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Ukraine : L’emplacement de bases russes et ukrainiennes met en danger les civils

Le fait de localiser des forces dans des zones peuplées crée des risques inutiles pour les civils

Un véhicule blindé russe abandonné, retrouvé à côté devant une petite maison dans le village de Yahidne (près de Tchernihiv), dans le nord de l’Ukraine. Photo prise le 17 avril 2022. © 2022 Belkis Wille/Human Rights Watch

(Kiev, le 21 juillet 2022) - Les forces russes et ukrainiennes ont fait courir des risques inutiles aux civils en Ukraine en installant leurs forces dans des zones peuplées sans déplacer les habitants vers des zones plus sûres, a déclaré Human Rights Watch aujourd’hui. Le droit international humanitaire, qui rassemble les lois de la guerre, oblige les parties au conflit à prendre toutes les précautions possibles pour protéger les civils et les structures civiles sous leur contrôle contre les conséquences d’attaques.

Dans quatre cas sur lesquels Human Rights Watch a enquêté, les forces russes ont établi des bases militaires dans des zones peuplées en Ukraine, y mettant inutilement en danger les civils. Dans trois cas, les forces ukrainiennes se sont installées à proximité de maisons où vivaient des personnes, sans prendre aucune mesure apparente pour déplacer les habitants vers des zones plus sûres. Des attaques menées par la suite contre ces bases ont tué et blessé plusieurs civils. Le Comité international de la Croix-Rouge a listé plusieurs moyens de protéger les civils contre les attaques, notamment « la construction d’abris, le creusement de tranchées, la diffusion d’informations et d’avertissements, le retrait de la population civile vers des lieux sûrs, l’orientation de la circulation, la garde des biens de caractère civil et la mobilisation des organismes de protection civile ».

« Alors que la guerre en Ukraine fait rage, des civils ont été inutilement piégés dans les combats », a déclaré Belkis Wille, chercheuse senior auprès de la division Crises et conflits à Human Rights Watch. « Les forces russes et ukrainiennes devraient éviter de baser leurs troupes parmi les civils, et faire tout leur possible pour éloigner les civils de telles zones. »

Entre le 17 avril et le 31 mai 2022, Human Rights Watch a mené des entretiens avec 54 civils dans des villes et villages situés dans trois régions de l’Ukraine : Mykhailo-Kotsioubynsky et Yahidne (région de Tchernihiv dans le nord) ; Malaya Rohan, Pokotylivka, Selekstiine et Yakovlivka (région de Kharkiv dans l’est) ; et Polohy (région de Zaporijia dans le sud). Les chercheurs ont visité toutes ces localités à l’exception de Polohy, en raison des combats en cours, mais ont pu interroger des habitants qui avaient fui ce village.

À Yahidne, les forces russes ont détenu illégalement près de 350 civils pendant un mois dans le sous-sol d’une école située près des lignes de front et utilisée par les Russes comme base militaire. Les attaques ukrainiennes dans ces zones ont endommagé des maisons et d’autres structures.

À Malaya Rohan, les forces russes ont installé une de leurs bases dans une ferme, où elles ont garé des dizaines de véhicules militaires. Les soldats ont illégalement empêché les civils de quitter la zone. Le 26 mars, un échange de tirs d’artillerie a causé des dégâts dans une ferme voisine et tué 140 têtes de bétail.

À Pokotylivka, les forces de défense territoriale ukrainiennes ont établi une base dans un centre de contrôle des maladies situé dans un quartier résidentiel, sans prendre de mesures pour évacuer les civils de la zone. Lorsque les forces russes ont attaqué le centre le 28 avril, au moins six civils ont été blessés, et des dizaines de maisons voisines ainsi que l’école locale ont été endommagées.

Début mars, environ 300 soldats ukrainiens ont commencé à utiliser le centre culturel du village de Selekstiine comme caserne, sans déplacer les civils de la zone. Environ 10 jours plus tard, une munition de gros calibre a touché le centre, le détruisant complètement et endommageant de nombreux bâtiments des alentours.

