Pendant la deuxième année de l’invasion à grande échelle de l’Ukraine par la Russie, les autorités russes ont encore intensifié leurs efforts pour éradiquer toute dissidence à l’intérieur du pays, qu’il s’agisse de la guerre ou des politiques intérieures du Kremlin. Elles ont adopté et appliqué de nouvelles lois répressives, prononcé des peines de prison d’une durée excessivement longue pour sanctionner des discours pacifiques contre la guerre et contraint plusieurs organisations de défense des droits humains de premier plan à fermer leurs portes.
La Russie reste le pays le plus lourdement sanctionné au monde.
La mutinerie avortée du groupe de mercenaires Wagner a conduit le président Vladimir Poutine à admettre que ce groupe, connu pour les graves violations des droits humains qu’il commet dans le cadre de ses opérations à l’étranger et pour avoir recruté des condamnés russes pour combattre en Ukraine en échange d’amnisties, était entièrement financé par le budget de la Russie.
En mars, la Cour pénale internationale a émis des mandats d’arrêt à l’encontre de Vladimir Poutine et de la Commissaire russe aux Droits de l’enfant, Maria Lvova-Belova, pour le transfert forcé d’enfants ukrainiens des zones occupées de l’Ukraine et leur déportation illégale vers la Russie. En réponse, la Russie a adopté en avril une loi qui criminalise l’assistance aux organismes étrangers et internationaux « auxquels la Russie n’est pas partie ». Pour plus d’informations sur les violations des lois de la guerre commises par les forces russes en Ukraine, notamment les crimes de guerre et crimes contre l’humanité présumés de ce pays, veuillez consulter le chapitre sur l’Ukraine.
De nouvelles lois ont imposé d’importantes limitations aux droits et à l’accès aux services de l’État pour les personnes perçues comme ayant échappé à l’appel sous les drapeaux.
Liberté d’expression
Les autorités russes ont continué d’utiliser des accusations administratives et pénales pour poursuivre les auteurs de propos visant à « discréditer » les forces armées russes et ceux qui diffusent de « fausses informations » les concernant, dans le but de réprimer le discours anti-guerre et de poursuivre et emprisonner des personnes pour l’expression légale et pacifique de leurs opinions. En 2023, selon l’organisation de défense des droits humains OVD-info, au moins 77 personnes ont été reconnues coupables et condamnées pour diffusion de « fausses informations » et 52 pour propos visant à « discréditer » ; en octobre 2023, des procédures pénales ont été ouvertes contre plus de 350 personnes pour ces motifs. Parmi elles se trouvaient aussi bien des personnalités de l’opposition que des personnes n’ayant aucun antécédent dans le militantisme.
En décembre 2022, un tribunal de Moscou a condamné Ilia Iachine, une figure de l’opposition politique, à huit ans et demi de prison pour diffusion de « fausses informations ». En avril 2023, après un an de détention provisoire, une autre personnalité de l’opposition, Vladimir Kara-Murza, a été condamné à une peine de 25 ans de réclusion dans une prison de haute sécurité pour trahison, diffusion de « fausses informations » et participation à une « organisation indésirable ».
En mars, une nouvelle loi a étendu les dispositions relatives au fait de « discréditer » et à la diffusion de « fausses informations » aux « volontaires » qui prennent part à des conflits armés ou les « soutiennent ».
Une loi adoptée en avril permet aux autorités de déchoir de leur nationalité les ressortissants russes naturalisés, même si cela les rend apatrides, et de les expulser pour avoir commis des délits tels que des propos visant à « discréditer » et la diffusion de « fausses informations ».
Les autorités ont de plus en plus eu recours à la législation russe sur les « organisations indésirables » pour mettre hors-la-loi plusieurs médias russes indépendants en exil, notamment TV Rain, Meduza, The Project et Novaya Gazeta Europe. Entre 2022 et 2023, au moins cinq personnes ont été condamnées pour avoir reposté des contenus publiés par des médias « indésirables ».
Les autorités russes ont également multiplié les poursuites qui s’appuient sur de fausses accusations de trahison, de coopération confidentielle et d’espionnage. En mars, le Service fédéral de sécurité russe (FSB) a arrêté le journaliste du Wall Street Journal Evan Gershkovich pour espionnage. Au moment de la rédaction du présent rapport, il était toujours en détention provisoire.
Au cours du seul premier semestre 2023, le FSB a ouvert plus de nouveaux dossiers pour des affaires de trahison à l’encontre de diverses personnes que pendant toute l’année 2022. Une loi adoptée en avril a alourdi les peines encourues pour trahison et autres crimes.
