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Irak : Les survivants de tortures par les forces américaines en attente de réparations et de justice

Les Irakiens ayant subi des abus en détention de la part des forces américaines ne savent toujours pas exactement comment obtenir compensation

  • Le gouvernement des États-Unis semble avoir échoué à apporter une compensation ou une autre forme de réparation aux Irakiens ayant subi des tortures et d’autres abus de la part des forces américaines à Abou Ghraib et dans d’autres prisons gérées par les États-Unis en Irak il y a vingt ans.
  • Les Irakiens torturés par des agents des États-Unis ne savent toujours pas exactement comment ils pourraient obtenir une réparation ou une reconnaissance de la part du gouvernement américain, alors que les effets de la torture sont une réalité quotidienne pour de nombreux survivants irakiens et leurs familles.
  • En août 2022, le Pentagone a publié un plan d’action destiné à réduire les dommages infligés aux civils au cours des opérations militaires américaines, mais celui-ci ne prévoit aucun moyen de recevoir une compensation pour les cas d’abus subis par les civils par le passé.

(Bagdad) – Vingt ans après l’émergence de preuves indiquant que les forces américaines ont maltraité des détenus à la prison d’Abou Ghraib et dans d’autres centres de détention qu’elles géraient en Irak, le gouvernement des États-Unis n’a apparemment toujours pas fourni d’indemnisation ou une autre forme de réparation aux Irakiens y ayant subi des tortures et d’autres abus, a déclaré Human Rights Watch aujourd’hui.

Après leur invasion de l’Irak en 2003, les États-Unis et les alliés de leur coalition ont détenu environ 100 000 Irakiens entre 2003 et 2009. Human Rights Watch et d’autres organisations ont documenté la torture et les autres mauvais traitements infligés par les forces américaines en Irak. Cela fait des années que des survivants des abus se manifestent pour livrer leur récit de la façon dont on les a traités, mais ils ont reçu peu de reconnaissance et aucune réparation de la part du gouvernement des États-Unis. L’interdiction de la torture est absolue dans le droit national des États-Unis, les Conventions de Genève de 1949, la Convention contre la torture des Nations Unies ainsi que le droit international coutumier.

« Vingt ans après, les Irakiens qui ont été torturés par des agents des États-Unis n’ont toujours aucun moyen clair de porter plainte ou de recevoir une forme de réparation ou de reconnaissance, quelle qu’elle soit, de la part du gouvernement américain », a déclaré Sarah Yager, directrice du bureau de Washington de Human Rights Watch. « Les responsables américains ont indiqué qu’ils préféraient tourner la page de la torture, mais les effets à long terme des tortures constituent toujours une réalité quotidienne pour de nombreux Irakiens et pour leur famille. »

Taleb Al Majli, un Irakien qui a décrit avoir été torturé par les forces américaines lors de sa détention à la prison d'Abou Ghraib (novembre 2003 – mars 2005), photographié à son domicile de Bagdad en 2023. Les États-Unis ont fini par le libérer sans inculpation en mars 2003. © 2023 Human Rights Watch

Entre avril et juillet 2023, Human Rights Watch a mené des entretiens avec Taleb al-Majli, autrefois détenu à la prison d’Abou Ghraib, ainsi qu’avec trois personnes ayant eu connaissance de sa détention et de l’état dans lequel il se trouvait après sa libération, mais qui ont préféré demeurer anonymes. Human Rights Watch a également échangé avec un ancien juge-avocat américain qui était en poste à Bagdad en 2003, un ancien membre du Haut-Commissariat irakien aux droits humains ainsi qu’avec des représentants de trois organisations non gouvernementales travaillant sur la torture. Enfin Human Rights Watch a consulté des récits et rapports médiatiques et non gouvernementaux, ainsi que des documents du gouvernement américain, notamment des enquêtes du département de la Défense des États-Unis sur les abus présumés infligés aux détenus.

En mai, Al-Majli a déclaré à Human Rights Watch que les forces américaines lui avaient fait subir des tortures et d’autres mauvais traitements, y compris physiques, psychologiques et des humiliations sexuelles, alors qu’elles le maintenaient en détention à la prison d’Abou Ghraib entre novembre 2003 et mars 2005.

