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Ukraine

Événements de 2023

Deux policiers ukrainiens contemplaient un gigantesque tas de morceaux de roquettes russes, rassemblés suite à de nombreuses frappes contre Kharkiv, en Ukraine, le 3 décembre 2022.

© 2022 AP Photo/Libkos

Les conséquences sur les droits humains de la guerre menée par la Russie en Ukraine ont continué à éclipser toutes les autres questions liées aux droits humains en Ukraine. En septembre 2023, au moins 9 614 civils avaient été tués et plus de 17 535 blessés depuis le début de l’invasion à grande échelle par la Russie en février 2022. Des millions d’autres ont dû fuir à l’étranger ou ont été déplacés à l’intérieur du pays.

Tout au long de l’année, les forces russes ont commis des crimes de guerre et d’autres atrocités en Ukraine. Elles ont mené des attaques indiscriminées et disproportionnées qui ont tué et gravement blessé des civils, détruit des infrastructures vitales ainsi que des objets d’importance culturelle et historique. Le recours généralisé à la torture par les forces russes et leurs attaques continues contre des infrastructures liées à l’énergie pourraient constituer des crimes contre l’humanité, selon un organisme d’enquête des Nations Unies. La destruction en juin de la centrale hydroélectrique de Kakhovka, dans la région de Kherson, apparemment causée par les forces russes, a détruit des moyens de subsistance et causé des dommages environnementaux durables. Les forces russes ont bombardé à maintes reprises des ports et des installations céréalières vitaux en Ukraine, avec de graves conséquences pour les Ukrainiens et pour des millions de personnes confrontées à la faim dans le monde.

En mars, les juges de la Cour pénale internationale (CPI) ont émis des mandats d’arrêt à l’encontre du Président russe Vladimir Poutine et de la Commissaire russe aux droits de l’enfant pour déportations et transferts illégaux d’enfants ukrainiens depuis des zones occupées d’Ukraine vers la Russie.

Les forces russes ont utilisé aussi bien des bombes à sous-munitions que des mines antipersonnel interdites. Les forces ukrainiennes ont également utilisé des bombes à sous-munitions, et il existe des preuves significatives qu’elles ont utilisé des mines antipersonnel en 2022, preuves sur lesquelles les autorités se sont engagées à enquêter. L’Ukraine reste l’un des pays du monde les plus contaminés par les mines, avec environ 174 000 kilomètres carrés contaminés par des mines antipersonnel et des restes explosifs de guerre dont le déminage pourrait prendre des décennies.

L’Ukraine a continué de faire progresser des réformes liées à sa candidature à l’Union européenne. Le gouvernement a pris des mesures positives pour éliminer certaines formes de corruption. La réforme judiciaire a progressé, mais les résultats de la réforme de la Cour constitutionnelle ont été mitigés. Le placement continu d'enfants, en particulier d'enfants handicapés, dans des institutions est resté un sujet de préoccupation. La loi de 2022 sur la collaboration et son application ont continué de susciter des critiques de la part de la société civile ukrainienne ainsi que des acteurs internationaux.

Attaques indiscriminées

Les forces russes ont continué de mener des attaques à l'arme explosive dans des zones peuplées, augmentant ainsi les risques pour les civils. Ces attaques ont touché des infrastructures civiles, notamment des bâtiments résidentiels, des hôpitaux et des écoles. Les attaques russes contre les infrastructures liées à l’énergie ont provoqué des coupures d’électricité et entravé l’accès à la santé, à l’éducation ainsi qu’à d’autres services essentiels pour des millions de personnes, notamment des personnes handicapées.

Tout au long de l'année, les forces ukrainiennes ont également mené « des attaques probablement indiscriminées et deux incidents pouvant être considérés comme des crimes de guerre », a déclaré la Commission d'enquête de l'ONU (CoI de l'ONU) dans son rapport de mars.

Une attaque russe en janvier contre un immeuble résidentiel à Dniepr a détruit 236 appartements, tué 45 civils, dont 6 enfants, et blessé au moins 80 personnes.