Selon l’organisation russe de défense des droits humains First Department, en 2023, les autorités ont ouvert au moins 21 affaires pénales contre des personnes qui auraient participé à une « coopération confidentielle » avec des ressortissants non russes, en vertu d’une loi qui rappelle l’interdiction des contacts avec les étrangers de l’époque soviétique.
En octobre, Alsu Kurmasheva, une journaliste de Radio Free Europe/Radio Liberty (RFE/RL), un média financé par le gouvernement américain, a été arrêtée pour ne pas s’être enregistrée en tant qu’agent de l’étranger et pour avoir recueilli des informations sur l’armée russe pour des sources étrangères. C’est la première fois que de telles charges sont retenues et elle risque jusqu’à cinq ans de prison. Au moment de la rédaction du présent rapport, elle était toujours en détention provisoire.
Les autorités russes ont également utilisé la loi contre la réhabilitation du nazisme pour réprimer la liberté d’expression légitime. En janvier, une maison d’édition russe a censuré plusieurs passages d’un livre d’un auteur américain qui comparait la conduite de l’armée soviétique en Pologne pendant la Seconde Guerre mondiale à celle de l’Allemagne nazie.
En novembre, les autorités russes ont ouvert une procédure pénale contre le dirigeant local d’un parti d’opposition dans la région russe du Kamtchatka pour des publications sur les réseaux sociaux qui comparaient des images du chanteur « patriotique » Shaman (Yaroslav Dronov) avec celles d’un jeune nazi du film Cabaret de 1972. Il risque jusqu’à quatre ans d’emprisonnement pour exhibition de symboles nazis. En juin, un tribunal de Blagoveschensk, dans l’Extrême-Orient russe, a condamné un ancien député de l’assemblée législative locale à une amende administrative similaire pour avoir reposté sur les réseaux sociaux une vidéo parodique qui diffusait des extraits d’une vidéo de Shaman parallèlement à un extrait de Cabaret. Shaman a connu la gloire après le début de l’invasion à grande échelle de l’Ukraine grâce à la diffusion de plusieurs vidéos musicales « patriotiques ».
Liberté de réunion
La liberté de réunion est restée pratiquement inexistante en Russie. Depuis 2020, les autorités russes ont à plusieurs reprises utilisé les restrictions liées au Covid-19 comme prétexte pour interdire les manifestations de l’opposition et anti-guerre dans tout le pays, malgré la levée de toutes les autres restrictions liées au Covid-19 et la tenue d’événements favorables au Kremlin rassemblant de grandes foules sans respecter les exigences liées aux quarantaines, notamment des concerts de soutien à l’invasion à grande échelle de l’Ukraine par la Russie. En février, les autorités de diverses régions ont arrêté et poursuivi des personnes qui avaient participé à des manifestations éparses à l’occasion de l’anniversaire de l’invasion à grande échelle de l’Ukraine par la Russie.
Liberté d’association
Les autorités russes ont encore élargi la législation sur les « agents de l’étranger » et les « organisations indésirables ». Elles ont ajouté au moins 192 personnes et organisations au registre des « agents de l’étranger », fixant leur nombre total à 707 au 3 novembre. Au moins 44 organisations ont été interdites comme « indésirables » en 2023. Selon un site Internet du gouvernement russe, auquel on ne peut accéder dans certains pays en dehors de la Russie qu’avec certains types de VPN, le décompte cumulé de ces organisations s’élevait à 116 au début du mois de novembre.
Une loi de décembre 2022 a rationalisé les poursuites pénales pour non-respect de la loi sur les « agents de l’étranger » et a considérablement augmenté les sanctions pour la création ou la participation à des organisations non gouvernementales (ONG) « destructrices », ce qui a encore accru les possibilités pour les autorités de pénaliser les activistes des droits civiques. En février, Artiom Vajenkov, le coordinateur de Golos, le principal organisme indépendant de surveillance des élections en Russie, est devenu la première personne accusée d’être un « agent de l’étranger » au sens révisé du terme.
Les lois adoptées en juillet et en août ont encore durci la législation sur les « agents de l’étranger », mis hors la loi les organisations étrangères dépourvues de présence légale en Russie et criminalisé la participation à leurs activités.
En mars et en avril, les autorités ont respectivement interdit Transparency International et le Forum de la société civile UE-Russie en les qualifiant d’organisations « indésirables ».