Il a affirmé être un des hommes que l’on voit sur une photo prise à Abou Ghraib et largement partagée depuis, figurant un groupe de prisonniers nus et masqués, empilés les uns sur les autres pour former une pyramide humaine, tandis que deux militaires américains sourient derrière eux. « Deux militaires américains, un homme et une femme, nous ont ordonné de nous déshabiller entièrement », a témoigné al-Majli. « Puis ils nous ont entassés les uns sur les autres. J’en faisais partie. »

Al-Majli a déclaré que les forces américaines l’avaient placé en détention alors qu’il rendait visite à des membres de sa famille en 2003.

« Le matin du 31 octobre [2003], l’armée américaine a encerclé le village où vivait mon oncle », a déclaré al-Majli. « Ils ont emmené les garçons et les hommes âgés hors du village. Je leur ai dit : je suis un invité, je suis de Bagdad, je vis là-bas et je suis juste venu rendre visite à mon oncle. Ils m’ont mis un tissu sur la tête et m’ont attaché les mains avec des serre-câbles en plastique, puis m’ont fait monter sur une Humvee. »

Après quelques jours passés dans une base militaire de Habbaniya et dans un lieu inconnu d’Irak, les forces américaines ont emmené al-Majli à la prison d’Abou Ghraib. « C’est là que la torture a commencé », témoigne-t-il. « On nous a déshabillés. On se moquait constamment de nous tandis que nous avions les yeux bandés avec des capuchons sur la tête. Nous étions complètement impuissants. J’ai été torturé au moyen de chiens policiers, de bombes assourdissantes, de tirs à balles réelles et de lances à eau. »

Même si Human Rights Watch n’est pas en mesure de vérifier le récit d’al-Majli de façon concluante, y compris le fait qu’il faisait partie des hommes présents sur la photo de la « pyramide humaine », l’histoire de sa détention à Abou Ghraïb est crédible. Al Majli a présenté des éléments corroborant ses dires, notamment une carte d’identité de prisonnier avec son nom complet, son numéro de détenu et le bloc de sa cellule. D’après son récit, les militaires américains lui avaient établi cette carte à Abou Ghraib après avoir pris sa photo, le scan de son iris et ses empreintes digitales. Al-Majli a également montré à Human Rights Watch une lettre qu’il a obtenue en 2013 de la part du Haut-Commissariat irakien aux droits humains, un organe gouvernemental ayant le mandat de protéger et promouvoir les droits humains en Irak, qui confirme sa détention à la prison d’Abou Ghraib, notamment la date de son arrestation (le 31 octobre 2003), et cite le même numéro de détenu que sa carte d’identité de prisonnier.

Il a précisé qu’il avait conservé ces documents jusqu’à aujourd’hui comme preuve de ce qu’il avait subi.

Au cours de l’occupation de l’Irak par les États-Unis, de 2003 à 2011, les autorités ont placé en détention des milliers d’hommes, de femmes et d’enfants à la prison d’Abou Ghraib. Un rapport de février 2004 rédigé par le Comité international de la Croix-Rouge (CICR) à l’attention de la coalition militaire menée par les États-Unis mentionnait que des agents des renseignements militaires avaient déclaré au CICR que 70 à 90 % des personnes détenues par la coalition en 2003 en Irak avaient été arrêtées par erreur.

Al-Majli a précisé qu’après 16 mois de détention à Abou Ghraib, il avait été libéré sans poursuites judiciaires. Bien qu’il ait regagné sa liberté, il a confié qu’il s’était retrouvé souffrant physiquement, sans le sou et traumatisé. Durant sa détention, a-t-il déclaré, il avait commencé à se mordre les mains et les poignets pour supporter le traumatisme qu’il était en train de vivre ; et il continue à le faire jusqu’à maintenant. Des marques saillantes et violacées étaient en effet clairement visibles sur ses mains et ses poignets.

