gens touchés par de nouveaux projets ne subissent pas les mêmes épreuves que ceux qui ont été réinstallés jusqu’ici. Les nouveaux relogements, notamment ceux prévus par Jindal Steel & Power Limited et Rio Tinto, seront un test crucial pour savoir si les protections mises en œuvre ont réellement évolué.»
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Sélection de témoignages tirés du rapport :
« Avant, je cultivais du sorgho, assez pour remplir le grenier, sans doute cinq ou six sacs. Nous avions une cuisine pleine de maïs. Nous achetions de la nourriture s’il y avait un problème, mais en général nous n’en avions pas besoin. La terre agricole que nous avons reçue [via la réinstallation] est rouge, pas comme la terre noire que nous avions avant. J’ai essayé de cultiver du maïs mais il est mort. Le sorgho n’a pas marché non plus. La nouvelle maison, c’est juste une maison. Je n’en suis pas tellement contente. Qu’est-ce que je peux dire, qu’est-ceque c’est, une maison, si on ne peut pas se nourrir ? Je ne peux pas la manger, ma maison. »
– Maria C., une fermière réinstallée, Mwaladzi, village de relogement de Rio Tinto, 5 octobre 2012.
« Parfois ils nous disent que la conduite est cassée. Parfois ce sont les réservoirs qui ont un problème. Alors on doit prendre des bidons et aller chercher de l’eau dans d’autres quartiers. Dans l’endroit où nous vivions avant, il n’y avait pas de problème d’eau. S’il n’y avait pas d’eau à la pompe, nous pouvions aller en chercher à la rivière. Ici, vous pouvez passer deux ou trois jours sans vous baigner parce qu’il n’y a pas assez d’eau. »
– Senolia S., une fermière réinstallée, Cateme, 17 mai 2012.
« Nous leur parlons des droits et des besoins des gens et ils s’en vont, simplement, et ne reviennent jamais avec une réponse. Le mois dernier nous avons eu une réunion… ils ont juste noté nos sujets de plainte… mais ils ne sont jamais revenus avec la solution à nos problèmes. Donc ça signifie que nous continuons à souffrir des mêmes problèmes. Nous n’avons pas de nourriture, ni d’argent pour en acheter, notre situation n’a pas changé. »
– Malosa C., une femme relogée, Mwaladzi, 3 octobre 2012.