En juin, une attaque de missile russe contre une pizzeria populaire à Kramatorsk a tué 13 personnes, dont la célèbre écrivaine Victoria Amelina, et en a blessé 61. En juin également, une frappe aérienne russe a touché un immeuble résidentiel de cinq étages à Kryvyi Rih, tuant 12 personnes et en blessant 36.

Tout au long de l’année, les forces russes ont attaqué Odessa à maintes reprises avec des missiles et des drones, tuant et blessant des civils et endommageant et détruisant des terminaux céréaliers, des bâtiments historiques ainsi que des monuments d’importance culturelle. En juillet, une attaque à Lviv avec un missile guidé a frappé un complexe d'appartements résidentiels, tuant 10 civils et en blessant 48 autres. Bien que des cibles militaires ukrainiennes se trouvaient à proximité, Human Rights Watch a déclaré que l'utilisation par les forces russes d'une munition guidée avec une grosse ogive puissante contre un complexe d'appartements dans une zone résidentielle devrait faire l'objet d'une enquête comme crime de guerre.

Les forces russes ont poursuivi leurs tirs d'artillerie réguliers sur la ville de Kherson et ses environs après s'être retirées sur la rive gauche du fleuve Dniepr suite à la désoccupation de Kherson en novembre 2022.

En octobre, une frappe de missile sur le village de Hroza, dans la région de Kharkiv, a tué 59 civils assistant aux funérailles d’un militaire. La Mission de surveillance des droits de l’homme des Nations Unies en Ukraine (HRMMU) a enquêté sur cette frappe, la qualifiant d’incident le plus meurtrier pour les civils depuis février 2022, et n’a trouvé aucune indication de cibles militaires légitimes à proximité au moment de l’attaque. La HRMMU a conclu que la frappe avait probablement été lancée par les forces armées russes, qui soit n'ont pas fait tout ce qui était possible pour vérifier que la cible était un objectif militaire, soit ont délibérément ciblé des civils ou des biens à caractère civil.

L’Organisation mondiale de la santé a vérifié plus de 1 000 attaques contre des professionnels de santé, des véhicules et des installations sanitaires depuis le début de l’invasion à grande échelle, soit le nombre le plus élevé enregistré dans une situation d’urgence humanitaire. En août, cinq professionnels de santé ont été blessés et un tué lors de l’attaque russe contre un hôpital à Kherson.

Mines antipersonnel et bombes à sous-munitions

Depuis février 2022, les forces russes ont largement utilisé au moins 13 types de mines antipersonnel dans un grand nombre de zones, en minant massivement leurs lignes de front en prévision de la contre-offensive ukrainienne en cours. Cela conduit à une situation sans précédent dans laquelle un pays qui n'est pas un État partie au Traité d'interdiction des mines utilise cette arme sur le territoire d'un État partie à ce traité.

En janvier, le gouvernement ukrainien s’est engagé à « étudier dûment » un rapport de Human Rights Watch sur l’utilisation par les forces ukrainiennes de mines antipersonnel de la série PFM lancées par roquettes lors d’attaques sur et autour d’Izioum en 2022, alors qu’elle était sous contrôle russe. Lors d'une réunion en juin sur le Traité d'interdiction des mines, auquel l'Ukraine est un État partie, l'Ukraine a réaffirmé cet engagement.

En outre, les forces russes et ukrainiennes ont utilisé au moins 13 types de mines anti véhicules, également appelées mines antichar.

Les forces russes ont continué d’utiliser massivement des bombes à sous-munitions, qui ont tué et blessé des centaines de civils et contaminé de vastes zones de l’Ukraine. En juillet, une attaque à l’arme à sous-munitions contre un quartier résidentiel de Lyman, dans la région de Donetsk, a tué neuf civils et en a blessé une douzaine d'autres.

Les forces ukrainiennes ont également continué à utiliser des armes à sous-munitions, faisant un nombre indéterminé de victimes civiles. L’Ukraine a utilisé des armes à sous-munitions provenant de ses stocks existants et a reçu des armes à sous-munitions des États-Unis en juillet et septembre. Ni la Russie ni l’Ukraine ne sont des États parties à la Convention de 2008 sur les armes à sous-munitions.