En août, la police a arrêté Grigoriy Melkonyants, le président de Golos, et a perquisitionné les appartements de plusieurs membres et individus présumés affiliés à Golos pour des allégations selon lesquelles cette organisation aurait continué de participer au Réseau européen des organisations de surveillance électorale, et ce malgré le fait que Golos ait quitté ce réseau après que celui-ci a été interdit comme étant « indésirable » en 2021. Au moment de la rédaction du présent rapport, Grigoriy Melkonyants était toujours en détention provisoire.
Attaques contre les défenseurs des droits humains
Les autorités russes ont continué de harceler, d’intimider et de poursuivre les défenseurs des droits humains et de forcer les organisations de défense des droits humains à fermer leurs portes.
En janvier, un tribunal a ordonné la fermeture du groupe Helsinki de Moscou, la plus ancienne organisation de défense des droits humains de Russie.
En mars, la police a perquisitionné des bureaux affiliés à Memorial, l’une des organisations de défense des droits humains les plus importantes de Russie, qui a été obligée de fermer en 2021, ainsi que les domiciles de neuf membres de son personnel et de son conseil d’administration. Au début du mois de janvier, le bureau du procureur a ouvert une procédure pénale contre des membres non spécifiés de Memorial pour « justification du nazisme ». En octobre, un tribunal de Moscou a condamné Oleg Orlov, coprésident de Memorial, à une forte amende pour propos visant à « discréditer » en raison d’un message posté sur les réseaux sociaux en novembre 2022 sur l’applicabilité du terme « fasciste » à la Russie d’aujourd’hui. Le ministère public a fait appel de ce verdict et a demandé l’emprisonnement d’Oleg Orlov.
En avril, le tribunal de Moscou a décidé de liquider SOVA, un organisme de surveillance de l’extrémisme russe, sous prétexte qu’il menait des activités en dehors de Moscou.
En août, un tribunal a ordonné la fermeture de l’ONG de défense des droits humains Chelovek I Zakon (L’homme et la loi) basée dans la république des Maris, à la suite de poursuites engagées par le ministère de la Justice, au motif qu’elle opérait en dehors de la région où elle était enregistrée, qu’elle ne respectait pas les règles relatives à la désignation des « agents de l’étranger » et qu’il existait des divergences entre ses activités et les objectifs énumérés dans ses documents constitutifs.
En décembre 2022, un tribunal a condamné le Centre Sakharov, une organisation de défense des droits humains basé à Moscou, à une amende de 5 millions de roubles (environ 50 000 dollars des États-Unis) pour avoir enfreint les exigences en matière de désignation des « agents de l’étranger ». En août 2023, un autre tribunal a ordonné la fermeture de cette organisation à la suite de poursuites du ministère de la Justice alléguant plusieurs violations, dont le non-respect de ces exigences. En janvier 2023, les autorités ont interdit la Fondation Andrei Sakharov, enregistrée aux États-Unis, qu’elles considèrent comme « indésirable ».
En juillet, les autorités russes ont interdit la Human Rights House Foundation, dont le siège se trouve en Norvège, en la qualifiant d’« indésirable » et en faisant de la coopération avec cette fondation une infraction pénale pour ses partenaires russes.
En mai, un tribunal a condamné Bakhrom Khamroyev à 14 ans de prison pour des accusations liées au terrorisme. Il aurait publié des messages sur les réseaux sociaux et préparé des publications liées à Hizb ut-Tahrir (HuT), un mouvement panislamiste qui cherche à mettre en place un califat, mais répudie publiquement la violence pour la poursuite de cet objectif. Bakhrom Khamroyev était affilié au Human Rights Center Memorial et, ces dernières années, il a défendu les droits des travailleurs migrants d’Asie centrale.
Mauvais traitements en détention
Selon un organisme russe de surveillance des droits humains, les autorités russes ont infligé des placements répétés et prolongés en cellule disciplinaire à au moins 40 activistes et membres de minorités religieuses persécutées. Elles ont fait subir à ces détenus d’autres formes de mauvais traitements, notamment des détentions au secret pendant des transferts prolongés entre les centres de détention provisoire et les prisons.
En septembre, l’opposant Alexeï Navalny a été condamné à la peine disciplinaire maximale d’un an. Depuis son arrestation en janvier 2021, il avait déjà été placé en cellule disciplinaire au moins 20 fois pour des durées différentes. Les autorités pénitentiaires ont également placé l’historien et défenseur des droits Yori Dmitriyev en cellule disciplinaire pendant 15 jours, malgré son état de santé jugé médiocre.