« C’est devenu un problème de santé mentale », nous a-t-il expliqué. « Je le faisais en prison, mais j’ai continué après en être sorti et jusqu’à aujourd’hui. J’essaie de m’en empêcher, mais je n’y arrive pas. Jusqu’à maintenant, je ne peux pas porter de manches courtes. Quand les gens voient les marques, je leur dis que c’est des brûlures. J’évite les questions. »

Plus que les souffrances qu’il a subies lui-même, al-Majli regrette l’effet négatif qu’elles ont eu sur ses enfants : « Ces 16 mois m’ont profondément changé. Cela m’a détruit et a détruit ma famille. C’est à cause de cela que mon fils a des problèmes de santé et que mes filles ont arrêté l’école. Ils nous ont volé notre avenir. »

Depuis vingt ans, al-Majli demande réparation pour les abus qu’il a subis, notamment un dédommagement et des excuses. N’ayant pas les moyens de payer un avocat, ni accès à l’ambassade des États-Unis à Bagdad, al-Majli a demandé de l’aide à l’Association du barreau irakien, qui lui a opposé une fin de non-recevoir en lui expliquant qu’elle ne traitait pas ce type de cas. Al-Majli s’est alors tourné vers le Haut-commissariat irakien aux droits humains, mais tout ce que cette instance pouvait faire était d’émettre une lettre confirmant qu’elle l’avait enregistré comme ancien détenu d’Abou Ghraib. Il a expliqué qu’il ne savait pas comment contacter l’armée américaine pour porter plainte.

Human Rights Watch a écrit le 6 juin 2023 au département de la Défense des États-Unis pour décrire dans les grandes lignes le cas d’al-Majli, exposer les conclusions de ses recherches et demander des informations sur les compensations pour les survivants de la torture en Irak. Malgré ses relances répétées suivant cette lettre, Human Rights Watch n’a pas reçu de réponse.

« Je ne savais pas ce que je pouvais faire d’autre ni où aller », a expliqué al-Majli. Human Rights Watch n’a pas identifié de voie légale permettant à al-Majli de déposer une demande de dédommagement.

« Le secrétaire à la Défense et le procureur général des États-Unis devraient enquêter sur les actes de torture et les autres abus présumés commis à l’encontre de personnes détenues par les États-Unis à l’étranger pendant les opérations de contre-insurrection liées à sa ‘guerre globale contre le terrorisme’ », a conclu Sarah Yager. « Les autorités américaines devraient lancer des poursuites judiciaires appropriées contre toute personne impliquée, quel que soit son rang ou son poste. Enfin les États-Unis devraient assurer une compensation, une reconnaissance et des excuses officielles aux survivants des abus et à leurs familles. »

Informations complémentaires

20 ans de silence de la part des États-Unis

En 2004, le président des États-Unis George W. Bush a demandé pardon pour « l’humiliation subie par les prisonniers irakiens » à Abou Ghraib. Peu après, le secrétaire à la Défense Donald Rumsfeld a déclaré au Congrès qu’il avait trouvé un moyen légal de dédommager les détenus irakiens ayant subi « de graves abus, des brutalités et des actes de cruauté aux mains de quelques membres des forces armées des États-Unis. C’est la mesure juste à prendre et j’ai bien l’intention de veiller à ce que nous le fassions. »

Human Rights Watch n’a trouvé aucun élément montrant que le gouvernement américain ait versé des dédommagements ou d’autres formes de réparation à des détenus victimes d’abus en Irak, ni que les États-Unis aient présenté des excuses individualisées ou fait acte de contrition de quelque façon que ce soit.

Certaines victimes ont essayé de demander réparation à travers le Foreign Claims Act (FCA). Cette loi américaine permet aux ressortissants étrangers d’être dédommagés pour un décès, une blessure ou des dommages aux biens dus à « une activité non combattante, un acte négligent ou injustifié ou une omission » causés par des membres des services américains. Cependant, elle prévoit ce qu’on appelle une exclusion de combat : les plaintes ne peuvent pas donner lieu à dédommagement si les dommages résultent d’une « action militaire de la part de l’ennemi ou des forces des États-Unis engagées dans un conflit armé ou en préparation immédiate d’un conflit armé imminent ». De plus, pour al-Majli et les autres détenus survivants des abus commis lors de l’invasion et de l’occupation, déposer plainte en vertu du Foreign Claims Act n’est pas une option car les plaintes doivent être déposées dans un délai de deux ans à compter de la date des dommages présumés.

Human Rights Watch n’a pu trouver aucun élément public prouvant que des versements avaient pu être effectués en vertu de cette loi afin de compenser des abus subis par des personnes détenues, y compris des actes de torture. En 2007, l’American Civil Liberties Union a obtenu des documents détaillant 506 plaintes déposées en vertu du Foreign Claims Act : 488 en Irak et 18 en Afghanistan. La majorité des plaintes porte sur des dommages ou des décès causés par des tirs, des convois militaires et des accidents de véhicules.