Abus sous l’occupation russe

Tout au long de l’année, les forces russes et affiliées à la Russie ont commis un grand nombre de graves abus contre des civils dans les parties occupées des régions de Zaporijia, Kherson, Lougansk et Donetsk. Elles ont procédé à des disparitions forcées, à des exécutions sommaires de civils, à des détentions illégales ainsi qu’à des actes de torture, ciblant particulièrement des fonctionnaires, des activistes et journalistes pro-ukrainiens, ainsi que d'autres civils présumés opposés à l'occupation.

Elles ont également commis des violences sexuelles, des transferts forcés d’adultes et d’enfants ukrainiens ainsi que des pillages d’objets culturels.

Les preuves des crimes de guerre apparents commis par la Russie dans les régions de Kherson et de Kharkiv, désormais désoccupées, ont continué à faire surface, notamment des centres de torture que les forces russes ont exploités à Kherson pendant leurs huit mois d'occupation. En septembre, la CoI de l'ONU a signalé que des soldats russes y avaient commis des viols et des violences sexuelles contre des femmes âgées de 19 à 83 ans.

En juin, une explosion vraisemblablement provoquée par les forces russes a détruit le barrage de Kakhovka, inondant des dizaines de villes et villages des deux côtés du fleuve Dniepr. Les autorités russes ont restreint l’accès aux villes et villages de la rive gauche occupée par la Russie, empêchant les bénévoles de fournir une aide humanitaire désespérément nécessaire, et n’ont pas procédé à des évacuations en temps opportun. Au moins 50 personnes seraient mortes dans la foulée, dont 41 dans des zones occupées par la Russie. Vingt-quatre installations industrielles dangereuses, installations de traitement des eaux usées, cimetières et décharges ont été inondées, contaminant les eaux de surface et souterraines et exposant la population locale à des maladies contagieuses.

Les autorités russes ont poursuivi leurs efforts systématiques pour contraindre les habitants des zones occupées à accepter la citoyenneté russe. Une loi de mars a accéléré le processus de candidature. Les personnes qui n’acceptaient pas les passeports russes ont été confrontées à des menaces et à un accès restreint à l’emploi, aux soins médicaux ainsi qu’aux prestations sociales.

En septembre, la Russie a organisé des élections locales dans les zones occupées de l’Ukraine, en violation du droit international.

Les autorités russes dans les zones occupées ont continué de tenter d’effacer la culture et la langue ukrainiennes, notamment en imposant le programme scolaire et la langue d’enseignement russes, en faisant de la propagande de guerre et en dispensant une formation militaire dans les écoles, en violation du droit international. Elles ont eu recours à la détention, à la torture et aux mauvais traitements pour contraindre les éducateurs locaux à coopérer, notamment à leur remettre des données scolaires. Elles ont menacé les parents dont les enfants étudient en ligne dans le système scolaire ukrainien d'amendes, de détention et de privation de la garde des enfants.

Torture et mauvais traitements de prisonniers de guerre

Les forces russes ont commis des crimes de guerre contre des prisonniers de guerre ukrainiens. Un rapport de mars de la Mission de surveillance des droits de l'homme des Nations Unies en Ukraine (Mission de surveillance des Nations Unies) a révélé que dans 32 des 48 centres de détention en Russie et dans les territoires ukrainiens occupés par la Russie, les prisonniers de guerre étaient victimes de torture, de mauvais traitements, de travail forcé et de conditions de détention odieuses. Bon nombre d’entre eux ont été détenus au secret.

Les autorités russes ont commis des crimes de guerre apparents en poursuivant pénalement des prisonniers de guerre ukrainiens, notamment des membres de la brigade ukrainienne « Azov », pour avoir participé aux hostilités ; en recourant à la torture pour extorquer des aveux ; et en refusant des procès équitables. En mars, un tribunal d’une zone occupée par la Russie a condamné le prisonnier de guerre Maxym Butkevych, un éminent défenseur des droits, à 13 ans d’emprisonnement sur la base de fausses accusations.

Les autorités russes n’ont pas enquêté sur l’explosion de juillet 2022 survenue dans la prison d’Olenivka — qui a tué et blessé au moins 150 prisonniers de guerre ukrainiens — dans une zone occupée par la Russie, ni autorisé la présence d’enquêteurs indépendants sur place.