Fin février, dans le village de Yakovlivka, les forces armées ukrainiennes ont commencé à utiliser l’école locale et les bâtiments du conseil municipal comme base militaire et caserne, alors qu’il restait des civils dans la zone. Le 2 mars, le village a été frappé par plusieurs munitions, tuant 4 civils et en blessant au moins 10 autres, et détruisant et endommageant des dizaines de maisons.

Le 6 mai, Human Rights Watch a écrit aux ministères de la Défense russe et ukrainien pour demander des informations sur les mesures prises par leurs forces armées pour minimiser les pertes civiles, éloigner les civils des zones de combat et éviter de déployer des forces dans les zones fortement peuplées. Aucune des parties n’a répondu.

Les lois de la guerre applicables pendant le conflit armé international en Ukraine figurent dans les Conventions de Genève de 1949, le premier Protocole additionnel aux Conventions de Genève (Protocole I) et le droit international coutumier. L’article 58 du Protocole I sur les « précautions contre les effets des attaques » exige des parties au conflit qu’elles prennent, « dans toute la mesure de ce qui est pratiquement possible », les précautions nécessaires pour protéger les personnes civiles et les biens de caractère civil sous leur contrôle contre les dangers résultant des opérations militaires ; qu’elles évitent de placer des objectifs militaires à l’intérieur ou à proximité de zones fortement peuplées ; et qu’elles s’efforcent d’éloigner les personnes civiles et les biens de caractère civil soumis à leur autorité du voisinage des objectifs militaires. L’éloignement des civils doit se faire en conformité avec les interdictions du droit de la guerre concernant les transferts forcés, sauf pour des raisons légitimes de sécurité.

Le règlement de 2001 de la Fédération de Russie sur l’application du droit international humanitaire stipule que : « Dans toute la mesure du possible... des précautions doivent être prises pour protéger la population civile, les personnes civiles et les biens de caractère civil contre les effets des opérations de combat ». Le représentant permanent de la Russie au Conseil de sécurité des Nations unies a déclaré en 2008 que « la protection des civils doit être la priorité absolue des gouvernements impliqués dans les conflits. Nous soulignons que toutes les parties à un conflit armé ont la responsabilité d’assurer la sécurité des civils. »

Le manuel ukrainien de 2004 sur le droit international humanitaire stipule que :

Les personnes civiles et les biens civils doivent être retirés des emplacements des objectifs militaires. À cette fin, les commandants… prennent toutes les mesures pour interagir avec les autorités locales. L’éloignement des civils des zones situées à proximité des objectifs militaires sera effectué vers des zones sûres connues de ces derniers. Si les circonstances le permettent, un avertissement effectif concernant les actions défensives susceptibles d’affecter la population civile doit être diffusé à l’avance (par exemple, pour l’évacuation des personnes de certains bâtiments ou zones).

S’il n’est pas interdit pour les forces assaillantes de mener des attaques contre des cibles militaires dans le cas où les forces défensives ne prennent pas toutes les précautions possibles, elles restent tenues de prendre des mesures appropriées pour réduire au minimum les dommages causés aux civils, notamment en ne menant pas d’attaques indiscriminées ou d’attaques susceptibles de causer des pertes disproportionnées en vies humaines ou sur des biens civils.

« Les forces russes et ukrainiennes devraient faire tout ce qui est en leur pouvoir pour aider les civils qui se trouvent à proximité à rejoindre des lieux plus sûrs ou à réduire au minimum le risque qu’ils subissent des dommages », a conclu Belkis Wille. « Il ne suffit pas de ne rien faire et d’espérer que des civils ne seront pas blessés ».

Informations complémentaires concernant les sept situations sur lesquelles Human Rights Watch a enquêté

Mise en danger de civils par les forces russes

Malaya Rohan, région de Kharkiv

Le 27 février, les forces russes ont pris le contrôle du village de Malaya Rohan, à cinq kilomètres à l’est de Kharkiv. Les chercheurs de Human Rights Watch ont visité le village le 24 mai et ont interrogé huit habitants. 

