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Un robot représentant la campagne « Stop Killer Robots » (« Halte aux robots tueurs ») devant le siège des Nations Unies à New York, en octobre 2019. © 2019 Campaign to Stop Killer Robots/Ari Beser

Par Tony Fortin, Chargé d'études, Observatoire des armements
Bénédicte Jeannerod, Directrice France, Human Rights Watch
Manuel Patrouillard, Directeur général, Handicap International
Jean-Claude Samouiller, Président, Amnesty International France
Organisations membres de la Campagne contre les robots tueurs

Une écrasante majorité de pays [152], dont la France, a voté le 22 décembre, en faveur de la première résolution de l'Assemblée générale des Nations unies sur les armes autonomes.

La résolution reconnaît les « les enjeux de taille et les vives inquiétudes » soulevés par « les nouvelles applications technologiques dans le domaine militaire, y compris celles liées à l'intelligence artificielle et à l'autonomie des systèmes d'armes ». Elle pourrait ouvrir la voie à un traité d'interdiction et de régulation des systèmes d'armes autonomes, que de nombreux pays appellent de leurs vœux. La France devrait saisir cette occasion et jouer un rôle moteur dans ce processus.

Il est urgent que la communauté internationale s'attaque aux dangers que pose la suppression du contrôle humain sur l'utilisation de la force. Les systèmes d'armes autonomes menacent notre humanité et les principes fondamentaux du droit international.

Les armes autonomes sont des systèmes qui, une fois activés, ont la capacité de sélectionner une cible à partir du traitement de capteurs, et non d’une intervention humaine.

Laisser le choix de tuer à des machines franchit une ligne rouge morale et éthique, les algorithmes étant imparfaits et incapables d’appréhender la valeur de la vie humaine. Il n’est pas du tout évident qu’une intelligence artificielle permette le respect du droit international, notamment le principe de distinction entre combattants et non-combattants.

Les civils en paieraient le prix. Les graves violations des règles de la guerre commises dans les conflits actuels en Ukraine, en Israël-Palestine et au Soudan entraînent un coût exorbitant en vies civiles. Les systèmes d'armes autonomes rendraient la guerre encore plus déshumanisante et meurtrière pour les civils.

Les armes autonomes représentent également une menace sécuritaire terrifiante. Elles peuvent être déployées à grande échelle, sans engager de soldats – à faible coût mais avec des conséquences massives. Les laisser proliférer entraine aussi le risque que des groupes armés qui, déjà, ne respectent aucune règle de la guerre, se les procurent. Et elles pourraient être piratées et retournées contre les pays qui les ont développées.

Depuis mai 2014, les discussions sur les armes autonomes dans le cadre de la Convention sur certaines armes classiques (CCAC) ont permis de faire progresser la compréhension commune des dangers, des caractéristiques et des limites nécessaires pour ces armes. Mais une poignée de pays – notamment la Russie et l’Inde – ont maintes fois empêché d’entamer des négociations, souhaitées par une majorité d'États. Le processus de décision par consensus au sein de la CCAC rend possible ce blocage par une minorité. Il est donc évident que l’élaboration d’un traité doit se faire dans un autre forum. L’Assemblée générale des Nations unies nous offre une solution pour sortir de l’impasse.

Il y a urgence : l’automatisation croissante des technologies militaires nous rapproche dangereusement de leur déploiement massif. La menace est connue et imminente. Plus de 100 pays demandent l’ouverture de négociations pour un traité sur les armes autonomes, mais aussi des responsables religieux, 26 lauréats du prix Nobel et des milliers d’experts et de scientifiques, plus de 250 organisations de la société civile dont les nôtres. Le Parlement européen a voté deux résolutions en ce sens, et le 5 octobre dernier, le Secrétaire Général des Nations Unies et la Présidente du Comité international de la croix rouge ont appelé les décideurs politiques à adopter de manière urgente de nouvelles règles de droit international sur les armes autonomes. Antonio Guterres recommande la conclusion d’un traité d’ici 2026.

L’année à venir sera cruciale. Les Etats devraient présenter leurs positions et ouvrir la voie à un processus de négociation dès la prochaine Assemblée générale de l’ONU, en 2024.

Par le passé, d’autres traités ont interdit le développement, la production ou l’usage de certaines armes, à l’image du traité d’Ottawa pour les mines antipersonnel en 1997 ou celui d’Oslo sur les armes à sous munitions en 2008. Sur la base de ces traités, plus de 100 Etats ont mis fin à la prolifération de ces armes. Un signal clair a été envoyé aux industriels et aux financeurs de ces armes, les rendant plus difficiles à exporter, et indiquant clairement que les Etats les utilisant seraient stigmatisés. Bien que ni la Russie ni l'Ukraine ne fassent partie de la Convention sur les armes à sous-munitions, l'utilisation de ces armes dans ce conflit a suscité une vague d'inquiétude.

La France a initié les premières discussions multilatérales sur les armes autonomes à la CCAC il y a dix ans et a été l'un des États les plus actifs et les plus engagés sur ce problème, mais elle pourrait faire beaucoup plus.

La France devrait prendre en compte les aspects qui ont été négligées dans les discussions jusqu'à présent, notamment les perspectives éthiques, les implications en matière de droits humains, la prolifération et les impacts sur la sécurité mondiale et la stabilité régionale et internationale, sans négliger le risque de l'abaissement du seuil d’engagement des conflits.

Il est essentiel que le gouvernement français poursuive ses efforts pour avancer de manière constructive sur le sujet, et soutienne l’ouverture de négociations pour un traité en dehors de la CCAC. C’est l’unique moyen réaliste d’aboutir à l’adoption de normes juridiques solides dans un avenir proche.

La France devrait montrer qu’elle se place aux côtés de la centaine de pays qui défendent le renforcement du droit international humanitaire et le respect de la dignité humaine, même en temps de conflit.

Plus que jamais, le monde a besoin que les dirigeants mondiaux se fixent des règles, en contrôlent le respect et sanctionnent les abus. Le développement et la prolifération de ces armes qui défient la morale et menacent la sécurité mondiale n’est pas une fatalité. Le droit international est un choix politique. Nous appelons la France à faire le bon choix et à agir pour un nouveau traité sur les armes autonomes.

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