La Mission de surveillance de l’ONU a également documenté des cas de torture et de traitements inhumains par l’Ukraine de prisonniers de guerre russes et a noté en juin « l’absence de développements significatifs » dans les enquêtes menées par l’Ukraine sur des allégations d’exécutions extrajudiciaires de prisonniers de guerre russes. Human Rights Watch n’a connaissance d’aucune enquête en cours sur des allégations d’abus commis par des combattants ukrainiens contre des prisonniers de guerre russes en 2022.

À la suite de sa visite en Ukraine en septembre, la Rapporteuse spéciale de l'ONU sur la torture a reconnu les « efforts sincères » déployés par les autorités ukrainiennes pour traiter avec respect les prisonniers de guerre russes détenus dans les centres de détention en Ukraine.

Détenus civils liés au conflit

Les forces russes ont continué d’arrêter illégalement et de faire disparaître de force des responsables publics locaux, des militants de la société civile, des bénévoles, des enseignants et d’autres civils ukrainiens. Bon nombre d’entre eux ont été transférés de force vers la Russie et les zones occupées par la Russie, privés de l’accès à un avocat et détenus au secret sans inculpation, parfois pendant des mois.

Entre février 2022 et mai 2023, la Mission de surveillance des Nations Unies a documenté 77 cas d’exécutions sommaires russes de civils ukrainiens ainsi que la pratique généralisée de torture et de mauvais traitements à l’encontre de détenus civils. Sur plus de 900 cas documentés de détention arbitraire de civils au cours de cette période, 864 ont été perpétrés par les forces russes. Parmi les personnes arrêtées, 260 étaient des civils détenus en raison de leurs opinions politiques présumées. Plus de 91 % des 864 détenus ont déclaré avoir été soumis à des actes de torture et à des mauvais traitements, notamment des violences sexuelles. La Mission de surveillance de l’ONU a également documenté 75 cas de détention arbitraire par les forces de sécurité ukrainiennes, s’agissant pour la plupart d'individus soupçonnés d'infractions pénales liées au conflit, 57 % des personnes détenues affirmant avoir été soumises à la torture et à des mauvais traitements, principalement dans des lieux de détention non officiels.

En mai, les autorités ukrainiennes ont établi un registre unifié des personnes disparues afin de systématiser la collecte et le partage d'informations et de soutenir financièrement les familles. En août, ce registre comportait les noms de 25 000 personnes disparues depuis 2022.

Violences sexuelles liées au conflit

Jusqu’au mois de septembre, les autorités ukrainiennes avaient recensé 231 cas de violences sexuelles liées au conflit (VSLC) perpétrées par les forces russes dans les zones occupées d'Ukraine et dans les centres de détention russes. Les chiffres réels sont probablement bien plus élevés, car la stigmatisation, la honte et la peur de représailles empêchent les personnes survivantes de demander de l'aide. En octobre, 34 militaires russes faisaient l'objet d'une enquête de la part des autorités ukrainiennes pour avoir commis des actes de VSLC, 18 cas étaient en cours de procès et deux auteurs avaient été condamnés à 12 et 10 ans de prison. Toutes les procédures se sont déroulées par contumace. La CoI de l'ONU a rapporté en août que les autorités russes avaient eu recours au viol et aux violences sexuelles équivalant à des actes de torture contre des hommes et des femmes en détention.

Les personnes survivantes ont été confrontées à des difficultés considérables pour accéder à une assistance médicale, psychosociale et juridique. Pour relever ces défis, en juin, le Parlement a examiné des amendements à la législation pénale concernant les enquêtes et les jugements sur les VSLC, ainsi qu'un projet de loi sur les réparations pour les victimes de crimes de guerre qui incluent les personnes survivantes des VSLC.

En mai, des représentants de la société civile ont lancé une pétition visant à rendre les médicaments de contraception d'urgence disponibles sans ordonnance en Ukraine. Le ministère de la Santé était en train d'examiner la pétition au moment de la rédaction du présent rapport.

Attaques contre l’éducation

Tout au long de l’année, les forces russes ont continué d’attaquer des écoles et d’autres établissements d’enseignement dans toute l’Ukraine. Le gouvernement ukrainien a signalé que 3 790 établissements d’enseignement ont été endommagés ou détruits entre février 2022 et septembre 2023.

