- L'oléoduc en cours de construction par le géant français de l’industrie des combustibles fossiles TotalEnergies en Afrique de l'Est a dévasté les moyens de subsistance de milliers de personnes en Ouganda et contribuera à la crise climatique mondiale.
- Le projet va déplacer plus de 100 000 personnes, a provoqué l'insécurité alimentaire et l'endettement des ménages, poussé des enfants à quitter l'école, et il est susceptible d'avoir des effets dévastateurs sur l'environnement.
- Les personnes devraient être indemnisées conformément aux normes de performance de la SFI, les autres entreprises ne devraient pas soutenir le pipeline et le projet ne devrait pas être mené à son terme.
(Nairobi) – L'oléoduc en cours de construction par le géant français de l’industrie des combustibles fossiles TotalEnergies en Afrique de l'Est a dévasté les moyens de subsistance de milliers de personnes en Ouganda et aggravera la crise climatique mondiale, a déclaré Human Rights Watch dans un rapport publié aujourd'hui. S'il est achevé, le projet d’Oléoduc de pétrole brut d'Afrique de l'Est (East Africa Crude Oil Pipeline, EACOP) comprendra des dizaines de plates-formes de forage, des centaines de kilomètres de routes, des camps et d'autres infrastructures, et un oléoduc de 1 443 kilomètres reliant les champs pétrolifères de l'ouest de l'Ouganda au port de Tanga dans l'est de la Tanzanie.
Le rapport de 58 pages, « “Notre confiance est brisée” : Perte de terres et de moyens de subsistance au profit d’un projet d’exploitation pétrolière en Ouganda » (ou en version abregée) documente le processus d'acquisition de terrains pour l'un des plus grands projets d'infrastructure de combustibles fossiles en construction dans le monde. Le développement du champ pétrolifère, qui entraînera à terme le déplacement de plus de 100 000 personnes, est bien engagé. Bien que 90 % des personnes qui perdront des terres à cause du projet aient reçu une indemnisation de la part de TotalEnergies EP Ouganda, le projet a souffert de retards de plusieurs années dans le paiement des indemnisations, ainsi que d’indemnisations insuffisantes.
« Le projet EACOP s’est avéré un désastre pour les dizaines de milliers de personnes ayant perdu un terrain qui fournissait de la nourriture à leurs familles et un revenu leur permettant d’envoyer leurs enfants à l'école, et qui ont reçu une indemnisation insuffisante de la part de TotalEnergies », a déclaré Felix Horne, chercheur senior auprès de la division Environnement et droits humains à Human Rights Watch. « EACOP est aussi une catastrophe pour la planète et le projet ne devrait pas être mené à son terme. »
Le rapport s’appuie principalement sur plus de 90 entretiens que Human Rights Watch a menés au début de 2023, notamment auprès de 75 familles déplacées dans cinq districts de l'Ouganda.
Human Rights Watch a constaté que l'impact des retards de plusieurs années a été aggravé par des communications peu claires quant à savoir si les agriculteurs peuvent continuer à utiliser la terre pour récolter du café, des bananes et d'autres cultures commerciales dans l'intervalle. Par conséquent, le projet d'acquisition de terres a causé de graves difficultés financières à des milliers d'agriculteurs ougandais, notamment un lourd endettement des ménages, une insécurité alimentaire et une incapacité à payer les frais de scolarité, ce qui a poussé de nombreux enfants à abandonner l'école.
Des agriculteurs ont déclaré qu'ils avaient subi des pressions pour signer des accords d'indemnisation en anglais, une langue que nombre d'entre eux ne savent pas lire, et beaucoup d’entre eux ont expliqué qu’ils s'étaient vu offrir de l'argent au lieu de l'option de terres de remplacement conformément aux normes internationales. Les promesses non tenues de relocalisation des lieux de sépulture, ainsi que l’amélioration de la qualité de vie promise lors des nombreuses premières réunions vantant les vertus d'EACOP ont érodé la confiance entre les communautés et TotalEnergies.
« Ils viennent ici en nous promettant tout », a déclaré un habitant. « Nous les avons crus. Maintenant nous sommes sans terre, l'argent de l’indemnisation a disparu, les champs qu'il nous reste sont inondés et la poussière remplit l'air. »
TotalEnergies est la principale société impliquée via sa filiale ougandaise TotalEnergies EP Ouganda, aux côtés de la China National Offshore Oil Company et des compagnies pétrolières publiques ougandaise et tanzanienne. Atacama Consulting et Newplan Group ont géré le processus d'acquisition de terres pour le compte de TotalEnergies EP Ouganda.
TotalEnergies s'est engagée à respecter différentes normes internationales dont les normes de performance de la Société financière internationale (SFI, acronyme anglais IFC), qui obligent TotalEnergies et ses filiales à rétablir les moyens de subsistance aux niveaux d'avant la perturbation, ou à les améliorer. Le pipeline doit encore obtenir un financement permettant de couvrir 60 % du coût du projet. Alors que les organisateurs du projet continuent de rechercher les financements nécessaires, TotalEnergies et ses filiales devraient augmenter le montant des indemnités et renforcer leur soutien pour restaurer les moyens de subsistance, afin de se conformer aux normes des droits humains.
Dans une lettre du 15 juin adressée à Human Rights Watch, TotalEnergies a affirmé continuer « de porter une attention forte au respect des droits des communautés concernées », et a fourni des réponses détaillées, soulignant son point de vue selon lequel les indemnisations offertes étaient conformes aux normes de la SFI. Atacama Consulting, la société de conseil en environnement facilitant l'acquisition de terrains pour TotalEnergies EP Ouganda dans les champs pétrolifères de Tilenga, a répondu le 22 juin. La société a rejeté les allégations selon lesquelles des pressions auraient été exercées sur les personnes pour qu'elles signent et ont expliqué pourquoi, à son avis, l'indemnisation fournie répondait à l'exigence de « valeur de remplacement totale ».
Des études montrent que la construction et l'exploitation d'EACOP présentent de graves risques pour l'environnement. Le tracé de l’oléoduc traverse des écosystèmes sensibles, notamment des zones protégées et des zones humides d'importance internationale, ce qui constitue une menace pour la biodiversité et les écosystèmes dont dépendent les communautés locales pour leur subsistance.
Le projet EACOP est en cours d'élaboration à un moment où le Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat (GIEC), la principale autorité mondiale en matière de science du climat, ainsi que l'Agence internationale de l'énergie et d'autres organisations avertissent qu'aucun nouveau projet de combustibles fossiles ne peut être construit si le monde doit atteindre les Objectifs de l'accord de Paris et limiter les pires impacts du changement climatique. En mars, le GIEC a confirmé que les températures mondiales augmentaient à des niveaux record et a exhorté les gouvernements à réduire les émissions en éliminant progressivement les combustibles fossiles et en développant les énergies renouvelables.
En raison de l'opposition au projet EACOP de la part des organisations de la société civile et des militants du climat en Ouganda et dans le monde, de nombreuses institutions financières et compagnies d'assurance se sont engagées publiquement à ne pas soutenir l’oléoduc. Les institutions financières devraient éviter de soutenir EACOP en raison des effets dévastateurs des combustibles fossiles sur le changement climatique ainsi que des risques futurs d'impacts graves sur les droits humains, selon Human Rights Watch.
« Le recours aux combustibles fossiles alimente la crise climatique », a conclu Felix Horne. « Les institutions financières qui envisagent de financer EACOP devraient rester à l’écart de ce projet, et plutôt aider l'Ouganda à exploiter son important potentiel d'énergie propre. »