Malgré les risques encourus pour les personnes ayant des problèmes de santé connus, des Tatars de Crimée qui purgent des peines en Russie pour leur implication présumée dans le HuT ont également été placés à plusieurs reprises en cellules disciplinaires pour des périodes prolongées. L’un d’eux a passé quatre mois consécutifs en cellule disciplinaire, et un autre y a passé plus de deux ans depuis sa condamnation en 2019.
En janvier 2023, Andrey Pivovarov, ancien directeur général d’Open Russia, a été détenu au secret pendant un mois lors de son transfert entre sa détention provisoire et un établissement pénitentiaire. Les autorités russes ont ignoré les demandes de son avocat et de sa famille qui voulaient s’informer sur le lieu où il se trouvait et sur son état de santé, une pratique à laquelle Vladimir Kara-Murza et de nombreuses autres personnes ont également été assujetties de la part des autorités.
Tchétchénie
Les autorités tchétchènes dirigées par le gouverneur Ramzan Kadyrov ont continué à anéantir toute forme de dissidence, en ciblant les critiques et en exerçant des représailles contre les membres de leur famille, notamment en mobilisant de force des hommes pour qu’ils combattent pour les forces russes en Ukraine.
En juillet, des hommes armés cagoulés ont violemment attaqué Elena Milashina, journaliste à Novaya Gazeta, et Alexander Nemov, un avocat spécialisé dans les droits humains, qui étaient arrivés à Grozny pour assister à une audience du tribunal dans l’affaire politiquement motivée contre Zarema Mussaeva, qui a été reconnue coupable et condamnée à plusieurs années de prison. Elena Milashina et Alexander Nemov ont été violemment passés à tabac, entraînant de multiples traumatismes, notamment des fractures. Leurs agresseurs ont également menacé de les tuer. Au moment de la rédaction du présent rapport, une enquête était en cours.
En février, les autorités moscovites ont arrêté Idris Arsamikov, qui avait déjà été torturé en Tchétchénie en raison de son orientation sexuelle présumée, sur la base d’accusations de fraude fabriquées de toutes pièces, et l’ont transféré en Tchétchénie. La police tchétchène a refusé de divulguer le lieu où il se trouve et de permettre à ses avocats d’avoir accès à lui. Deux vidéos sont apparues sur la page VKontakte d’Idris Arsamikov, qui le montrent chez lui en train de dénoncer les efforts déployés pour le retrouver et faisant d’autres déclarations qui semblent avoir été obtenues sous la contrainte.
En août, une vidéo a circulé sur les réseaux sociaux montrant le fils de Ramzan Kadyrov, âgé de 15 ans, en train de passer à tabac un suspect qui avait été placé en détention pour avoir détruit le Coran. Ramzan Kadyrov a publiquement approuvé les actes de son fils. En octobre, le garçon a reçu la distinction gouvernementale de « Héros de la République tchétchène ».
Lutte contre le terrorisme et l’extrémisme
Au milieu de l’année 2023, d’anciens alliés d’Alexeï Navalny ont été condamnés à de lourdes peines pour des fausses accusations d’extrémisme et autres accusations connexes à l’issue de plusieurs procès à huis clos. Parmi les personnes concernées figurent Lilia Chanysheva, condamnée en juin à 7 ans et demi de prison à Oufa, au Bachkortostan, pour extrémisme et appartenance à une « ONG destructrice » ; son co-accusé, Roustem Moulioukov, condamné à 2 ans et demi pour extrémisme ; et de Vadim Ostanin, condamné à 9 ans de prison pour le même chef d’inculpation à Barnaoul. Au moment de la rédaction du présent rapport, Ksenia Fadeïeva était toujours jugée à Tomsk pour « extrémisme aggravé » et participation à une organisation « destructrice ».
En août, un tribunal a condamné Alexeï Navalny à 19 ans de détention dans une prison de haute sécurité pour des accusations d’extrémisme et d’autres chefs d’accusation fallacieux. Daniel Kholodny, son co-accusé, ancien directeur technique de la chaîne YouTube de Navalny, a pour sa part été condamné à huit ans de détention.
En septembre, plusieurs personnes ont été arrêtées pour financement d’une organisation « extrémiste » en raison de dons faits à la Fondation anticorruption, affiliée à Navalny.