Les dégâts et la destruction à grande échelle des écoles ont eu un effet dévastateur sur l’accès des enfants ukrainiens à l’éducation, ainsi qu’un impact psychosocial profond sur les enfants, les parents et les enseignants. L'Ukraine a pris des mesures importantes pour empêcher les écoles d'être attaquées. Les autorités ont également pris des mesures pour garantir que les enfants puissent poursuivre leurs études, en combinant l'apprentissage à distance et en présentiel, et plus de 95 % des élèves du pays sont restés scolarisés.

Les enfants dont les écoles habituelles ont été gravement endommagées ou détruites ont été transférés dans d'autres écoles à proximité, où, dans certains cas, ils ont suivi des journées scolaires raccourcies ou ont étudié par roulement pour s'adapter au nombre croissant d'élèves. Bon nombre d’entre eux ont dû se tourner entièrement vers l'apprentissage à distance.

La réparation et la reconstruction des écoles sont en cours, les efforts de reconstruction variant considérablement selon les régions de l'Ukraine, en partie à cause de la poursuite des hostilités.

Enfants dans des institutions

Les enfants placés dans des institutions situées dans des zones directement touchées par la guerre, transférés de force vers la Russie ou les territoires occupés par la Russie, ou bien évacués vers d'autres régions d'Ukraine, continuent de courir des risques. La guerre a rendu encore plus urgent pour l’Ukraine, avec le soutien international, d’étendre la prise en charge familiale et communautaire afin de garantir que tous les enfants placés dans des institutions touchées par la guerre, notamment les enfants handicapés, ne soient pas de nouveau placés en institution.

Impact sur les civils âgés

En mai, la Mission de surveillance de l’ONU a documenté l'impact disproportionné de la guerre sur les civils âgés. Alors que les personnes âgées représentent 25 % de la population, 32 % des civils tués entre février 2022 et février 2023 avaient 60 ans ou plus (pour les cas où l’âge a été enregistré). Certaines personnes âgées déplacées ont dû être hébergées dans des maisons de retraite alors qu'elles vivaient de manière indépendante avant d'être déplacées. Les personnes âgées vivant dans les zones touchées par le conflit ont eu un accès limité à leurs retraites et à des soins de santé.

Crimée

Le climat des droits humains en Crimée occupée par la Russie s’est détérioré. Les autorités russes ont ciblé sans relâche toute personne activement opposée à l’occupation, en particulier les membres politiquement actifs de la communauté tatare de Crimée ainsi que les avocats, les journalistes et les militants. Selon le Centre de ressources des Tatars de Crimée (CTRC), au moins 66 Tatars de Crimée ont été détenus et 93 arrêtés au cours des six premiers mois de 2023. Sur 37 perquisitions menées par les forces de sécurité russes, 29 concernaient des maisons de Tatares de Crimée.

Les autorités ont continué d’appliquer, dans certains cas de manière rétroactive, la législation russe antiterroriste et anti-extrémiste vague et trop large, afin de mener des poursuites contre les Tatars de Crimée pour leurs liens présumés avec des organisations telles que le Hizb ut-Tahrir, qui est interdit en Russie mais pas en Ukraine. Les accusations se sont en grande partie appuyées sur des témoignages anonymes ainsi que des enregistrements de conversations privées portant sur la religion. Les accusés se sont régulièrement vu refuser une procédure régulière, notamment l’accès à un avocat. Depuis le début de l’occupation jusqu’en février 2023, au moins 98 Tatars de Crimée ont été ou avaient déjà été poursuivis en justice pour liens présumés avec le Hizb ut-Tahrir, et 73 d’entre eux purgeaient des peines de prison allant de 10 à 20 ans.

En janvier 2023, un tribunal militaire russe a reconnu coupables les cinq activistes restants d'un groupe de 25 membres de Solidarité avec la Crimée, qui faisaient l'objet d'une enquête pénale depuis 2019 pour ce qui semblait être de fausses accusations de terrorisme, et les a condamnés à 13 ans de prison.

