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Nous vous écrivons pour vous faire part de nos préoccupations concernant la crise environnementale et en matière de droits humains qui se déroule en Amazonie brésilienne, et pour appeler à ce que la ratification de l’accord commercial UE-Mercosur ne soit pas envisagée tant que le Brésil ne se sera pas montré enclin à respecter son engagement de préserver la forêt amazonienne et à honorer son devoir de protéger les populations qui y vivent. Nous sommes convaincus que l’Union européenne devrait établir des critères de référence concrets permettant d’évaluer si et quand le Brésil sera prêt à respecter ces obligations.

L’accord commercial, dont les grands principes ont été convenus l’an dernier, contient des dispositions qui engagent toutes les parties à respecter l’Accord de Paris sur le climat et à lutter contre la déforestation. Dans le cas du Brésil, ces deux engagements reviennent au même puisqu’en vertu de son adhésion à l’Accord de Paris, le pays s’est engagé à éliminer la déforestation illégale d’ici 2030. Pourtant les politiques actuelles du président Jair Bolsonaro vont directement à l’encontre de ces promesses. Elles ont aggravé la crise en Amazonie en augmentant la déforestation au lieu de la diminuer.

Il fut un temps où le Brésil était un leader mondial de la préservation des forêts. Entre 2004 et 2012, un effort concerté du gouvernement et de Brésiliens de milieux et origines divers – notamment des communautés autochtones, des groupes de défense de l’environnement et des entreprises privées – avait réussi à réduire de 80 pourcent la déforestation de l’Amazonie. Mais après 2012, les coupes budgétaires et les politiques défaillantes ont fragilisé les agences de protection de l’environnement du Brésil, et la déforestation a donc repris de plus belle.

Ce rebond a été largement favorisé par des réseaux criminels violents contre lesquels le gouvernement n’a strictement rien fait pour protéger les Brésiliens, comme c’est pourtant son devoir. En 2019, un rapport de Human Rights Watch a démontré que ces mafias menaçaient, attaquaient et tuaient des agents de protection de l’environnement, des membres des communautés autochtones et d’autres habitants vivant dans la zone qui tentent de protéger la forêt tropicale. Les meurtriers sont rarement traduits en justice. Tant que le Brésil ne progressera pas dans la lutte contre la violence et l’impunité qui affectent les défenseurs de la forêt, il est probable que la destruction de l’Amazonie se poursuive sans frein.

Depuis qu’il a pris ses fonctions en janvier 2019, le président Bolsonaro se place de fait du côté des mafias. Comme Human Rights Watch l’a documenté, son administration a saboté les instances brésiliennes de protection de l’environnement et des peuples autochtones, déjà fragilisées, et a cherché à écarter les groupes de défense de l’environnement du pays. Il n’est ainsi pas surprenant que la déforestation ait augmenté de plus de 80 pourcent l’an dernier – d’après les données de l’Institut national de recherches spatiales brésilien, fondées sur des alertes en temps réel – et continue à augmenter cette année. Il n’est pas surprenant non plus que les menaces ciblant les défenseurs de la forêt se soient intensifiées.

L’Union européenne a de bonnes raisons pour soutenir tous les Brésiliens qui cherchent à faire respecter les lois protégeant la forêt amazonienne. Les scientifiques expliquent que la déforestation incontrôlée pousse rapidement l’Amazonie vers un « point de basculement » où elle cessera d’être un réservoir stockant naturellement le dioxyde de carbone – un élément clé du réchauffement climatique – et libérera au contraire des quantités massives de gaz à effet de serre. Le résultat aggravera la crise climatique, qui menace tout autant les Européens que les Brésiliens. En outre, le Pacte vert pour l’Europe engage l’UE à s’assurer que ses politiques commerciales réduisent la déforestation intervenant dans ses chaînes d’approvisionnement et contribuent aux efforts mondiaux de lutte contre le réchauffement climatique.