Parmi ces documents, le seul cas de versement effectué à travers le Foreign Claims Act et lié à une détention était celui d’un plaignant qui a reçu 1 000 dollars pour avoir été illégalement détenu en Irak, sans que d’autres abus soient mentionnés. Cinq autres plaintes portaient sur des abus en détention, mais elles font partie des onze cas qui ne mentionnent pas l’aboutissement de la plainte, notamment ne précisent pas si un versement a été effectué.

Le département de la Défense des États-Unis n’a pas répondu à nos demandes d’information répétées visant à savoir si le gouvernement américain avait versé des dédommagements à des survivants ou aux familles des personnes décédées des suites d’abus subis en détention en Irak.

Jonathan Tracy, un ancien juge-avocat ayant traité des plaintes pour dommages subis à Bagdad en 2003, a déclaré à Human Rights Watch qu’il ne connaissait aucun cas de dédommagement versé en vertu du Foreign Claims Act à des survivants de tortures infligées par l’armée. « Même si un survivant avait reçu un paiement, je doute que l’armée aurait voulu le faire à travers le fonds du Foreign Claims Act, car cela aurait pu être interprété comme un aveu de la part du gouvernement », a-t-il commenté.

En mai 2006, une présentation des États-Unis au Comité des Nations Unies contre la torture avait rapporté que 33 détenus avaient à cette date déposé plainte en vue d’être dédommagés par l’armée américaine, dont 28 en Irak..

Cette présentation affirmait qu’« aucun dédommagement n’a été versé à ce jour, mais il a été proposé dans deux cas. » Les présentations ultérieures au Comité contre la torture ne contiennent pas d’actualisations de ces chiffres et ne précisent pas si ces versements ont bien été effectués. Il faut noter que d’après ce document, aucun des deux paiements recommandés n’a été citée en tant que réparation pour des actes de torture ou d’autres traitements cruels, inhumains ou dégradants.

D’autres Irakiens ont tenté de demander justice devant les tribunaux américains. Mais le département de la Justice des États-Unis a rejeté de façon répétée ces affaires en se servant d’une loi de 1946 qui protège l’immunité des forces américaines pour « toute plainte émise en dehors des activités combattantes de l’armée de terre, des forces navales ou des garde-côtes en temps de guerre ».

À ce jour, les seuls procès qui ont pu avancer ciblaient des sous-traitants de l’armée. Ces dossiers, eux aussi, rencontrent des obstacles considérables. Une de ces affaires, Al Shimari et al. v. CACI, a lentement progressé dans les rouages judiciaires depuis juin 2008. C’est un procès qui a été initié par le Center for Constitutional Rights, une organisation non gouvernementale basée aux États-Unis, au nom de quatre victimes irakiennes de tortures, contre CACI International Inc. et CACI Premier Technology, Inc. L’accusation affirme que CACI, que le gouvernement américain avait engagé pour interroger des prisonniers en Irak, a dirigé et pris part à des actes de torture et d’autres abus à Abou Ghraib.

CACI a tenté de faire classer l’affaire à dix-huit reprises depuis le dépôt de la plainte. Le 31 juillet 2023, un juge fédéral a refusé la motion la plus récente de CACI tentant de faire classer l’affaire, qui semble-t-il fera bientôt l’objet d’un procès.

Enquêtes pénales sur les abus à l’égard des détenus en Irak

La Criminal Investigation Division (CID) de l’armée de terre américaine a ouvert au moins 506 enquêtes judiciaires sur des abus présumés à l’égard de personnes aux mains des forces des États-Unis et d’autres forces de la coalition en Irak entre 2003 et 2005, d’après un document du département de la Défense consulté par Human Rights Watch. Le document détaille les enquêtes dont 376 portaient sur des affaires d’agression, 90 sur des affaires de décès, 34 sur des affaires de vol et six sur des agressions sexuelles présumées commises par les forces des États-Unis et de la coalition.

Ces enquêtes pénales de l’armée américaine donnent une bonne image de l’ampleur et de la portée des abus présumés commis dans les prisons d’Irak contrôlées par les États-Unis. Les cas les plus proéminents – comme le meurtre de Manadel al-Jamadi – ainsi que des centaines d’autres cas d’abus qui n’ont jamais été médiatisés sont exposés à travers une description clinique des violences.

