(Nairobi, le 30 mars 2010) - Des centaines de milliers de Somaliens réfugiés au Kenya sont confrontés aux exactions de policiers corrompus et violents ainsi qu'à une crise humanitaire qui ne cesse de s'aggraver dans les plus grands camps de réfugiés du monde, a déclaré Human Rights Watch dans un nouveau rapport publié aujourd'hui. Le Kenya devrait immédiatement remettre au pas les policiers qui commettent des excès et allouer des terres supplémentaires pour établir de nouveaux camps. De leur côté, les Nations unies et les bailleurs de fonds internationaux devraient de toute urgence répondre aux besoins élémentaires des réfugiés somaliens.
Le rapport de 58 pages, intitulé « From Horror to Hopelessness: Kenya's Forgotten Somali Refugee Crisis » (« De l'horreur au désespoir : La crise oubliée des réfugiés somaliens au Kenya »), décrit les extorsions, détentions, violences et expulsions que la police kenyane fait subir au nombre record de Somaliens qui pénètrent au Kenya. Ces nouveaux réfugiés viennent grossir les rangs de plus de 250 000 de leurs compatriotes, qui luttent pour survivre dans des camps prévus pour un tiers seulement de ce nombre.
« Les personnes qui fuient la violence sévissant en Somalie ont besoin de protection et d'assistance. Or elles sont confrontées à de nouveaux dangers, de nouvelles exactions et de nouvelles privations », a expliqué Gerry Simpson, chercheur de Human Rights Watch sur les réfugiés et auteur du rapport. « Les demandeurs d'asile somaliens devraient pouvoir traverser la frontière en toute sécurité et obtenir au Kenya l'aide dont ils ont besoin d'urgence. »
En 2008, un nombre total annuel record de près de 60 000 Somaliens ont cherché refuge dans trois camps situés près de la ville de Dadaab, dans le nord-est du Kenya, tandis que d'autres, probablement des dizaines de milliers, sont allés jusqu'à Nairobi. Lorsqu'ils essaient de traverser la frontière kenyane officiellement fermée, les nouveaux arrivants risquent d'être extorqués, brutalisés et expulsés illégalement par la police et finalement, ils se trouvent confrontés à d'effroyables conditions de surpopulation dans des camps de réfugiés qui bénéficient de services insuffisants.
Invoquant des problèmes de sécurité, le Kenya a officiellement fermé ses 682 kilomètres de frontière avec la Somalie en janvier 2007, lorsque les troupes éthiopiennes sont intervenues pour appuyer le fragile gouvernement de transition somalien, chassant de Mogadiscio, la capitale somalienne, une coalition de tribunaux islamiques. Au cours des deux dernières années, l'escalade du conflit armé qui oppose les forces gouvernementales éthiopiennes et somaliennes aux insurgés, donnant lieu à de nombreux crimes de guerre et violations des droits humains, a forcé près d'un million d'habitants de Mogadiscio à fuir et a provoqué un afflux croissant de réfugiés somaliens au Kenya. En dépit du retrait éthiopien fin 2008, les violences persistent entre les groupes islamistes et le gouvernement et l'on s'attend à l'arrivée de nouveaux réfugiés tout au long de l'année 2009.
La fermeture de la frontière a encouragé les membres de la police kenyane - connus depuis longtemps pour leurs exactions à l'encontre des Somaliens - à multiplier les actes d'extorsion à l'égard des demandeurs d'asile somaliens qui cherchent à se rendre dans les camps. Elle a forcé des dizaines de milliers de Somaliens à recourir à des réseaux de passeurs pour traverser clandestinement la frontière kenyane. Elle a également obligé le Haut Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCR) à fermer son centre de transit pour réfugiés, où auparavant tous les nouveaux réfugiés étaient rapidement inscrits sur des listes et passaient un examen médical avant d'être acheminés vers les camps.
Le rapport « From Horror to Hopelessness » conclut que la fermeture de la frontière aux réfugiés viole le droit international des réfugiés qui interdit le retour forcé (refoulement), et a débouché sur d'autres exactions graves. Le rapport cite des réfugiés qui expliquent avoir été forcés de retourner en Somalie parce qu'ils n'avaient pas les moyens de soudoyer les policiers kenyans. D'autres disent avoir été arrêtés, détenus dans des conditions effroyables dans les camps ou les villes avoisinantes, battus et, dans certains cas, expulsés vers la Somalie.
« Le Kenya invoque un souci légitime de sécurité et a le droit de contrôler ses frontières, mais celles-ci ne peuvent être fermées aux réfugiés qui fuient les combats et les persécutions », a précisé Gerry Simpson. « La fermeture de la frontière n'a fait qu'exposer davantage les réfugiés somaliens aux exactions et a réduit le contrôle exercé par le gouvernement et le HCR sur qui entre au Kenya et qui est inscrit dans les camps. »
Même s'ils parviennent à pénétrer au Kenya, les nouveaux arrivants sont confrontés à d'énormes défis. La plupart se rendent dans l'un des trois camps de Dadaab, seuls endroits au Kenya où ils ont droit à un abri et à d'autres formes d'assistance. Mais même dans les camps, ils ont du mal à trouver de l'aide.