Vasyl Osmachko, 74 ans, a déclaré que les forces russes avaient installé un poste de contrôle près de sa maison peu après leur arrivée et que des chars passaient régulièrement dans sa rue. Lui et ses voisins ont déclaré que les forces russes n’ont jamais rien fait pour évacuer la population civile quand les Russes ont établi leur présence militaire dans le village, et qu’elles n’autorisaient pas les civils à franchir leurs postes de contrôle, les empêchant de quitter le village ou de rejoindre d’autres quartiers. 

Dommages causés à un garage et à une voiture civile lors de l’attaque d’un char russe à Malaya Rohan (région de Kharkiv en Ukraine), autour du 17 mars. Photo prise le 24 mai 2022. © 2022 Belkis Wille/Human Rights Watch

Vasyl Osmachko a déclaré que le 17 mars, vers 19 heures, une attaque ukrainienne avait touché un char qui passait devant sa maison, faisant dévier le char sur le bas-côté. L’attaque a gravement endommagé son garage, adjacent à sa maison, et sa voiture garée à l’intérieur. « J’ai entendu une forte détonation et mon corps a été soulevé du canapé, » a déclaré Osmachko. « J’ai essayé de me précipiter dehors pour voir ce qui s’était passé, mais la porte était bloquée de l’extérieur, alors je suis resté à l’intérieur pour la nuit et le lendemain matin, je me suis glissé par la fenêtre ».

Liubov Zlobina, qui possède une ferme à la périphérie de Malaya Rohan, a déclaré que lorsque les forces russes étaient arrivées dans le village, elles avaient essayé de prendre possession de sa ferme pour l’utiliser comme base. Elle leur a dit qu’il n’en n’était pas question, étant donné le grand nombre de têtes de bétail qui s’y trouvaient et parce que 12 personnes y vivaient. 

Elle a expliqué que les soldats avaient donc installé leur base dans une autre ferme, à environ 200 mètres, et y étaient restés un mois en y garant jusqu’à une trentaine de véhicules militaires. Ils ont mis en place des postes de contrôle, notamment près de sa ferme, et ont refusé aux habitants l’autorisation de quitter le village en voiture, bien que certains aient profité de la nuit pour s’échapper à pied.

Dommages causés à une grande ferme qui se trouvait à côté d’une base militaire russe dans le village de Malaya Rohan, le 26 mars. Photo prise le 24 mai 2022.  © 2022 Belkis Wille/Human Rights Watch  

Le 26 mars, la veille du retrait des forces russes de la zone, la base a fait l’objet d’un bombardement intensif et les forces russes ont tiré depuis cette base sur les forces ukrainiennes qui se rapprochaient. Selon Liubov Zlobina, ces attaques ont provoqué l’embrasement du foin sur le toit de la plus importante de ses granges, brûlant le toit ainsi qu’une partie de la grange elle-même. Liubov Zlobina dit avoir perdu 140 têtes de bétail – veaux, vaches, béliers et porcs – dans l’incendie ce jour-là, et les chercheurs ont aussi constaté des dégâts dans d’autres granges. 

Mykhailo- Kotsioubynsky, région de Tchernihiv

Les habitants de la ville de Mykhailo-Kotsioubynsky, située à 12 kilomètres à l’ouest de la ville de Tchernihiv, ont déclaré que les forces russes étaient arrivées le 28 février et avaient établi une forte présence militaire dans toute la ville, en utilisant le bâtiment administratif comme quartier général. Nina Vorokh, cheffe de l’administration locale, a déclaré qu’elle pouvait entendre les forces russes tirer des munitions depuis la ville. « Le vacarme était continu, » a-t-elle expliqué. « Quand les obus d’artillerie volent, on le sent et c’est effrayant ».

Nina Vorokh a déclaré qu’environ 130 civils s’étaient réfugiés dans le sous-sol de l’école. Selon elle et un autre habitant, les forces russes ont déployé des véhicules blindés à proximité de l’école. Les soldats n’ont ni exhorté les civils à partir, ni facilité les évacuations. Les habitants sont restés dans le sous-sol jusqu’à ce que l’école soit frappée le 4 mars. La frappe a endommagé le bâtiment et tué une femme qui travaillait à l’école. 