Tout au long de l’année 2023, les personnes purgeant des peines de prison sur la base de fausses accusations ont été soumises à des mauvais traitements. Nariman Dzhelial, vice-président de l'organe représentatif des Tatars de Crimée le Mejlis, les membres de Solidarité avec la Crimée Amet Suleymanov et Server Mustafayev, le défenseur des droits humains Emir-Usein Kuku, le journaliste Timur Ibragimov et les militants Rustem Seytmemetov et Zevri Abseitov, entre autres, se sont vu refuser à plusieurs reprises l'accès à des soins médicaux adéquats. En février, Djemil Gafarov, un activiste de Solidarité avec la Crimée qui se voyait systématiquement refuser l'assistance médicale nécessaire pendant qu'il purgeait sa peine, est décédé dans un centre de détention en Russie.

En janvier, les autorités d'occupation ont arrêté arbitrairement 34 personnes qui s'étaient rassemblées près d'un palais de justice à Simferopol pour assister à une audience contre un groupe de Tatars de Crimée. Parmi ces personnes, 26 ont été condamnées sans délai à une peine de détention de 10 à 16 jours et 1 autre à une amende. En août, un tribunal a condamné 22 Tatars de Crimée à sept jours de détention maximum pour s’être rassemblés devant un palais de justice afin d’assister à une audience.

En mai, un tribunal russe a arrêté Leniie Umerova, 25 ans, militante de Solidarité avec la Crimée, pour espionnage. Les forces de sécurité russes ont arrêté Umerova une première fois pour violation présumée des règles migratoires, après qu'elle s’était rendue en Crimée en décembre 2022 pour rendre visite à son père gravement malade. Umerova a passé 14 semaines en détention migratoire. Une fois libérée, elle a été immédiatement de nouveau détenue et inculpée à quatre reprises pour avoir désobéi aux ordres de la police.

Dans son rapport d’avril, la Commissaire aux droits de l’homme du Conseil de l’Europe a déclaré que l’invasion à grande échelle de l’Ukraine par la Russie « avait aggravé la situation déjà déplorable du peuple tatar de Crimée dans la péninsule ».

Les autorités russes ont poursuivi leur pratique illégale consistant à enrôler de force des résidents de Crimée dans les forces armées russes. En septembre, les autorités avaient imposé 600 sanctions administratives à au moins 600 résidents de Crimée et engagé au moins 10 poursuites pénales pour « discrédit des forces armées russes ».

En juillet, les autorités ont transféré illégalement dans un centre de détention du sud de la Russie une militante de Crimée, Iryna Danylovych, qui avait été condamnée en 2022 à sept ans de prison sur des accusations liées à la fabrication d'explosifs, et lui ont refusé des soins médicaux à plusieurs reprises.

En septembre, un tribunal militaire russe a condamné par contumace Ayder Muzhdabaev, le directeur adjoint de la chaîne de télévision tatare de Crimée ATR, à six ans de prison pour incitation publique au terrorisme.

L’absence d’enquêtes sur les disparitions forcées de Tatars de Crimée et de militants pro-ukrainiens lors de l’occupation initiale de la Crimée par la Russie en 2014 a continué de renforcer le climat d’impunité et de non-droit dans la péninsule.

Démocratie et État de droit

Le gouvernement a fait progresser les réformes liées à la candidature à l'UE, en prenant des mesures en matière de réforme judiciaire et de lutte contre la corruption.

En mars 2023, le Cabinet des ministres a approuvé un plan de lutte contre la corruption sur deux ans, prévoyant des réformes dans un grand nombre de secteurs gouvernementaux.

En janvier, le Congrès des juges a nommé huit nouveaux membres au Conseil supérieur de la justice (CSJ), relançant ainsi son fonctionnement depuis l’invasion à grande échelle de la Russie. En juin, le CSJ a nommé 16 membres à la Haute Commission de qualification des juges, achevant ainsi la réforme des deux principales entités judiciaires ukrainiennes. La société civile a accueilli avec prudence ces évolutions, à l'exception de l'inclusion dans la commission de deux juges dont elle remettait l'intégrité en question.