En octobre, trois des avocats d’Alexeï Navalny ont été placés en détention en vertu de d’accusations d’extrémisme, pour avoir prétendument facilité les contacts entre Alexeï Navalny et ses assistants et partisans, alors qu’il est toujours en prison. Ils risquent jusqu’à six ans de prison.
En juin, six activistes du mouvement de jeunesse d’opposition « Vesna » (« Printemps » en russe) ont été arrêtés sur la base de divers chefs d’accusation fallacieux, dont celui d’extrémisme. En septembre, les autorités ont inscrit 21 membres de Vesna, dont les six susmentionnés, au registre des « extrémistes » et des « terroristes ». En 2022, les autorités russes ont ouvert plusieurs procédures pénales contre des activistes de Vesna pour avoir organisé des manifestations pacifiques contre l’invasion à grande échelle de l’Ukraine par la Russie. Un tribunal a interdit Vesna comme organisation extrémiste en décembre 2022 en raison de son activisme civique légitime et pacifique.
En mai, les autorités ont arrêté Evgenia Berkovich, metteuse en scène de théâtre, et Svetlana Petriychuk, dramaturge, pour « justification du terrorisme » en raison d’une pièce primée sur laquelle elles ont travaillé ensemble, et qui traite de femmes devenues les épouses de membres de l’État islamique. Au moment de la rédaction du présent rapport, toutes deux étaient toujours en détention provisoire.
Les autorités russes ont ouvert de nouvelles procédures pénales pour apologie du terrorisme à l’encontre d’au moins deux prisonniers politiques qui purgent déjà des peines de prison, sur la base de commentaires qu’ils auraient adressés à des co-détenus. En août et en octobre, de telles procédures ont été ouvertes à l’encontre d’Azat Miftakhov et d’Alexeï Gorinov. Azat Miftakhov devait être libéré après avoir purgé une peine pour tentative présumée d’incendie d’un bureau vide du parti au pouvoir, Russie Unie, et Alexeï Gorinov purge une peine de sept ans de prison pour diffusion de « fausse informations » sur les forces russes et pour avoir parlé publiquement des pertes civiles en Ukraine. Ces nouveaux chefs d’accusation peuvent entraîner jusqu’à cinq ans d’emprisonnement.
En septembre, un tribunal a condamné un journaliste daghestanais, Abdoulmoumin Gadjiyev, à 17 ans de détention dans une prison de haute sécurité pour trois fausses accusations liées au terrorisme ; ses co-accusés ont écopé de 17 ans et demi et 18 ans de prison. Des organisations de défense des droits humains affirment que ces accusations ont été faites en représailles aux reportages dont il est l’auteur.
Les autorités russes ont également continué d’abuser de la législation relative à la lutte contre l’extrémisme et le terrorisme pour persécuter les minorités religieuses. La police a effectué des descentes aux domiciles de Témoins de Jéhovah, interdits en Russie car considérés comme « extrémistes » depuis 2017, et lancé de nouvelles poursuites pénales à leur encontre. En 2023, au moins 38 Témoins de Jéhovah ont été condamnés à des peines allant jusqu’à sept ans d’emprisonnement et 68 autres ont été condamnés à diverses peines ne prévoyant pas d’emprisonnement. Depuis l’interdiction de 2017, plus de 410 Témoins de Jéhovah ont passé du temps derrière les barreaux, soit en attente d’un procès, soit pour purger une peine de prison.
En 2023, les tribunaux russes ont continué à prononcer de longues peines d’emprisonnement contre des personnes accusées, pour des motifs politiques, d’appartenir à HuT, interdite en tant qu’organisation terroriste en Russie en 2003. Selon Memorial, en octobre 2023, au moins 335 personnes étaient poursuivies pour appartenance présumée à HuT en Russie et en Crimée occupée, et 115 d’entre elles ont été condamnées à plus de 15 ans de prison.
Plusieurs personnes ont également été condamnées, inculpées ou placées en détention en raison de leur affiliation supposée à Nurdzhular, un groupe d’adeptes du théologien turc Said Nursi que la Russie a interdit en 2008 en tant qu’extrémiste, bien que le groupe n’ait aucun antécédent d’incitation à la violence ou d’actes de violence.
Les autorités russes ont également continué à développer leur législation relative à la lutte contre l’extrémisme. En vertu d’une loi adoptée en juin, la possession ou la distribution de matériel relevant de la définition juridique trop large et trop vague du terme « extrémiste » est susceptible d’entraîner une mise en cause administrative, qui peut ensuite déboucher sur une responsabilité pénale en cas de récidive ; auparavant, la responsabilité était déclenchée par la possession ou la diffusion de matériel si celui-ci figurait sur la liste des « matériels extrémistes » dressée par les autorités.
