(Genève, le 22 juin 2010) - La décision du gouvernement des îles Canaries de maintenir plus de 250 enfants migrants non accompagnés dans des refuges non réglementés met ces enfants en danger et menace leur bien-être, a déclaré Human Rights Watch dans un rapport publié aujourd'hui.
Le rapport de 40 pages, « Eternal Emergency: No End to Unaccompanied Migrant Children's Institutionalization in Canary Islands Emergency Centers » (« Urgence éternelle : le placement sans fin des enfants migrants non accompagnés dans les centres d'accueil d'urgence des îles Canaries »), affirme que les centres ne respectent pas les normes minimales d'accueil pour les enfants migrants et n'ont pas de limites d'occupation. Les quelque cent enfants dans le centre d'accueil d'urgence le plus grand et le plus isolé, La Esperanza, reçoivent une nourriture de mauvaise qualité, ne disposent pas de chauffage, d'eau chaude ni de couvertures en quantité suffisante, et font état de violences fréquentes de la part d'autres enfants.
À la suite de la publication de ce rapport, le gouvernement des îles Canaries a informé Human Rights Watch de vive voix le 15 juin qu'il envisage de fermer le centre d'urgence La Esperanza d'ici décembre 2010 et d'envoyer les enfants dans d'autres centres, notamment les centres d'accueil d'urgence de Tegueste et d'Arinaga. Il ne s'est pas engagé à soumettre ces centres aux normes minimales d'accueil qu'il a lui-même fixées.
« Nous nous réjouissons que le gouvernement des îles Canaries ait l'intention de fermer le pire de ces établissements, où les enfants sont en danger », a déclaré Simone Troller, chercheuse sur les droits des enfants à Human Rights Watch. « Nous souhaitons voir cette intention se traduire par un plan ferme et des mesures concrètes pour garantir que le centre soit effectivement fermé. En même temps, le gouvernement devrait mettre fin au régime d'urgence dans son intégralité et mettre tous les refuges pour enfants non accompagnés en conformité avec les normes d'accueil communément admises. »
Les centres d'accueil urgence ont été créés en 2006 comme mesure temporaire en réponse à l'arrivée d'une quantité sans précédent d'enfants migrants non-accompagnés sur les iles.
Les nouvelles constatations de Human Rights Watch arrivent trois ans après que l'organisation a enquêté pour la première fois sur de graves allégations de mauvais traitements infligés par le personnel aux enfants dans les centres, de surpeuplement et de non-conformité des infrastructures, de violences d'enfants plus âgés à l'encontre des plus jeunes, ainsi que de manque de contrôle par les organismes concernés. Les résultats de cette première enquête ont été publiés dans un rapport de juin 2007, « Responsabilités fâcheuses : L'Espagne échoue à protéger les droits des enfants migrants non accompagnés aux îles Canaries ».
Certaines conditions se sont améliorées depuis 2007, a remarqué Human Rights Watch. Les enfants ont accès à des possibilités d'éducation et de formation en dehors de leurs résidences, et les visites de contrôle par des institutions chargées de surveiller les conditions semblent être plus fréquentes. Human Rights Watch a constaté que les conditions au centre d'Arinaga en particulier se sont améliorées, en grande partie parce que moins d'enfants y sont logés. Human Rights Watch craint que, en l'absence d'une planification rigoureuse et de normes d'accueil obligatoires, le transfert d'un nombre important d'enfants de La Esperanza vers Arinaga ne compromette les progrès réalisés.
D'autres graves préoccupations perdurent également dans les centres d'urgence, a indiqué Human Rights Watch. Il s'agit notamment de l'absence d'un système effectif de dépôt de plaintes confidentielles, du mélange d'enfants jeunes avec des enfants plus âgés dans le même centre d'accueil d'urgence, de l'accès insuffisant au système de demande d'asile, de l'absence de limites d'occupation, et des possibilités limitées d'insertion dans la communauté. En outre, les conditions de vie médiocres au centre La Esperanza menacent le bien-être des enfants.
Un enfant de 16 ans a décrit les conditions à La Esperanza : « C'est très dur, surtout en hiver... Bien sur j'ai froid la nuit. J'ai une couverture... il est inutile de demander une autre couverture. Ils ne vous la donneront pas. Personne n'a deux couvertures.... Parfois il fait si froid que l'on ne peut pas dormir. »
Human Rights Watch a appelé le gouvernement des îles Canaries à faire de la fermeture de La Esperanza une priorité et à mettre toutes les structures restantes en conformité avec les normes minimales des îles Canaries et les normes minimales d'occupation pour les centres accueillant des enfants migrants non-accompagnés.
À l'époque où les centres d'urgence ont été créés en 2006, des migrants sans papiers sont arrivés en grand nombre de l'Afrique de l'Ouest, dont un millier enfants non accompagnés cette année-là. Le flux des arrivées a ralenti depuis.
Les îles Canaries avaient été confrontées à des arrivées d'enfants migrants non accompagnés avant 2006, et disposaient d'un réseau fonctionnel de foyers réglementés, plus petits, qui continuent d'accueillir et de fournir des possibilités d'insertion pour un total de 250 enfants à la fois. Cependant, une fois ce nombre atteint, les enfants migrants non accompagnés qui arrivent sont envoyés dans les centres d'urgence non réglementés.
Le gouvernement des îles Canaries affirme qu'il a essayé de créer davantage de petits centres qui seraient conformes aux normes minimales existantes, mais il s'est heurté à de la résistance de la part des municipalités locales. Toutefois, cela n'explique pas pourquoi il a fermé certains petits centres existants, tout en maintenant La Esperanza en fonctionnement.
Le personnel des centres, les organisations non gouvernementales et les procureurs publics dans les îles interrogés par Human Rights Watch ont attribué le manque de progrès au gouvernement, en affirmant qu'il n'avait pas la volonté politique d'accorder un meilleurs accueil aux enfants ou qu'il maintenait les centres d'urgence ouverts comme un moyen de faire pression sur le gouvernement central de Madrid afin que celui-ci augmente le financement ou transfère des enfants vers d'autres parties de l'Espagne.
Le gouvernement central de Madrid a intensifié ses contributions financières pour les îles Canaries ces dernières années et a fourni plus de la moitié du budget de 26 millions d'euros de l'archipel consacré à l'accueil des enfants migrants en 2009. Il a également aidé à organiser et financer le transfert des enfants vers d'autres régions d'Espagne.
Le gouvernement de Madrid devrait exiger du gouvernement des îles Canaries à la fois qu'il fournisse un accueil approprié et qu'il élabore un plan concret de fermeture des centres comme condition de son aide financière, a déclaré Human Rights Watch.
L'état des droits des enfants en Espagne sera soumis à un examen plus approfondi cette année. L'Espagne a évoqué le sort des enfants migrants non accompagnés comme une question prioritaire lors de sa présidence de l'Union Européenne, et elle doit rendre compte de l'état de ses propres droits des enfants au Comité des Nations Unies sur les droits de l'enfant à l'automne de cette année.
« L'Espagne a introduit le sort des enfants migrants dans l'agenda politique de l'UE au cours de sa présidence de l'UE », a conclu Simone Troller. « Elle devrait montrer l'exemple et assurer une protection adéquate dans les îles Canaries pour ces enfants. »