Ces enquêtes concernaient 225 allégations d’agression et d’agression sexuelle dans les centres de détention contrôlés par les États-Unis, impliquant au moins 318 victimes potentielles et 426 auteurs présumés des abus.

Parmi ces enquêtes, 38 confirmaient les allégations ou déclaraient les accusés coupables.

Dans 57 affaires, les enquêteurs n’avaient pas réussi à trouver suffisamment de preuves pour prouver ou réfuter les allégations, ou bien n’avaient pas pu identifier de suspect. Dans 79 autres affaires, les enquêteurs déclaraient les allégations infondées. Cependant, les dossiers étudiés par la CID révélaient plusieurs manquements aux procédures d’enquête, comme l’incapacité à identifier et suivre des pistes, l’incapacité à localiser et interroger des témoins, le fait de se reposer de façon excessive sur les dossiers médicaux sans preuves à l’appui et l’incapacité à photographier ou examiner les scènes des crimes.

Capture d'écran d'une affaire examinée par la Division des enquêtes criminelles (Criminal Investigation Division, CID) de l’Armée américaine, comprenant les commentaires de l'analyste au sujet des manquements de la procédure d’enquête.

Dans les affaires pour lesquelles les responsables de l’armée ont interrogé les victimes et connaissaient leur identité, il semble qu’aucune tentative n’ait été faite pour associer le châtiment des auteurs des abus à un dédommagement des victimes ou d’autres formes de réparation.

Dix-neuf allégations d’abus ont été classées dans le cadre de procédures opérationnelles standard menant la CID à conclure que « les accusations n’étaient pas fondées » ou que « les faits ne se sont pas produits comme allégué ».

Résumé d’un incident survenu en décembre 2005 et examiné par la Division des enquêtes criminelles (Criminal Investigation Division, CID) de l’Armée américaine. Publié le 13 janvier 2006.
Résumé d’un incident survenu en mars 2004 et examiné par la Division des enquêtes criminelles (Criminal Investigation Division, CID) de l’Armée américaine. Publié le 13 janvier 2006.

Enfin, seize affaires concernaient des allégations d’abus commis par des forces autres que l’armée de terre des États-Unis. Ces dossiers avaient été transmis aux enquêteurs des corps d’armée auxquels appartenaient les auteurs présumés des abus, comme le Naval Criminal Investigative Service (NCIS), pour supplément d’enquête. Par exemple :

Résumé d’incidents survenus en mai-juin 2004, et examinés par la Division des enquêtes criminelles (Criminal Investigation Division, CID) de l’Armée américaine. Publié le 13 janvier 2006.

Un climat favorisant la torture

Lorsque les photos des abus à l’égard des détenus d’Abou Ghraib avaient été publiées, le président Bush avait tenté de minimiser le caractère systémique du problème en le qualifiant de « comportement honteux de la part de quelques soldats américains qui ont déshonoré notre pays et bafoué nos valeurs ». Mais les enquêtes, y compris celles de Human Rights Watch, avaient au contraire montré que des décisions prises au plus haut niveau du gouvernement avaient permis, validé et justifié ces actes. Abou Ghraib n’était que l’un des centres de détention de l’armée américaine, mais aussi l’une des « prisons secrètes » mises en place dans le monde entier par la Central Intelligence Agency (CIA), où des militaires, des agents des renseignements et des sous-traitants procédaient à des actes de torture et autres mauvais traitements, dits « techniques d’interrogatoire renforcées ».

Lorsque les premiers détenus sont arrivés d’Afghanistan dans la base navale de Guantanamo Bay (Cuba), en janvier 2002, le secrétaire à la Défense Donald Rumsfeld les avait qualifiés de « combattants illégaux », cherchant ainsi à les priver des protections découlant des Conventions de Genève. Le même mois, l’administration Bush avait intensifié ses efforts pour contourner les interdictions nationales et internationales de la torture, avec notamment des circulaires émises par le Bureau du conseiller juridique du département de la Justice qui cherchaient à justifier légalement la torture et à protéger les auteurs de tels actes.

Le fait de priver les détenus de ces protections avait permis à Rumsfeld d’étendre la liste des techniques d’interrogatoire utilisables à l’encontre des prisonniers de Guantanamo entre décembre 2002 et avril 2003.