Polohy, région de Zaporijia

Selon plusieurs habitants, les forces russes ont pris le contrôle du village de Polohy, près de la ville du même nom, entre le 3 et le 7 mars. Un homme a déclaré que tout au long du mois de mars et pendant la première moitié du mois d’avril, des groupes de soldats russes s’étaient approchés de certaines maisons du village, avaient demandé aux habitants de partir et avaient vécu dans leurs maisons pendant deux ou trois jours avant de s’installer dans une autre maison. Les soldats russes ont pris leurs quartiers dans la maison de son voisin pendant trois jours en mars, a-t-il ajouté. Une habitante a déclaré que les forces russes avaient installé un quartier général militaire dans le restaurant Karona, au centre du village.

L’homme a déclaré que pendant une bonne partie du mois de mars, les forces russes avaient déployé quatre véhicules blindés et installé des lance-roquettes Grad à côté de sa maison. Des munitions ukrainiennes ont touché sa maison à deux reprises pendant cette période, le 12 et le 26 mars, endommageant gravement son toit et ses murs. Lui et sa famille ont fui la zone à la mi-avril. Les forces russes n’ont pas demandé aux civils de quitter la zone et n’ont pas facilité leur évacuation, a-t-il déclaré.


Yahidne, région de Tchernihiv

Vers le 28 février, les forces russes sont arrivées dans le village de Yahidne, à 15 kilomètres au sud de la ville de Tchernihiv. Elles y sont restées jusqu’à ce que les forces ukrainiennes reprennent brièvement le village le 1er mars, avant d’en être à nouveau chassées, le 3 mars. Le 4 mars, les forces russes ont demandé aux habitants de s’abriter dans l’école du village « pour leur propre sécurité, » selon une douzaine de villageois. Certains villageois ont refusé et ont été autorisés à rester chez eux parce qu’ils étaient malades ou qu’ils s’occupaient de quelqu’un qui l’était. Mais plus de 350 personnes ont trouvé refuge dans le sous-sol de l’école dans des conditions exiguës et insalubres, jusqu’à ce que les forces russes quittent la zone le 31 mars.

Les soldats russes ont sévèrement limité la capacité de ces personnes à quitter le sous-sol, même pour de brèves périodes, les privant de liberté de manière arbitraire. Selon les villageois, dix personnes âgées y sont mortes, apparemment à cause de maladies, ou des mauvaises conditions de vie dans le sous-sol de l’école. Les lois de la guerre interdisent la détention de civils, sauf pour des raisons impératives de sécurité. Les personnes privées de leur liberté doivent recevoir nourriture, eau, vêtements, abri et soins médicaux adéquats. 

Un abri militaire dans une cour d’école à Yahidne, utilisé par les soldats russes alors que des centaines de civils étaient détenus dans le sous-sol de l’école. Photo prise le 17 avril 2022. © 2022 Belkis Wille/Human Rights Watch

Pendant cette période, les forces russes ont utilisé l’école comme base militaire et ont apparemment tenté de cacher des véhicules militaires autour de l’école, dans des abris et des fosses qui étaient toujours là lors de la visite des chercheurs de Human Rights Watch. Une femme qui se trouvait au sous-sol avec son fils de 8 ans a déclaré avoir vu de nombreux soldats dans l’école, ainsi que de nombreux véhicules blindés. La présence des forces russes dans l’école, qu’elles aient ou non tiré des munitions dans le voisinage, a fait de l’école une cible militaire légitime, faisant courir un risque grave aux civils qui se trouvaient au sous-sol.