La réforme de la Cour constitutionnelle ukrainienne, historiquement embourbée dans des allégations de corruption, a fait l’objet d’une controverse concernant la composition de l’organe consultatif spécial chargé de superviser la sélection des candidats. La société civile ukrainienne et la Commission de Venise du Conseil de l’Europe ont critiqué une loi de décembre 2022 pour ne pas avoir garanti une participation significative d’experts internationaux à l’organe consultatif. La Commission européenne a également critiqué la loi, appelant à l'adhésion aux recommandations de la Commission de Venise, notamment sur l'augmentation du nombre d'experts de six à sept. En juillet, le président Volodymyr Zelensky a signé un projet de loi révisé renforçant le rôle des experts internationaux, mais n'augmentant pas leur nombre contrairement à ce qui était recommandé.

Les forces de l’ordre ont enquêté activement sur des scandales de corruption de haut niveau. En juin, le président de la Cour suprême a été arrêté pour corruption. En janvier, après une enquête pour corruption menée par un média ukrainien et une enquête pénale qui a suivi, le vice-ministre de la Défense a été démis de ses fonctions. En septembre, le ministre ukrainien de la Défense, Oleksii Reznikov, a démissionné au milieu de mois de scandales de corruption liés aux dépenses militaires. Ces scandales impliquaient des allégations selon lesquelles le ministère aurait gonflé les coûts d'achat de fournitures de base, telles que des vêtements et de la nourriture, destinées à l'armée. Six des vice-ministres de Reznikov ont été limogés deux semaines plus tard. En janvier 2023, le procureur général adjoint a démissionné à la suite d’une polémique concernant ses vacances à l’étranger en violation de la loi martiale.

En septembre, le SBU, le service de sécurité ukrainien, a arrêté l’oligarque controversé Ihor Kolomoisky pour fraude et blanchiment d’argent.

Les autorités ukrainiennes ont continué de mettre en œuvre une loi controversée de 2022 sur la collaboration avec les forces russes et les autorités d'occupation, que des acteurs internationaux et des organisations nationales ont critiquée comme étant vague, trop large, et exposant à tort un large éventail de fonctionnaires, de médecins et d'enseignants ukrainiens à des risques de poursuites administratives et de responsabilité criminelle. Les autorités ont ouvert des milliers de procédures pénales en vertu de cette loi et, au moment de la rédaction du présent rapport, les tribunaux avaient rendu au moins 500 verdicts de culpabilité.

Principaux acteurs internationaux

Les alliés de l’Ukraine lui ont fourni un important soutien militaire, politique et financier. Les gouvernements et d’autres acteurs internationaux ont continué à offrir à l’Ukraine une assistance en matière de preuves, de technique et opérationnelle pour l’aider à renforcer sa capacité judiciaire à poursuivre les crimes de guerre.

L’Ukraine et d’autres acteurs ont emprunté de multiples voies pour parvenir à la justice et à la reddition de comptes internationales, notamment par le biais du principe de compétence universelle. Par exemple, en juin, une organisation ukrainienne et une organisation internationale ont déposé une plainte pénale auprès du parquet fédéral allemand contre quatre militaires russes, dont deux hauts fonctionnaires, en soutien à une survivante ukrainienne de VSLC.

Poutine ne s’est pas rendu à Johannesburg pour le sommet des BRICS en août, réunissant les chefs d’État du Brésil, de la Russie, de l’Inde, de la Chine et de l’Afrique du Sud. En tant que membre de la CPI, l’Afrique du Sud aurait été dans l’obligation d’arrêter Poutine s’il s’y était rendu.

La CoI de l'ONU a mené un grand nombre de missions d'enquête et a rendu publiques ses conclusions, notamment dans un rapport détaillé de mars décrivant un large éventail d'abus commis par les forces russes en Ukraine, dont certains, selon la commission, pourraient constituer des crimes contre l'humanité. La commission a également documenté un « petit nombre de violations commises par les forces armées ukrainiennes, notamment des attaques probablement indiscriminées et deux incidents pouvant être considérés comme des crimes de guerre ».