Les enquêtes ultérieures du gouvernement américain, y compris le Rapport final 2004 du collège indépendant chargé d’examiner les opérations de détention du département de la Défense (également connu sous le nom de rapport Schlesinger), avaient conclu que les « techniques renforcées [approuvées par Rumsfeld] pour Guantanamo avaient migré vers l’Afghanistan et l’Irak, où elles n’étaient ni limitées ni sécurisées. »

Or l’emploi de ces techniques violaient l’interdiction de la torture et des autres traitements cruels, inhumains ou dégradants des prisonniers, en vertu des textes sur les conflits armés et du droit pénal international.

Dans les années qui ont suivi, l’administration Bush a limité la portée de ces politiques et de ces pratiques, y compris en réduisant la liste des « techniques d’interrogatoire renforcées », sans aller jusqu’à interdire la torture. En janvier 2009, le président Barack Obama a annulé toutes les circulaires de l’ère Bush autorisant la torture. Cependant, il a déclaré que son administration ne poursuivrait ni les auteurs des circulaires, ni les personnes ayant commis les actes qui y étaient décrits, estimant qu’ils étaient légaux.

L’héritage d’Abou Ghraib

Des sanctions ont été infligées à 97 militaires américains impliqués dans 38 affaires d’abus dans les centres de détention irakiens sur lesquelles la Criminal Investigation Division a enquêté entre 2003 et 2005.

Seulement onze d’entre eux ont été traduits en cour martiale pour répondre d’accusations pénales, où ils ont été reconnus coupables de crimes tels que le manquement au devoir, les mauvais traitements et les coups et blessures aggravés. Neuf de ces onze militaires ont purgé des peines de prison. Quatorze autres ont reçu des sanctions non judiciaires (ex. une amende, une rétrogradation de rang, un blâme ou une démobilisation). Des rapports de sanctions disciplinaires étaient en attente de traitement pour 72 individus à la date de la publication du document, le 13 janvier 2006.

Il n’existe aucun élément rendu public prouvant qu’un militaire américain ait été tenu responsable d’actes criminels commis par des subordonnés selon le principe de la responsabilité du commandement.

Des rapports de Human Rights Watch publiés en 2005 et 2011 ont présenté des éléments de preuve qui justifieraient des enquêtes pénales approfondies à l’encontre de responsables du gouvernement de haut niveau pour le rôle qu’ils ont joué pour la mise en place de politiques d’interrogatoire et de détention suite au 11 septembre 2001, y compris l’ancien président George W. Bush, le vice-président Dick Cheney, le secrétaire à la Défense (aujourd’hui décédé) Donald Rumsfeld et le directeur de la CIA George Tenet. Des recherches supplémentaires de Human Rights Watch ont démontré le caractère systématique de la torture en Irak ainsi que le haut niveau de commandement auquel elle était cautionnée.

Toutes les administrations qui se sont succédé, de George W. Bush à Joe Biden, ont découragé tout effort visant à établir de façon significative les responsabilités de la torture.

Certaines mesures ont été prises pour changer de politiques et introduire des contrôles plus stricts de la façon dont sont traitées les personnes détenues par les États-Unis à l’étranger. Le Congrès a adopté de nouvelles lois, dont le Detainee Treatment Act de 2005, qui interdit de soumettre toute personne placée en détention par ou sous le contrôle des États-Unis, « quelle que soit sa nationalité ou sa localisation », à « des traitements ou châtiments cruels, inhumains ou dégradants » tels que définis par la réserve émise par le Sénat vis-à-vis de l’article 16 de la Convention contre la torture. Le département de la Défense a également établi divers services et postes dédiés aux « Affaires de détenus » et lancé une révision à l’échelle du département des directives politiques portant sur les détenus.

En août 2022, le Pentagone a publié un plan d’action de 36 pages cherchant à réduire les risques pour les civils lors des opérations militaires des États-Unis. Ce plan ordonne au département de la Défense d’intégrer les sujets liés aux dommages aux civils dans sa stratégie, sa planification et sa doctrine officielle, d’améliorer et normaliser les enquêtes sur les dommages aux civils et de revoir et actualiser ses directives sur la façon d’y remédier. Cependant, ce plan ne prévoit pas de mécanisme permettant de réexaminer les cas passés de dommages aux civils qui n’ont pas été traités, n’ont pas fait l’objet d’une enquête et n’ont pas été reconnus pendant vingt ans.

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