Image satellite enregistrée le 10 mars 2022, montrant le village de Yahidne dans le nord de l’Ukraine. On y voit des dizaines de véhicules militaires blindés (carrés et rectangles oranges), près d’une école convertie en base militaire par les forces russes lors de leur occupation de ce village. Elles ont détenu plus de 350 villageois dans le sous-sol de cette école pendant près d’une mois. © 2022 Maxar Technologies (image satellite)/HRW

Une image satellite du 10 mars montre plusieurs douzaines de véhicules militaires blindés et de soutien dans la cour de l’école et de larges traces de véhicules dans tout le village, avec une concentration plus importante de ces véhicules au niveau de l’école. Des cratères d’impact apparents sont également visibles dans le village, le plus proche se trouvant à 60 mètres au nord-est de l’école. Lorsque les chercheurs ont visité l’école, ils ont vu des tranchées et des abris, des véhicules militaires blindés à roues et à chenilles qui avaient été abandonnés, et au moins 21 boîtes de transport de projectiles d’artillerie non guidés de 152 mm et une boîte de transport pour missile antichar guidé 9M113 Konkurs.

Sur une image satellite du 21 mars, les véhicules militaires de l’école et des zones adjacentes ne sont plus visibles, mais les destructions dans le village ont considérablement augmenté, notamment celles des bâtiments situés entre 50 et 100 mètres de l’école. L’image du 21 mars montre des dommages sur le toit et la façade nord-est de l’école, qui correspondent aux dommages observés par les chercheurs lorsqu’ils ont visité l’école. D’autres dommages aux bâtiments et des cratères d’impact supplémentaires, vraisemblablement dus à des attaques ukrainiennes, sont visibles sur une image satellite du 23 mars.

Une femme de 65 ans a déclaré qu’elle, son mari et un autre couple vivant dans leur immeuble de deux logements ont refusé de se rendre au sous-sol de l’école en raison de leur mauvaise santé. Les forces russes ont déployé un véhicule blindé à côté de leur habitation, dans la cour de la maison d’un voisin, à la mi-mars. Le 21 mars, une munition a frappé le jardin de la femme, à proximité du véhicule blindé. L’explosion a brûlé sa grange, endommagé sa maison et mis le feu à la voiture de son voisin. Personne n’a été blessé dans cette frappe, a-t-elle déclaré.

Mise en danger de civils par les forces ukrainiennes

Pokotylivka, région de Kharkiv

Les forces de défense territoriale ukrainiennes ont utilisé comme base militaire un centre de santé publique pour le contrôle des maladies à Pokotylivka, un quartier résidentiel de la banlieue de Kharkiv. Interrogés le 24 mai, dix habitants de cette ville ont déclaré que le centre avait été investi par les forces ukrainiennes fin mars et que depuis cette date, ces dernières n’avaient ni encouragé, ni aidé les civils à évacuer vers des zones plus sûres. 

An attack on April 28 on a government health services center in the Kharkiv suburb of Pokotylivka that was being used as a Territorial Defense Forces base, which caused damage to dozens of buildings, May 24, 2022. © 2022 Belkis Wille/Human Rights Watch  

Le 28 avril, vers 9 heures du matin, la Russie a mené sa seule attaque dans la région depuis le mois de février, attaque au cours de laquelle une munition a touché le centre de santé publique. Cette attaque a tué au moins deux combattants des forces de défense territoriale. La description de l’attaque par un témoin, une femme nommée Oksana qui, comme d’autres, n’a pas été identifiée par son nom complet pour des raisons de sécurité, et les dégâts considérables constatés à proximité par les chercheurs, indiquent que l’attaque a été menée par un missile de croisière.

Oksana a déclaré qu’elle se tenait sur le balcon de son appartement du deuxième étage d’un immeuble de cinq étages situé près du centre de Pokotylivka quand l’attaque a commencé :

J’ai levé les yeux et j’ai vu une fusée qui semblait voler vers moi. Je ne saurais pas la décrire – en fait, elle ressemblait à un crayon volant, de couleur grise, et le bruit faisait comme un froissement. Je me suis précipitée à l’intérieur, puis j’ai entendu l’explosion. C’était terrifiant ; j’étais prise de panique. J’ai crié à mes proches qu’une roquette approchait, et alors que je criais, toutes les vitres ont volé en éclat autour de moi. Quelqu’un s’est mis à crier dans le couloir que nous devions sortir. Nous n’avons pas de sous-sol dans notre immeuble, nous avons donc dû descendre et sortir dans la rue. Dehors, il y avait beaucoup de monde et c’était la panique.