Changement climatique, environnement et droits humains
Plusieurs observateurs ont continué à signaler des agressions physiques, du harcèlement et des poursuites à l’encontre d’activistes et d’organisations de défense de l’environnement.
Entre avril et juillet, les autorités ont interdit cinq organisations de défense de l’environnement, dont Greenpeace et le Fonds mondial pour la nature (WWF), en les qualifiant d’« indésirables ».
De gigantesques incendies de forêt ont à nouveau fait rage dans différentes régions de Russie, mais les ressources allouées par les autorités russes pour les gérer seraient restées insuffisantes. Les autorités locales auraient en outre tenté de sous-estimer l’ampleur de ces incendies.
En septembre, le tout premier « procès climatique » contre le gouvernement russe, qui exige qu’il réduise drastiquement ses émissions de gaz à effet de serre, a été porté devant la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH).
Migrants, apatridie et xénophobie
La police russe a continué à pratiquer le profilage racial des migrants non slaves et des minorités ethniques et à les soumettre à des contrôles d’identité non fondés et à des détentions souvent prolongées dans des conditions inhumaines. Certains ont été agressés physiquement.
En juillet, la police a perquisitionné des mosquées de la région de Moscou en prétextant des contrôles d’immigration, en interrompant le culte et en agressant physiquement et verbalement les fidèles.
Dans certains cas, à l’occasion de descentes de police, des policiers ont recherché des migrants d’Asie centrale ayant la double nationalité russe pour les remettre de force aux bureaux de naturalisation. En août, les autorités de la région de Kalouga auraient refusé d’accepter les demandes de naturalisation de travailleurs migrants à moins qu’ils ne signent des contrats qui les obligent à effectuer leur service militaire.
Depuis l’automne 2022, les autorités russes recrutent activement des migrants d’Asie centrale pour qu’ils signent des contrats avec l’armée, en leur faisant notamment miroiter des annulations d’arrêtés d’expulsion et des processus de naturalisation simplifiés ou en ayant recours à des moyens de coercition ou à de la tromperie. Dans plusieurs cas, des responsables ont délivré des avis d’incorporation à des ressortissants d’Asie centrale n’ayant pas de passeport russe et ne pouvant donc pas être incorporés.
En janvier, un responsable de haut rang a déclaré que les autorités devraient donner la priorité à l’envoi de doubles nationaux des pays d’Asie centrale pour combattre en Ukraine. Plus tard, il a également proposé de déchoir de leur nationalité les ressortissants russes naturalisés qui refuseraient de combattre en Ukraine. En août, le chef du Conseil présidentiel russe pour les droits humains a proposé de synchroniser la procédure de naturalisation avec l’enregistrement dans les bureaux d’appel militaire.
Au moment de la rédaction du présent rapport, le parlement examinait une loi – dont la version officielle est disponible sur un site Internet du gouvernement russe qui, dans certains pays en dehors de la Russie, n’est accessible qu’en utilisant certains types de VPN – qui permettrait aux citoyens naturalisés d’être déchus de leur nationalité russe pour évasion fiscale, même si cela les rend apatrides.
Des experts ont fait état d’une augmentation des attaques racistes xénophobes, perpétrées par des néo-nazis dans le pays et ont noté une recrudescence de la rhétorique xénophobe anti-migrants au sein du parlement, des médias et de la société dans son ensemble.
Fin octobre, au moins quatre incidents antisémites se sont produits dans le Caucase du Nord, dont une attaque d’une foule à la recherche de passagers israéliens dans un aéroport. La police a arrêté 201 personnes pour avoir participé aux émeutes de l’aéroport et a ouvert une enquête criminelle. Toutefois, elle n’a reconnu aucun de ces incidents comme ayant un caractère antisémite.
Orientation sexuelle et identité de genre
Les autorités russes ont intensifié leur répression à l’encontre des personnes lesbiennes, gays, bisexuels et transsexuels (LGBT).
En novembre, lors d’une audience à huis clos, la Cour suprême de Russie a considéré le mouvement international LGBT comme une organisation extrémiste et l’a interdit à la suite de poursuites du ministère de la Justice. Le ministère a accusé le « mouvement LGBT » d’inciter à la discorde sociale et religieuse.