Au moins 21 dirigeants et responsables gouvernementaux, notamment de pays soutenant l’effort de guerre de l’Ukraine, ont exprimé leur inquiétude quant à la décision du gouvernement des États-Unis de transférer des armes à sous-munitions à l’Ukraine. La Rapporteuse spéciale de l'ONU sur la torture a exhorté le gouvernement des États-Unis à reconsidérer ce transfert, mettant en garde contre le risque de « dommages graves et indiscriminés aux civils, tant immédiatement qu’à long terme ». En juillet, le ministre ukrainien de la Défense de l’époque s’est engagé à ce que les forces ukrainiennes n’utilisent des armes à sous-munitions que « dans les zones où se trouve une concentration de militaires russes » et à tenir un registre strict de leur utilisation.

La Rapporteuse spéciale de l’ONU sur la torture s’est rendue en Ukraine en septembre et a qualifié le recours à la torture par les forces russes en Ukraine comme étant « orchestré » et « faisant partie d’une politique de l’État visant à intimider, à semer la peur, à punir ou à extorquer des informations et des aveux ». Elle a salué les efforts des autorités ukrainiennes en matière de documentation des crimes de guerre et a énuméré les obstacles à l’obtention de justice pour les victimes, notamment la perte de preuves cruciales et la nécessité de réformer le système de justice pénale ukrainien.

En septembre, la Cour internationale de Justice (CIJ) a entamé les audiences sur les objections préliminaires de la Russie dans l’affaire déposée par l’Ukraine concernant les allégations de génocide de la Russie comme motif pour lancer l’invasion à grande échelle. Il s’agit de l’une des deux affaires déposées par l’Ukraine contre la Russie auprès de la CIJ.

Malgré les pressions constantes de la société civile et de ses alliés internationaux, l'Ukraine n'a pas ratifié le Statut de Rome, qu'elle a signé en 2000.

L'UE a condamné la Russie pour avoir exacerbé la crise mondiale de la sécurité alimentaire en se retirant de l'Initiative céréalière de la mer Noire, négociée par l’ONU, cruciale pour garantir la sécurité des exportations de céréales et d'engrais de l'Ukraine vers 45 pays. Le Secrétaire général de l’ONU, Antonio Guterres, a également exprimé ses regrets concernant la décision de la Russie et continue d’exhorter la Russie à réaffirmer son engagement en faveur de cette initiative.

En mai, la Représentante spéciale du Secrétaire général pour les enfants et les conflits armés a rencontré la commissaire russe aux droits de l’enfant, Maria Lvova-Belova, qui a été inculpée par la CPI pour d’éventuels crimes de guerre impliquant des déportations et des transferts illégaux d’enfants ukrainiens vers la Russie et l’Ukraine occupée par la Russie. Human Rights Watch et d'autres organisations de défense des droits ont dénoncé cette rencontre.

En juin, la Commission européenne a soumis une proposition au Conseil de l'UE et au Parlement européen visant à créer la « facilité pour l’Ukraine », un instrument financier de 50 milliards d'euros pour 2024-2027 prévu pour fournir une aide au redressement et à la reconstruction et soutenir l'Ukraine dans son intégration dans l'UE. Des organisations de la société civile et des partenaires internationaux ont fait pression pour que la facilité pour l'Ukraine soutienne une réforme globale du système de protection et de prise en charge de l'enfance en Ukraine, ainsi que la transition d'une prise en charge institutionnelle à une prise en charge familiale et communautaire pour tous les enfants.

En novembre, la Commission européenne a publié son rapport sur l’élargissement à l’Ukraine, recommandant l’ouverture des négociations d’adhésion à l’UE et notant la « puissante dynamique de réforme de l’Ukraine malgré la guerre en cours » et ses progrès pour franchir les sept étapes liées à son statut de candidate à l’UE. La commission a recommandé l'adoption du cadre de négociation d'élargissement — la prochaine étape du processus d'adhésion — une fois que l'Ukraine aura mis en œuvre les mesures clés restantes liées à la lutte contre la corruption, à la désoligarchisation et aux droits des minorités nationales. Dans son rapport, la commission a souligné que l'Ukraine devrait s'efforcer en priorité de ratifier le Statut de Rome de la CPI au cours des 12 prochains mois. Au moment de la rédaction du présent rapport, la décision des États membres de l'UE sur l'ouverture ou non des négociations d'adhésion avec l'Ukraine était en instance et attendue pour décembre 2023.