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Europe: Un moment charnière pour les droits des travailleuses du sexe

Des questions cruciales sont portées devant la Cour européenne des droits de l’homme et le Parlement européen

Sex workers and their allies gathered on December 20, 2019 in Nantes, France for the world day against violence against sex workers. © 2019 Estelle Ruiz/Nur Photo via Getty Images

(Bruxelles) – La Cour européenne des droits de l’homme a accepté une plainte déposée par des travailleuses et travailleurs du sexe contre la criminalisation de leur activité, à un moment crucial pour le respect de leurs droits en Europe, a déclaré aujourd’hui Human Rights Watch.

Le 31 août 2023, une majorité des juges siégeant à la Cour a déclaré recevable une plainte déposée par 261 travailleuses et travailleurs du sexe – y compris des personnes queers et migrantes – contre le gouvernement français concernant sa loi de 2016 pénalisant la rémunération de services sexuels. Après avoir statué que ces personnes peuvent être considérées comme des victimes au sens de l’article 34 de la Convention européenne des droits de l’homme, la Cour, qui fait partie du Conseil de l’Europe, examinera maintenant et statuera sur le fond de l’affaire. La décision est intervenue un jour après qu’une motion visant à criminaliser la tarification de services sexuels dans tous les États membres de l’Union européenne (UE) a été soumise à un vote en plénière au Parlement européen.

« Des recherches crédibles montrent systématiquement que la criminalisation du commerce du sexe augmente les agressions physiques, les violences sexuelles et les abus policiers contre les personnes qui travaillent dans ce domaine », a déclaré Erin Kilbride, chercheuse auprès du programme des droits LGBT de Human Rights Watch. « La reconnaissance par la CEDH de la légitimité de leur plainte est une étape importante vers la protection de leurs droits, alors que la proposition soumise au Parlement européen ouvre la voie à des lois dangereuses pour les femmes et d’autres groupes marginalisés. »

Le projet final du Rapport sur la réglementation de la prostitution dans l’UE : implications transfrontalières et incidence sur l’égalité entre les hommes et les femmes et les droits des femmes, dossier 2022/2139 (INI), a été approuvé par la Commission des droits de la femme et de l’égalité des genres en juin, et transmis au Parlement européen pour un vote le 30 août.

Ce rapport appelle de manière répétée à sanctionner les clients, notamment en érigeant en infraction pénale dans tous les pays de l’UE le fait de solliciter, accepter ou obtenir un acte sexuel d’une personne en échange d’une rémunération. L’impact sur les droits humains d’une telle criminalisation à l’échelle européenne serait désastreux pour les femmes, les personnes queers, les migrant-e-s et d’autres groupes marginalisés.

Plusieurs agences du système des Nations Unies s’opposent à la criminalisation du travail sexuel, notamment le Programme commun des Nations Unies sur le VIH/SIDA (ONUSIDA), l’Organisation mondiale de la santé (OMS), le Fonds des Nations Unies pour la population (FNUAP) et le Programme des Nations Unies pour le développement (PNUD). Des organisations de la société civile, notamment Human Rights Watch, Amnesty International et la International Planned Parenthood Foundation (IPPF), s’opposent également à cette pénalisation.

En juin, le journal de santé The Lancet a appelé les membres du Parlement européen à rejeter le rapport, le jugeant « peu judicieux » et encourageant l’UE à suivre l’exemple des organisations de la société civile de travailleuses du sexe telles que l’Alliance européenne pour les droits des travailleuses du sexe.

Les recherches menées à travers l’Europe démontrent systématiquement que le modèle nordique – qui pénalise la rémunération de services sexuels – pousse le travail sexuel plus loin dans la clandestinité, augmente la violence perpétrée par la police et la clientèle, criminalise les femmes qui travaillent ensemble pour leur sécurité et crée davantage d’obstacles à l’accès à leurs droits à la santé et au logement, et la justice.

Une étude de Médecins du Monde a révélé que l’introduction du modèle nordique en France en 2016 a suscité une crainte des arrestations parmi les clients, contraignant les travailleuses du sexe opérant dans la rue à se rendre dans des lieux isolés et dangereux. Cela a provoqué une multiplication des meurtres brutaux de travailleuses du sexe, dix d’entre elles ayant été tuées en France sur une période de six mois en 2019.

La coalition de 261 travailleuses et travailleurs du sexe et leurs soutiens, affirmant que la loi les soumettait à la violence et à la discrimination, a épuisé tous les recours juridiques à l’échelle nationale en France avant de porter leur cas devant la Cour européenne des droits de l’homme en décembre 2019. La Cour a rejeté une objection préliminaire du le gouvernement français et déclaré l’affaire recevable, alors qu’elle « rejette environ 90% de toutes les requêtes reçues », selon ses propres données.

Une enquête commandée par le ministère irlandais de la Justice n’a trouvé « aucune preuve » que la criminalisation, par l’Irlande du Nord, de l’obtention de services sexuels en 2015, a contribué à diminuer la demande de types de services. Deux ans après l’adoption par l’Irlande du modèle nordique, en 2017, UglyMugs.ie, une organisation de travailleuses du sexe, a constaté une hausse de 92 % des signalements de crimes violents contre les travailleuses du sexe. Un rapport financé par le ministère irlandais de la Justice a révélé que la criminalisation « marginalisait considérablement » une population à risque et que 20% des travailleuses du sexe interrogées avaient été exploitées sexuellement par la police.

Un rapport datant de 2021 de Front Line Defenders, une fondation internationale pour la protection des défenseurs des droits humains, a révélé que les lois anti-prostitution mettent également en danger et sapent le travail des défenseurs des droits humains qui mènent une action vitale contre la traite. De telles lois rendent dangereux ou illégal pour les militants de se syndiquer en ligne, de mener des actions de sensibilisation en matière de santé et de droits humains dans les maisons closes et de contacter les victimes, de crainte d’être arrêtés et accusés de proxénétisme, de trafic ou de prostitution.

Le même rapport révèle que les lois anti-prostitution incitent davantage les propriétaires d’établissements à nier que le travail du sexe a lieu dans leur établissement, limitant ainsi l’accès des prestataires de services et mettant les ressources en matière de santé et de droits humains hors de portée des travailleuses du sexe et des victimes de la traite.

Malgré cette multiplication des preuves et les mesures prises pour que justice soit rendue à la Cour, le rapport du Parlement européen appelle tous les États membres de l’UE à adopter exactement le type de législation propice à la violence et aux abus.

« La décision de la Cour européenne des droits de l’homme d’admettre le dossier des travailleuses et travailleurs du sexe contre la criminalisation de leur activité arrive à un moment crucial en Europe », a conclu Erin Kilbride. « Les membres du Parlement européen auront bientôt l’occasion de voter contre le rapport favorisant la criminalisation, et de manifester clairement leur soutien à une politique de l’UE respectueuse des droits et fondée sur les données. »

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