Une loi adoptée en juillet interdit les opérations chirurgicales d’affirmation de genre et les soins de santé pour les transgenres, dissout les mariages transgenres, interdit de modifier les marqueurs de genre dans les documents officiels, interdit aux personnes transgenres d’adopter des enfants ou d’en assumer la tutelle. Elle autorise en outre les interventions médicales coercitives sur les enfants intersexués.
Le régulateur russe des médias et des communications, Roskomnadzor, a engagé des poursuites contre plusieurs services de streaming qui ont diffusé des films présentant des scènes avec des personnes LGBT et a ordonné le blocage de sites Internet présentant tout contenu LGBT. En février 2023, Roskomnadzor a élaboré des règles définissant les critères de définition de la « propagande gay ».
Les autorités ont fait usage des désignations d’« agents de l’étranger » contre plusieurs organisations LGBT, dont le Centre T, qui se préoccupe des droits et du bien-être des personnes trans. Elles ont bloqué de manière extrajudiciaire les sites Internet des organisations de défense des droits des personnes LGBT, notamment le Centre T et Delo LGBT+.
En juin 2023, le ministre russe de la Santé a déclaré que le président Poutine avait donné pour instruction au ministère de créer un nouvel institut psychiatrique chargé d’étudier le comportement des personnes LGBT. Les défenseurs des droits humains craignent que cela ne conduise à l’introduction officielle de mesures favorisant la thérapie de conversion.
Censure en ligne, surveillance et vie privée
Les autorités russes ont continué de bloquer de manière arbitraire plusieurs sites Internet, et ce sans ordonnance du tribunal, et ont encore allongé la liste des organes de l’État autorisés à procéder à de tels blocages. Parmi les contenus bloqués figuraient des médias indépendants, des organisations de défense des droits, des milliers de sites Internet critiquant l’invasion à grande échelle de l’Ukraine par la Russie, ainsi que des contenus relatifs aux soins des personnes LGBT et à l’affirmation du genre.
Les autorités ont également continué à renforcer leur contrôle sur l’infrastructure Internet. Une loi adoptée en juillet oblige les entités qui fournissent des services d’hébergement sur Internet à s’inscrire sur un registre d’État. En septembre, une autre loi est entrée en vigueur, exigeant des points d’échange Internet (Internet Exchange Point) et des opérateurs de télécommunications qu’ils installent dans leurs réseaux une technologie d’inspection profonde des paquets (IPP - Deep Packet Inspection) permettant à l’État de filtrer et de réacheminer directement le trafic Internet.
En avril, des responsables moscovites ont reconnu qu’ils utilisaient la vidéosurveillance avec technologie de reconnaissance faciale pour arrêter des personnes soupçonnées de chercher à échapper à la conscription. Les autorités ont encore étendu l’utilisation de la technologie de reconnaissance faciale, notamment aux frontières et dans les écoles.
En décembre 2022, une fuite de données personnelles a confirmé que le gouvernement de la ville de Moscou n’avait pas sécurisé les données personnelles sensibles de millions d’enfants et de parents. En février, une nouvelle loi a étendu la collecte obligatoire à vie des données ADN à des millions de personnes soupçonnées d’avoir commis un crime, ou qui ont été condamnées pour certains délits. En septembre, une autre loi est entrée en vigueur, qui autorise les services de sécurité russes à accéder en direct aux données relatives aux courses de taxi.
Principaux acteurs internationaux (voir aussi le chapitre sur l’Ukraine)
En septembre, Mariana Katzarova, la première Rapporteuse spéciale des Nations unies sur les droits humains en Russie, a présenté son premier rapport au Conseil des droits de l’homme des Nations unies, soulignant la détérioration significative des droits humains en Russie depuis l’invasion à grande échelle de l’Ukraine en 2022. En octobre, le Conseil des droits humains des Nations Unies a voté la prolongation d’un an du mandat de la rapporteuse.
Tout au long de l’année, les institutions des Nations unies ont publié de nombreuses déclarations sur la situation des droits humains en Russie. Le Haut-commissaire des Nations Unies aux droits de l’homme s’est dit très préoccupé par la dernière condamnation d’Alexeï Navalny, a condamné la peine prononcée contre Vladimir Kara-Murza en avril, a exprimé sa profonde inquiétude concernant la législation sur les « agents de l’étranger » et les lois anti-LGBT, et sur la dissolution d’organisations de défense des droits humains et de plusieurs médias indépendants.
