J'imagine que de nombreuses personnes qui lisent ces lignes ne pensent pas souvent aux navires de haute mer. Pourtant, lorsqu’on y réfléchit, on reconnaît tous leur importance dans nos vies. Il est impossible d’imaginer notre monde sans les cargos, les pétroliers, les chalutiers, les ferries…
Et les navires, comme toute autre chose, ont une durée de vie. Mais lorsqu'ils meurent, ils ne mettent pas simplement les voiles pour s’évaporer dans la nature. Ils partent à la casse, souvent sur des plages du Bangladesh, qui sont par conséquent devenues toxiques et dangereuses.
Le Bangladesh est une destination de choix pour la démolition des navires. Depuis 2020, quelque 20 000 ouvriers bangladais ont démantelé plus de 520 navires, soit un tonnage bien supérieur à celui de n'importe quel autre pays.
L'Organisation Internationale du Travail (OIT) a décrit le démantèlement de navires comme l'un des métiers les plus dangereux au monde. Au Bangladesh, où l'espérance de vie des démanteleurs de navires est inférieure de 20 ans par rapport à la moyenne nationale, il serait plus juste de parler d'un véritable enfer.
Dans un nouveau rapport, des ouvriers bangladais racontent qu'ils utilisent leurs chaussettes comme gants pour éviter de se brûler les mains lorsqu'ils découpent de l'acier en fusion. Ils enroulent leur chemise autour de leur bouche pour éviter d'inhaler des fumées toxiques et ils transportent des fragments d'acier pieds nus. Les entreprises ne fournissent aux travailleurs ni d’équipement de protection, ni de formation ou d’outils nécessaires pour effectuer leur travail en toute sécurité.
Des ouvriers racontent avoir été blessés par des chutes d’éclats d’acier ou s’être retrouvés piégés à l'intérieur de navires lorsqu’ils prennent feu ou que des canalisations explosent. Dans ces chantiers de démolition, aucun soin médical d’urgence n’est accessible.
Les démolisseurs de navires se voient souvent refuser des pauses ou des congés maladie, même lorsqu'ils sont blessés au travail, ce qui constitue une violation de la législation du travail du Bangladesh. Dans la plupart des cas, les travailleurs ne reçoivent qu’une partie de la rémunération à laquelle ils ont légalement droit au regard de la loi du Bangladesh en matière de salaire minimum.
13% de la main-d'œuvre est constituée d'enfants - un chiffre qui grimpe à 20% pour les postes de nuit illégaux.
Quand les travailleurs demandent des équipements de protection, les responsables de l'entreprise leur répondent : « Si vous avez un problème, vous pouvez partir ».
Il semble que cette attitude méprisante s'applique à l'ensemble de l'industrie à l’intérieur et autour des chantiers de démolition du Bangladesh.
L'environnement n'est pas plus respecté que les travailleurs. Le chantier lui-même - en fait, la plage - est rempli de dangers, et les déchets toxiques sont déversés directement dans le sable et la mer. La pollution est effroyable et l'écosystème côtier s’en retrouve dévasté.
Il existe des règlements internationaux interdisant l'exportation de navires vers des infrastructures qui ne disposent pas de protections adéquates en matière de travail et d'environnement, comme celles du Bangladesh. Mais il existe tout un réseau bien établi qui permet aux armateurs de contourner les réglementations.
Ils profitent de failles juridiques, comme les sociétés écrans et les « pavillons de complaisance » qui permettent, par exemple, à des entreprises basées dans l'UE de prétendre que leur navire vient d'ailleurs. Ainsi, il n'est pas nécessaire de l'envoyer dans un chantier de démolition approuvé par l'UE.
En 2022, plus de 30 % de la flotte mondiale en fin de vie appartenait à des entreprises européennes, mais moins de 5 % d'entre elles battaient un pavillon de l’UE quand ces navires ont été vendus à la casse.
Il s'agit là d'une pure arnaque. Il est grand temps d'appliquer sérieusement les règlements existants et de combler les lacunes par de meilleures réglementations.
Il est inadmissible que des entreprises internationales fuient leurs responsabilités et en fassent payer le prix à la population et à l'environnement du Bangladesh.