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Turquie : Les étudiants qui manifestent risquent des poursuites judiciaires

Les autorités devraient libérer les étudiants détenus, et respecter le droit à la liberté de réunion

(Istanbul) – Les autorités turques envisagent l’ouverture d’enquêtes pénales à l’encontre de centaines d’étudiants, a déclaré aujourd’hui Human Rights Watch. Les étudiants ont été arrêtés lors de manifestations qui se déroulent depuis des semaines pour protester contre la nomination, par le président Recep Tayyip Erdoğan, d’un universitaire étroitement lié au gouvernement au poste de recteur de l’une des institutions les plus prestigieuses de Turquie.

Des étudiants et des membres du personnel enseignant de l’Université Boğaziçi (Université du Bosphore) à Istanbul ont exercé leur droit légal d’exprimer pacifiquement leur opposition à cette nomination, qu’ils considèrent comme une tentative de contrôle gouvernemental de l’institution et d’érosion de l’autonomie et de la liberté académiques.

« La nomination par Erdoğan d’un recteur non élu à l’Université Boğaziçi et les arrestations violentes d’étudiants qui protestaient pacifiquement contre cette décision montrent le mépris du gouvernement pour les droits humains fondamentaux », a déclaré Hugh Williamson, directeur de la division Europe et Asie centrale de Human Rights Watch. « Imposer à l’université un recteur nommé par le président, sans consultation, démontre un manque de respect pour la liberté académique et pour l’autonomie des universités turques. »

Human Rights Watch s’est entretenu avec 18 étudiants, dont quatre remis en liberté après leur garde à vue, quatre avocats et deux universitaires, a analysé des images et des documents juridiques et suivi le déroulement de quatre manifestations étudiantes.

Ces manifestations, auxquelles ont également pris part des membres du corps enseignant, ont débuté après la nomination, par le président Erdoğan, de Melih Bulu au poste de recteur de l’Université Boğaziçi le 1er janvier 2021. Bulu, un allié politique du Parti de la justice et du développement (AKP), dirigé par Erdoğan, a fait carrière dans le champ académique et dans l’industrie de la défense. Il avait été auparavant recteur de deux universités privées.

Après la dispersion violente des manifestations par la police sur le campus le 4 janvier, le procureur d’Istanbul a, le 5 janvier à 3 heures du matin, émis des mandats d’arrêt et ordonné la confiscation des téléphones portables, des ordinateurs portables et des dispositifs de stockage de données d’au moins 28 étudiants, prétendument à la demande du gouverneur de la ville. Vers 5 h 30, la police a effectué une descente dans au moins 17 domiciles, parfois en se trompant d’adresses, enfonçant des portes et, dans un cas, des murs, pour arrêter des étudiants qui avaient participé à des manifestations la veille.

Au cours des semaines ayant suivi ces incidents, des manifestations de soutien aux étudiants de l’Université Boğaziçi ont été organisées dans d’autres quartiers d’Istanbul, et dans 38 autres villes de Turquie.

Les autorités ont répondu à certaines des manifestations par une force policière excessive, des arrestations sommaires et des perquisitions ciblées à domicile. Plus de 560 manifestants ont été arrêtés en tout, la plupart ayant été remis en liberté au terme d’une brève détention. Des manifestants détenus à Istanbul début janvier, qui ont tous été relâchés, ont déclaré à Human Rights Watch avoir été contraints par la police à se dénuder et couvert d’insultes, voire menacés dans certains cas. Trois d’entre eux ont assuré que la police leur avaient braqué des armes sur la tempe lors de perquisitions à domicile, deux auraient été également giflés et insultés.

Le président et des responsables gouvernementaux ont ouvertement encouragé une répression policière depuis le début des manifestations. Le président Erdoğan a initialement qualifié les étudiants qui manifestaient de « paresseux et bornés » mais, suivis par d’autres responsables, il a ensuite commencé à insinuer qu’ils avaient des liens avec le terrorisme, une allégation régulièrement invoquée par les autorités turques pour criminaliser l’opposition démocratique et les critiques antigouvernementales.

Les étudiants et manifestants lesbiens, gays, bisexuels et transgenres (LGBT) ont joué un rôle déterminant dans les manifestations en cours. Le 29 janvier, les autorités ont lancé une répression ciblée contre eux après l’organisation, par certains, d’une exposition sur le campus de de l’Université Boğaziçi pour exprimer leur solidarité avec les manifestations en cours. Une des œuvres d’art dévoilées à cette occasion représentait la Kaaba, le lieu saint le plus important des musulmans du monde entier, ornés de drapeaux LGBT et d’une créature mythologique mi-serpent mi-femme. La police a arrêté deux étudiants qui apparaissent dans une vidéo de l’exposition diffusée sur Internet, et deux autres, qui seraient parmi les organisateurs présumés.

Le même jour, la police a effectué une descente dans une salle utilisée par un club étudiant LGBT, y confisquant des drapeaux et des livres. Deux jours plus tard, Bulu, le nouveau recteur, a fermé ce lieu.

Le ministre de l’Intérieur et porte-parole de l’AKP a qualifié les étudiants de « pervers » sur plusieurs réseaux sociaux, faisant apparemment allusion à l’œuvre en question. Les tribunaux ont placé deux des étudiants en détention provisoire et deux autres en résidence surveillée parce qu’ils étaient soupçonnés d’« incitation à la haine et à l’hostilité » (article 216/1 du Code pénal turc).

Les tribunaux ont assigné à résidence au moins 25 manifestants, et neuf étaient toujours en détention provisoire au moment de la rédaction de ce communiqué, visés par les chefs d’accusation d’«incitation à la haine », de « violation de la loi sur les manifestations » et de « résistance aux ordres de la police ». Des dizaines ont été remis en liberté sous contrôle judiciaire. Ces arrestations et détentions s’inscrivent sur fond de restrictions sévères imposées aux manifestations publiques en Turquie, d’abus gouvernementaux visant à museler les organisations critiques de son action, et de discriminations des minorités, dont les personnes LGBT. Les autorités ont parfois justifié l’interdiction des manifestations en invoquant le risque posé par la pandémie de Covid-19, aux côtés d’autres menaces non spécifiées à l’ordre public.

« Les autorités devraient protéger et affirmer le droit des étudiants LGBT de s’organiser et de s’exprimer, au lieu de les attaquer », a conclu Hugh Williamson. « Elles devraient respecter le droit de réunion, cesser de recourir à un pouvoir policier abusif pour faire taire la dissidence et garantir la remise en liberté des étudiants en détention arbitraire. »

La suite de ce communiqué, comprenant des informations plus détaillées, est disponible en anglais.

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