De même, les procédures spéciales des Nations unies, individuellement ou conjointement, ont demandé la libération immédiate de Vladimir Kara-Murza et d’Evan Gershkovich, demandé à la Russie d’enquêter sur l’attaque contre Yelena Milashina et Alexander Nemov, exhorté la Russie à abandonner les poursuites pénales contre Oleg Orlov, fait part de leur inquiétude face à la grave détérioration de l’état de santé d’Alexeï Navalny et concernant trois partisans emprisonnés de Navalny, et exprimé leur préoccupation face au recrutement de détenus par le groupe Wagner et « à l’escalade des mesures de répression contre la société civile ».
Deux organes conventionnels des droits de l’homme des Nations Unies ont publié des observations finales sur la Russie. En avril, le Comité des Nations unies pour l’élimination de la discrimination raciale s’est déclaré profondément préoccupé par le manque de clarté de la définition des « activités extrémistes » dans la législation russe et a appelé la Russie à lutter contre les discours de haine raciste, la haine raciale et la discrimination. En novembre 2022, le Comité des droits de l’homme des Nations Unies s’est dit profondément préoccupé par les violations des droits dans les territoires ukrainiens occupés par la Russie et par un large éventail d’autres questions relatives aux droits, dont beaucoup ont déjà été évoquées dans le présent chapitre.
En février, l’Union européenne a imposé de nouvelles sanctions contre le groupe de mercenaires Wagner, parrainé par le Kremlin, pour les graves violations des droits humains commises en République centrafricaine et au Soudan, parallèlement aux sanctions imposées aux mercenaires Wagner dans le cadre des régimes de sanctions de l’UE à l’égard du Mali et de l’Ukraine. En septembre, l’UE a condamné les « élections » organisées par la Russie dans les territoires occupés de l’Ukraine, les qualifiant de « violation du droit international ».
Tout au long de l’année 2023, l’UE a publié de nombreuses déclarations condamnant les violations des droits humains en Russie, notamment au sujet des décisions de justice prononcées contre Navalny et Kara-Murza. En juillet, l’UE a exhorté la Russie à abandonner les poursuites criminelles contre Oleg Orlov, accusé d’avoir tenu des propos visant à « discréditer » les forces armées russes. En juin et juillet, le Conseil de l’UE a annoncé des sanctions en matière de droits humains à l’encontre de personnes et d’entités pour la condamnation de Kara-Murza et la détention de Navalny, ainsi que pour d’autres violations des droits humains.
L’UE a publié plusieurs déclarations exprimant sa solidarité avec la société civile indépendante de Russie et avec les personnes qui ont été persécutées pour avoir critiqué la guerre menée par la Russie en Ukraine. Le Parlement européen a également adopté plusieurs résolutions condamnant le bilan de la Russie en matière de droits humains.
En février, soulignant les priorités de l’UE dans les forums des droits humains des Nations Unies, le Conseil de l’UE a condamné les violations du droit international des droits humains et du droit international humanitaire découlant de l’invasion à grande échelle de l’Ukraine par la Russie.
En septembre, la Cour européenne des droits de l’homme a rendu un arrêt dans l’affaire Maxim Lapunov, la seule victime de la purge anti-gay de 2017 en Tchétchénie qui avait osé demander justice malgré le risque personnel important encouru par lui. La Cour a estimé que Lapounov avait été « détenu et soumis à des mauvais traitements par des agents de l’État » qui « s’apparentent à de la torture » et ont été perpétrés « uniquement en raison de son orientation sexuelle ».
En juillet, la Cour européenne des droits de l’homme a statué en faveur d’un ressortissant russe dans une affaire concernant l’utilisation par la police de la technologie de reconnaissance faciale pour poursuivre des manifestants pacifiques. Le tribunal a conclu que l’utilisation des données personnelles, notamment celles issues de la technologie de reconnaissance faciale, pour identifier puis arrêter un manifestant, constituait une ingérence injustifiée dans sa vie privée. Elle a également exprimé de « sérieux doutes » quant à la question de savoir si les dispositions de la législation russe peuvent fournir une base juridique appropriée pour le traitement des données biométriques.
En octobre, la Russie n’a pas réussi à récupérer un siège au Conseil des droits de l’homme des Nations Unies lors d’une élection de l’Assemblée générale. L’Assemblée générale avait suspendu l’adhésion de Moscou au Conseil en 2022 en raison de son invasion à grande échelle de l’Ukraine, des atrocités commises et de son bilan en matière de droits humains dans ce pays.