L’attaque a blessé Lydia Adamenko, 72 ans, qui se tenait près de la fenêtre de sa cuisine dans ce même immeuble de cinq étages, et préparait son petit-déjeuner. Elle a déclaré avoir été projetée contre le mur par l’onde de choc et que le verre de ses fenêtres lui avait gravement coupé les bras, le visage et la tête. Elle a perdu beaucoup de sang et a dû être recousue.

Le procureur général adjoint de Kharkiv, Andrii Kravchenko, a déclaré que l’attaque avait également blessé cinq autres civils. Un artisan local a déclaré que lui et son collègue avaient réparé environ 30 maisons du quartier qui avaient été endommagées lors de l’attaque. Trois d’entre elles avaient besoin d’un nouveau toit et 20 au moins avaient besoin de travaux sur les toits et de remplacement de fenêtres. Les chercheurs ont observé deux immeubles à appartements de cinq étages, et au moins une vingtaine de maisons plus petites et d’autres bâtiments dont les fenêtres et les toits étaient endommagés.

L’attaque a également endommagé l’établissement scolaire de ce quartier, le lycée de Pokotylivka, qui se trouve juste en face et à 40 mètres du centre de santé publique. La directrice adjointe de cet établissement a déclaré qu’elle se trouvait dans l’école avec au moins sept de ses collègues au moment de l’attaque, bien qu’aucun élève ne s’y soit rendu depuis le début de l’invasion russe en février. L’attaque a soufflé environ un tiers des fenêtres de l’école, qui avaient toutes été remplacées lors d’une rénovation un an plus tôt, et a endommagé plusieurs portes ainsi que le toit.

Cette école a été endommagée lors de l’attaque du 28 avril contre un centre de services de santé du gouvernement à Pokotylivka, dans la banlieue de Kharkiv. Le centre était utilisé comme base par les Forces de défense territoriale. Photo prise le 24 mai 2022. © 2022 Belkis Wille/Human Rights Watch

Un homme de 72 ans, qui vivait dans l’un des immeubles endommagés, a déclaré que le déploiement des forces de défense territoriale mettait les habitants en danger :

J’ai des problèmes d’audition, donc je n’ai pas entendu l’explosion, mais j’ai vu les fenêtres éclater puis être projetées dans ma direction. J’étais en état de choc, puis j’ai réalisé que j’avais des coupures sur le visage... Toute notre communauté a demandé plusieurs fois aux forces de défense territoriale de partir et de ne pas nous mettre en danger, mais elles ont refusé.

Selektsiine, région de Kharkiv

Autour du 6 mars, les militaires ukrainiens ont pris le contrôle du centre culturel de Selekstiine, un village d’environ 2 000 habitants. Ce grand bâtiment de deux étages possédait une scène de théâtre et était utilisé par la communauté pour diverses activités extrascolaires. Les soldats ont utilisé le bâtiment comme caserne et ont installé quatre postes de contrôle importants dans les alentours. Plusieurs habitants ont déclaré que lorsque les soldats étaient arrivés, ils n’avaient demandé à personne d’évacuer la zone, ni n’avaient aidé à qui que ce soit à partir.

Le 17 mars, vers 3h30 du matin, une munition de gros calibre a frappé le centre culturel. Deux personnes vivant à proximité ont déclaré que l’attaque les avait réveillées et qu’elles s’étaient précipitées sur leur balcon et avaient vu le centre s’embraser. Un représentant du service d’urgence de l’État à Kharkiv a déclaré que l’équipe avait conclu, au vu des dégâts, qu’ils avaient été causés par un missile de croisière.