Depuis août 2008, lorsque la communauté kenyane locale vivant près des camps a mis fin à des années d'expansion non officielle et où il a été déclaré que les camps étaient arrivés à saturation, les nouveaux arrivants n'ont reçu aucune terre ni aucun matériel pour se construire un abri, ce qui les force à vivre avec des proches ou des tiers dans des tentes ou des huttes exiguës. L'agence de l'ONU pour les réfugiés et les organisations non gouvernementales estimaient que fin février 2009, plus de 40 000 nouveaux abris étaient nécessaires pour répondre aux normes humanitaires internationales.
Les négociations de l'agence pour les réfugiés en vue d'obtenir de nouvelles terres ont débouché sur des résultats limités, car les collectivités locales appauvries exigent de bénéficier davantage de la présence des agences humanitaires dans la région et veulent que tout nouveau camp soit géré dans une perspective écologiquement durable. En février, le gouvernement a alloué des terres pour un quatrième camp, afin de lancer le processus de décongestionnement des camps existants. Si la communauté locale et l'agence pour les réfugiés parviennent à un accord sur les détails de l'arrangement, 50 000 réfugiés devraient y être transférés d'ici la mi-2009. Mais il restera encore quelque 230 000 réfugiés dans les anciens camps. Il faut d'urgence prévoir de nouvelles terres destinées à deux camps supplémentaires - pour un total de 100 000 réfugiés.
« Il pourrait facilement y avoir 300 000 réfugiés somaliens à Dadaab d'ici fin 2009 », a averti Gerry Simpson. « Les agences de l'ONU pour le développement et l'environnement devraient intervenir immédiatement pour aider le HCR à conclure un accord avec les communautés locales kenyanes et le gouvernement afin d'obtenir de nouvelles terres. »
En décembre 2008, l'agence pour les réfugiés a lancé un appel de fonds de 92 millions de dollars US pour réparer les conséquences du délaissement dont les camps de Dadaab ont souffert des années durant, prodiguer une assistance au nombre sans cesse croissant de nouveaux arrivants et construire de nouveaux camps pour 120 000 réfugiés. Dans son rapport, Human Rights Watch a appelé les bailleurs de fonds à financer les agences qui répondent aux besoins les plus élémentaires des réfugiés.
Les camps de Dadaab - qui abritent largement plus de 100 000 réfugiés depuis 1992 - étaient déjà gravement sous-financés avant la nouvelle vague de réfugiés qui a commencé à arriver en 2006 et n'a cessé de prendre de l'ampleur en 2008. À la mi-2008, le taux de malnutrition aiguë dans les camps était de 13 pour cent. Bien que les réfugiés repris sur les listes reçoivent la quantité minimum de nourriture fixée par les normes humanitaires internationales, l'agence pour les réfugiés reconnaît que beaucoup se voient forcés de vendre leur nourriture pour acheter des produits non alimentaires indispensables tels que du matériel pour construire leur abri, du bois à brûler et des ustensiles de ménage essentiels.
Les camps de Dadaab traversent une crise sanitaire effroyable ; le choléra a fait son apparition en février après s'être déjà déclaré les années précédentes. L'agence pour les réfugiés estime que plus de 36 000 latrines et lavabos sont nécessaires pour répondre aux normes minimales. Un récent rapport d'Oxfam a relevé que des milliers de réfugiés n'avaient aucun accès aux latrines mal entretenues des camps, et que la plupart des femmes et des enfants - soit la moitié de la population des camps - étaient rarement en mesure de les utiliser car elles sont mixtes et bondées.
Selon Oxfam, le système d'approvisionnement en eau de Dadaab, décrépit après 20 ans d'existence, fournit au mieux 16 litres par personne et par jour, soit quatre litres de moins que la quantité minimale établie par les normes humanitaires internationales, et nombreux sont les réfugiés qui ont accès à beaucoup moins d'eau que cela. Les cliniques, confrontées à un manque de personnel et à des pénuries de médicaments, peinent à répondre aux problèmes de santé chroniques qui ne cessent de croître.
Le rapport « From Horror to Hopelessness » dépeint également les obstacles mis en place pour limiter le nombre de demandeurs d'asile et de réfugiés somaliens qui arrivent à Nairobi. Les réfugiés n'ont pas droit à l'assistance humanitaire s'ils vivent en dehors des camps. En violation du droit des réfugiés à la libre circulation sur le territoire kenyan, les autorités kenyanes exigent qu'ils demandent un permis spécial pour se déplacer à l'extérieur des camps. Et à la différence de l'inscription sur les listes qui se fait rapidement dans les camps, les demandeurs d'asile somaliens devaient jusqu'à récemment attendre neuf mois ou plus pour que leur statut de réfugiés soit reconnu par le HCR à Nairobi. Pendant qu'ils attendent, ils sont exposés aux actes d'extorsion et aux exactions de la police kenyane.