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La meurtrière force rebelle du Rwanda

Malgré son soutien aux rebelles M23 qui sévissent en RDC, le Rwanda est sur le point de siéger au Conseil de sécurité de l'ONU

Malgré son soutien à un groupe rebelle violent en République démocratique du Congo, le Rwanda est sur le point d'occuper un siège au Conseil de sécurité de l'ONU.

Peu de pays osent défier le Conseil de sécurité comme le fait le Rwanda ; moins nombreux encore sont ceux qui le font sans être inquiétés. Cependant, malgré son soutien à un groupe rebelle abusif qui a attaqué des Casques bleus de l'ONU en République démocratique du Congo voisine, le Rwanda siègera à partir du 1erjanvier au Conseil pour un mandat de deux ans. Autour de la fameuse table en fer à cheval, le Rwanda sera amené à prendre des décisions de vie ou de mort pour l'avenir de pays en crise, y compris son proche voisin qu'il est accusé de déstabiliser.

Comment est-ce possible ? Les faits ont été révélés en juin, lorsqu'un groupe d'experts des Nations Unies surveillant les sanctions dans l'est de la RDC a publié un rapport accusant le Rwanda de soutenir, comme il l'a déjà fait à plusieurs reprises depuis la fin des années 1990, une rébellion congolaise appelée, cette fois-ci,  le Mouvement du 23 mars (ou M23). Même dans le contexte congolais, le M23 affiche un triste palmarès : l'un de ses leaders est Bosco Ntaganda, qui est recherché par la Cour pénale internationale pour crimes de guerre, y compris meurtres, viols, esclavage sexuel et recrutement d'enfants soldats.

Comme l'ont confirmé des enquêtes menées par Human Rights Watch, des responsables militaires rwandais ont fourni au M23 des armes, des munitions et des centaines de jeunes recrues rwandaises, et ont même envoyé des troupes en RDC pour lui prêter main-forte. Malgré les démentis virulents du Rwanda, la machine diplomatique est passée à la vitesse supérieure et le gouvernement américain a fait des efforts discrets pour encourager son allié rwandais à user de son « influence » pour mettre un terme à la violence.

Mais pendant l'été, le soutien rwandais s'est poursuivi sans relâche, permettant aux dirigeants du M23 de continuer, comme à l’accoutumée, à commettre des crimes généralisés, notamment le meurtre de civils et l'exécution sommaire de garçons fraîchement recrutés qui essayaient de s'enfuir. Une femme de 32 ans de Chengerero nous a raconté que, le 7 juillet, des combattants du M23 ont enfoncé sa porte, ont battu son fils de 15 ans à mort et ont enlevé son mari. Avant de partir, ils l'ont violée, ils ont versé de l'essence entre ses jambes et y ont mis le feu. À Muchanga, une jeune fille de 15 ans a décrit avoir été violée par un combattant du M23 qui lui a volé l'argent destiné à ses frais de scolarité. La liste est longue.

Selon le rapport des experts de l'ONU, la chaîne de commandement du M23 « a à sa tête  le général James Kabarebe, Ministre rwandais de la Défense ». Les experts ont conclu qu'en juillet les commandants des Forces de défense rwandaises ont opéré aux côtés du M23 lors d'opérations qui ont visé une base de l'ONU à Kiwanja et ont aussi causé la mort d'un Casque bleu de l'ONU.

Malgré tout cela, le Conseil de sécurité n'a pas mis en garde le Rwanda. Au contraire, le 18 octobre, bénéficiant d'une pratique de rotation entre les pays africains, le Rwanda a brigué sans aucune compétition un siège au Conseil de sécurité, le remportant avec 148 voix parmi les 193 nations de l'Assemblée générale des Nations Unies. Même lorsque le M23 s’est emparé en novembre de Goma, à la frontière est de la RD Congo, provoquant la fuite de dizaines de milliers de résidents terrifiés, le Conseil de sécurité n'a pas placé le Rwanda face à ses responsabilités.

Comment donc peut-on, en toute impunité, armer une force rebelle qui attaque les Casques bleus de l'ONU, viole des femmes et recrute des enfants ? Il suffit d'avoir des amis puissants et le Rwanda en avait justement un. Du fait de la culpabilité liée à l'inaction de l'administration Clinton face au génocide rwandais mais aussi d'une reconnaissance de l'utilisation relativement efficace de l'aide au développement par le Rwanda, les États-Unis se sont avérés être l'un des alliés les plus sûrs de Kigali. Lorsque le rapport intermédiaire des experts des Nations Unies leur a été remis en juin,  les États-Unis ont été accusés de retarder sa publication, sous prétexte que le Rwanda, pourtant peu coopératif, devait disposer de temps pour répondre. L'administration Obama a suspendu une aide militaire d'un montant de 200 000 dollars, mais uniquement en vertu d'une exigence législative, et tout en sapant les efforts aux Nations Unies pour dénoncer le rôle du Rwanda dans la crise.

Alors que d'autres pays, comme le Royaume-Uni, faisaient ouvertement pression sur Kigali, les États-Unis utilisaient tout l’éventail des contorsions diplomatiques à leur disposition pour éviter de montrer le Rwanda du doigt en public. Il a fallu attendre le 18 décembre pour que le président Obama appelle enfin le président rwandais, Paul Kagame, à mettre fin à « tout soutien » au M23. Bien que formulé en termes diplomatiques, cet appel, tout comme les déclarations franches de certains diplomates américains, constitue une reconnaissance de l'échec de la diplomatie de coulisses pour enrayer les abus perpétrés par le M23.

Mais alors qu'une sombre nouvelle année est sur le point de s’ouvrir dans l'est de la RD Congo, les États-Unis doivent aller bien plus loin. Le 1erjanvier, ils devraient accueillir le Rwanda, nouveau venu au Conseil de sécurité, avec les sanctions qui auraient dû être adoptées depuis longtemps contre les responsables rwandais complices des abus commis par le M23. Ils signaleraient ainsi qu'un siège autour de la table ne confère pas le droit de bafouer les résolutions du Conseil de sécurité.

Ce n'est qu'une fois que le Rwanda aura cessé de soutenir le M23 qu'il sera capable d'apporter une contribution crédible au travail du Conseil de sécurité visant à sauver des vies humaines, en s'inspirant de sa propre histoire tragique en tant que victime d’un génocide et de son expérience en tant que contributeur de troupes aux opérations de maintien de la paix.

Philippe Bolopion est Directeur auprès de l’ONU pour Human Rights Watch.

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