Le 17 mars, une attaque a détruit le centre culturel du village de Selekstiine, que les forces ukrainiennes utilisaient comme caserne au moment de l’attaque. Photo prise le 25 mai 2022.  © 2022 Belkis Wille/Human Rights Watch

Une femme qui aidait les soldats dans le centre a déclaré qu’au moins 300 soldats dormaient dans le bâtiment cette nuit-là, avec trois civils qui cuisinaient pour eux et s’occupaient du nettoyage. Elle a dit qu’au moment de l’attaque, elle s’était précipitée de chez elle jusqu’au centre et avait prodigué les premiers soins aux soldats blessés. Elle a dit avoir vu l’armée emporter les corps de 25 soldats, bien que des habitants aient déclaré plus tard qu’au moins 27 soldats avaient été tués.

Des témoins ont déclaré qu’un incendie s’était par la suite déclaré dans le centre culturel et qu’il avait duré plusieurs jours. Des agents des services d’urgence de l’État qui sont venus après l’attaque ont déclaré à la femme que si le feu avait duré aussi longtemps, c’était parce qu’il y avait des stocks de munitions dans le centre, qui continuaient à exploser.

Une femme de 63 ans, qui vivait au rez-de-chaussée d’un immeuble d’habitation situé en face du parc du centre culturel a déclaré qu’elle avait été réveillée par l’attaque et qu’elle avait été si effrayée que, par sécurité, elle s’était blottie contre le mur d’une pièce intérieure pendant 12 heures avant d’oser regarder par la fenêtre pour voir ce qui s’était passé.

Les chercheurs ont visité les décombres du centre culturel, qui a été complètement détruit. Des équipements militaires jonchaient la zone. Un groupe d’entrepôts situé derrière le centre avait subi d’importants dégâts.  Les fenêtres de deux immeubles d’habitation voisins avaient été soufflées, ainsi que cinq fenêtres de l’école du village. Les habitants ont signalé qu’au moins 36 maisons avaient des toits ou des fenêtres endommagés. Après l’attaque, certaines familles ont évacué le village. 

Yakovlivka, région de Kharkiv

Vers le 26 février, les forces ukrainiennes ont commencé à utiliser l’école du village de Yakovlivka comme base militaire et ont déployé des soldats dans les bâtiments du conseil municipal. Les habitants ont identifié ces forces comme un mélange de forces de défense territoriale et de gardes-frontières. Un habitant s’est souvenu que lorsque les soldats sont arrivés pour la première fois, ils étaient arrivés à bord de 60 véhicules civils environ. Le 25 mai, les chercheurs de Human Rights Watch ont parlé à 11 habitants qui ont déclaré que lorsque les forces ukrainiennes ont occupé la zone, elles n’ont ni demandé aux civils de partir, ni aidés à évacuer la zone.

Le 2 mars, vers 22h30, une attaque utilisant plusieurs types de munitions a touché le village, tuant 4 civils et en blessant au moins 10 autres, selon un leader communautaire du village et l’enquête de Human Rights Watch. Les habitants ont fourni des informations non confirmées selon lesquelles au moins un soldat avait été tué et plusieurs autres blessés.

Ivan Pelevin, un habitant qui travaille pour les services d’urgence de l’État, a déclaré qu’il se trouvait à environ cinq kilomètres du village lorsqu’il a vu les lumières d’un unique avion volant vers le village, avant d’entendre une forte explosion. Un autre habitant a déclaré avoir entendu et vu les projecteurs de deux avions. Pelevin a déclaré qu’il avait immédiatement essayé d’appeler sa femme, Natalia, qui était à la maison avec ses deux enfants et ses parents. Leur maison se trouve à environ 100 mètres de l’école. Après de nombreuses tentatives, sa femme a finalement décroché. « Elle m’a dit qu’elle n’avait pas réussi à glisser son doigt sur l’écran pour accepter l’appel parce que son téléphone était couvert de sang, », a-t-il déclaré.

Il s’est précipité chez lui et, avec l’aide de voisins, a sorti ses enfants Viktoria, 4 ans, et Maxym, 11 ans, des décombres de leur maison. Tous deux avaient des coupures sur le corps. Natalia avait des lacérations et des fragments de métal logés dans son bras et des coupures au visage. Son père avait été touché à la jambe par une brique et début juin, il avait encore du mal à marcher. Sa mère, Katerina, 73 ans, a été grièvement blessée dans l’attaque et est décédée à l’hôpital.