Il y a eu un vif débat pour savoir si l’accord UE-Mercosur peut réellement faire progresser ces objectifs du Pacte vert, d'autant plus que ses dispositions environnementales n’établissent aucune sanction en cas de non-conformité. Ce qui est clair, en tout cas, c’est que Bolsonaro est déjà en train de démanteler la capacité du Brésil à se conformer à ces dispositions – et de précipiter ce « point de basculement » où toute conformité pourrait devenir impossible. Si l’UE entend respecter ses propres engagements environnementaux et soutenir les Brésiliens qui se battent pour sauver leur forêt tropicale, c’est maintenant qu’il faut agir, avant que Bolsonaro ne puisse causer des dommages potentiellement irréparables.

L’UE, le Parlement européen et les États membres de l’UE devraient adresser un message clair et catégorique au président Bolsonaro : la ratification de l’accord ne pourra pas être envisagée tant que le gouvernement du Brésil ne se montre pas disposé à en honorer les conditions environnementales. Afin que cette disposition puisse être évaluée, l’UE devra établir des critères de référence clairs et vérifiables, fondés sur des actions et résultats concrets, et non pas sur des plans ou propositions. Ces critères devraient permettre de s’attaquer aux problèmes interdépendants qui sont au cœur de la crise : la violence et la déforestation.

Plus précisément, la ratification de l’accord commercial entre l’UE et le Mercosur ne devrait pas être envisagée tant que le Brésil n’a pas démontré :

  1. Des progrès pour mettre fin à l’impunité des violences liées à la déforestation illégale, mesurés par le nombre de cas faisant l’objet d’une enquête, de poursuites et d’un procès[1] ; et
  2. Des progrès pour réduire le taux de déforestation de l’Amazonie et mettre le pays en bonne voie pour atteindre son engagement d’éliminer toute déforestation illégale d'ici 2030en vertu de son adhésion à l'Accord de Paris.[2]

En outre, l’Union européenne devrait suivre de près les politiques et mesures législatives favorisées par le gouvernement brésilien qui pourraient encourager l’invasion illégale des territoires autochtones ou toute autre action portant atteinte aux protections de la forêt amazonienne et aux droits des personnes qui y vivent.

Si l’accord UE-Mercosur était ratifié sans que le gouvernement brésilien ait fait preuve de progrès réels dans la résolution de cette crise amazonienne, cela saperait la crédibilité de l’engagement pris par l’Union européenne elle-même lorsqu’elle s’est promis, à travers le Pacte vert, de n’avoir que des relations commerciales respectueuses du climat.

 

Veuillez agréer, Mesdames et Messieurs, mes sincères salutations,

 

Lotte Leicht                          

Directrice du plaidoyer auprès de l’UE                      

 

Maria Laura Canineu

Directrice pour le Brésil

 

Daniel Wilkinson

Directeur de la division Environnement et Droits humains

 

Copie à :

La présidente de la Commission européenne, Mme Ursula von der Leyen

Le Haut représentant de l’UE pour les Affaires étrangères et vice-président de la Commission européenne, M. Josep Borrell

Le Commissaire européen au Commerce, M. Phil Hogan

Le Chef de la Délégation de l’UE au Brésil, M. l’Ambassadeur Ignacio Ybáñez

Le comité des représentants permanents des gouvernements des États membres de l’Union européenne (COREPER II)

 

 

[1] Étant donné le manque d’informations officielles sur les violences commises à l’égard des défenseurs de la forêt en Amazonie brésilienne, il conviendra de déterminer les progrès de la lutte contre l’impunité en se fondant sur les chiffres fournis par la Commission pastorale de la terre (CPT), une organisation non gouvernementale affiliée à l’Église catholique. La CPT a répertorié, entre 2015 et 2019, plus de 200 meurtres commis dans le contexte de conflits portant sur l’usage des terres et des ressources de l’Amazonie – souvent par des individus impliqués dans la déforestation illégale –, dont 8 seulement ont fait l’objet d’un procès.

[2] Toute tentative cherchant à atteindre cet objectif en assouplissant la définition de la déforestation illégale telle qu’elle existe actuellement devra être considérée comme une violation de cet engagement.

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