Alla Huts, une aide-soignante qui vivait en face de la maison de la famille Pelevin, a déclaré qu’elle travaillait 24 heures sur 24 dans un centre médical près de Yakovlivka au moment de l’attaque. Elle est rentrée chez elle le lendemain matin après avoir reçu un appel d’un ami lui annonçant que quelque chose de terrible s’était produit. « La bombe avait explosé juste devant notre maison, » a-t-elle déclaré. « Quand je suis arrivée, je n’ai rien reconnu. Tout était cassé : les portes, la clôture, tout était en ruines. » Elle a retrouvé le corps de son fils, Andrii, un ouvrier du bâtiment de 31 ans, étendu dans la cour avec un fragment de métal logé dans le corps. 

Alyona, une habitante de Yakovlivka, a déclaré que lorsque les explosions ont commencé, elle s’est précipitée dans un sous-sol communal avec environ 50 autres personnes. Elle a quitté le sous-sol le lendemain à 6 heures du matin lorsqu’elle a reçu un message de son neveu l’informant que la maison de sa sœur, Oksana Bovsunovska, 49 ans, avait été touchée. Elle a retrouvé Oksana et son mari, Victor, 53 ans, morts tous les deux. Elle a dit avoir appris de sa nièce et du fiancé de celle-ci qu’Oksana et Victor se dirigeaient vers la maison depuis leur cuisine d’été, située dans un bâtiment indépendant de leur maison, lorsqu’une munition a frappé la cour, les tuant tous les deux et détruisant leur maison. 

La maison de la famille Bovsunovska, endommagée lors de l’attaque du 2 mars contre le village de Yakovlivka, où les Forces de défense territoriale et les gardes-frontières ukrainiens maintenaient une forte présence. L’attaque a tué au moins quatre civils et en a blessé au moins dix, parmi lesquels des membres de la famille Bovsunovska. Photo prise le 25 mai 2022. © 2022 Belkis Wille/Human Rights Watch

Sa nièce et fille d’Oksana, Sophia, 23 ans, et son fiancé, Maxym Ovcherenko, 27 ans, se trouvaient dans la cuisine d’été au moment de la frappe. Maxym Ovcherenko a raconté à Alyona que l’explosion avait projeté Sophia contre le mur de la cuisine. Elle a heurté un poteau en bois et la cuisine s’est effondrée sur elle. Le sol sous les pieds d’Ovcherenko s’est également effondré, et il est tombé dans le sous-sol, sous la cuisine. Il a réussi à ramper et à extraire Sophia des décombres. Tous deux ont été blessés, et Sophia a des pertes de mémoire. Alyona a déclaré que Sophia n’a aucun souvenir de l’attaque ou de ce qui s’est passé par la suite. Elle continue également à avoir des douleurs dans la poitrine et à ressentir une gêne lorsqu’elle s’assied.

Le leader communautaire a déclaré que l’attaque avait détruit au moins 15 maisons et en avait endommagé 125 autres. Au cours de leur visite, les chercheurs ont observé 3 maisons détruites, 10 qui ont été gravement endommagées et 9 qui ont été partiellement endommagées. Ils ont identifié au moins quatre cratères distincts. Ivan Pelevin et d’autres habitants ont déclaré avoir identifié cinq petits cratères et un grand cratère d’impact dans le village après l’attaque, bien que certains aient été comblés depuis.  

Ivan Pelevin a fourni deux photos qu’il a prises du cratère près de sa maison. L’une d’entre elles montre un gros fragment de fuselage d’une bombe larguée par avion, avec le marquage « TGAF-5M », qui indique la charge explosive utilisée dans la munition. Les explosifs TGAF-5M sont le plus souvent utilisés dans les bombes FAB de 500 kilogrammes à vocation générale destinées à l’aviation.  

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